Introduit par le décret 2016-1480 du 2 novembre 2016, dit décret JADE (pour une justice administrative de demain) l’article R. 613-1-1 du code de justice administrative permet au président de la formation de jugement, postérieurement à la clôture de l’instruction, à inviter une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l’instruction. Cette demande, de même que la communication éventuelle aux autres parties des éléments et pièces produits, n’a pour effet de rouvrir l’instruction qu’en ce qui concerne ces éléments ou pièces, il s’agit d’une réouverture ciblée de l’instruction. Ce mécanisme n’autorise pas le président de la formation de jugement qui communique un mémoire après la clôture de l’instruction à limiter la réouverture de l’instruction en résultant à certains des moyens de ce mémoire. Si cette condition est de nature à entacher d’irrégularité le jugement, il en va différemment si le caractère contradictoire n’est pas méconnu.
« Il n’est pas illégitime de préférer une procédure orale à une procédure écrite, ou une procédure accusatoire à une procédure inquisitoriale. Il n’y a, au contraire, pas de choix possible entre une procédure contradictoire et une procédure qui ne le serait pas. Et on ne peut douter qu’une procédure doit être aussi contradictoire qu’il est raisonnablement possible qu’elle soit ». (CHAPUS (R), Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 13e éd., 2008, p. 838).
La singularité du procès administratif défini classiquement depuis Laferrière comme « un procès fait à un acte » s’explique, sans nul doute, par son caractère inquisitorial. Celui-ci se traduit par le rôle important que joue le juge administratif dans la conduite de l’instance. En dépassant prima facie le clivage entre procès civil et procès administratif, ce dernier a connu depuis quelques années une sorte de « processualisation » due à la normalisation de son cadre général et plus particulièrement du cadre procédural dans lequel intervient le juge. Au soutien de ce constat, on peut relever un rapprochement constant entre l’économie générale du procès civil et celle du procès administratif notamment en ce qui concerne les principes de base et les garanties en découlant. Parmi ces principes, l’obligation d’instruire les affaires constitue une « formalité essentielle » imposée à toutes les juridictions dont la violation entraine la censure du jugement pour vice de procédure. (CE, Section 25 janvier 1957, n°252223 au Recueil Lebon). Dans ce cadre, l’instruction, étape fondamentale de la procédure contentieuse est revêtue d’un triple caractère : elle est « secrète » c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’audience d’instruction (CE, 7 juin 2000, n°206362 au Recueil Lebon) ; elle est inquisitoriale, c’est-à-dire qu’elle est dirigée exclusivement par le juge (CE, 4 juillet 1962, n°58502, au Recueil Lebon) ; elle est contradictoire, c’est-à-dire qu’elle implique « le droit pour toute personne directement intéressée de se voir assurer une information utile dans l’instance, par la communication des différents éléments du dossier produits dans un délai suffisant, en vue de leur discussion devant le juge » (GOHIN (O), La contradiction dans la procédure administrative contentieuse, Paris, LDGJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1988, p.24.). La démarche contradictoire a un double objectif : d’une part, elle est perçue comme un instrument de protection pour les parties de la sorte qu’aucune affaire ne puisse être jugée si l’une des parties n’a pas été suffisamment informée des mémoires et documents qui ont été produits par l’autre ; d’autre part, elle est considérée comme une source d’information pour le juge lui permettant de statuer en étant complétement éclairé.
Toutefois, l’argument d’une contradiction transparente, facilitée et absolue paraît avoir été altéré, dans le cadre du procès administratif et sous couvert de son réalisme, tant par l’exigence d’une célérité de justice, (une exigence animée par une conception plutôt managériale de celle-ci) visant à accélérer la marche du procès, tant par les approches subjectives développées par la haute juridiction administrative en ce qui concerne un certain nombre de garanties procédurales (CE, 2 décembre, 2015, n°382641, au Recueil Lebon). C’est peut-être d’ailleurs là où réside le sens à donner aux différentes réformes qui ont touché le code de justice administrative depuis son élaboration, qui s’articulaient principalement autour du renforcement de la part « proactive » du juge et du développement de la dimension interactive du procès. Dans ce sillage, et afin de répondre aux objectifs susmentionnés, la délimitation du temps d’échange d’informations, et par conséquent de la phase de la contradiction dont l’instruction en assure l’effectivité, s’est forgée dans un cadre procédural bien précis. Un cadre qui délimite strictement le temps du « droit de savoir » et « de faire savoir » et qui réaffirme à nouveau, sans que cela soit surprenant, la maîtrise exclusive du juge du temps de l’information. Tel est l’intérêt du présent arrêt.
Au titre des faits, la société SIAB a présenté le 28 septembre 2018 une demande de permis de construire, portant sur la construction d’un immeuble de bureaux, de locaux d’activité comportant des laboratoires alimentaires, une crèche, un restaurant d’entreprise et des espaces de formation, et d’un parking comprenant 264 aires de stationnement, pour une surface de plancher de 25 300 m2 sur un terrain situé à Lyon dans le 7ème arrondissement. Par un arrêté du 10 mai 2019, le maire a accordé à la société pétitionnaire le permis de construire. La SAS Genedis occupant un immeuble situé sur le terrain d’assiette du projet envisagé, a introduit un recours gracieux auprès du maire à fin d’annulation dudit permis. Par une décision du 13 septembre 2919, le maire a rejeté le recours gracieux. Dès lors, la société SAS Genedis a saisi le tribunal administratif de Lyon en demandant l’annulation de l’arrêté du 10 mai 2017 accordant le permis de construire et la décision de rejet de recours gracieux. Par ordonnance du 18 septembre 2020, la clôture de l’instruction a été fixée au 19 octobre 2020. En application de l’article R. 613-1-1 du code de justice administrative, l’instruction a été réouverte le 3 juin 2021 pour des éléments demandés en vue de compléter l’instruction. Et par un jugement du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé l’arrêté accordant le permis de construire ainsi que la décision de rejet de recours gracieux. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 septembre 2021 et le 23 août 2022, la société SIAB a relevé appel de ce jugement. Sans mésestimer l’importance des différents moyens soutenus par la société appelante, nous limiterons notre réflexion au moyen de l’irrégularité du jugement fondée sur l’absence de communication d’un mémoire en réplique produit par la société requérante le 16 octobre 2020. En effet, ce mémoire en réplique, portant sur l’un des moyens retenus par le tribunal administratif de Lyon, a été communiqué à la société pétitionnaire le 3 juin 2021 lors d’une réouverture d’instruction. Dans ce cadre, la Société SIAB soutient que le tribunal administratif de Lyon a méconnu le principe du contradictoire en omettant d’envoyer ledit mémoire.
L’interrogation qui se pose à ce stade concerne les conséquences de la communication d’un mémoire après la clôture de l’instruction et avec quelle portée en cas de réouverture de l’instruction en application de l’article R. 613-1-1 du code de justice administrative. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon offre l’occasion de mettre l’accent sur une pratique abondante en la matière. Cela nous permettra de revenir dans un premier temps sur les particularités procédurales qui sous-tendent un moment phare du procès, celui de l’achèvement ou de la clôture de l’instruction (I.) et, dans un second temps sur les conséquences attachées à sa réouverture (II.). En toute hypothèse, le constat semble évident : si la tendance actuelle plaide en faveur d’une harmonisation des règles et des principes qui régissent le doit au procès, le procès administratif conserve une vocation distincte : le juge administratif demeure le maître de son prétoire.
I. L’achèvement de l’instruction : une oscillation entre le maintien de la rigueur procédurale et la préservation de la contradiction
La bonne administration de la justice, principe reconnu par le Conseil Constitutionnel comme un objectif de valeur constitutionnelle depuis sa décision de 2009 (CC, 3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, n° 2009- 595, DC), exige que le procès doive être pris en considération « dans tous les développements qu’il peut légitimement comporter ». Lors de l’accomplissement de sa mission de recherche de la vérité, le juge est tenu de rechercher tous les éléments lui permettant de forger sa conviction. Pour ce faire, il se trouve confronté à une tâche qui n’est pas des plus aisées ; assurer un équilibre entre une restriction modérée des manœuvres dilatoires qui sont de nature à ralentir le procès, et le respect du contradictoire à travers la navette communicationnelle des mémoires et des documents « utiles » entre les parties.
L’article L. 5 du code de justice administrative dispose que : « l’instruction des affaires est contradictoire ». Une affirmation ambitieuse mais qui se trouve très largement nuancée si l’on revient sur le caractère inquisitorial du procès administratif. Érigé en principe général du droit par le Conseil d’État (CE, 16 janvier, 1976, Gate X. n°94140 au Lebon), et considéré comme corollaire du principe du droit de la défense par le Conseil Constitutionnel (CC, 29 décembre 1989, Loi de finances 1990, n°89-268, p. 110 DC), le principe de la contradiction s’apparente aussi – mais sans se confondre avec celui-ci – au principe d’ « égalité des armes » consacré par la Cour Européenne des droits de l’homme qui vise à offrir « à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans les conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». (CEDH, 27 octobre 1993, n°14448/88. Dombo Beher B.V.c/ Pays bas). On n’ira certes pas jusqu’à soutenir le caractère absolu de la contradiction, loin s’en faut. Mais admettons-nous nolens volens l’existence des contraintes procédurales qui sous-tendant le trait dit « de la singularité » du procès administratif, et qui ont limité considérablement la portée de la démarche contradictoire.
Aux termes de l’article R. 611-1 du Code de justice administrative, « la requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ». D’une manière générale, le juge doit s’assurer que les requêtes, les mémoires complémentaires et les premiers mémoires de chaque défendeur ont été communiqués aux parties (CE, 3 avril 2002, n° 220086 au Recueil Lebon ; CE, 6 février 2006, n° 268192 au Recueil Lebon). Néanmoins, les répliques et les mémoires et les autres pièces annexes, s’ils peuvent toujours être communiqués, doivent apporter des éléments nouveaux sur lesquels le juge est susceptible de fonder sa décision. À ce titre, la méconnaissance de l’obligation de communication, et par conséquent la violation du principe de la contradiction, entraine de facto l’annulation du jugement (CAA Lyon, 8 janvier 2015, n° 14LY01598). Ce constat se trouve relativisé dans l’hypothèse où le jugement pourra échapper à la censure s’il apparait que l’absence de communication n’est pas de nature ou n’a pas pour effet de préjudicier aux droits des parties (CE, 7 juillet 2004, Communauté d’agglomération Val de Garonne, n°256398 au Lebon ; CE, 10 octobre 2018, société Trane, n° 400807 au Recueil Lebon), ou de méconnaitre le principe de la contradiction. En l’espèce, la société SIAB soutient que le jugement du tribunal administratif de Lyon est entaché d’irrégularité dès lors que le juge de première instance a omis de communiquer le mémoire en réplique introduit par la société Genedis celui du 16 octobre 2020, soit deux jours avant la clôture de l’instruction fixée au 19 octobre 2020. Nous reviendrons ci-après sur les effets de la clôture de l’instruction mais à ce stade il paraît opportun de noter que la communication obligatoire des mémoires ne concerne que la requête, le mémoire complémentaire et les premiers mémoires de chaque défendeur. L’article R. 611-1 du CJA est d’une clarté incontestable, les répliques et les autres mémoires ne sont communiqués que s’ils contiennent d’éléments nouveaux. Le tribunal administratif de Lyon a opéré une application stricte des dispositions législatives en omettant de communiquer le mémoire en réplique de la société requérante à la partie adverse. En adoptant une approche subjective, alignée sur celle du Conseil d’État, la cour administrative d’appel a estimé que l’absence de communication dudit mémoire en réplique n’est pas de nature à entacher d’irrégularité le jugement des premiers juges dès lors que le caractère contradictoire de l’instruction n’est pas méconnu. Les deux juridictions se rejoignent dans une même vision. Il en résulte que l’appréciation du caractère nouveau des éléments relève de la pure et simple volonté-liberté du juge. Admettons-nous que, parfois, ce qu’il est nouveau aux yeux des parties ne l’est pas pour le juge. La contradiction, bien au-delà de la valeur juridique du principe, trouve sa finalité dans l’échange d’éléments, de droit et de fait, qui sont de nature à influencer soit la conviction du juge soit la stratégie adoptée par les parties. Sa soumission à un contrôle préalable « d’opportunité » par le juge, limitera certes sa finalité et son essence.
S’agissant de l’achèvement de l’instruction, celle-ci est considérée comme close lorsque le juge estime que l’affaire est en état d’être jugée. Deux remarques peuvent être avancées ici : tout d’abord, la clôture marque la fin de l’instruction (l’échange des mémoires, l’accomplissement des mesures d’instruction si nécessaire…), par conséquent les parties ne peuvent plus prendre connaissance des éléments du dossier. Ensuite, la clôture n’est pas forcément matérialisée ou formalisée. Devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, la clôture peut intervenir suivant deux modalités : soit par une ordonnance de clôture rendue dès l’enregistrement de la requête en fixant la date de l’audience (Art. R. 611-11 et R. 611-18 du CJA), ou ultérieurement et notifiée au moins quinze jours avant la date de la prise d’effet de la clôture (Art R. 613-1 CJA) ; soit sans ordonnance de clôture. Dans ce dernier cas, l’instruction est close automatiquement trois jours francs avant la date d’audience (Art. R. 613-2 CJA). Néanmoins, même si le régime de clôture de l’instruction vise principalement à restreindre ou à limiter la production des mémoires de dernière minute, il arrive que les parties produisent des mémoires dans de telles conditions. Dans cette hypothèse, si le principe de la contradiction exige la communication de ceux-ci, la clôture sera différée (CE, 15 mars 2023, n° 460953 au Recueil Lebon). À ce stade, l’intérêt se focalise non seulement sur les modalités de clôture, mais plutôt sur les conséquences qui en découlent et qui sont d’une importance prégnante. En effet, l’article R. 613-3 du CJA (dans sa version avant la réforme de 2016) prévoyait que « les mémoires produits après la clôture de l’instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction ». Les dispositions législatives ont été largement nuancées – ou contredites – par le Conseil d’État (CE, 12 mai 2003, n°231955 au Recuil Lebon ; CE, 27 Février 2004, Préfet des Pyrénées-Orientales, n°252988 au Recueil Lebon ; CE, Section, 5 décembre 2014, n° 340943 au Recueil Lebon) qui s’est borné à assouplir ces restrictions procédurales en admettant la prise en compte des productions postérieurs à la clôture de l’instruction. En poursuivant dans la même logique adoptée par le Conseil d’État, (haute juridiction administrative mais aussi « conseiller du gouvernement »), le décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification de la partie réglementaire du CJA a mis en conformité l’article R. 613-3 avec la position jurisprudentielle. Celui-ci dispose désormais que « les mémoires produits après la clôture de l’instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l’instruction ». Ce qu’il faut comprendre de ce changement « rédactionnel » plutôt que « substantiel » que la volonté d’assouplir les exigences procédurales, visant a priori à garantir le respect des principes essentiels du procès, tel que le principe de la contradiction, ne changent en rien – disons-le avec nuance – par rapport à la vocation initiale du procès administratif. Autrement dit, bien que le juge se trouve obligé de prendre connaissance et de viser les éléments produits tardivement, à peine d’irrégularité, il dispose d’une marge de manœuvre assez élargie – et pour le dire plus clairement – d’une appréciation discrétionnaire quant à l’opportunité de rouvrir l’instruction ou non.
II. La réouverture de l’instruction sur certains moyens : une pratique sous la maîtrise, non des parties, mais du juge
Le décret dit JADE de 2016 portant modification du Code de justice administrative, précédemment évoqué, a opéré un certain nombre de modifications procédurales destinées notamment à accélérer le traitement de certaines requêtes, à renforcer les conditions d’accès au juge, à dynamiser l’instruction et à adapter l’organisation et le fonctionnement des juridictions administratives à de nouveaux défis. Afin d’atteindre ces objectifs, plusieurs mécanismes ont été mis en place, parmi lesquels, nous retiendrons celui qui intéresse le cas de l’espèce : l’article R. 613-1-1 du CJA relatif à la réouverture partielle ou « ciblée » de l’instruction.
L’étude de l’affaire ou du dossier ne s’arrête pas au moment de clôture de l’instruction. Dans cette continuité, pourront surgir de nouveaux éléments : un moyen d’ordre public, une question prioritaire de constitutionnalité présentée par un mémoire distinct après clôture, une demande de capitalisation des intérêts échus…ou tout simplement une demande de pièces complémentaires destinées à compléter l’instruction. Dans ce cadre, le juge dispose d’une panoplie d’instruments lui permettant d’offrir « une dernière chance » aux parties et de bien accomplir son obligation de « bien juger ».
La réouverture de l’instruction peut intervenir de deux façons : soit expressément, soit implicitement. Dans la première hypothèse, sur le fondement de l’article R. 613-4 du CJA la décision de rouvrir l’instruction peut être prise par le président de la formation de jugement, par une décision non motivée et insusceptible de recours, notifiée aux parties ou à la suite d’un jugement ou d’une mesure d’instruction ordonnant un supplément d’instruction. Dans la seconde hypothèse, la communication d’un mémoire à la partie adverse alors que la clôture de l’instruction était intervenue entraîne la réouverture (CE, 4 mars 2009, élections cantonales de Belle-Ile-en-mer nos 317473 et 317735, ; CE, 23 juin 2014, société Deny All, n° 352504 au Lebon). Dans certains cas, la réouverture de l’instruction demeure facultative pour le juge (CE, 5 avril 1996, nouveau syndicat intercommunal pour l´aménagement de la vallée de l´Orge, n° 141684 au Recueil Lebon ; CE, 19 décembre 2008, n° 297716 au Recueil Lebon). Dans d’autres cas, elle devient une obligation, comme par exemple lorsqu’une partie vient à produire un mémoire contenant un moyen nouveau auquel la partie adverse ne peut répondre utilement avant l’intervention de la clôture (CE, 29 juillet 1998, syndicat des avocats de France et a., nos 188715, 189102, 189106, 189287, 189336, 189662, 189931, 189932 et 192004 au Recueil Lebon), ou lorsque se produisent des changements dans les circonstances de fait, entre l’audience et la lecture de la décision (CE, 19 novembre 1993, n°100288 au Recueil Lebon), ou encore lorsque le mémoire contient l’exposé d’une circonstance de fait ou d’un élément de droit, susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire et dont la partie qui l’invoque ne pouvait légitimement faire état avant la survenance de la clôture (CE, 5 décembre 2014, n° 340943 au Recueil Lebon). Dans ces hypothèses, si la réouverture de l’instruction est décidée, les mémoires qui auraient été enregistrés après la clôture initiale sont communiqués aux parties, à moins qu’ils ne contiennent aucun élément nouveau (CE, 19 mars 2008, n° 300335 au Recueil Lebon).
Depuis 2017, le président de la formation de jugement (ou le rapporteur sur délégation) peut demander aux parties des éléments complémentaires, et ce postérieurement à la clôture de l’instruction en rouvrant dans cette limite cette dernière (article 613-1-1 du CJA). Dans ce cas, les discussions ne seront possibles que sur les éléments précisés par le juge. Par conséquent, cette réouverture ciblée de l’instruction permet ainsi la réouverture du débat contradictoire y compris que lorsque celle-ci tend seulement à la production d’un document comme en l’espèce. Toutefois, ces dispositions ne permettent pas au président de la formation qui communique un mémoire après la clôture de l’instruction à limiter cette réouverture à certains des moyens de ce mémoire. En l’espèce, le mémoire en réplique du 16 octobre 2020 produit par la société requérante a été communiqué à la société pétitionnaire par courrier du greffe le 3 juin 2021 indiquant que cette communication n’avait pour effet de rouvrir l’instruction qu’en ce qui concerne deux moyens. La société pétitionnaire soutient que le mémoire en réplique portait sur l’un des moyens retenus par le tribunal mais qui n’a pas bénéficié d’une réouverture d’instruction ayant été produit deux jours avant la date de clôture de l’instruction. A contrario, la cour administrative lyonnaise estime que si l’instruction n’avait pas été rouverte sur l’un des moyens qui ont été retenus dans le jugement annulant le permis de construire, c’est en raison que ce moyen a été suffisamment développé dans les mémoires précédents, produits avant la clôture de l’instruction, en conséquence de quoi, il est sans incidence sur le caractère contradictoire. Dès lors, la cour en conclut l’absence d’irrégularité entachant le jugement d’annulation de permis de construire. Deux postulats devront être retenus à ce stade. Le premier est que la position adoptée par la cour administrative lyonnaise demeure fidèle à une approche jurisprudentielle « subjective » tendant principalement à éviter un retardement potentiel de l’issue des litiges. Enserrée et encadrée, la contradiction cède aux exigences de l’efficacité. Secondement, les dispositions de l’article R. 613-1-1 du CJA permettant la réouverture de l’instruction « sur certains éléments » laisse entendre qu’une nouvelle discussion est possible. Cette possibilité devrait se comprendre comme une nouvelle opportunité permettant aux parties de se débattre sur des moyens dont l’importance explique de facto le caractère opportun d’une telle réouverture, et surtout la demande « par le juge » de nouveaux documents. Il résulte de ce dernier postulat que, même si on a très envie d’y croire aux nouvelles tendances portant sur l’office des parties et le rééquilibrage de l’économie générale procédurale du procès administratif, celui-ci, encastré dans un système « autopoïétique », demeure sous emprise de son maître. L’instruction, malgré les efforts tendant à assurer un équilibre « subtil » entre toutes les parties au procès, est conduite par le seul juge. Comme l’illustrait Jaurès « c’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source ».