Permis de construire modificatif justifié par des transformations substantielles

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 21LY03879 – 18 avril 2023 – C+

Pourvoi en cassation non admis CE, 28 décembre 2023, n° 475196

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 21LY03879

Date de la décision : 18 avril 2023

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Permis de construire modificatif, Construction inachevée, Modifications substantielles

Rubriques

Urbanisme et environnement

Résumé

L’autorité compétente, saisie d’une demande de délivrance d’un permis de construire modificatif, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise, n’est pas achevée, et dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même1.

En l’espèce, n’emportent pas de bouleversement tel qu’il en changerait la nature même de l’autorisation initiale un permis modificatif comportant une transformation substantielle d’une construction individuelle à usage d’habitation qui, tout en conservant les mêmes destinations et implantation, a un aspect général différent, par la création de terrasses, des modifications d’ouvertures, une augmentation de la surface de plancher passant de 247,80 m² à 753,79 m² avec un étage supplémentaire de comble aménagé et une hauteur passant de 5,70 m à 9 mètres, une annexe étant en outre réalisée.

Lorsque ces critères ne sont pas remplis et que l’autorité compétente estime être saisie d’une demande de nouveau permis, elle ne peut refuser la demande pour ce motif. Il lui appartient de demander au pétitionnaire, dans le délai d’un mois à compter du dépôt du dossier en mairie, de compléter son dossier de demande en lui indiquant les pièces manquantes dans les conditions prévues par les articles R. 423-38 et R. 423-41 du code de l’urbanisme.

68-03-04-04,Urbanisme et aménagement du territoire, Permis de construire, Régime d'utilisation du permis, Permis modificatif, Procédure d'attribution, Instruction de la demande

Notes

1 CE Section 26 juillet 2022, n° 437765, A. Retour au texte

Précisions sur la définition du permis modificatif

Antoine de Griève

Juriste, Ancien étudiant du Master 2 Droit public fondamental de l’université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.9267

L’autorité compétente en matière d’autorisation d’urbanisme ne peut refuser une demande de permis de construire modificatif, même si elle porte sur des transformations significatives affectant la conception générale du projet initial, dès lors que ces dernières n’apportent pas un bouleversement tel qu’il changerait la nature même du projet.

Le permis modificatif est issu d’une pratique validée par la jurisprudence et a été conçu pour permettre d’apporter « des changements limités à un projet autorisé par un premier permis sans que puissent être remis en cause les droits acquis en vertu de l’autorisation initiale »1.

La notion de permis de construire modificatif est donc empreinte d’une certaine volonté d’englober une généralité qui induit par là-même une indistinction entre les notions de permis initial et de nouveau permis, suscitant ainsi une difficulté quant à son application concrète par le juge.

C’est précisément la conséquence de cette indistinction que la cour administrative d’appel de Lyon a dû trancher dans l’arrêt commenté. En effet, il s’agissait pour la cour de déterminer si une demande de permis de construire modificatif portant sur des transformations importantes du projet initialement autorisé aurait dû faire l’objet d’une nouvelle demande de permis de construire, comme l’autorité compétente en matière d’urbanisme le soutenait.

En l’espèce, le pétitionnaire avait obtenu un premier permis de construire pour la construction d’une maison individuelle par un arrêté de 2016. Deux ans plus tard, il avait déposé une demande de permis modificatif apportant un changement important de l’aspect général de son projet initial, par la création de terrasses ou d’ouvertures mais surtout une augmentation de la surface de plancher passant de 247.80 m² à 753.90m², notamment par un rehaussement de la structure à 9 mètres contre 5.70 mètres initialement.

Estimant que cette demande change « fondamentalement la nature, l’importance, l’agencement ou la composition du projet »2, le maire a refusé cette demande par un arrêté du 28 septembre 2018, contre lequel le pétitionnaire a déposé un recours devant le tribunal administratif de Grenoble.

Débouté de ses demandes en première instance, ce dernier a relevé appel du jugement devant la cour administrative d’appel de Lyon.

Dans cet arrêt, la cour a été amenée à définir plus précisément la nature du permis modificatif (I) participant à une ouverture de plus en plus grande de la notion (II).

I. La nature du permis modificatif : modification n’est pas « bouleversement »

La portée de l’arrêt commenté repose sur l’affirmation qu’un permis modificatif peut porter sur des transformations substantielles (A.) tant qu’il ne constitue pas un « bouleversement » du projet initial (B.).

A. La possibilité de porter sur des « transformations substantielles »

Il revenait donc à la cour administrative d’appel de Lyon de déterminer, en considération des faits de l’espèce, jusqu’à quel point il était possible de solliciter des transformations dans le cadre d’un permis modificatif.

Saisie de l’effet dévolutif de l’appel, la première chambre a donc repris l’instruction sur ce point de contestation important, statuant ainsi sur la motivation apportée par la commune dans l’arrêté litigieux.

Elle s’appuyait sur les dispositions du code de l’urbanisme et plus spécifiquement les articles L. 121-1 et suivants, ainsi que le PLU (plan local d’urbanisme) et le règlement de la zone UC, pour préciser que « toute demande de permis de construire modificatif doit porter sur des modifications mineures qui ne changent pas fondamentalement la nature, l'importance, l'agencement ou la composition du projet » et en déduire que « la demande de permis de construire modificatif portant sur des modifications majeures »3, cette dernière aurait dû, en l’application de l’article R. 421-1 du code de l'urbanisme, faire l’objet d’une nouvelle demande de permis de construire à part entière.

La cour s’attache donc par la suite à énumérer les différentes modifications pour en déterminer l’impact sur le projet initialement autorisé : elle souligne ainsi l’« augmentation significative de la surface de plancher »4 ainsi que de la hauteur de la construction, avant de constater que ce permis « modifie également l’aspect général du bâtiment et de ses toitures »5 avec la création de terrasses en toiture, de quatorze grandes fenêtres et de baies vitrées ainsi que de portes fenêtres et de trois balcons.

Elle retient ainsi que « ces modifications, significatives, sont de nature, par leur importance et la modification du volume et de l’aspect extérieur du projet initial, à altérer la conception générale du projet initialement autorisé »6.

Mais la véritable portée de l’arrêt se retrouve dans la dernière partie de son raisonnement, puisque la cour conclut que ces modifications « ne peuvent en revanche être regardées comme apportant au projet initial un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » et donc qu’« il s’ensuit que M. C est fondé à soutenir que l’arrêté du 28 septembre 2018 du maire de Chens-sur-Leman est également entaché d’illégalité à ce titre »7.

B. L’interdiction de porter atteinte à la nature du permis initial

La cour reconnait donc la possibilité pour un permis de construire de porter sur des transformations substantielles par rapport au projet initialement autorisé, sanctionnant ainsi la motivation apportée par la commune pour refuser la demande du pétitionnaire dans l’arrêté contesté.

Pour ce faire, la cour retient que « les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même »8.

En effet, dans le cadre de son analyse des modifications apportées par la demande de permis modificatif en cause, la cour souligne avant toute chose – laissant présager de sa conclusion finale – qu’« il ressort des pièces du dossier que l’objet du permis de construire modificatif sollicité continue de porter sur la réalisation d’une villa individuelle à usage d’habitation, avec une même implantation »9.

L’apport de cet arrêt réside donc dans la précision – par l’application – de la notion de « nature » du permis initial dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis modificatif : elle porte donc ici sur la destination finale de la construction (une villa individuelle à usage d’habitation) ainsi que sur l’implantation de cette dernière.

Dès lors, la cour précise les contours des modalités d’instruction d’un tel permis modificatif, jugeant que « l’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n’est pas achevée, et dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même »10.

Sûrement consciente des difficultés qu’une telle définition peut avoir sur l’examen desdites demandes par les services instructeurs, la cour souligne toutefois que lorsque ce dernier « estime que le dossier de la demande de permis, présentée à tort comme une demande de permis modificatif, ne lui permet pas d’apprécier la conformité du projet aux règles d’urbanisme, il lui appartient de demander au pétitionnaire, dans le délai d’un mois à compter du dépôt du dossier en mairie, de compléter son dossier de demande en lui indiquant les pièces manquantes dans les conditions prévues A les articles R. 423-38 et R. 423-41 du code de l’urbanisme. »11

Dès lors, dans l’affaire en question, la cour juge que si le maire de la commune estimait que « les modifications envisagées apportaient au projet initial un bouleversement tel qu’il en changeait la nature même », il aurait dès lors dû inviter le pétitionnaire, dans le délai d’un mois, à produire les pièces manquantes pour l’instruction de cette demande, et ne pouvait, sans illégalité, se borner à rejeter la demande de permis présentée au motif qu’il s’agirait d’une demande nouvelle.

Si l’arrêt commenté apporte des précisions importantes quant à la définition même de la nature du permis de construire modificatif, il convient néanmoins de souligner que ce dernier s’inscrit dans une perspective plus grande d’assouplissement de la notion (II).

II. Un réalignement de la notion de permis modificatif sur celle de permis initial

L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit dans un récent mouvement d’assouplissement de la notion de permis modificatif (A.), qui traduit un retour au sens initial du terme même de « modification » (B.).

A. Un récent assouplissement de la notion de permis modificatif

La notion de permis modificatif n’a pas toujours été ouverte à des transformations aussi importantes.

En effet, le professeur Georges Liet-Veaux soulignait d’ores-et-déjà en 1973 que le permis modificatif n’était recevable « que sur des modifications mineures qui ne changent pas fondamentalement la nature, l’importance, l’agencement ou la composition du projet »12.

Aussi, il indiquait que « Dans le cas contraire, il convient de déposer une nouvelle demande de permis de construire. Il en est de même lorsque le projet initial n’étant pas soumis au recours obligatoire à un architecte, la modification envisagée entraîne cette obligation (dépassement du seuil réglementaire de surface) »13.

La question de la définition de l’étendue des modifications permettant de distinguer permis modificatif ou nouveau permis est néanmoins revenue de manière récurrente : il s’est ainsi développé une jurisprudence importante en la matière14, relativement stricte.

Néanmoins, depuis le début des années 2010, un mouvement d’assouplissement s’est amorcé de la notion de permis modificatif.

En effet, dans un arrêt du 8 février 201015, la cour administrative d’appel de Bordeaux avait jugé que des modifications importantes qui auraient dû faire l’objet d’un nouveau permis et non d’un « simple modificatif »16 n’impliquait pour autant pas que l’autorisation d’urbanisme délivrée soit illégale dès lors que l’ensemble des pièces nécessaires à l’instruction avaient été produites.

Ce raisonnement avait également été suivi par la cour administrative d’appel de Nancy qui, dans un arrêt du 26 juin 201217, avait jugé sans incidence sur la légalité d’un permis délivré le fait que de dernier ait été intitulé comme un permis modificatif, dès lors qu’il était constitué des pièces nécessaires à son instruction et donc sa délivrance.

En suivant ainsi une brèche ouverte par le Conseil d’Etat leur permettant d’examiner la légalité d’un permis modificatif en considérant que ce dernier constitue un nouveau permis à part entière18, les juridictions administratives ont peu à peu rapproché le permis modificatif du permis de construire initial.

Il revenait dès lors au Conseil d’Etat de statuer sur cette nouvelle lecture, ce qu’il a fait dans une décision du 26 juillet 201219 en franchissant le pas d’un élargissement du champ d’application du permis modificatif.

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat vient valider l’abandon de la notion « d’atteinte à la conception générale du projet » qu’il avait lui-même créée dans un arrêt de 198220 et son remplacement par celle d’un « bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».

L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit donc incontestablement dans cette logique de réunification de ces deux autorisations différentes en actant l’application de la nouvelle notion de « bouleversement ».

B. Un retour au sens étymologique du terme « modification » : une adaptation nécessaire aux pratiques

Cette modification du champ d’application du permis modificatif apparait donc comme une évolution importante par rapport à la définition que la jurisprudence lui avait initialement conférée et qui le restreignait à des « modifications mineures »21.

Il convient cependant de souligner que cet élargissement de la notion de permis modificatif est plus fidèle au sens même du terme « modification » puisque celui-ci désigne tout « changement dans une chose sans en altérer la nature »22.

L’évolution que retranscrit l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon est celle d’une adaptation nécessaire aux pratiques en la matière : les pétitionnaires comme les services instructeurs cherchent avant toute chose à disposer de plus grandes marges de manœuvre pour faire évoluer les projets et les rendre conformes aux dispositions applicables.

Il ne faut pas aussi perdre de vue que cela sert également l’intérêt des juridictions administratives puisqu’un tel élargissement du champ du permis modificatif aura pour conséquence de réduire le contentieux en la matière, ou tout du moins le faciliter.

Notes

1 PLANCHET Pascal, « Permis de construire : modification » dans JEGOUZO Yves (dir.), Dictionnaire du droit de l’urbanisme, Le Moniteur, Paris, 2019, , p. 844. Retour au texte

2 CAA Lyon, 1ère chambre – N° 21LY03879 – 18 avril 2023 – C+ (arrêt commenté). Retour au texte

3 Id., §. 7. Retour au texte

4 Id., §. 10. Retour au texte

5 Ibid. Retour au texte

6 Id., §. 10. Retour au texte

7 Ibid. Retour au texte

8 Ibid. Retour au texte

9 Ibid. Retour au texte

10 Id., §. 8. Retour au texte

11 Ibid. Retour au texte

12 LIET-VEAUX Georges, titre ? AJDA, 1973, p. 384. Retour au texte

13 Ibid. Retour au texte

14 Damien DUTRIEUX, « Permis modificatif ou nouveau permis de construire : quelles conséquences ? », Les Petites Affiches, 23 novembre 2012, n° PA201223503, p. 10. Retour au texte

15 Cour Administrative d'Appel de Bordeaux, 5ème chambre (formation à 3), 08/02/2010, 09BX00327, Inédit au recueil Lebon Retour au texte

16 Ibid. Retour au texte

17 Cour Administrative d'Appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 26 juin 2012, 11NC00403, Inédit au recueil Lebon Retour au texte

18 Conseil d’Etat, 23 sept. 1988, no 72387, Sté Les maisons Goëlan.,cité dans DUTRIEUX Damien, op. cit. Retour au texte

19 Conseil d’Etat, 26 juillet 2022, n° 437765. Retour au texte

20 Conseil d'Etat, Section, du 26 juillet 1982, 23604, publié au recueil Lebon. Retour au texte

21 LIET-VEAUX Georges, op. cit. Retour au texte

22 « Modification » , étymologie, Centre national des ressources textuelles et lexicales. Retour au texte

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