A l’issue d’une vérification de comptabilité de la société Raidlight Vertical, présidée par M. A. et aux droits de laquelle vient aujourd’hui la société Rossignol, l’administration a notamment remis en cause une partie des dépenses de personnel déclarées par la société afin de bénéficier du crédit d’impôt recherche et du crédit d’impôt innovation au titre des années 2013, 2014 et 2015.
Elle a en effet refusé la prise en compte des redevances versées par la société Raidlight Vertical aux sociétés Chartreuse Performance, présidée aussi par M. A., et VTH Consulting, présidée par M. B., deux ingénieurs affectés aux opérations de recherche et développement de la société Raidlight Vertical. C’est le premier point en litige.
A lire la proposition de rectification, ces redevances étaient prévues comme suit :
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«Aux termes de la convention conclue avec la société Chartreuse Performance (portée à l’annexe 2), cette dernière s'engageait à effectuer des prestations de Présidence, de direction R&D, de direction marketing et communication, et de direction administrative et financière.
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Aux termes de la convention conclue avec la société VTH Consulting (portée à l’annexe 3), cette dernière s'engageait à effectuer des prestations de direction générale, de direction commerciale, d'ingénierie et de recherche, de direction marketing, de direction supply chain et de direction administrative et financière »
Le vérificateur en a conclu qu’il s’agissait de dépenses commerciales versées à des personnes morales.
Ce point de droit fait l’objet du premier moyen de la société requérante qui se réclame de l’arrêt CE, 25 janvier 2017, société Intuigo, n° 390652.
Selon cet arrêt, les dépenses de personnel éligibles au sens de l'article 244 quater B du CGI ne se limitent pas aux seules rémunérations et charges versées aux salariés de l'entreprise mais peuvent également s'entendre des rémunérations et des cotisations sociales prises en charge par l'entreprise au titre de la mise à sa disposition de personnes par un tiers. Le Conseil d'Etat y énonce le principe que les dépenses de personnel mis à disposition peuvent être considérées comme des dépenses de personnel de l'entreprise utilisatrice à condition que la personne mise à disposition effectue des opérations de recherche dans les locaux et avec les moyens de la société. Si tel est le cas, il n'y a pas lieu d'appliquer aux sommes versées à cette personne un traitement différent de celui appliqué aux rémunérations allouées à un chercheur (par exemple rémunéré en BNC comme en l’espèce jugé).
S’agissant d’un dispositif de crédit d’impôt, votre appréciation est stricte.
Au cas présent, les conventions précitées prévoient des « redevances » en échange de services donnés, étant vu qu’une redevance est un paiement qui doit avoir lieu de manière régulière, en échange d'un droit d'exploitation (brevet, droit d'auteur, droit des marques, mine, terre agricole, etc.) ou d'un droit d'usage d'un service.
Nous ne sommes donc pas dans le cas d’une rémunération d’une mise à disposition dans les conditions prévues à l'article L. 8241-1 du code du travail et à l'article L. 8241-2 du code du travail, relatifs au prêt de main d'œuvre à but non lucratif comme le remarque en défense l’administration qui oppose sa doctrine (BOI-BIC-RICI-10-10-20-20, §80). Cette première remarque reste toutefois de faible portée puisqu’une imposition ne peut être justifiée par la seule doctrine de l’administration.
Nous ne sommes pas non plus dans le cas de BNC, comme dans l’arrêt précité.
Ces redevances rémunèrent des prestations de services, celles prévues par les conventions. Or, comme noté par l’administration, ces prestations s’inscrivent dans un cadre commercial classique entre deux sociétés dont l’une fournit à l’autre des prestations des services.
Dans ces conditions, ce sont les entreprises qui exécutent ces prestations, si elles sont éligibles, qui peuvent bénéficier du crédit d’impôt recherche, pas ses clients.
Le moyen est donc écarté.
L’autre point de litige porte sur le crédit d’impôt de collection, remis en cause par l’administration eu égard à la nature de l’activité qui ne présentait pas, selon elle, un caractère industriel.
Selon sa rédaction en vigueur à la date de perception des crédits d’impôt en litige : « I. Les entreprises industrielles (…) imposées d'après leur bénéfice réel (…) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (…) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : (…) h) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections exposées par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir (…) ».
Pour application de cet article, il est jugé que revêtent un caractère « industriel », au sens de ces dispositions, les entreprises du secteur textile-habillement-cuir exerçant une activité de fabrication ou de transformation de biens corporels mobiliers (CE, 27 octobre 2016, SAS Comptoir de Bonnêterie Rafco, n° 391678, RJF 1/17 n° 59 ; CE, 9e ch., 13 juin 2016, société Antik Batik, n° 380490, Dr. fisc. 2016, n° 37, comm. 481). Adjoint à ce critère de nature de l’activité figure un critère tiré de l’importance et du rôle des moyens techniques mis en œuvre, afin de distinguer l’industrie de l’artisanat.
Ainsi, une entreprise du secteur textile-habillement-cuir qui crée et commercialise des modèles mais en sous-traite entièrement la fabrication à un tiers ne peut être regardée comme industrielle au sens du h du II de l’article 244 quater B, mais doit être regardée comme une entreprise commerciale exclue du bénéfice de ce crédit d’impôt spécifique, cela même si elle produit d’autres modèles dessinés par une autre (CE, 26 juin 2017, SA Le Tanneur and Cie, n°390619.)
Le Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de ces dispositions à la Constitution, a considéré qu’ « en adoptant [celles-ci], le législateur a entendu, par l'octroi d'un avantage fiscal, soutenir l'industrie manufacturière en favorisant les systèmes économiques intégrés qui allient la conception et la fabrication de nouvelles collections » et qu’ « en réservant le bénéfice de cet avantage aux entreprises industrielles, qui sont dans une situation différente des entreprises commerciales, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi ». Il en a déduit que le mot « industrielles » figurant au premier alinéa du h du II de l'article 244 quater B du CGI ne méconnaissait ni le principe d’égalité devant la loi, ni celui d’égalité devant les charges publiques (Cons. cons., 27 janvier 2017, société Comptoir de bonnêterie Rafco, n° 2016-609 QPC, RJF 3/17 n° 360).
En l’espèce, la société a employé à temps complet sur la période 11 salariés qualifiés affectés à la production textile (couturières, techniciennes d’assemblage…).
Elle dispose aussi d’un nombre significatif, compte tenu de sa taille, de machines-outils (pour plus de 300 000 euros d’investissements dont 100 000 euros à l’automatisation des machines), permettant la fabrication de pièces textiles « made in France », notamment pour les gammes de sac-gilets, de maillots, de sacs à dos ou de sous-vêtement.
A lire le mémoire introductif d’instance, on compte plus de 35 machines industrielles textiles comprenant des presses, des piqueuses, des machines (à coudre, à découpe laser, à point d’arrêt…), des surjeteuses, un appareil de colorimétrie, ainsi que 13 moules ou formes affectés à la fabrication.
L’administration rétorque toutefois que le chiffre d'affaires de la société Raidlight vertical s'établissant à près de 6 millions d'euros au titre des exercices concernés, ces montants d'investissements ne font que confirmer que le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre ne peut être qualifié de prépondérant.
Nous ne la suivrons pas sur ce point car la jurisprudence n’exige pas un caractère prépondérant mais seulement un caractère important.
Plus délicat, l’administration fait aussi valoir qu'environ 92 % du chiffre d'affaires réalisé par la société correspond à des articles dont la production a été confiée à ses sous-traitants et que seulement 8 % correspond à des articles produits directement sur le site de Saint-Pierre de Chartreuse.
Que penser de cette proportion plutôt minime ?
Il nous semble clair que la société Raidlight vertical a fait le choix de relocaliser dans la mesure de ses moyens, la production d’une petite partie de ses articles en France à Saint Pierre de Chartreuse et qu’elle s’est équipée en conséquence. Il ne s’agit donc pas seulement de réaliser des prototypes comme dans des cas récent que vous avez eu à connaitre (voyez votre jugement n°1701694 du 21 février 2019, société Les Chaussures De La Bièvre, ou encore celui n°1907127 du 3 mars 2022, SA Créations Fusalp).
Proche de notre cas de figure, est jugé par un arrêt de la CAA Versailles du 31 octobre 2019, n° 17VE00478, parue à la RJF 2020.862, Société LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton, que, dans le cas d’une l’activité de fabrication de chaussures sur mesure d’une société au sein de son atelier de nombreuses machines industrielles, l’importance des moyens techniques nécessitée par l’activité en cause permet de regarder la société comme industrielle et que sont sans incidence, pour l’appréciation du caractère industriel d’une entreprise, la part relative de ces matériels au sein des immobilisations dont la société dispose, l’importance de la masse salariale des employés affectés à l’atelier de fabrication, ou encore le chiffre d’affaires dégagé par cette activité.
Nous sommes assez d’accord avec cette idée qu’il n’est pas crucial de peser les valeurs relatives des moyens employés ou des chiffrées d’affaires réalisés dès lors que les moyens techniques mis en œuvre sont suffisamment importants pour caractériser une activité industrielle, même si d’autre cours ont pu juger l’inverse (voyez CAA de Nancy n° 18NC00303 du 20 juin 2019, SAS la fabrique sur mesure).
En effet, dans un tel cas, il y a bien ré-industrialisation, comme recherché par la loi instituant le crédit d’impôt ici discuté.
Le moyen est donc accueilli.
Par ces motifs, nous concluons à la décharge pour le seul crédit d’impôt collection.