M. et Mme X. ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 1997 et 1998 à la suite d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle et d’une vérification de comptabilité de la SARL Virtual Market Place (VMP) et de la SCI Eurapple II dont M. X. était associé. Entre autres rectifications, l’administration a considéré que la somme de 3 326 538 francs (soit 507 127,45 euros), créditée par la SARL VMP sur son compte-courant d’associé en 1998, était constitutive de revenus distribués imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Remettant en cause cette analyse, le tribunal administratif de Grenoble, par un jugement du 4 juillet 2007 (n° 0301848), a prononcé la décharge des impositions et pénalités correspondantes. Mais, par un arrêt du 13 octobre 2009 (n° 07LY02835), devenu définitif, votre cour, sur appel du ministre, a rétabli M. et Mme X. aux rôles de l’impôt sur le revenu et des contributions sociales au titre de l’année 1998 à hauteur des droits et des intérêts de retard en cause, soit 273 848, 89 euros de droits et 36 969,50 euros d’intérêts de retard en matière d’impôt sur le revenu1. En conséquence, l’administration fiscale a émis, le 31 décembre 2009, un nouveau rôle afin de constater le rétablissement opéré par la cour de la partie de l’imposition à l’impôt sur le revenu dont les contribuables avaient été déchargés par le tribunal administratif et ce, pour un montant total, en droits et pénalités de 310 818 euros. Après plusieurs tentatives de recouvrement, l’administration des contributions directes du Grand-Duché du Luxembourg a, le 14 juin 2019, notifié à l’adresse du domicile de M. X. au Luxembourg, une mise en demeure valant commandement de payer la somme de 389 225,30 euros, délivrée le 23 mai 2019 par le comptable public du service des impôts des particuliers de Grenoble Chartreuse Grésivaudan. M. X. relève appel du jugement du 30 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à lui accorder la décharge de l’obligation de payer cette somme.
M. X. se plaint d’abord de ce que l’administration fiscale n’a pas mis en œuvre les diligences nécessaires pour convertir la saisie conservatoire de ses avoirs auprès de la SARL VMP, opérée en 2001 sur le fondement de l’article L. 277 du livre des procédures fiscales, en saisie attribution, ce qui aurait permis, selon lui de régler définitivement le litige depuis un certain nombre d’années. Mais outre qu’il est de jurisprudence constante que les choix opérés par le service sur les modalités de poursuites ne relèvent pas de la compétence du juge administratif, nous voyons mal en quoi « l’inaction fautive » alléguée aurait une incidence sur l’obligation au paiement de M. X. ou même sur le montant de sa dette compte tenu des paiements effectués ou l’exigibilité de la somme réclamée. Vous écarterez donc le moyen comme inopérant.
En ce qui concerne le montant de la dette, précisons que la somme de 389 225,30 euros se rapporte :
- à la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu et aux intérêts de retard dont M. X. est redevable au titre de l’année 1998 pour un montant de 310 818 euros,
- à une majoration pour retard de paiement de 10 %2 pour un montant de 31 082 euros,
- et, pour le solde, à des frais de poursuite d’un montant de 10 257 euros et à des intérêts moratoires d’un montant de 65 230,34 euros dont il a été déduit 28 162,04 euros à raison des versements déjà effectués.
M. X. s’étonne de ce que les autorités luxembourgeoises lui ont réclamé des sommes variant de 352 157 euros en 2012 à 421 924 euros en octobre 2019 mais cette évolution s’explique par l’ajout, à la somme due en principal, de la majoration de 10% pour retard de paiement, puis des intérêts moratoires et frais de poursuites réclamés par la France mais également par l’ajout de divers frais de poursuite liés à la procédure de recouvrement par les autorités luxembourgeoises, qui avaient été requises par la France en vertu de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures. Ces montants ne sont pas en litige et ne pourraient en tout état de cause pas l’être devant vous, les juridictions françaises n’étant pas territorialement compétentes pour connaître d’une contestation de sommes réclamées par des autorités étrangères.
L’appelant soutient également qu’il a déjà effectué des versements qui n’ont pas été pris en compte. Il est vrai qu’il résulte de l’instruction que les autorités luxembourgeoises ont mis en œuvre, depuis 2012, diverses modalités de poursuites ayant donné lieu au recouvrement de sommes que les autorités luxembourgeoises ont néanmoins gardé par devers elles en remboursement des frais occasionnés par la procédure de recouvrement dans ce pays. Il résulte de l’instruction que le Grand-Duché du Luxembourg n’a été en mesure de reverser à l’Etat français une somme de 15 026,59 euros que le 16 juin 2020 puis des sommes de 10 251,23 euros et 374 198,71 euros en juin et octobre 2021, apurant ainsi la dette fiscale de M. X.. Mais ces évènements sont postérieurs à la date de la mise en demeure valant obligation de payer, objet du présent litige.
En outre, il résulte de l’instruction que trois avis à tiers détenteurs bancaires visant Mme X. ont été notifiés en avril, juillet et septembre 2017 ayant permis le recouvrement de la somme totale de 45 026,59 euros. Mais Mme X. a formé tierce opposition et a obtenu le remboursement partiel de cette somme. Le comptable chargé du recouvrement n’a conservé que 28 162,04 euros, qui ont bien été imputés sur le montant de la dette fiscale de M. X..
Il résulte de l’instruction que l’administration a décompté des intérêts moratoires, sur le fondement de l’article L. 209 du livre des procédures fiscales, à la date du 30 juin 2015, sur la base de la somme due en principal, soit 310 818 euros correspondant au montant de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu et au montant des intérêts de retard. Contrairement à ce que soutient l’appelant, il ne fait pas de doute que les intérêts moratoires prévues à l’article L. 209 du livre des procédures fiscales ont pour base de calcul, outre les droits simples, les pénalités d’assiette dont ces droits sont assortis (CE, 28 janvier 2004, n°244632, C).
En revanche, nous pensons, à l’instar de M. X., que l’administration fiscale ne pouvait pas lui infliger d’intérêts moratoires dès lors que le tribunal administratif de Grenoble avait fait droit, le 4 juillet 2007, à sa demande de décharge de l’imposition dont le recouvrement est recherché.
L’article L. 209 du livre des procédures fiscales, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2015, prévoit que le contribuable qui conteste une imposition établie à la suite d’une rectification ou d’une taxation d’office, et pour laquelle il a présenté une réclamation assortie d’une demande de sursis de paiement, doit payer des intérêts moratoires à l’Etat lorsqu’un tribunal administratif rend une décision qui lui est défavorable ou lorsqu’il se désiste. Or, le tribunal administratif de Grenoble a rendu une décision favorable à M. X..
Pour justifier l’application d’intérêts moratoires, le ministre fait valoir que lorsqu’un jugement de première instance accorde la décharge d’une imposition et que celle-ci est remise en cause en appel, voire en cassation, le contribuable est replacé dans la situation qui était la sienne avant le jugement. Il précise que les intérêts moratoires n’ont été décomptés qu’à la date du 30 juin 2015 et qu’ils auraient pu être décomptés à partir d’une date antérieure.
Ce n’est toutefois pas la logique qui sous-tend l’article L. 209 du livre des procédures fiscales. Il résulte désormais3 clairement de ces dispositions que la décision juridictionnelle ouvrant l’application des intérêts moratoires est une décision de première instance défavorable à un contribuable ayant demandé le sursis de paiement et ce, quels que soient les effets qui s’attachent aux décisions du juge d’appel, voire du juge de cassation. Cette solution est conforme à la doctrine administrative (BOI-CTX-DG-20-50-20 § 20) ainsi, et surtout, qu’à la volonté du législateur de ne pas faire supporter au contribuable un montant d’intérêt moratoire trop important lié au seul écoulement des délais contentieux (V. en ce sens CAA Versailles, 11 octobre 2016, SA Orange, n°16VE00422, C+ et les conclusions de Bruno Coudert publiées à la RJF 1/17 @ C86).
Alors certes, ainsi que le soutient le ministre et que l’a relevé le tribunal administratif de Grenoble au point 7 du jugement attaqué, les intérêts moratoires infligés à M. X. n’ont commencé à courir que postérieurement à l’arrêt rendu par votre cour, le 13 octobre 2009, sans couvrir la période au cours de laquelle les impositions réclamées à l’intéressé avaient été déchargées par le tribunal. Mais peu importe, en vertu de la loi dont le texte est clair : l’application des intérêts moratoires prévus à l’article L. 209 du livre des procédures fiscales n’est envisageable qu’en cas de décision de première instance défavorable au contribuable (ou en cas de désistement de celui-ci). Or, au cas d’espèce, la décision de première instance était favorable à M. X. s’agissant de la somme en litige dont le recouvrement est recherché.
Si vous nous suivez, vous prononcerez la décharge de l’obligation de payer la somme de 65 230,34 euros, vous réformerez le jugement du tribunal administratif de Grenoble en ce qu’il a de contraire et vous rejetterez le surplus des conclusions de la requête, y compris, dans les circonstances de l’espèce, les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Tel est le sens de nos conclusions.