Par un arrêt n°22LY01498 rendu le 17 mai 2023, la Cour administrative d’appel de Lyon est venue préciser l’étendue de l’obligation prévue par les dispositions de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme, et les modalités du contrôle de compatibilité entre les objectifs fixés par cet article et les dispositions d’un Plan local d’urbanisme (PLU).
Par une délibération du 19 septembre 2019, le Conseil métropolitain de Dijon Métropole a approuvé son nouveau plan local d’urbanisme intercommunal, valant programme local de l’habitat et plan de déplacements urbains.
Cette délibération a été contestée par une association locale, ayant pour objet statutaire de protéger les expérimentations alternatives, de faire connaître d’autres modèles d’organisation sociale, notamment en matière de lien à l’environnement et de soutenir le quartier libre des Lentillères.
Au soutien de sa requête, l’association a soulevé un certain nombre de moyens, principalement en rapport avec l’impact environnemental du nouveau document d’urbanisme au regard de l’extension de l’urbanisation programmée, s’agissant du rapport de présentation (I) et du contenu du plan local d’urbanisme contesté (II).
I. Rapport de présentation et droit à l’approximation
Aux termes des dispositions de l’article L. 151-4 du code de l’urbanisme, le rapport de présentation explique les choix retenus pour établir le projet d'aménagement et de développement durables, les orientations d'aménagement et de programmation et le règlement.
Il analyse la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des dix années précédant l'arrêt du projet de plan ou depuis la dernière révision du document d'urbanisme et la capacité de densification et de mutation de l'ensemble des espaces bâtis, en tenant compte des formes urbaines et architecturales. Il comporte ainsi, conformément aux dispositions du droit de l’Union européenne (directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement), une évaluation environnementale.
Le rapport de présentation, dont le contenu a été étoffé depuis la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement dite « Grenelle II », est primordial dans la mesure où son insuffisance est susceptible d’entraîner l’annulation du plan local d’urbanisme adopté (CE, 17 juillet 2023, n°350380, au recueil Lebon T.).
Dans le cas présent, la juridiction a rappelé au préalable que « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une évaluation environnementale ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative » (§.4 de la décision).
Le droit à l’erreur ou à l’approximation est donc consacré pour l’administration et seules les erreurs manifestes sont ainsi susceptibles d’entraîner l’annulation du document d’urbanisme adopté.
En l’espèce, l’association requérante estimait que la prise en compte d’espaces non urbanisés dans les statistiques de consommation d’espace actuelle était de nature à vicier l’information du public et à exercer une influence sur la décision adoptée.
Pour l’association, le Conseil métropolitain aurait faussé l’appréciation de l’urbanisation actuelle et donc la comparaison entre l’urbanisation future et l’existant, en retenant dans les parties du territoire considérées comme « actuellement urbanisées », des parcelles encore à l’état naturel ou agricole.
En suivant ce raisonnement, Dijon Métropole aurait surévalué le niveau de l’urbanisation actuelle et minimisé par voie de conséquence l’impact des droits à construire potentiellement accordés sur le fondement du nouveau document d’urbanisme.
Cette argumentation sera pourtant rejetée.
La Cour administrative d’appel se risque, dans l’arrêt commenté, à donner une définition de la notion d’espace consommé. Selon cette définition, « la consommation des espaces peut s'entendre de la perte d'une vocation agricole ou naturelle de l'espace en cause et non seulement comme une artificialisation des terres » (§.°5).
En d’autres termes, une parcelle anciennement naturelle ou agricole, devenue constructible à la faveur d’une modification des documents d’urbanisme doit être regardée comme immédiatement « consommée », y compris en l’absence d’artificialisation effective de son sol.
La cour retient donc une conception « juridique » de la consommation d’espace qui ne saurait ainsi être limitée à la seule artificialisation des terres.
Il en découle que devant être regardés comme ayant déjà été « consommés » dans le cadre du précédent document d’urbanisme, les espaces naturels à vocation urbaine n’ont pas à faire l’objet d’une analyse de solutions de substitution dans le cadre du nouveau document d’urbanisme (§.9).
II. Le contrôle de compatibilité entre le PLU et les objectifs de limitation de la consommation d’espace
Dans la continuité de cette appréciation, la Cour a également examiné le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 101-2 du code de l'urbanisme (§.11 et suivants).
Cet article décrit dans des termes assez peu contraignants, les objectifs devant être poursuivis par les collectivités publiques (lutte contre l’étalement urbain, utilisation économe des espaces naturels, préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières, et protection des sites, des milieux et paysages naturels, lutte contre l'artificialisation des sols, avec un objectif d'absence d'artificialisation nette à terme, etc).
C’est précisément parce que l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme est rédigé dans des termes très généraux (et avant lui, l’article L. 121-1 du même code) que jurisprudence n’accorde que peu de valeur contraignante à ces objectifs :
« Considérant qu'eu égard à l'imprécision des objectifs qu'elles mentionnent, les dispositions précitées de l'article 1er de la loi déférée méconnaîtraient les articles 34 et 72 de la Constitution si elles soumettaient les collectivités territoriales à une obligation de résultat ; qu'il ressort toutefois des travaux parlementaires que ces dispositions doivent être interprétées comme imposant seulement aux auteurs des documents d'urbanisme d'y faire figurer des mesures tendant à la réalisation des objectifs qu'elles énoncent ; qu'en conséquence, il appartiendra au juge administratif d'exercer un simple contrôle de compatibilité entre les règles fixées par lesdits documents et les dispositions précitées de l'article L. 121-1 ; que, sous cette réserve, les dispositions critiquées ne sont pas contraires aux articles 34 et 72 de la Constitution » (décision n°2000-436 DC du 7 décembre 2000).
Si l’adoption de la Charte de l’environnement de 2004 à valeur constitutionnelle qui dispose que toute personne doit prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences (article 4) et que les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable et concilier la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social (article 7), aurait pu conduire le juge administratif à accorder plus d’importance au respect de ces objectifs environnementaux, le Conseil d’Etat continue de faire une strict application de la solution dégagée en 2000 par le Conseil constitutionnel (CE, 9 novembre 2015, n°372531, au recueil Lebon).
C’est donc dans la continuité de ces décisions que la cour a considéré dans la décision commentée que :
« Ces dispositions imposent seulement aux auteurs des documents d'urbanisme d'y faire figurer des mesures tendant à la réalisation des objectifs qu'elles énoncent. En conséquence, le juge administratif exerce un simple contrôle de compatibilité entre les règles fixées par ces documents et les dispositions précitées de l'article L. 101-2 du code l'urbanisme » (§.12).
Pour autant, si le contrôle est restreint, il n’en demeure pas moins que ces dispositions sont susceptibles d’entraîner l’annulation d’un document d’urbanisme portant atteinte de manière trop ostentatoire aux objectifs protégés par les dispositions de l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme (voir par exemple pour l’illégalité d’une révision en ce qu’elle autorise la construction d’une piste automobile : CAA Bordeaux, 12 octobre 2021, n°19BX01497).
Pour apprécier notamment la compatibilité entre le document d’urbanisme et l’objectif d’utilisation économe des espaces, la Cour estime qu’il convient de considérer les espaces non artificialisés mais intégrés dans des opérations en cours ou à venir comme des espaces déjà consommés et précise donc de manière didactique la manière de s’assurer de l’atteinte de l’objectif d’utilisation économe des sols :
« Pour exercer le contrôle de l'objectif d'utilisation économe des sols, il y a lieu d'intégrer, à la consommation d'espaces passée, des secteurs non encore artificialisés mais qui font l'objet d'opérations d'aménagement et de construction déjà autorisées, indépendamment de leur degré d'exécution, notamment les terrains compris dans une zone d'aménagement concerté et des projets portés par une association foncière urbaine autorisée » (§.12).
Cette définition est donc un peu plus restrictive que celle d’espace consommé (§.5), en ce qu’elle ne se réfère pas simplement à la perte de vocation naturelle ou agricole (du fait d’un changement de zonage par exemple) mais qu’elle vise les parcelles concernées par des projets d’opérations d’aménagement et de construction déjà autorisés (ce qui sous-entend qu’outre le zonage favorable, un permis de construire ou d’aménager est nécessaire).
Faute pour la requérante (qui produisait des relevés satellites ne permettant pas de mesurer l’artificialisation déjà autorisée) de démontrer que l’augmentation de l’artificialisation excéderait celle autorisée par le projet d’aménagement et de développement durable (PADD), le moyen est rejeté.
Il est aussi à signaler que l’arrêt commenté illustre de manière intéressante l’appréciation de la comptabilité entre les objectifs définis par le schéma de cohérence territoriale et les dispositions du PLU (§. 15 et suivants).
En effet, alors que le schéma de cohérence territoriale prévoyait un objectif de limitation de la consommation d’espace à 500 hectares d’ici 2040, le PLU autorisait une consommation très légèrement inférieure (416 hectares) sur une période de dix ans plus courte (avant 2030).
Rappelant que le contrôle de compatibilité est plus souple que celui de conformité, le juge écarte le moyen au motif que « l'objectif chiffré contenu dans le plan ne dépasse pas la limite fixée de façon indicative par le schéma de cohérence territoriale du Dijonnais », peu importe au final que la durée de référence du SCOT soit sensiblement plus courte que celle du PLU (§.16).
Il est enfin à noter que le contrôle du respect des objectifs environnements pourrait être amené à se renforcer avec la fixation d’un objectif « zéro artificialisation nette » fixé à l’année 2050 par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite « Climat et résilience) :
« Afin d'atteindre l'objectif national d'absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, le rythme de l'artificialisation des sols dans les dix années suivant la promulgation de la présente loi doit être tel que, sur cette période, la consommation totale d'espace observée à l'échelle nationale soit inférieure à la moitié de celle observée sur les dix années précédant cette date.
Ces objectifs sont appliqués de manière différenciée et territorialisée, dans les conditions fixées par la loi » (Article 191 de la loi du 22 août 2021).
Pour compléter (ou atténuer sous certains aspects) ces dispositions, une seconde loi a été récemment adoptée et promulguée au journal officiel, la loi n°2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux1.
Cette évolution législative ne manquera pas d’impacter la grille d’analyse de la jurisprudence sur le respect par les documents d’urbanisme, des objectifs environnementaux.