Le concessionnaire (d’aménagement) n’est – en principe – pas le mandataire de la personne publique concédante ; une société publique locale ne constitue pas une entité transparente. Voilà résumée, en deux assertions épurées, le double apport de la décision du 21 septembre 2023, par laquelle la cour administrative d’appel de Lyon, suivant en cela les conclusions de sa rapporteure publique, a conclu en son incompétence, le contrat à l’origine du litige revêtant une nature privée que seul le juge judiciaire peut connaitre. Rien n’étonnera vraiment à la lecture du présent arrêt, alors même qu’il vient s’inscrire dans une jurisprudence désormais éprouvée en la matière, la constante d’une solution n’ayant cependant jamais eu le pouvoir de priver le droit d’en discuter le bien-fondé.
À l’origine de l’affaire, une concession d’aménagement passée par la Communauté d’agglomération de Dijon avec son « opérateur dédié » (la société publique locale « aménagement de l’agglomération dijonnaise » - SPLAAD), initialement constitué en SPLA puis, à partir de 2013, en SPL, ceci en vue de la réalisation d’une opération d’aménagement (« Territoire Grand Sud »), le contrat donnant pour mission au concessionnaire (ainsi que le reprend la cour), d’acquérir la propriété, à l'amiable ou par voie de préemption ou d'expropriation (...) les biens immobiliers bâtis ou non bâtis, de gérer ces biens, de procéder à la réalisation des études opérationnelles et de faisabilité, et d’assurer l'ensemble des tâches de conduite et de gestion des opérations. C’est dans ce cadre que, en 2014, la société concessionnaire devait procéder à la cession d’un bâtiment à réhabiliter au profit de l’Ordre des architectes de Bourgogne, ceci au sein de l’Ecoquartier de l’Arsenal, l’opération (lovée dans une ZAC) confirmant, au passage le potentiel (bien armé) de reconversion patrimoniale constitué par les anciennes emprises militaires (V. C. Chamard-Heim et Ph. Yolka (dir.), Patrimoine(s) et équipements militaires. Aspects juridiques, IFJD, 2018). Le dessein finalement jeté aux oubliettes, l’Ordre des architectes décidait de revendre le bien, jusqu’à susciter l’attention des requérants d’espèce, les Consorts X, leur projet étant néanmoins stoppé net par un courrier du 14 mai 2020, par lequel la SPLAAD faisait valoir son droit de rétrocession à l’égard de l’actif en passe d’être revendu, ceci au titre des articles 11 et 13 du cahier des charges annexé au contrat de concession. C’est précisément cette décision que les Consorts X. entendaient contester, le tribunal administratif de Dijon venant toutefois rejeter leurs prétentions, déportées ce faisant en appel auprès de la Cour lyonnaise.
Sans qu’il ne soit nécessaire de s’épancher sur le fond de l’affaire, il appartenait avant toute chose à la cour d’établir sa compétence pour connaître du litige, la question revenant à déterminer si, à la base, le contrat de vente pouvait être regardé comme administratif, l’hypothèse étant au final écartée. Précisons au préalable que, certes, une autre solution aurait pu se concevoir : comme tentait de le faire valoir les requérants, la cour aurait pu arrimer sa compétence à la nature unilatérale du courrier en date du 14 mai 2020, analysée par les Consorts X. comme une décision de préemption, au sens des articles L. 211-1 et suivants du Code de l’urbanisme. Sans que l’arrêt d’espèce ne s’y attarde longuement (v. § 5 : « Dans ces conditions, cette décision qui porte sur l'exécution d'un contrat de droit privé ne peut être regardée comme ayant pour objet de préempter le bien litigieux pour le compte d'une personne publique »), force est d’admettre que les juges s’en sont remis à l’appréciation – convaincante – de la rapporteure publique pour balayer la conjoncture : outre que le courrier prenait expressément appui sur les stipulations du cahier des charges de la concession, ces dernières avaient, elles-mêmes, été insérées par renvoi au sein du contrat de vente signé entre la SPLAAD et l’Ordre des architectes bourguignon. En bref, le courrier entendait seulement manifester l’exercice d’une clause contractuelle ; autrement dit, il se contentait de mettre en œuvre un droit de rétrocession – ou de préférence – contractuellement prédéfini. Il restera cependant à convaincre qu’une autre solution n’aurait pas été envisageable : le courrier n’aurait-il pas pu être considéré « par anticipation » (ou par « retour » à l’ancien état) comme un acte détachable de la gestion du domaine privé (intercommunal) ? À suivre cette hypothèse, force est d’admettre que l’acte aurait pu, alors, relever de la compétence du juge administratif, lors même qu’il entrait – de notre point de vue – évidemment dans le giron de ceux ayant pour objet ou pour effet d’affecter « le périmètre et la consistance du domaine privé », quand bien même se serait-il agi « virtuellement » de revenir à l’existant passé – via rétrocession (v. TC, 22 nov. 2010, n° 3764, Sté Brasserie du théâtre c/ Cne Reims, Leb. 591 ; AJDA, 2010, p. 2423, chron. D. Botteghi et A. lallet ; BJCP, 2011, p. 55, concl. P. Collin ; BJCL, 2011, p. 439, note J. Martin ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 26, note P. Devillers ; JCP A, 2011, n° 2041, note J.-G. Sorbara ; Dr. adm., 2011, comm. 20 et GADABB, Dalloz, 4e éd., 2022, n° 72, note F. Melleray).
Quoi qu’il en soit, c’est donc de la nature du contrat de cession que dépendait l’issue du litige, étant entendu que plusieurs hypothèses pouvaient se présenter pour entériner son caractère administratif. Rappelons au préalable que, par principe, un contrat signé entre personnes privées (comme c’était le cas en l’espèce) revêt une nature privée (TC, 5 juill. 2021, M.Y.c/ communauté d'agglomération de la Riviera française, n° C4214, Leb.), quand bien même, bientôt, le législateur pourrait venir fragiliser cette équation, en revenant sur l’existant au sujet des contrats de la commande publique – signées par des personnes privées (V. sur la question, L. Cochet, Les contrats privés de la commande publique : les clairs-obscurs d’un régime juridique après la réforme de la commande publique : JCP A 2022, n° 2132 – G. Eckert, Unifier le contentieux de la commande publique : une fausse bonne idée ?, CMP, 2024, étude 6 – J. Martin, Juge administratif, juge judiciaire et contrats de la commande publique : un fauteuil pour deux ? : JCP A, 2024, n° 2176 – N. Symchowicz, Une réforme inopportune. L’unification du régime des contrats de la commande publique, AJDA, 2024, p. 1197). À ce stade cependant, la circonstance qu’un tel contrat confie l’exécution d’un service public au cocontractant (TC, 3 mars 1969, n° 01926, Sté Interlait, Leb. 682 ; AJDA, 1969, p. 307, concl. J. Kahn, note A. de Laubadère) ou qu’il comprenne une clause exorbitante du droit commun (TC, 26 mars 1990, AFPA, n° 02596, Leb. T., pp. 635-637 ; Dr. adm. 1990, comm. 341) demeure indifférente. À supposer la première objection bravée, il aurait été, en tout état de cause, pour le moins constructif de déceler ici l’existence d’une telle clause, lors même que, en matière patrimoniale du moins, le juge judiciaire comme son homologue administratif s’adonnent à une pêche – récréative – loin d’être miraculeuse. Ainsi, une clause rétrocessive ou « de préférence » n’est nullement regardée ainsi, pas davantage qu’une clause anti-spéculative (Civ. 3e, 23 sept. 2009, n° 08-18.187, Bull. 2009, III n° 203) ou, encore, une clause résolutoire (TC, 13 mars 2023, n° 4266, Cne Phalsbourg : AJCT 2023, p. 447, note Ch. Otero ; AJDA 2023, p. 473, obs. J.-M. Pastor ; JCP A 2023, act. 207, act. L. Ernstein ; Contrats-Marchés publ. 2023, comm. 185, note J. Diettenhoffer). On s’attardera en revanche davantage sur la seconde hypothèse, tirée du potentiel lien d’accessoriété entre le contrat de vente et la concession d’aménagement dont la nature, administrative, quant à elle, aurait pu attraire l’accessoire au principal (v. TC, 8 juill. 2013, n° C3906, SEEP, leb. 371 ; Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 141, note P. Devillers ; JCP A, 2014, n° 2213, note O. Renard-Payen ; Dr. adm. 2013, comm. 78, note Y. Simmonet). Si l’arrêt fait mention de l’hypothèse, il s’en désintéresse globalement par la suite. On le regrettera mais, pour en approcher les raisons de plus près, on fera œuvre utile à se déporter, une fois encore, vers les conclusions de la rapporteure publique, cette dernière plaidant pour la mise à l’écart de l’hypothèse en ces termes : « un contrat de vente d’un bien immobilier, de surcroît conclu cinq ans après la concession d’aménagement, nous paraît difficilement pouvoir être regardé comme un simple accessoire de cette dernière ». On en tirera deux remarques : d’une part, le lien d’accessoriété se prêterait à la variable temporelle, l’écoulement du temps semblant irrémédiablement rompre les attaches ; d’autre part, l’accessoriété semble appréciée objectivement et ne pouvoir se comprendre qu’en présence d’une convention véritablement « périphérique » à la principale, ce qui ne serait donc nullement le cas, intrinsèquement, d’un contrat de vente : ici se love le paradoxe de la théorie, laquelle présuppose certes une dissociabilité entre deux objets (contractuels, en l’espèce)… mais pas trop, la relation d’interdépendance devant rester nourrie. C’est éminemment discutable mais l’on se contentera, plutôt, de relever que la solution vient confirmer, en premier lieu, la rareté des hypothèses positives en la matière (v. B. Blaquière, La théorie de l’accessoire en droit administratif, LGDJ, BDP, t. 332, 2022) ; en deuxième lieu, que la théorie de l’accessoire contractuel reste d’essence moins conceptuelle que volontariste, sa substance pouvant être, somme toute, résumée par l’idée selon laquelle elle n’est – comme la technique (cousine) de la détachabilité ou de la rattachabilité – rien d’autre… que ce que le juge décide d’en faire (V. en ce sens, M. Ubaud-Bergeron, note sous TA Strasbourg, 31 mars 2016, n° 1601218, Sté Eiffage Energie Alsace Franche-Comté : Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 131).
Ces deux hypothèses écartées, deux échappatoires restaient toutefois potentiellement à emprunter : l’une tirée de l’existence d’un mandat implicite liant la SPL à l’EPCI dijonnais ; l’autre exhumée de la « transparence » de cette même SPL à l’égard de ce même EPCI, les contrats qu’elles passent devant être – diaphanes – arrimés de nouveau au critère organique. Peine perdue, cependant, la Cour administrative d’appel de Lyon venant, au sujet de la première (I) comme de la seconde hypothèse (II), rejeter les prétentions.
I. Le concessionnaire n’est pas (implicitement) le mandataire de la personne publique
Le premier véritable argument des requérants résidait dans le bénéfice de la théorie du mandat « administratif », celle-ci obligeant à regarder le cocontractant privé, par-delà l’écran de sa personnalité morale, comme ayant agi « au nom et pour le compte de la personne publique ». Nul n’ignore que, en 1975, le Conseil d’État y donnait corps, jugeant ainsi que, au regard d’une pluralité d’indices (travaux contrôlés par la personne publique ; travaux dont les constructions deviendraient la propriété de la collectivité ; substitution de responsabilité), une personne privée peut-être considérée comme le mandataire « implicite » d’une personne publique (CE, sect., 30 mai 1975, Sté d’équipement de la région montpelliéraine, Leb. 326 ; AJDA, 1975, p. 3456, chron. M. Franc et M. Boyon ; D., 1976, p. 3, note F. Moderne), le contrat revêtant alors un caractère administratif sans qu’il ne soit – au surplus – nécessaire de cocher l’un des critères alternatifs. La théorie devait par la suite connaître quelques prolongations : elle resta globalement cantonnée aux contrats de travaux publics (routiers), leur « attractivité » légendaire contribuant sans doute à une telle destinée (v. par ex., CE, sect., 27 nov. 1987, n° 38318, Société provençale d’équipement, Leb. 383 ; Dr. adm. 1988, comm. 32, concl. Fornacciari, note F. Moderne ; AJDA, 1987, p. 716, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre ; D., 1989, jurispr. p. 261, note B. Thomas Tual ; D.n 1988, somm. p. 255, obs. Ph. Terneyre), quand bien même le juge départiteur s’autorisa quelques évasions ailleurs (v. not. CE, 3 juin 2009, n° 323594, Sté ADP, Leb. 216 ; RJEP 2009, comm. 19, concl. B. Dacosta ; Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 368, note W. Zimmer).
Nul n’ignore cependant aussi combien cette force d’attraction s’est flétrie par la suite, bien aidée par l’idée selon laquelle les contrats de travaux publics ne relèvent plus, « par nature », de l’État et de la compétence du juge administratif (TC, 9 mars 2015, Rispal c/ Sté ASF ; RFDA, 2015, p. 265, concl. N. Escaut, note M. Canedo-Paris ; BJCP, 2015, p. 309, concl. ; AJDA, 2015, p. 1204, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe ; Contrats-Marchés publ., 2015, comm. 110, note P. Devillers ; Dr. adm. 2015, comm. 34, note F. Brenet ; JCP A, 2015, n° 2156, note J.-Fr. Sestier ; ibid. n° 2157, note S. Hul ; GAJA, dalloz, 24e éd., 2023, n° 114). Le Conseil d’État, en premier lieu, retînt que son bénéfice doit être subordonné au fait que les constructions – issus des travaux – relèvent exclusivement de la propriété d’une personne publique, condamnant ainsi presqu’ipso facto, les contrats arrimées directement ou indirectement à une concession d’aménagement (CE, 11 mars 2011, n° 330722, Cnté d’agglomération du Grand Toulouse : Leb. T. 843 : 1003, 1093 ; AJDA, 2011, p. 534, obs. R. Grand ; RDI, 2011, p. 278, note R. Noguellou ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 130, note P. Devillers ; Constr.-Urb. 2011, comm. 67, note L. Couton). Le coup de grâce vînt, en second lieu, du Tribunal des conflits, lequel devait estimer que la théorie du mandat implicite ne peut plus être retenue, sauf à ce que les stipulations du contrat elles-mêmes laissent entendre le contraire (eu égard aux missions confiées au cocontractant de la personne publique). Ou, alternativement, s’il apparaît que les conditions d’exécution du contrat sont agrémentées de « circonstances particulières », telles qu’elles témoigneraient de la volonté – de la personne publique – d’être représentée, en son nom et pour son compte, par son propre cocontractant, y compris dans les autres relations contractuelles qu’il engagerait (TC, 11 déc. 2017, n° C4103, Cne Capbreton : Contrats-Marchés publ., 2018, comm. 30, note M. Ubaud-Bergeron ; AJDA, 2018, p. 267, chron. S. Roussel et C. Nicolas ; RDI, 2018, p. 1222, obs. M. Revert). La même décision devait enfin préciser que, au nombre de ces circonstances particulières, figurent notamment le maintien de la compétence de la collectivité publique pour décider des actes à prendre pour la réalisation de l'opération ou la substitution de la collectivité publique à son cocontractant pour engager des actions contre les personnes avec lesquelles celui-ci a conclu des contrats.
Depuis, c’est dès lors sans discontinuité que cette nouvelle approche a été reprise, réduisant à peau de chagrin la théorie du mandat implicite, son absence semblant affectée d’une présomption lourde, susceptible de n’être renversée qu’en de rares occasions (CE, 25 oct. 2017, n° 404481, Sté Les Compagnons Paveurs : JurisData n° 2017-021610 ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 269, note H. Hoepffner ; AJDA, 2018, p. 254 ; RTD com., 2018, p. 72, obs. F. Lombard - TC, 7 février 2022, n° C4233, Sté GUYACOM ; JCP A, 2023, n° 2303, note S. Bernard ; AJDA, 2022, p. 740, chron. D. Pradines et T. Janicot ; AJCT 2022, p. 269, obs. G. Le Chatelier ; ibid. p. 635, étude M.-C. Rouault ; Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 165, note J. Dietenhoffer). La même approche est, du reste, retenue en matière de travaux publics – et s’agissant des responsabilités afférentes – le concessionnaire de l’Administration ne pouvant être assimilé – sauf éléments probants contraires – à un mandataire de la personne publique (TC, 15 oct. 2012, n° 3853, Sté Port Croisade, Leb. T. : Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 17, note G. Eckert ; AJDA, 2012, p. 1982, note D. Poupeau – TC, 16 juin 2014, n° 3944, Sté d’exploitation de la Tour Eiffel c/ Sté Séchaud-Bossuyt et a. : JurisData n° 2014-013528 ; Contrats-Marchés publ., 2014, comm. 220, note P. Devillers ; RJEP 2014, n° 725, comm. 52, note M. Sirinelli ; BJCP, 2014, p. 426, concl. N. Escaut – TC, 10 janv. 2022, n° 4228, Sté Café Bar Pyxide : Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 93, note C. Chamard-Heim ; JCP A 2022, act. 66, obs. L. Ernstein – TC, 4 juill. 2022, n° 4247, Sté Alliance global corporate et specialty et Sté Aéroport Toulouse Blagnac : Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 274 ; AJDA, 2022, p. 1361, obs. J.-M. Pastor), la circonstance autorisant à le maintenir en qualité de maître de l’ouvrage. De tels éléments n’ont, en tout état de cause, pas été jugés suffisamment probants ici pour faire vaciller la présomption. Ainsi, la circonstance que le maire de Dijon ait approuvé et agréé une telle cession, n’a pas été considérée comme telle ; pas davantage que les stipulations mêmes de la convention d’aménagement ou de son cahier des charges, celles-ci révélant tout au contraire le maintien de l’autonomie du cocontractant (celui-ci devant, selon ses termes et répétons-les, « assurer l'ensemble des tâches de conduite et de gestion des opérations »). C’est dire, en somme, que la présente convention reste certes bien en deçà d’un quelconque transfert de compétences mais, sans doute, au-delà d’une simple délégation d’activités, le caractère « concessif » semblant, par ailleurs, implicitement jouer à plein, comme si l’existence d’un transfert de risques sur ses épaules suffisait à démontrer l’autonomie décisionnelle et gestionnaire du concessionnaire. C’est enfin sans succès que les requérants ont tentèrent, ici, de se prévaloir du « contrôle analogue » (à celui mise en œuvre sur ses propres services) exercé par l’EPCI sur sa propre SPL pour en déduire la présence d’un mandat implicite, ce moyen autorisant à faire transition avec le second intérêt majeur de la présente décision.
II. Une société publique locale n’est pas (explicitement) une entité « transparente ».
À défaut, en effet, d’emporter la persuasion des juges quant à l’existence d’un mandat administratif, le second moyen d’envergure consistait à tenter de convaincre de la « transparence » de la présente SPL (v. sur le sujet J.-M. Auby, La théorie des institutions transparentes en droit administratif, RDP, 1988, p. 265 ; F. Lichère, Le renouvellement de la théorie de la transparence des personnes privées, Contrats-Marchés publ., 2007, étude 14 ; S. Damarey, Association transparente : le critère du contrôle exercé par l’administration éclairé par la jurisprudence du Tribunal des conflits, JCP A, 2020, n° 2284. V. également P. Levallois, L’association, gestionnaire de service public, in C. Meurant et Ch. Roux (dir.), Associations et droit public, IFJD, 2024, à paraître). Par ce biais, les requérants souhaitaient donc exporter en la matière la théorie de « l’association transparente » par laquelle, en présence d’un certain nombre d’indices (création, financement, modalités de contrôle de l’association) le juge administratif s’autorise à retrouver la fragrance de la personnalité publique derrière le « faux-nez » associatif (CE, 21 mars 2007, n° 281796, Commune de Boulogne-Billancourt ; Contrats-Marchés publ., 2007, comm. 137, note G. Eckert; AJDA, 2007, p. 663 et 975, note J.-D. Dreyfus ; D., 2007, p. 1937, note J.-D. Dreyfus ; BJCP, 2007, n° 52, p. 230, concl. N. Boulouis ; CP-ACCP, 2007, n° 68, p. 58, note F. Brenet). Ce voile levé, la marionnette confondue, le juge administratif en tire la conclusion que les contrats adoptés par ces associations peuvent souffrir l’administrativité, pourvu que ces derniers répondent, en sus, au critère alternatif, la théorie connaissant également des excroissances sur le plan humain et financier, seul le champ fiscal (v. TA Limoges, 3 mars 2022, n° 1902240, Dpt de la Haute-Vienne : JurisData n° 2022-003403 ; Dr. adm., 2022, alerte 75, obs. Ch. Roux) et patrimonial y semblant pour l’heure rétifs (N. Foulquier, Le domaine public transparent, in Mél. É. Fatôme : Dalloz, 2011, p. 141).
L’argument ne manque évidemment pas de bon sens : par définition (légale : CGCT, art. L. 1531-1), les SPL sont en effet créées sur l’initiative de personnes publiques, lesquelles en sont, au demeurant, les seuls actionnaires ; en outre, exerçant sur ces SPL un « contrôle analogue » à celui qu’elles exercent sur leurs propres services, l’autonomie décisionnelle, gestionnaire et financière des SPL peut paraître douteuse, ceci d’autant plus qu’elles ne peuvent agir que pour le compte des collectivités publiques actionnaires. En bref, les indices mobilisés dans le cadre de la théorie de l’association transparente pourraient parfaitement être décalquées aux SPLA et SPL, ce qu’une doctrine – qu’on qualifiera de « réaliste » – admet depuis longtemps (V. S. Brameret, Prestations intégrées et transparence organique : pour une convergence des jurisprudences : AJDA 2021, p. 900. – S. Damarey, La société publique locale ou la fin des associations transparentes : AJDA 2011, p. 15). D’un autre côté, sans du reste infirmer la validité du raisonnement, une frange de la doctrine a toutefois bien marqué les inconvénients qui en résulteraient, s’il était admis : indéniablement, ce serait intégrer dans le fruit (du droit privé) un ver (d’exorbitance) ruinant presqu’entièrement l’intérêt de recourir à ces outils sociétaires. Ajoutons à cela que l’intention du législateur n’a vraisemblablement jamais été celle-ci, la constitution des SPL portant tous les stigmates relatifs à la volonté de cadrer avec les conditions de l’exception « in house », issues de l’arrêt Teckal (CJCE, 18 nov. 1999, aff. C-107/98, Rec. CJCE, p. 1-8121 ; BJCP, 2000, p. 43, concl. G. Cosmas, note Ch. Maugüé ; Europe, 2000, comm. 28, note F. Kauff-Gazin) et désormais codifiées (CCP, art. L. 2511-1 et s., pour les marchés publics ; CCP, art. L. 3123-1 et s., pour les concessions). On a mis encore en relief le fait que le « phénomène SPL » n’aurait, contrairement à celui des associations para-administratives, rien de « pathologique » (J.-Fr. Lafaix et R. Léonetti, A la recherche du droit d'exploitation dans les contrats immobiliers : AJDA 2021, p. 1986), ce qu’il sera loisible de discuter, d’une part, au regard de leur tendance à l’hypertrophie – et à la filialisation ; d’autre part, sous l’angle de l’exigence de publicité et mise en concurrence préalables. De manière plus convaincante, on a surtout pu avancer que la transparence n’aurait pas de sens, dès lors qu’on investit une SPL ou une SPLA d’une mission d’intérêt général (voire de service public), le pont étant alors jeté avec la solution précédente : à partir du moment où le concessionnaire (de service public) n’est pas le mandataire d’une personne publique, une même logique devrait être mise à l’œuvre (G. Le Chatelier, Une SPLA n'est pas une entité transparente, AJCT, 2021, p. 312).
C’est certainement pour l’ensemble de ces raisons que le Cour administrative d’appel, suivant en cela le Conseil d’État et le juge départiteur qui s’étaient déjà prononcés en ce sens (CE, 4 mars 2021, n° 437232, Sté Socri gestion : JurisData n° 2021-003347 ; AJCT 2021, p. 312, note G. Le Chatelier ; AJDA 2021, p. 1986, note J.-Fr. Lafaix et R. Léonetti ; JCP A 2021, 2161, note F. Lichère ; Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 156, note P. Soler-Couteaux – TC, 7 février 2022, n° C4233, Sté GUYACOM, préc. – v. également, de manière bien plus contestable au sujet d’un SEM : TA Nice, 11 avril 2023, n° 1905577, Société PSI), est venu écarter, ici, la transparence de la SPLAAD. Indubitablement l’argumentation des requérants flirtait avec le mélange de genres, mobilisant tour-à-tour la transparence, l’exception in house et la théorie du mandat administratif, sans véritable cohérence (v. sur ces confusions, L. Richer, De l'analogie. À propos de la jurisprudence Teckal, in Mél. Ph. Godfrin : Mare & Martin, 2014, p. 491 ; Ch. Roux, Le(s) in house, au-delà du droit de la commande publique : JCP A 2020, n° 2202), ce qu’il faudra aussi, peut-être, mettre sur le compte des atermoiements du passé (v. pour un tel cocktail indigeste, CE, Sect., 6 avril 2007, n° 284736, Commune d’Aix-en-Provence, Leb. 155 ; JCP A, 2007, n° 2111, note M. Karpenschif ; Contrats-Marchés publ., 2007, comm. 191, note G. Eckert ; RFDA, 2007, p. 812, concl. F. Séners; AJDA, 2007, p. 1020, chron. F. Lénica et J. Boucher). Il restera cependant, en guise d’ultime tempérament, à pointer la motivation un brin tautologique servie pour justifier une telle solution, depuis la décision du 4 mars 2021 (préc.). Reprise ici par la Cour administrative d’appel de Lyon, elle consiste, après avoir cité l’article L. 1531-1 du CGCT, à relever que « ainsi créée dans le cadre institué par le législateur pour permettre à une collectivité territoriale de transférer certaines missions à une personne morale de droit privé contrôlée par elle, [une SPL] ne peut être regardée comme une entité transparente ». Que le législateur ait créé les SPL pour un tout autre dessein est une chose ; qu’il ne supporte pas la rançon juridictionnelle du « contrôle analogue » en reste une autre…