Lancé en janvier 2008, le programme Nano 2012 devait permettre de développer de nouvelles technologies pour la conception et la production des prochaines générations de circuit intégré. Placé sous la maîtrise d’œuvre du fabricant franco-italien de semi-conducteurs, STMicroelectronics, en partenariat avec le groupe américain IBM, le programme permettait également de maintenir et de développer sur le territoire français, et plus précisément sur le site de Crolles en Isère, un savoir-faire et des emplois dans le domaine de la nanotechnologie. Le programme bénéficiait donc du soutien financier des collectivités territoriales et de l’Etat.
En 2009, le groupe américain Mentor Graphics, opérant sur le marché de l’automatisation de la conception électronique, a rejoint le programme Nano 2012 et a créé la SARL Mentor Graphics Development Crolles (MGDC), aux droits de laquelle est ensuite venue la SARL Mentor Graphics France (MGF), pour participer au sous-programme, baptisé DECADE, relatif à la conception assistée par ordinateur pour la réalisation des circuits électroniques.
Une convention de soutien de l’Etat à des actions de recherche et d’innovation a été conclue avec cette société, aux termes de laquelle l’Etat s’engageait, via le fonds de compétitivité des entreprises, à lui verser une subvention, sous forme d’acomptes, d’un montant de 40% du coût du projet, limité à un peu plus de 5,9 millions d’euros. C’est ainsi que la SARL MGDC a perçu la somme de 2 408 599 euros au cours de l’année 2011 et la somme de 2 167 730 euros au cours de l’année 2012.
Cette société a, par ailleurs, opté pour le crédit d’impôt-recherche (CIR). Comme vous le savez, ce mécanisme d’incitation fiscale, codifié à l’article 244 quater B du code général des impôts, permet aux entreprises industrielles, commerciales, agricoles et artisanales, quel que soit leur mode d’exploitation, de bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des dépenses de recherche scientifique ou technique, qu’elles exposent au cours d’une année. Son taux est de 30% pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d’euros et de 5% pour la fraction supérieure à ce montant. Le II de l’article 244 quater B précise la liste des dépenses éligibles. Le CIR est imputé, selon les cas, sur l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés dû par l’entreprise.
Ce crédit d’impôt représente une dépense fiscale importante pour l’Etat (de l’ordre de 6,84 Mds d’euros en 20201) et afin de ne pas financer les mêmes activités de recherche par le biais de plusieurs aides publiques, l’article 244 quater B du code général des impôts prévoit, en son III, que « les subventions publiques reçues par les entreprises à raison des opérations ouvrant droit au crédit d'impôt sont déduites des bases de calcul de ce crédit, qu'elles soient définitivement acquises par elles ou remboursables (…) ».
A ce titre, la SARL MGDC a déclaré pouvoir bénéficier, au titre de l’année 2011, d’un CIR de 692 277 euros, calculé sur la base d’un montant de dépenses de 4 140 771 euros desquelles elle a déduit, non pas l’intégralité de la subvention perçue, mais une quote-part de cette subvention pour un montant de 1 833 182 euros, considérant que seule la fraction de la subvention couvrant des dépenses éligibles au CIR devait être déduite de la base de calcul de ce crédit d’impôt. Au titre de l’année 2012, elle a déclaré un CIR de 902 650 euros, calculé sur la base d’un montant de dépenses de 4 686 579 euros desquelles elle a déduit une quote-part de subvention d’un montant de 1 677 745 euros.
Elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre des exercices clos de 2011 à 2014. A l’issue de ce contrôle, l’administration fiscale a remis en cause le montant du CIR déclaré par la SARL considérant que cette dernière aurait dû déduire des bases de calcul du crédit d’impôt le montant total des acomptes de la subvention, perçus en 2011 et 2012 notamment.
En outre, dans le cadre de la même vérification de comptabilité, les bénéfices de la société ont fait l’objet de rehaussements portant sur des prix de transfert, de sorte qu’une partie du CIR de l’année 2011, à hauteur de 80 386 euros, a été imputée sur le complément d’impôt sur les sociétés dû par la SARL au titre de l’exercice clos en 2012 et une partie du CIR de l’année 2012, à hauteur de 88 783 euros, a été imputée sur l’impôt sur les sociétés dû au titre de l’exercice clos en 2013.
Dans ces conditions, l’administration fiscale, par deux décisions du 18 décembre 2015 et du 23 février 2018, a partiellement rejeté les demandes de remboursement de créances de CIR dont la SARL MGCD estimait être titulaire. La SARL MGF, venue aux droits de la SARL MGCD, relève appel du jugement du 2 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant au remboursement du solde de sa créance de CIR à hauteur de 253 011 euros pour l’année 2011 et de 146 996 euros pour 2012.
Par son mémoire enregistré le 10 janvier 2023, le ministre vous informe que, par une décision du 16 juin 2021, l’administration a abandonné les redressements portant sur les prix de transfert, notamment au titre des exercices clos les 31 janvier 2012 et 31 janvier 2013. La SARL n’étant plus redevable d’aucun rappels d’impôt sur les sociétés sur lesquels avait été imputée une partie du CIR des années 2011 et 2012, les sommes correspondantes (80 386 euros et 88 783 euros) ont fait l’objet d’une restitution par une décision du 5 décembre 2022, produite à l’instance. Les soldes de CIR en litige se limitent donc à 172 625 euros au titre de l’année 2011 et à 146 996 euros au titre de l’année 2012. Vous pourrez donc constater un non-lieu à statuer partiel en ce qui concerne la seule année 2011, l’administration ayant fait droit à la demande de remboursement de la société à hauteur de la somme de 80 386 euros.
Sur le fond, le litige porte sur l’interprétation à donner à la première phrase du III de l’article 244 quater B du code général des impôts aux termes de laquelle, nous le répétons, « les subventions publiques reçues par les entreprises à raison des opérations ouvrant droit au crédit d'impôt sont déduites des bases de calcul de ce crédit, qu'elles soient définitivement acquises par elles ou remboursables ». En particulier, la question est celle de savoir ce qu’il faut entendre par « opérations ouvrant droit au crédit d’impôt ».
Pour la société appelante, la subvention publique perçue était destinée à financer en partie, le sous-programme DECADE, qui constitue un projet de recherche et développement entrant dans le champ du CIR. Toutefois, et ainsi qu’il en résulte de l’annexe à la convention de soutien conclue en 2009, et ainsi qu’en convient le ministre en défense, toutes les dépenses subventionnées concourant à la réalisation de ce sous-programme n’étaient pas éligibles au CIR. Elle en déduit que seule la quote-part de la subvention couvrant des dépenses éligibles au CIR doit être déduite de la base de calcul de ce crédit d’impôt.
Cette interprétation s’entend : si l’intention du législateur est d’empêcher le double financement public des dépenses engagées pour une même activité de recherche, il apparaît cohérent de déduire de la base de calcul du CIR, la seule part de la subvention destinée à couvrir les dépenses éligibles à ce crédit d’impôt.
Mais ce n’est pas, selon nous, ce que dit la loi. Le III de l’article 244 quater B du code général des impôts vise les subventions publiques reçues à raison des opérations ouvrant droit à crédit d’impôt et non les subventions publiques destinées à couvrir les dépenses éligibles au CIR.
Or, il nous semble qu’il faut distinguer les « opérations de recherche scientifique ou technique » ouvrant droit à l’application des dispositions de l’article 244 quater B du code général des impôts, telles que définies à l’article 49 septies F de l’annexe III au code général des impôts, des dépenses éligibles dont la liste est donnée par le II de l’article 244 quater B et précisée en annexe.
L’article 49 septies F de l’annexe III au code général des impôts distingue trois catégories d’opérations éligibles au CIR : la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les opérations de développement expérimental. Au sein de ces opérations, seules certaines dépenses ouvrent droit au CIR telles que notamment les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à des opérations de recherche scientifique ou technique.
Nous déduisons de cette distinction sémantique entre « opérations » et « dépenses éligibles », comme l’administration et le tribunal administratif de Grenoble, que lorsque la subvention publique a, comme en l’espèce, vocation à financer une opération de recherche visée à l’article 49 septies F de l’annexe III au code général des impôts, c’est l’intégralité de cette subvention qui doit être déduite de la base de calcul du CIR et ce, même si la subvention couvre également des dépenses non éligibles à ce crédit d’impôt.
Par ailleurs, ainsi que l’a jugé le Conseil d’Etat, le refus de remboursement d’une créance de CIR n’entre dans le champ d’aucun des alinéas de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales dès lors qu’il s’agit d’un refus opposé après l’établissement des impositions primitives à des demandes, s’analysant comme des réclamations tendant au bénéfice d’un droit, dont le rejet ne peut être assimilé à un « rehaussement » ou « redressement » au sens de ces dispositions (V. par exemple CE, 3 octobre 2012, Société WELCOME REAL TIME, n°342386, C).
Pour mémoire, rappelons que le Conseil d’Etat a récemment jugé que la remise en cause par l’administration fiscale d’un crédit d’impôt qui a été imputé sur l’imposition primitive d’un contribuable constitue un rehaussement au sens et pour l’application du premier et du second alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales (CE, 20 juin 2023, n°462501, B). Mais le présent litige ne se présente pas sous cet angle puisque n’est pas formellement en cause ici l’imputation du CIR sur les cotisations d’impôt sur les sociétés de la SARL MGCD mais bien des demandes de remboursement d’une créance de CIR.
Il s’en déduit que la société appelante ne peut utilement invoquer ni le paragraphe 33 de l’instruction référencée 4A-10-08 du 26 décembre 2008, ni la décision de rescrit RES 2005/93 du 7 septembre 2015. En tout état de cause, leurs énonciations qui visent, comme la loi, les « opérations ouvrant droit au crédit d’impôt » ne donnent pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle que nous vous proposons.
Enfin, et dans le même ordre d’idée, la SARL MGF, qui fait un lien entre subvention publique et dépenses éligibles au CIR, soutient que pour le calcul de ce crédit d’impôt, la subvention doit être déduite non pas l’année de son versement, mais l’année au cours de laquelle les dépenses qu’elle couvre sont exposées.
Ainsi qu’elle le relève, l’administration a modifié son commentaire relatif à l’application du III de l’article 244 quater B du code général des impôts, sans que la loi n’ait, elle-même, été modifiée. Ainsi, en 2008 (instruction référencée 4A-10-08 du 26 décembre 2008 § 33), elle indiquait que les subventions publiques devaient être déduites de la base de calcul du CIR calculé au titre de l’année au cours de laquelle ces subventions sont versées. Mais en 2014 (BOI-BIC-RICI-10-10-30-20 § 10), elle fait état de ce que les subventions publiques « doivent être déduites de la base de calcul du crédit d’impôt calculé au titre de l’année ou des années au cours de laquelle ou desquelles les dépenses éligibles, que ces (…) subventions ont vocation à couvrir, sont exposées, conformément au III de l’article 244 quater B du CGI ».
La société appelante ne nous semble pas invoquer expressément la documentation administrative de 2014. Elle ne pourrait pas le faire pour les raisons que nous avons exposées et aussi, parce que cette instruction est postérieure aux années d’imposition en litige. Mais elle vous demande d’interpréter les dispositions du III de l’article 244 quater B du code général des impôts à la lumière des énonciations de la doctrine administrative telle que publiée en 2014.
Mais, nous l’avons dit, la loi ne prévoit pas de corrélation entre la déduction des subventions publiques et la prise en compte dans l’assiette du CIR des dépenses qu’elles ont vocation à couvrir. Elle ne prévoit pas non plus de déduction étalée des subventions publiques selon la date des dépenses engagées dans le cadre d’une opération de recherche ouvrant droit au crédit d’impôt.
C’est par suite à bon droit, selon nous, que l’administration fiscale a considéré qu’il fallait déduire de la base de calcul du CIR les subventions publiques au titre des années au cours desquelles elles ont été versées. En indiquant au point 10 de son jugement, que l’administration n’avait pas fait une interprétation erronée des dispositions du III de l’article 244 quater B du code général des impôts en se fondant sur la date de versement des subventions, le tribunal administratif de Grenoble, qui n’était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par la requérante, a répondu au moyen invoqué devant lui de manière suffisamment motivée. Il n’a ainsi entaché son jugement d’aucune irrégularité et vous pourrez, si vous nous suivez, en confirmer le dispositif.
Par ces motifs nous concluons au rejet de la requête.