Gestion de la ressource en eau et suppression de la clause dite de compétence générale des départements

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 22LY00401 – Département de la Côte-d'Or – 20 juin 2024 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 22LY00401

Numéro Légifrance : CETATEXT000049789253

Date de la décision : 20 juin 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Loi NOTRe du 7 août 2015, Département, Clause de compétence générale, Distribution d’eau potable, L. 1111-10 du CGCT, L. 3232-1-1 du CGCT, L. 3211-1 du CGCT, L. 2224-7-1 du CGCT, L. 5214-16 (7°) du CGCT

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

Par arrêt du 20 juin 2024, la cour juge qu’il résulte des dispositions de l’article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi NOTRe du 7 août 2015, que les départements ne peuvent prendre d’initiatives dans des domaines qui, tels que celui de la gestion de l’eau, ne sont pas au nombre des compétences qui leur sont attribuées, qu’à des fins de solidarité territoriale et dans le respect des compétences dévolues aux communes et aux intercommunalités par les articles L. 2224-7-1 et L. 5214-16 (7°) du même code, pour l’eau potable.

A cet égard, ne saurait justifier l’intervention d’un département comme maître d’ouvrage d’études d’interconnexion entre réseaux d’alimentation d’eau potable, l’invocation de la qualité de collectivité chef de file, au sens du III de l’article L. 1111-9 du même code, qui requiert une délégation de compétence consentie par la convention territoriale d’exercice concerté, et non pas l’assentiment ou l’accord des collectivités concernées par cette initiative.

La cour rejette la requête présentée contre le jugement ayant annulé pour ce motif la délibération portant approbation de l’autorisation de programme pour le financement de ces études.

Par un jugement du mardi 14 décembre 2021, le tribunal administratif de Dijon avait annulé la délibération par laquelle un département a créé une autorisation de programme et voté des crédits de paiement pour financer des études de maîtrise d’œuvre tendant à la définition d’un schéma directeur d’alimentation en eau potable et à la description technique et économique des travaux nécessaires à la réalisation d’un ouvrage de prise d’eau et d’une unité de traitement.

Saisi par une conseillère départementale, le tribunal administratif devait se prononcer sur le fait de savoir si un département avait compétence pour engager des études de maîtrise d’œuvre tendant à la définition d’un schéma directeur d’alimentation en eau potable et à la description technique et économique des travaux nécessaires à la réalisation d’un ouvrage de prise d’eau et d’une unité de traitement.

Dans son jugement, le tribunal administratif a tout d’abord rappelé que la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite « loi NOTRE ») avait supprimé, dans un objectif de clarification des compétences des différentes collectivités territoriales et de leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), la clause de compétence générale dont disposait jusque-là le département. Il a ensuite rappelé que la compétence en matière de distribution publique de l’eau potable, d’élaboration du schéma de distribution d’eau potable et d’aménagement de bassin hydrographique appartenait au « bloc communal » (communes et EPCI).

Le tribunal administratif en déduit que le département ne saurait, dès lors, tirer compétence de la seule notion de « solidarité territoriale » pour engager des études de maîtrise d’œuvre relatives à l’exploitation de ressources en eau.

Enfin, le tribunal administratif rappelle que diverses procédures sont prévues par le code général des collectivités territoriales (CGCT) et par le code de l’environnement pour organiser les modalités d’une action commune, en qualité de chef de file (article L. 1111-9 du CGCT), pour permettre au département de contribuer au financement de tels projets (article L. 1111-10 du CGCT), pour apporter son assistance technique (article L. 3232-1-1 du CGCT) ou encore pour se substituer au « bloc communal », sous réserve de l’obtention d’une déclaration d’intérêt général ou d’urgence du préfet ou du ministre compétent (article L. 211-7 du code de l’environnement).

Constatant que le département concerné n’avait respecté aucune des conditions posées à la mise en œuvre de ces dispositifs définis par la loi, le tribunal administratif en conclut que le département n’était pas compétent pour réaliser, seul, de telles études de maîtrise d’œuvre, dans un domaine (la gestion de la ressource en eau), dans lequel la loi ne lui confère pas compétence, et annule la délibération qui lui était soumise.

135-03-01-02-02-02, Collectivités territoriales, Département, Compétence, Clause dite « de compétence générale » des départements, Loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, Loi NOTRE, Gestion des ressources en eau

« Le département hors [du domaine] de l’eau »

Note sous le jugement du TA de Dijon du 14 décembre 2021

Jean-Christophe Cervantès

ATER- Doctorant en droit public

à l’Université Clermont Auvergne (CMH – EA 4232)

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DOI : 10.35562/alyoda.8741

Le Conseil départemental de la Côte d’Or avait pris une délibération créant une autorisation de programme à hauteur de 5.2 millions d’euros et l’inscription d’une somme d’un million d’euros en crédit de paiement au budget 2021 afin de financer des études de maitrise d’œuvre pour la mobilisation de deux ressources en eau. Le tribunal administratif de Dijon, saisi par une conseillère départementale, déclara le département incompétent dans le domaine de l’eau et annula la délibération budgétaire en considérant que la suppression de la clause générale de compétence, opérée par la loi du 7 aout 2015, ne permettait pas au département d’agir de son propre chef.

L’économiste L. Baechler rappelait en 2012 que « parmi les ressources qui contribuent au développement des activités humaines, l’eau présente plusieurs caractéristiques qui la distinguent de toutes les autres : elle est indispensable à la vie ; elle est omniprésente […] ; elle est disponible en quantités strictement fixes, dictées par les lois de conservation et le cycle de l’eau » (L. BAECHLER, « La bonne gestion de l'eau : un enjeu majeur du développement durable », L'Europe en Formation, 2012, n° 365, p. 3-21). Cela traduit le caractère fondamental de cette ressource et explique mieux les raisons qui la placent au cœur des attentions et des convoitises. Sa protection et sa valorisation sont devenues incontournables dans les actions des personnes publiques à tous les niveaux. Pourtant la réforme territoriale et les lois de 2010 (Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (RCT)) et 2015 (Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe)) semblent avoir rendues difficile le déploiement d’actions par les départements dans cette matière. C’est du moins ce que l’on perçoit dans le jugement du tribunal administratif de Dijon du 14 décembre 2021.

En l’espèce, l’assemblée du Conseil départemental de la Côte-d’Or avait voté une délibération le 15 décembre 2020 créant, sur une durée de cinq ans, une autorisation de programme d’un montant de 5,2 millions d’euros et l’inscription au budget primitif 2021 d’une somme d’un million d’euros. Ces dépenses d’investissement étaient destinées au financement des études de maitrise d’œuvre pour la mobilisation de deux ressources en eau d’intérêt départemental à travers deux marchés publics. Les deux projets auraient permis au département de concrétiser la stratégie départementale de l’eau approuvée le 25 novembre 2019.

Mais la délibération du 15 décembre 2020 fut contestée par la voie de l’excès de pouvoir par une conseillère départementale devant le tribunal administratif de Dijon. Elle avançait l’incompétence du département de la Côte d’Or en matière de politique de l’eau depuis la suppression de la clause générale de compétence des conseils départementaux par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Selon la requérante, le bloc communal, communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), serait seul compétent pour agir dans le domaine de l’eau.

Devant cette affaire, le juge administratif a dû s’interroger sur la compétence du département et déterminer si celui-ci pouvait agir directement, en l’absence de toute sollicitation provenant de communes ou d’EPCI, en qualité de maitre d’ouvrage dans le cadre de projets d’investissements en matière de protection de la ressource en eau. Par son jugement du 14 décembre 2021, le tribunal administratif a annulé la délibération du 15 décembre 2020 en jugeant que le département ne pouvait pas mener d’action et financer des études de maitrise d’œuvre pour la mobilisation de deux ressources d’intérêt départemental. Le juge administratif procéda en plusieurs étapes pour appuyer l’incompétence du département dans la politique de l’eau. Ainsi, le jugement a rappelé qu’à travers la loi NOTRe le législateur a supprimé la clause générale de compétence des départements. Désormais, si l’article L 1111-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que les collectivités territoriales « règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence », l’article L. 3211-1 du même code précise que « le conseil départemental règle par ses délibérations les affaires du département dans les domaines que la loi lui attribue ». Il est ainsi compétent, en matière de solidarité et de cohésion territoriale « sur le territoire départemental dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des régions et des communes ». En sa qualité de chef de file, le département est, selon l’article L. 1111-9 du CGCT, « chargé d’organiser les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice des compétences relatives à : /(…) 3° la solidarité des territoires ». Pour le juge administratif, le conseil départemental ne pouvait se fonder sur les articles L. 1111-2 et L. 3211-1 du CGCT dans la mesure où seules les communes et les EPCI disposent à titre obligatoire de la compétence en matière de distribution de l’eau potable, d’élaboration du schéma de distribution d’eau et d’aménagement de bassin hydrographique. Aussi, selon L. 1111-10 du CGCT le département ne peut finalement que contribuer au financement d’opérations d’investissement sous la maitrise d’ouvrage de communes ou d’EPCI nécessaires aux besoins de la population en milieu rural. Il peut également apporter une aide technique aux communes et EPCI ne disposant pas de moyens suffisants. Mais en l’espèce, le juge constate l’absence de convention « afin de mise à disposition par le département de son assistance technique ».

Le juge rappelle aussi que si l’intervention départementale reste envisageable pour la réalisation d’études préalables à des travaux ou des études de définition de travaux en matière d’approvisionnement d’eau ou d’aménagement d’ouvrages hydrauliques, celle-ci n’est possible qu’après décision du préfet ou du ministre compétent reconnaissant le caractère d’intérêt général ou d’urgence des projets. Or le département n’a pas sollicité une telle décision et n’a pas été destinataire de demandes émanant des communes et EPCI. Enfin, le juge a démontré que si le marché de maitrise d’œuvre lié à la Boucle des Maillys se rattache à la gestion de son domaine, il ne peut en être de même du réservoir de Grosbois, celui-ci n’étant pas propriété du département.

Ce jugement est très intéressant puisqu’il participe d’un mouvement jurisprudentiel engagé en 2016 confirmant une vision stricte de l’application de la loi NOTRe et de la suppression de la clause générale de compétence pour les départements et les régions. L’État a régulièrement appelé à l’intransigeance des préfets pour une application très rigoureuse des dispositions de la loi, notamment dans le domaine économique où le département ne peut plus intervenir depuis 2016.

Cette décision fait ressortir une diminution des attributions et des domaines d’action de l’institution départementale. La suppression de la clause générale de compétence semble être préjudiciable au département pour mener des politiques d’intérêt départemental hors de ses attributions. Le jugement s’inscrit dans une logique qui engendre un assèchement de l’action du département (I) et une mise en lumière du rôle qu’il semble désormais jouer en tant que porteur d’eau du bloc local (II).

I - L’assèchement de l’action départementale du fait du mouvement de spécialisation

Le mouvement de spécialisation des compétences locales se comprend comme la volonté du législateur de cantonner les collectivités territoriales à un champ de compétence bien délimité et déterminé par la loi. Ainsi, le juge administratif dijonnais rappelle dans le jugement commenté « qu’il résulte des dispositions de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République que le législateur a supprimé la « clause de compétence générale » antérieurement dévolue aux départements ».

En effet, après de multiples rebondissements la majorité parlementaire de l’époque mit un terme à la faculté, pour les départements et les régions, d’agir en dehors de leur cadre légal d’attributions. En clair, la clause générale de compétence permettait aux collectivités territoriales de mettre en œuvre des actions adéquates pour répondre à l’émergence d’un besoin d’intérêt local. Ses fondements juridique et historique sont à rechercher du côté de la grande loi municipale de 1884 et de son article 61 disposant que « le conseil municipal règle par ses délibération les affaires de la communes ». Un siècle plus tard, le législateur étendit à l’identique la formule au département et à la région à travers la loi du 2 mars 1982. L’utilité et la pertinence de cette compétence générale résidait dans la souplesse qu’elle permettait pour mener des politiques publiques dans des domaines non prévus dans les lois de transferts de compétences. De nombreux projets d’investissements et de politiques publiques ont été déployés à l’aide de cofinancements faisant intervenir plusieurs collectivités locales. Il en va par exemple du domaine économique où les interventions des départements étaient nombreuses à travers la gestion de comités d’expansion économique ou la participation à des syndicats mixtes de gestion de zones d’activité économique. Mais cette souplesse ne donnait pas une liberté totale pour agir. L’action engagée au titre de la clause générale de compétence ne doit pas relever d’une compétence déjà dévolue à une autre personne publique, elle doit répondre à un besoin de la population (CE, Sect., 20 novembre 1964, Ville de Nanterre, req. n° 435 rec. p. 562.), être circonscrite au niveau territorial (CE, 11 juin 1997, Département de l’Oise, req. n° 170069 ) et doit revêtir les habits de la neutralité (CE, 25 avril 1994, Président du Conseil général du Territoire de Belfort, req. n° 145874).

C’est surtout au regard de ce que permettait la clause de compétence générale que les débats parlementaires avaient été, en 2010 et 2015, particulièrement animés. Avec le recul, on peut éprouver de la perplexité face au mouvement de spécialisation. Les motivations apparentes du législateur pour justifier la suppression de la compétence générale des départements et des régions ont mal caché une certaine vision managériale de la décentralisation. La volonté a bien été une mise sous pression des collectivités pour les amener à contenir la dépense publique. Pour A. Duranthon « la disparition des clauses de compétence générale départementale et régionale, quoique particulièrement symbolique, n’est ainsi probablement que le sommet d’un iceberg dissimulant des changements beaucoup plus profonds ». Pour l’auteur « la spécialisation des compétences locales, dont un fort courant politique, administratif et scientifique a défendu le principe dès les années 1980, s’est trouvée catalysée par l’imprégnation des théories du New Public Management […] sur la base desquels les thèmes de la simplification et de la rationalisation se sont imposés dans les discours politico-administratif » (« L’institution départementale à l’heure métropolitaine : quelles perspectives ? », Étude pour l’Assemblée des départements de France, L’Harmattan, 2019, p. 26). La suppression de la clause générale s’apparente également à une remise en cause de la notion de collectivité territoriale, certains auteurs pensant que « la clause générale de compétence est liée à la collectivité territoriale avec ses caractéristiques propres » (J.-M. PONTIER, « Nouvelles observations sur la clause générale de compétence », in Mél. Douence, Dalloz, 2006, p. 365).

L’hostilité à la clause générale de compétence s’est alimentée à partir d’appréciations plus ou moins argumentées portant de cofinancements trop importants autour des politiques publiques menées par les collectivités. Sans forcément avancer un chiffrage précis, le rapport Balladur (Comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Édouard Balladur, « Il est temps de décider », Rapport au président de la République, Fayard, Doc. fr., 2009). a ainsi pointé la compétence générale comme source de complexité et de dépenses imposantes. On pense ici que les effets de la clause générale ont certainement été surestimés tandis que les conséquences de sa suppression n’ont peut-être pas toutes été anticipées. Parmi elles, on observe une certaine tendance inflationniste d’un contentieux dont les collectivités départementales se seraient bien volontiers passées. C’est en ce sens que J.-M. Pontier avait pu prédire que la suppression de la clause générale de compétence « ne peut que générer du contentieux, le juge administratif devenant, encore plus qu’il ne l’était, « l’arbitre » entre l’État et les collectivités territoriales » (J.-M. Pontier, « Requiem pour une clause générale de compétence ? », JCP A, 2012). On peut alors voir, dans cette série contentieuse, que le Conseil constitutionnel a d’abord conforté le législateur dans son travail de rationalisation de l’action publique et dans ses tentatives de clarification des compétences dans deux décisions rendues en 2010 (n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010, Loi de réforme des collectivités territoriales) et 2016 (n° 2016-565 QPC du 16 septembre 2016, Assemblée des départements de France). Il a ainsi validé la disparition de la clause générale de compétence en s’appuyant sur l’existence d’attributions effectives et en ne regardant pas la compétence générale comme une composante du principe de libre administration. Le juge a clairement pris le parti d’une protection rapprochée du législateur en n’élevant pas la compétence générale des départements au rang de principe constitutionnel. Il a ainsi largement conforté le gouvernement qui s’est ensuite appliqué à rendre effectif ses orientations.

Après la loi NOTRe, l’État a fermement précisé les termes de la spécialisation des départements à travers plusieurs instructions (Voir notamment : Instruction du Gouvernement du 22 décembre 2015, NOR INTB1531125J, relative à la nouvelle répartition des compétences en matière d'interventions économiques des collectivités territoriales et de leurs groupements issue de l'application de la loi n°2015-99 et Instruction du Gouvernement du 22 décembre 2015, NOR RDFB1520836N, relative aux incidences de la suppression de la clause de compétence générale des départements et des régions sur l'exercice des compétences des collectivités territoriales) adressées aux préfets de régions et de départements. Dans une circulaire du 3 novembre 2016 (Circ. du 3 nov. 2016, Ministère de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriale, réf. ARCC1632028J), le ministre de l’Aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales rappelait les termes stricts de la loi excluant les départements de la compétence économique et précisant que la région n’avait pas vocation à déléguer aux départements ses compétences en matière d’aides aux entreprises. Une autre note interministérielle du 7 novembre 2016 (Note du 7 novembre 2016 relative à la stratégie d’organisation des compétences locales de l’eau, NOR : DEVL1623437N) précisait l’organisation des compétences locales autour de l’eau. Un tableau annexé listait les compétences dans le domaine de l’eau avec un département qui ne pouvait intervenir, au titre de la solidarité territoriale, qu’au « financement des projets dont la maitrise d’ouvrage est assurée par les communes ou leurs groupements, à leur demande ». Par la suite, malgré la volonté d’Emmanuel Macron de gommer les irritants de la loi NOTRe, le gouvernement s’est inscrit dans le même sillage que son prédécesseur.

En 2020, avec la crise sanitaire, la ministre des Collectivités territoriales a aussi appelé les Préfets à la vigilance sur le strict respect de la loi. Dans une circulaire du 5 mai 2020 (Circulaire du 5 mai 2020, Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales relative aux interventions des collectivités territoriales en faveur des entreprises), consacrée à l’intervention des collectivités locales en faveur des entreprises, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a rappelé les termes stricts de la législation : « les départements et le bloc communal ne peuvent pas mettre en œuvre leurs propres dispositifs de soutien aux entreprises, y compris lorsque celles-ci œuvrent dans le domaine du sport, du tourisme ou de la culture ». La circulaire insistait en appelant à la vigilance des préfets quant aux départements qui « vont être confrontés à de probables tensions sur leurs recettes de fonctionnement, […], ils doivent pouvoir concentrer leurs moyens financiers pour exercer les compétences en matière d’action sociale, médico-sociale et de dépendance dont ils sont responsables ».

Ce rappel ministériel a été suivi par des déférés préfectoraux contestant l’intrusion de certains départements dans le domaine réservé de la région des aides aux entreprises. Ainsi, le tribunal administratif de Limoges a-t-il annulé, à la demande du préfet, la délibération du Conseil départemental de la Haute-Vienne créant « un dispositif d’aides financières aux entreprises de la Haute-Vienne afin de financer le versement d’avances pour celles exerçant une activité économique touchée par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 par l’abondement d’un fonds de 500 000 euros à l’association inter consulaire » (TA de Limoges, 23 sept. 2021, Département de la Haute-Vienne, n°2001015). Le juge de Limoges a rappelé qu’« en vertu de l’article L. 3211-1 du CCGT, le département règle par ses délibérations les affaires du département dans les domaines de compétences que la loi lui attribue » et que la région est seule compétente pour « définir des régimes d’aides et pour décider de l’octroi des aides aux entreprises ». Il en résulte ainsi que le département est intervenu au-delà de ses compétences et qu’il n’existe, par ailleurs, pas de circonstance exceptionnelle pouvant justifier une quelconque intervention économique. De la même manière, le préfet des Ardennes avait usé d’un référé pour demander au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l’annulation d’une délibération du Conseil départemental des Ardennes qui prévoyait de créer une contribution complémentaire au fonds créé par la région pour soutenir la relance économique (TA de Châlons-en-Champagne, ord., 15 juin 2020, Département des Ardennes, n° 2000896). Ici aussi, le juge ardennais a rappelé, comme le tribunal administratif de Limoges, l’incompétence du département matière de définition et d’attribution d’aides aux entreprises. Le jugement commenté s’inscrit donc dans ce même mouvement qui applique de manière stricte les dispositions de la loi NOTRe. Il souligne bien que cette loi ayant « supprimé la clause dite « de compétence générale », le département ne saurait fonder sa compétence pour prendre la délibération en litige ni sur les dispositions précitées des articles L. 1111-2 et L. 3211-1 du CGCT, dès lors que ce sont les communes ou établissements publics de coopération intercommunale qui disposent de la compétence à titre obligatoire en matière de distribution d’eau potable ».

Ce contentieux pointe les aspects négatifs de la spécialisation de l’échelle départementale. Outre qu’elle a engendré du contentieux devant le juge administratif, on voit que le champ d’action et les marges de manœuvre de l’échelon départemental s’est rétréci. C’est la place de ce dernier dans le schéma territorial et administratif français qui est clairement remis en question. La catégorie départementale apparait désormais moins comme actrice de la décentralisation que comme auxiliaire d’autres niveaux de collectivités.

II - Le département comme « porteur d’eau » du bloc local

Le juge administratif dijonnais a mobilisé d’autres fondements à l’appui de son raisonnement pour avancer l’incompétence de la collectivité départementale. Celle-ci ne pouvait pas mobiliser la notion de « collectivité chef de file » contenue à l’article L. 1111-9 du CGCT qui dispose que « que le département est chargé, en qualité de chef de file, d’organiser les modalités de l'action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l'exercice des compétences relatives à : 3° La solidarité des territoires ». Le jugement rappelle aussi que « les modalités de l’action commune des collectivités territoriales sont débattues par la conférence territoriale de l’action publique ». La notion de « collectivité chef de file » est donc inopérante dans la mesure où les deux projets de protection de la ressource en eau n’ont pas fait l’objet d’un débat au sein de la conférence territoriale de l’action publique ni d’aucune convention entre collectivités territoriales définissant les modalités de leur action. Le juge administratif s’attache ainsi à rappeler, là aussi de manière rigoureuse, l’idée de « chef de filât » et sa difficile mise en œuvre au niveau pratique.

La notion de « collectivité chef de file » devait participer à la simplification de l’action publique locale et à une plus grande lisibilité des compétences réparties entre chaque niveau de collectivité. Elle n’est pas forcément nouvelle puisqu’on la retrouve d’abord sur le plan législatif dans la loi n° 95-115 d’orientation pour l’aménagement du territoire dont l’article 65 annonçait un futur texte législatif pour clarifier les compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Un rapport sénatorial de 1997 promouvait la notion en affirmant que « le rôle de la collectivité chef de file était un rôle d’animation et de coordination mais en aucun cas de contrainte » (D. HOEFFEL, rapport d’information n° 239, pour le groupe de travail sur la décentralisation, 1996-1997). Cette précision était certainement indispensable puisque le « chef de filât » pourrait à première vue s’assimiler à l’exercice d’une tutelle d’une collectivité sur une autre. C’est pour écarter tout conflit avec le principe d’égalité entre collectivités que le constituant dérivé intégra un article 72 alinéa 5 dans la constitution disposant qu’ « aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». Le principe de non-tutelle neutralise en quelque sorte l’idée d’une hiérarchie entre les différentes catégories.

Tout cela a amené le législateur à étendre le « chef de filât » à tous les échelons de collectivité puisque la loi n° 2014-58 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM), prévoit que le département est notamment chef de file dans le domaine social et surtout en matière de solidarité territoriale. Toutefois les domaines de compétence restent larges avec une notion de solidarité territoriale qui peut recouvrir des actions très diverses. Dans une réponse ministérielle, la ministre de la Cohésion des territoires avait justement été interpellée pour fournir des précisions quant à cette notion. Elle répondit alors que « l’article L. 3211-1 du CGCT dispose que […] [les départements] ont "compétence pour promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale sur le territoire départemental, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des régions et des communes " » (Rép. Min., JO Sénat, 12 juill. 2018, p. 3463). Il est alors mis en avant que « la solidarité territoriale permet aux départements d'intervenir par la mise en œuvre de dispositifs expressément prévus par la loi. Ces dispositifs concernent notamment la participation au financement des projets dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par les communes ou leurs groupements à leur demande (article L. 1111-10 du CGCT), […] de l'assistance technique aux communes et à leurs groupements dans le domaine de l'eau, de l'assainissement, de la voirie, de l'aménagement et de l'habitat (article L. 3232-1-1 du CGCT) ». Le « chef de filât » ne permet pas d’exercer une compétence déjà dévolue à une autre catégorie et appelle les départements à rester dans le strict champ d’attributions dévolues par le législateur. Par ailleurs, le département peut agir, au titre de la solidarité territoriale, pour apporter une aide technique dans le domaine de l’eau aux communes ou aux EPCI qui en formuleraient la demande.

C’est ici l’essentiel de ce que rappelle nettement le juge administratif de Dijon. Ainsi, le département de la Côte d’Or ne pouvait pas invoquer l’article L. 1111-9 du CGCT puisque « les modalités d’intervention du département » n’ont pas été définies au sein de la conférence de l’action publique territoriale. Il ne pouvait pas non plus se fonder sur la compétence en matière de solidarité territoriale puisque les communes ou les EPCI concernés n’ont pas conclu avec le département une convention de mise à disposition de son assistance technique. Le juge met en évidence que la collectivité départementale n’a pas forcément actionné les leviers à sa disposition pour pouvoir intervenir dans le strict respect du cadre légal actuel. En ce sens, le jugement conclu en constatant que les périmètres des projets devaient se rattacher au domaine public ou privé du département pour que celui-ci puisse délivrer les marchés de maitrise d’œuvre. Or, il ressort ici que seul le marché de la boucle de Maillys pouvait être rattaché à la propriété du département, le réservoir de Grosbois ne pouvant être vu comme partie intégrante du domaine de la collectivité.

La décision commentée laisse apparaitre un département fort dépourvu face à l’émergence d’enjeux de société importants comme la protection de la ressource en eau. Alors que les sécheresses et les épisodes caniculaires tendent à devenir fréquents et que l’urgence climatique innerve de nombreuses politiques publiques, ce jugement nous rappelle la réalité vécue par les départements. Ils sont aujourd’hui dans une certaine difficulté pour répondre à des questions qui préoccupent leurs administrés. Les conséquences de la loi NOTRe transforment l’échelle départementale en profondeur. Le département s’est muté en un quasi-guichet à la disposition du bloc local.

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