Sursis à statuer en vue d'une régularisation d’un permis de construire résultant de l’évolution des règles d’urbanisme

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 22LY01624 – 13 décembre 2022 – C+

CE,26 juillet 2023, n°471277, pourvoi en cassation non admis contre l'arrêt n°22LY01624 du 13 décembre 2022
CE,16 février 2024, n°487939, pourvoi en cassation non admis contre l'arrêt n°22LY01624 du 4 juillet 2023

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 22LY01624

Date de la décision : 13 décembre 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Permis de construire, Régularisation du permis de construire, L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, Jugement avant-dire droit, Sursis à statuer

Rubriques

Urbanisme et environnement, Procédure

Résumé

Lorsqu'une autorisation d’urbanisme a été délivrée en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance de l’autorisation, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d'une autorisation modificative dès lors que celle-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédée de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises1.

Lorsque le juge constate qu’un vice entachant la légalité du permis de construire peut être régularisé par une mesure de régularisation, il peut, sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, rendre un jugement avant-dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation. Un vice de procédure, dont l'existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision litigieuse, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date2. S'agissant des vices entachant le bien-fondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu'au regard de ces dispositions, le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction3 et que ce vice est susceptible d'être régularisé dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même4.

Une mesure de régularisation est toujours nécessaire, y compris lorsque la règle relative à l’utilisation du sol par l’autorisation initiale ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce5 ou lorsque cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’une évolution des règles d’occupation du sol.

68-03-025-02, Urbanisme et aménagement du territoire, Permis de construire, Nature de la décision, Octroi du permis
68-03-03, Urbanisme et aménagement du territoire, Permis de construire, Légalité interne du permis de construire, Sursis à statuer en vue d'une régularisation, L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, Régularisation résultant de l’évolution des règles d’urbanisme, Exigence d’une mesure de régularisation, Existence
68-06-04, Urbanisme et aménagement du territoire, Règles de procédure contentieuse spéciales, Pouvoirs du juge, Sursis à statuer en vue de permettre la régularisation d’un vice de fond entachant une autorisation d’urbanisme, L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, Appréciation du caractère régularisable au regard des règles applicables à la date à laquelle le juge statue, Modalités de régularisation, Exigence d’une mesure de régularisation si la règle d’urbanisme méconnue est modifiée, Existence

Notes

1 CE, 2 février 2004, SCI La Fontaine de Villiers, n° 238315, Tables p. 914 Retour au texte

2 CE, 27 mai 2019, ministre de la cohésion des territoires et société MSE La Tombelle, n°s 420554, 420575, Tables pp. 613-846-1078 Retour au texte

3 CE, 3 mars 2020, SCI Alexandra, n° 420736, A, à mentionner aux tables ; Rappr., s’agissant de la prise en compte de l’évolution des règles d’occupation du sol pour apprécier si le vice entachant un permis initial a été régularisé par un permis modificatif, CE, 7 mars 2018, n° 404079, A Retour au texte

4 CE, Section, 2 octobre 2010, n° 438318, A Retour au texte

5 Rappr., s’agissant de la prise en compte de l’évolution des circonstances de fait pour apprécier si le vice entachant un permis initial a été régularisé par un permis modificatif, CE 10 octobre 2022, société Territoire Soixante-deux et autre, n° 451530, B Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Jean-Simon Laval

rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.8857

Vous vous trouvez saisis par renvoi du Conseil d’Etat du dossier qui avait vu votre chambre, dans une composition différente, annuler le jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon avait lui-même annulé un arrêté du 10 avril 2017 du maire de la commune de D. accordant un permis de construire à M.A.

Le Conseil d’Etat a jugé que vous aviez entaché votre arrêt du 1er juin 2021 d’une erreur de droit car en l’absence de mention particulière du règlement du plan local d’urbanisme figurant au dossier soumis aux juges du fond, que, à l’exception des débordements de toiture inférieurs ou égaux à un mètre, tout point de la façade, y compris au niveau de balcons en saillie, doit respecter une distance minimale par rapport à la limite séparative correspondant à la moitié de la hauteur de la façade, mesurée à l’égout du toit ou, dans le cas d’un mur pignon, au sommet de ce dernier, avec un minimum de quatre mètres

Sur la façade Sud- Ouest de la construction, votre cour a omis de prendre en compte les balcons en saillie qui conduisait à ce que cette façade ne pouvait être regardée comme placée à 5 mètres, soit à une distance supérieure à la moitié de la hauteur totale du mur de référence pris pour le calcul de cette hauteur puisqu’ils étaient quant à eux positionnés à 4 mètre des limites séparatives. C’est ce principe de prise en compte obligatoire des balcons lorsque le PLU ne l’exclue pas qui a valu à la censure de votre Cour administrative d'appel, le signalement de la décision de cassation par un abstrat qui en reprend la substance : voir CE, 25 mai 2022, n°455127

En revanche, c’est seulement sur ce motif que votre arrêt est censuré et vous est renvoyé.

Nous n’avons pas relevé dans les écritures en cassation de moyen non soulevé devant vous avant cassation qui aurait impliqué que le Conseil d’Etat vous eût renvoyé l’affaire au nom du respect du contradictoire : voir CE, 9 février 2000, n°189945. Vous n’avez donc pas à vous saisir des moyens d’appel présentés devant le Conseil d’Etat : voir CE, 29 octobre 2013, n°348682. Vous vous retrouvez donc purement et simplement juges du jugement n°1707116 du 26 mars 2019 qui constitue, au demeurant, l’essentiel de ce que soutenaient les requérants devant le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat, éclairé par les conclusions de sa rapporteure publique a jugé implicitement mais nécessairement que la hauteur qui devait être prise au mur pignon de 9 m (et non en analyse glissante des limites séparatives) entraînait que les balcons implantés à 4 mètre des limites et qui devaient être pris en compte aboutissait à méconnaitre la règle de l’article N 7 du PLU puisque la hauteur divisée par deux impliquait un minimum de recul de 4,5 m. Un premier réflexe, voyant confirmée la position prise initialement par le tribunal administratif de Lyon pourrait vous conduire à ne pas examiner les autres moyens de première instance dès lors qu’un des moyens d’annulation relevé par les premiers juges se trouve confirmé par la jurisprudence suprême, selon les principes de la jurisprudence : voir CE, 28 mai 2001,n°218374.

Nous ne pensons pas que vous devriez le faire. Il ne s’agit aucunement de notre part de vous proposer une rébellion, mais d’une part vous devez affirmer positivement ce que le Conseil d’Etat a jugé implicitement par l’effet d’un renvoi fondé sur une erreur de droit. Ensuite, le renvoi implique que vous soyez ressaisit de la totalité du dossier. Si cet office vous autorise à adopter la solution que vous venons d’évoquer, il doit être combiné également à votre office de juge de la régularisation qui implique que vous vous prononciez sur les autres moyens susceptibles d’être retenus même si vous reprenez le motif adopté par le Conseil d’Etat.

Nous venons de le dire le vice est constitué, mais, il est sans grande difficulté régularisable dès lors que cette régularisation n’a aucunement pour effet de bouleverser sa nature même selon les principes de la jurisprudence CE,Section, 2 octobre 2020, n° 438318.Voir pour un avatar récent CE, 10 novembre 2021, n°439966.

Vous devez donc vérifier si les autres vices ne sont pas de natures eux-mêmes à entraîner l’annulation avant de vous prononcer sur le vice qu’il vous incombe de retenir.

Vous n’avez aucun doute à avoir quant à l’intérêt à agir des requérants qui a été retenu par le tribunal administratif de Lyon, votre cour administrative d'appel et le Conseil d’Etat.

S’agissant des moyens qu’ils développent en particulier sur la méconnaissance de l’article N2 du règlement PLU auquel renvoi l’article N 1 nous vous proposons de ne pas les suivre. Suivant le règlement seules sont admises dans le sous-secteur Nbc (Naturel Bâti à Constructibilité limitée), outre l'extension de constructions existantes dans la limite de 60 m² de surface hors œuvre nette, les constructions « sur des parcelles non bâties insérées dans l’espaces déjà urbanisé (construire les « dents creuses »).

Le tribunal administratif de Lyon a fait une application rigoureuse du PLU en refusant d’assimiler la construction nouvelle proposé par M.A. à un remplacement de la construction existante la reconstruction se substituant à la construction démolie. Il considère donc pour l’application de l’article N2 du règlement sur le secteur NBc que seules peuvent être autorisées, soit les extensions sur l’existant dans la limite de 60 m² de SHON soit les constructions neuves sur des terrains insérées dans l’espace urbanisé au sein de dents creuses. Pour prendre une métaphore dentaire vous pouvez selon le tribunal administratif de Lyon couronner la dent creuse après un traitement de racine mais vous ne pouvez y pratiquer d’implant de constructions nouvelles. Ce raisonnement sévère n’a rien d’aberrant en terme de modération de l’urbanisation. En effet les travaux de construction (ici extension) sur constructions existantes excluent la notion de reconstruction rapprocher de CE n° 107914 du 13 mai 1992, rendu pour l’application du règlement national d’urbanisme mais opérant en ce qui concerne l’analyse des notions. Le projet ne peut donc être regardé alors qu’il augmente la surface antérieurement occupée par le bâtiment démoli comme relevant des extensions permises par le PLU. En outre, une parcelle anciennement construite, n’est pas, à proprement parler, une dent creuse.

Elle toutefois de nature à le devenir, par l’effet d’une démolition, alors que le PLU veut éviter les dents creuses comme il l’indique expressément dans l’énoncé de la règle. Limiter la règle aux seules construction neuves sur des dents creuses anciennes préexistantes nous parait aller au-delà des exigences de la règle telle qu’elle est énoncée puisqu’alors la règle interdirait de construire sur des dents creuses qui seraient intervenues postérieurement à l’édiction du PLU quelque soit la cause de cette intervention

On peut donc penser que si les intentions des auteurs du PLU sont de densifier l’habitat en construisant dans les espaces restés disponibles il n’est pas contraire à ce dernier d’autoriser la construction dans les espaces devenus disponibles après démolition. A cet égard peu importe la surface occupée par le projet comblant cette dent creuse. Si les travaux sur construction existantes ne sont pas des reconstructions, une construction nouvelle après obtention préalable comme ici d’un droit à démolir, le 9 février 2017 ne peut pas non plus être regardée comme un reconstruction contrairement à ce que soutiennent les requérants opposant la règle du PLU qui prévoit qu’une reconstruction après sinistre doit être entreprise dans le volume préexistant. En effet, et en toute hypothèse, une démarche engageant de manière disjointe une démolition puis une construction nouvelle ne s’inscrit pas dans l’emprise de cette règle. Nous pensons donc qu’alors que par principe vous n’avez pas à interpréter au-delà du règlement du PLU, le tribunal administratif de Lyon en lui donnant une portée restrictive qu’il n’avait pas a commis une erreur de droit. Vous censurerez donc le jugement.

S’agissant des autres moyens, le moyen tiré de de l’incompétence du signataire de la décision, M S. manque en fait au regard des pièces du dossier et vous l’écarterez

L’application des règles relatives à la hauteur et à l’intégration des constructions dans le bâti ne doit pas, selon nous, tomber dans les travers d’une interprétation « extra textuelle » sur laquelle nous mettions en garde plus haut.

A ce titre l’article N11 auquel renvoi l’article UC 11 qui interdit classiquement de porter atteinte aux lieux avoisinants, aux sites et aux paysages ne nous parait pas méconnu par le projet en tant que tel, qui s’inscrit dans l’environnement sans grande difficulté. En effet, il n’a pas une unité en terme de volume ou de caractéristiques telle que le différentiel cependant significatif de 2 mètre avec les constructions les plus proches soit rédhibitoire à l’échelle du quartier. Vous savez, en effet, que vous n’avez pas à rechercher une identité complète à l’égard des constructions avoisinantes des sites voir par exemple pour la prise en compte d’une différence d’échelle des constructions à hauteur constante CE, 9 novembre 2015, n°385689 sachant que la hauteur n’est pas par elle-même toujours jugée déterminante : voir CE, 12 février 2020, n°452558.

Cette hauteur de construction non négligeable du projet de construction est supérieure à la hauteur du bâtiment qu’il remplace et est également supérieure aux bâtiments avoisinants. Contrairement à ce qui est soutenu nous ne pensons pas que vous puissiez faire de la règle portée par l’article N 10, une autre manière d’appliquer les règles d’insertion de l’article N 11 dont nous venons de parler. Si la règle de l’article N 10 prévoit bien que La hauteur des constructions doit être compatible avec le site naturel ou bâti environnant et ne peut excéder la hauteur initiale des bâtiments existants cette règle ne se réfère pas à logiques d’insertion puisqu’elle prévoit également que la hauteur de toute construction à usage d’habitation dans le sous-secteur Nbc ne peut excéder : 9 m au faîtage. Le point zéro correspond au point médian avant tout remaniement. Il s’agit donc bien strictement d’une règle de hauteur. Cette règle de hauteur doit être lue en parallèle de la règle fixée à l’article N1 qui prévoit alternativement la construction des dents creuses ou l’extension limitée sur bâtiment existant. C’est, selon nous, lorsqu’il y a construction sur bâtiment existant que la hauteur de ces derniers ne peut être dépassée ce qui fait écho à l’exigence de limitation des constructions sur existant portée par la règle de l’article N 1 précité. Or nous l’avons vu dans votre affaire, le remplacement d’un bâtiment détruit par un autre n’est pas assimilable à une construction sur existant. Ainsi nous pensons que la règle de l’article N 10 qui interdit d’excéder la hauteur des bâtiments existants n’est pas applicable dans cette mesure.

En revanche est applicable celle figurant au même article qui interdit de construire dans le ss Nbc au-delà de 9 m au faîtage. Vous pourrez observer que ce point ne fait pas de doute selon le CE qui retient bien une hauteur de 9 mètres. En réalité cette hauteur semble bien résulter des pièces du dossier, même si elles peuvent, dans un premier temps faire douter. La hauteur de 9,08 m au faîtage est référencée à une cote NGF de 5,98 qui ne peut être rapportée à un niveau 0 établi quant à lui à une cote NGF 5,89. Au contraire, la mesure de 9 mètres est quant à elle référencée au terrain naturel et rien ne remet en cause que ce niveau ne soit pas celui à prendre en compte au point médian. Nous pensons donc que comme la chambre l’avait jugé une première fois, sur conclusions contraires il est vrai, le moyen doit être écarté.

Il vous reste donc à examiner le vice tiré de la méconnaissance des limites séparatives retenu par le Conseil d’Etat. Vous savez que votre office qui reste entier par l’effet du renvoi implique que vous vous interrogiez sur la régularisation de ce vice. Vous avez donc sollicité les informations des parties sur ce point. Il appartient, au juge, en effet, s’agissant des vices qu’il relève de se prononcer sur leur caractère régularisable ( 1er critère) au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue (second critère) : voir CE, 3 juin 2020, n°420736, SCI Alexandra.

Le caractère régularisable porté par ce principe est défini par une limite fort large car le Conseil d’Etat dans son avis n°438318 du 2 octobre 2020 indique qu’une régularisation est possible même lorsque cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que 1) les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation 2) qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même 

Le Conseil d’Etat a même précisé que cette logique prédominait même face à une modification de la conception générale du bâtiment quand bien même ce dernier serait déjà construit : voir CE,10 novembre 2021, n°469966 et vous l’avez appliqué quant à vous à l’hypothèse du permis de construire initial annulé au regard d’un permis de construire modificatif de régularisation produit en appel : voir CAA de Lyon, 28 janvier 2020, n°18LY01801.

Quant au critère temporel, le second, sa limite est seulement celle à laquelle vous vous prononcez sachant que comme le rappelle le rapporteur public dans ses conclusions sous n°438318 du 2 octobre 2020 une irrégularité n’est pas régularisable dont il est su avec certitude qu’elle ne pourra respecter les dispositions  d’urbanisme applicables voir CE, 3 avril 2020, n°422802, Ville de Paris. Ces dispositions d’urbanisme applicables peuvent, le cas échéant avoir changé comme l’affirme la jurisprudence précitée du 3 juin 2020.

Vous le constatez, il faut en effet que les deux critères de la régularisation coïncident, le large champ de la régularisation s’entend au regard du projet mais ne peut s’imposer aux dispositions d’urbanisme applicables aux vices à régulariser. A l’inverse, les dispositions d’urbanisme applicables ne peuvent remettre en cause les droits que le pétitionnaire tient du permis initial à compter du jugement ayant eu recours à l’article L. 600-5-1 : voir CE, 17 mars 2021, n°436073. Comme votre office de juge de la régularisation vous confère des pouvoirs de pythonisse, vous devez selon nous vous projeter dans l’hypothèse même de la régularisation pour vérifier si elle est possible après application de l’article L 600-5-1.

On doit comprendre, selon nous, que par vices régularisables il faut entendre : les vices entachant le permis de construire initial, qui sont réparables même lorsque la réparation peut diverger très largement de ce permis de construire initial mais qui tiennent à ce permis de construire initial en tant qu’elle ne modifie pas de fond en comble ce dernier. Les réparations des vices en cause qui conditionnent le critère de la régularisation doivent être, par suite, à la fois compatibles (à ce dernier titre) avec les dispositions d’urbanisme antérieures en tant qu’elles ne concernent pas les vices du permis de construire initial et conformes aux dispositions nouvelles du nouveau document d’urbanisme en tant qu’elles les régularisent. De sorte que comme l’ont noté les commentateurs les plus autorisés le pétitionnaire n’est donc pas contraint de renoncer à son projet initial et peut, en cas d’issue contentieuse favorable, cumuler le bénéfice du permis initial intact et du permis de régularisation"1

Nous avons insisté sur la notion de réparation puisque nous en avons fait un des critères de la régularisation pourtant il existe des hypothèses ou la réparation est opérée directement par ces mêmes règles d’urbanisme dont la modification lie votre appréciation.

Le juge de la régularisation passe du statut d’aiguillon via la régularisation à celui de témoin. Dans la décision du 3 juin 2020 de référence déjà citée, le Conseil d’Etat censure une cour administrative d'appel qui a commis une erreur de droit En refusant de tenir compte de la circonstance que certains de ces vices avaient, en l’état du nouveau plan local d’urbanisme, disparu à la date à laquelle elle statuait. Le juge de la régularisation se limite donc ici à effectuer le constat que l’intervention d’un nouveau document d’urbanisme a fait disparaître le vice en cause.

Cette solution heurte le cours-qui n’est pas traditionnel car les jurisprudences sont toutes très récentes, mais du moins habituel d’une régularisation placée entre les mains du juge qui conduit par une logique inchoative à ce que le processus passe par un acte. On sait, par exemple que lorsqu’aucune mesure de régularisation n’est notifiée au juge soit que le pétitionnaire y ait renoncé soit que l’administrant l’ait refusée, le juge annule le permis de construire : voir CE, 9 novembre 2021, n°440028.Substituer au juge de la régularisation active, un juge de la régularisation passive n’apparait donc pas forcément évident.

Cette solution présente, en outre, un véritable inconvénient : lorsque la régularisation passe par un acte, on sait de manière claire que c’est à la date à laquelle est pris cet acte que le permis de construire sera régularisé, c’est le rôle du juge que de se positionner par anticipation à ce stade lorsqu’il s’interroge sur la régularisation. Lorsque le juge constate la régularisation par disparition du vice, il se place à la date à laquelle la règle d’urbanisme a changé. De la même manière, il n’appréhende pas, pour l’avenir les réparations nécessaires au permis de construire sous l’empire des nouvelles règles d’urbanisme. Si un permis de construire modificatif intervient, postérieurement, il n’est donc plus lié à un processus de régularisation puisque le vice a disparu, il y a donc deux permis de construire différents en cause sur le même terrain sans qu’il soit possible d’établir un lien entre les deux permis de construire. Mais cette situation n’a rien d’irrégulière et n’a rien, partant, qui doive vous arrêter. De la même manière constater que le vice a disparu constitue bien un des stade de l’analyse de la possibilité de régularisation avant même que de faire usage de l’article L 600-5-1 Enfin le principe qui veut qu’on tienne compte de l’intervention de la modification des règles d’urbanisme est ancien, il a été engagée a propos des permis de construire modificatif spontanés mis en œuvre par le pétitionnaire qui précisément, à la différence des permis de construire de régularisation, conduit ce dernier à rester limité par l’exigence de ne pas accroitre les irrégularités encourues :voir CE, 7 mars 2018, n°404079. Le rapprochement avec cette jurisprudence est d’ailleurs explicite dans l’abstrat de la jurisprudence du 3 juin 2020.

Nous pensons donc que vous devez dans une telle situation vous borner au constat de ce que le vice en cause a disparu. C’est ce que font la plupart des cours administratives d'appel. Certaines au stade du permis de construire modificatif de régularisation voir CAA de Douai, 15 juillet 2020, n°18DA01835 ou n°20MA03191 du 22 février 2022 d’autres en amont : CAA de Nantes,19 juillet 2022, n°21NT01640. La CAA de Bordeaux y procède directement sans sursis à statuer : voir 19BX00926 du 17 juin 2021 même lorsque le permis de construire initial a été annulé par les premiers juges comme vous le faites vous-même d’ailleurs CAA de Lyon, 28 janvier 2020, n°18LY01801 et même lorsque le juge fait usage de ses pouvoirs d’instruction s’agissant de nouvelles règles d’urbanisme intervenant à la suite d’une censure d’un document d’urbanisme : voir CAA de Douai, 15 juin 2021, n°18DA01112.

La solution n’a rien d’évident cependant. On peut même penser qu’elle a été très récemment écartée par le Conseil d’Etat qui semble faire dépendre la régularisation d’une autorisation modificative : voir CE n°451530 du 10 octobre 2022. Mais il faut distinguer selon nous. Cette jurisprudence a été rendue dans le cadre du régime des permis de construire modificatifs qui s’agrègent, nous l’avons dit plus haut aux permis de construire initiaux. Or le champ de la régularisation ne se limite pas à celui du permis de construire modificatif que votre collègue Francis Polizzi dans son article au BJDU de janvier février 2019 a même qualifié de « carcan » du permis de construire modificatif .

L’analyse du permis de construire modificatif avant intervention d’une régularisation opérée par le juge suppose que vous partiez du permis de construire modificatif, celle d’une régularisation suppose que vous partiez du permis de construire initial en tenant compte comme nous l’avons dit plus haut de l’acquis de ce même permis de construire.

Notons tout de même que le constat en cause vous le constatez ne vous place aucunement dans une position strictement passive puisque vous examinez l’adéquation de la règle et du vice à régulariser comme le montre ce dernier exemple. Et il est de toute manière un élément qui reste à nos yeux, indispensable qui est que vous ouvriez le prétoire à la régularisation en sollicitant les observations des parties en application de l’article L.  600-5-1.

Nous avons passé un certain temps à tenter de vous convaincre que vous pouvez acter une régularisation en quelque sorte par sérendipité via la modification des documents d’urbanisme. Il nous faut maintenant l’appliquer à la situation d’espèce.

Les parties se référent à l’intervention du plan local d’urbanisme intercommunal et de l’habitat classe désormais la parcelle dans un secteur Ugpd2* intervenu le 27 février 2020. Mais vous devez également selon nous tenir compte de l’intervention d’un permis de construire modificatif le 27 juin 2021 qui a été communiqué au contradictoire et qui est intervenu en dehors de la mise en œuvre de l’article L 600-5-1,. Il s’agit là d’une modification du permis de construire modificatif effectuée de manière autonome que vous pouvez analyser sous l’angle de la régularisation sans vous lier pour autant dans l’application de l’article L 600-5-1 : voir CE, 22 février 2018, n°399518.

Le permis de construire modificatif entend modifier la hauteur et la surface est c’est à cette aune que vous devez l’examiner en tant qu’il s’agrège au permis de construire initial puisqu’il est intervenu avant mise en œuvre de la régularisation que vous envisagez au titre de l’article L. 600-5-1.

Les intimés invoquent la diminution des règles de hauteur à 7m au regard du PLUIG désormais applicable. Mais nous l’avons vu vous vous prononcez s’agissant de la disparition du vice au stade où ce dernier a disparu en ce qui concerne les vices dont serait entaché le permis de construire initial. Or pour ce qui est de ce dernier, il doit être tenu compte du bénéfice de sa régularité à l’égard des dispositions d’urbanisme antérieures. Vous l’avez confirmée, à la suite, d’ailleurs du CE. Le moyen est donc inopérant au regard du permis de construire initial quand bien même le permis de construire modificatif n’aurait pas parfaitement respecté la règle de hauteur nouvelle.

Mais le moyen est encore inopérant puisque à la date où est intervenu le permis de construire modificatif qui s’agrège au permis de construire initial il faut examiner ce dernier permis de construire modificatif au regard du PLUIH or il n’est aucunement critiqué devant vous. Le moyen est une troisième fois inopérant alors qu’il a entendu régulariser un vice au stade du permis de construire modificatif : voir CE n°417175 du 24 avril 2019, vice qui en tout état de cause, n’existait pas

Est également inopérant, le moyen soutenu après cassation fondé sur l’absence de respect des marges de recul par rapport à la voie publique qui n’est soulevé, d’ailleurs que sous l’angle de l’impossibilité d’une régularisation.

Il vous reste le débat sur l’impossibilité de régulariser le vice lié à l’absence de respect des limites séparatives car la diminution de la surface par l’intervention du permis de construire modificatif est sans incidence sur ce vice. La règle veut désormais que « Secteur UGp : les constructions doivent être implant »es en retrait minimum de 7 m sur une limite. Sur les autres limites séparatives, les constructions doivent être en retrait de 4 m minimum. »

Or il ressort des pièces du dossier que la limite des 7 m est respectée sur un des côtés de la construction. S’agissant des autres cotés les constructions sont à 4 m à minima des limites séparatives sauf pour une terrasse implantée à 2m de la limite séparative au SO2. Si dans la rédaction précédente du PLU vous pouviez peut-être concéder que la définition des limites séparatives ne visait que les constructions en élévation, la disparition de cette référence rend applicable la notion de construction aux terrasses quelque soit leur élévation par rapport au sol. Cependant la terrasse en cause qui est la seule aussi près nous parait dès lors qu’elle fait moins de 25 m2 correspondre au exceptions prévues par le plan local d’urbanisme intercommunal et de l’habitat pour obéir à une implantation différente.

Nous estimons donc que le vice lié à la méconnaissance des limites séparatives doit être regardé comme régularisé.

Vous devrez donc, si vous nous suivez, censurer le tribunal administratif de Lyon et après avoir annulé le jugement, rejeter la requête de première instance.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon pour erreur d’appréciation et au rejet au fond de la demande de première instance.

Notes

1 chronique de C. Malverti et C. Beaufils, Le médecin malgré lui, AJDA 2019, p. 752 Retour au texte

2 A priori non de plain pied. Retour au texte

Droits d'auteur

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Sursis à statuer en vue d’une régularisation d’un permis de construire résultant de l’évolution des règles d’urbanisme

Rémi Delmas

Docteur en droit public

OMIJ – Université de Limoges

Autres ressources du même auteur

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DOI : 10.35562/alyoda.9082

Saisie sur renvoi après cassation, la cour administrative d’appel de Lyon juge, sur conclusions contraires de son rapporteur public, que la modification des règles d’urbanisme qui étaient méconnues par le permis litigieux ne suffit pas à emporter sa régularisation : en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, il appartient donc au juge de surseoir à statuer afin que l’autorité compétente adopte, le cas échéant, une mesure de régularisation du permis. Cette solution, ultérieurement approuvée par le Conseil d’État, rappelle que l’office du juge dans le contentieux de l’urbanisme s’inscrit encore dans celui de l’excès de pouvoir, gouverné par le principe d’appréciation de la légalité de l’acte à la date de son adoption.

Si la technique de l’annulation conditionnelle sous réserve de régularisation en cours d’instance peut permettre de vider le litige plus durablement qu’une annulation classique, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 13 décembre 2022 démontre que son intérêt peut n’apparaître que tardivement, à la faveur des modifications de la réglementation applicable.

Par un arrêté du 10 avril 2017, le maire de Divonne-les-Bains (Ain) a accordé à M. A. F. un permis de construire une maison individuelle sur un terrain, après l’avoir autorisé, par un arrêté du 9 avril 2017, à démolir la construction qui s’y élevait auparavant. Le projet de M. A. F., qui impliquait l’édification d’un nouveau bâtiment d’une hauteur de faîtage de 9 mètres et d’une surface plancher de 218 m2, a été contesté par plusieurs tiers se prévalant de leur qualité de voisins du terrain d’assiette. Une procédure contentieuse au long cours s’est nouée autour du permis litigieux, pendant laquelle sont intervenues des modifications de la réglementation locale et du projet de construction lui-même, soulevant finalement la question de l’influence de ces évolutions sur l’analyse de la légalité du permis par le juge de l’excès de pouvoir.

Le tribunal administratif de Lyon a jugé le 26 mars 2019 que le permis de construire était illégal du fait de la méconnaissance des règles du PLU de la commune de Divonne-les-Bains relatives aux utilisations et occupations des sols dans le secteur « naturel bâti à constructibilité limitée » (Nbc) et en a prononcé l’annulation. Le pétitionnaire a donc saisi le 24 mai 2019 la cour administrative d’appel de Lyon d’une demande d’annulation de ce jugement.

Contrairement au tribunal administratif, la cour a estimé, par un arrêt du 1er juin 20211, que le projet, qui s’insérait dans un lotissement et qui était entouré de maisons, relevait bien des constructions autorisées dans le secteur Nbc. Par ailleurs, et alors même que l’entrée en vigueur du plan local d’urbanisme intercommunal et de l’habitat (PLUiH) du pays de Gex le 27 février 2020 a, notamment, eu pour effet de réduire à 7 mètres la hauteur maximale des constructions autorisées dans le secteur du terrain d’assiette du projet, la cour a considéré que le permis de construire, octroyé sous l’empire du PLU de la commune de Divonne-les-Bains, avait légalement pu autoriser une construction d’une hauteur de 9 mètres. Enfin, elle a rejeté le moyen tiré de la violation des règles relatives aux limites séparatives fixées par l’article N7 du PLU.

Après l’annulation du jugement du tribunal, un permis de construire modificatif, portant sur la hauteur du faîtage de la construction et augmentant de 15 m2 la surface de plancher, a été délivré au pétitionnaire le 17 juin 2021 par la commune de Divonne-les-Bains. Les voisins se sont pourvus en cassation le 2 août 2021 devant le Conseil d’État qui a, quant à lui, estimé par une décision du 25 mai 20222 que la cour avait commis une erreur de droit dans l’application de l’article N7 du PLU.

L’affaire a été renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon, qui s’est retrouvée saisie une seconde fois du jugement du tribunal administratif et, par l’effet dévolutif de l’appel, de l’ensemble du litige. C’est sans difficulté que la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt pour agir des voisins occupant des parcelles limitrophes a été écartée, après quoi la cour, examinant à nouveau l’ensemble des moyens déjà développés devant elle, a suivi un raisonnement largement semblable à celui qui fondait son premier arrêt. Elle reprend ainsi en substance sa motivation pour considérer que le projet litigieux relevait des constructions autorisées dans son secteur d’implantation. Les moyens tirés de l’incompétence de l’auteur de l’acte et de la violation des règles relatives à la hauteur sont quant à eux écartés par une motivation identique à celle du premier arrêt. La cour administrative d’appel se devait en revanche de tirer les conséquences de la décision du Conseil d’État pour se prononcer sur le dernier moyen, tiré de la violation des règles sur les limites séparatives. L’examen de cette question lui imposait de prendre position sur l’incidence de l’entrée en vigueur du PLUiH, dont les dispositions ont également modifié les règles de calcul des prospects.

Si la cour a estimé ce moyen fondé, elle n’a pas pour autant prononcé l’annulation du permis dès lors qu’il lui apparaissait qu’il était régularisable. En décidant de surseoir à statuer en application de l’article L. 600-5-1, elle n’a pas suivi son rapporteur public qui préconisait de considérer que l’intervention du PLUiH avait suffi à rendre le permis conforme aux règles d’urbanismes applicables. Ce faisant, elle a retenu une lecture orthodoxe, tant de la jurisprudence du Conseil d’État exigeant l’intervention d’une mesure individuelle dédiée à la correction du vice entachant le permis pour permettre sa régularisation en cours d’instance, que de l’office du juge de la légalité des autorisations d’urbanisme.

L’analyse dynamique du caractère régularisable du vice tenant à la méconnaissance des règles relatives aux limites séparatives

Dans sa décision de cassation, le Conseil d’État a interprété les dispositions de l’article N7 du règlement du PLU de la commune de Divonne-les-Bains relatives aux calculs des prospects, qui prévoyaient que les constructions devaient respecter un recul minimum de 4m par rapport aux limites séparatives sans pouvoir être inférieur à la moitié de leur hauteur, sous réserve des débords de toiture inférieurs à 1m, lesquels ne sont pas pris en compte. Il a estimé qu’« en l’absence de mention particulière du règlement du plan local d'urbanisme », tout point de la façade des constructions autorisées devait respecter une distance minimale par rapport à la limite séparative correspondant à la moitié de la hauteur de la façade, mesurée à l'égout du toit3. Cette solution de principe4 ne trouve à s’écarter que lorsque le PLU prévoit expressément l’appréciation « glissante » de la distance par rapport aux limites séparatives5.

En l’espèce, le permis litigieux autorisait la construction d’une maison de 9m de haut, implantée à 5m des limites séparatives du terrain d’assiette et comportant, sous le débord de toiture, deux balcons en saillie d’une profondeur de 1m. En estimant que la construction serait ainsi implantée à une distance supérieure à 4,5m des limites séparatives mais sans tenir compte des balcons qui devaient s’étendre jusqu’à 4m de celles-ci, la cour administrative d’appel avait bien entaché son arrêt du 1er juin 2021 d’une erreur de droit justifiant la cassation. Dans son arrêt du 13 décembre 2022, la cour a finalement relevé que la situation des balcons, positionnés « à quatre mètres de la projection verticale » de la limite séparative alors que cette distance devait être d’au moins 4,50 mètres « compte tenu de la hauteur de la construction à son plus haut point », méconnaissait l’article N7 du règlement du PLU sous l’empire duquel le permis a été délivré.

Le constat de cette illégalité initiale ne condamnait pas pour autant le permis à l’annulation dans la mesure où la cour, ayant écarté tous les autres moyens dirigés à son encontre, a estimé qu’il y avait lieu de faire application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Un tel vice paraît en effet pouvoir faire l’objet d’une mesure de régularisation, dont le champ est largement entendu par la jurisprudence, de telle sorte qu’elle peut impliquer de modifier l’économie générale du projet tant que sa nature même n’est pas bouleversée6.

Dans sa décision SCI Alexandra du 3 juin 2020, le Conseil d’État a précisé l’office du juge en indiquant comment il lui revenait d’apprécier le caractère régularisable des illégalités, en distinguant leurs modalités de régularisation selon la cause dont elles relèvent7. Ainsi, un vice de procédure, « dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision litigieuse », est en principe « réparé » selon les modalités prévues à cette date. En ce qui concerne les illégalités affectant le bien-fondé du permis, la logique de l’effet utile de l’intervention du juge de la légalité implique en revanche que ce dernier « doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces dispositions le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction ». Dans ces conditions, il est envisageable que la modification de la règlementation permette sa mise en correspondance avec un permis d’urbanisme qui méconnaissait la règle antérieure : dans cet esprit – mais en dehors d’une hypothèse d’application de l’article L. 600-5-1 – le Conseil d’État a jugé que l’adoption spontanée d’un permis modificatif en cours d’instance afin de prendre en compte un tel changement des prescriptions d’urbanisme permettait de régulariser le permis initial8.

Le permis litigieux étant, en l’espèce, entaché d’une illégalité initiale affectant son bien-fondé, il revenait ainsi à la cour d’apprécier de manière dynamique son caractère régularisable et de tenir compte de l’entrée en vigueur du PLUiH du pays de Gex, applicable depuis le 27 février 2020, ce dernier ayant eu pour effet de modifier les règles relatives aux limites séparatives. Il résulte de ses dispositions que, dans le secteur du projet en cause, les constructions doivent désormais « être implantées, d’une part, en retrait minimum de 7 mètres sur une limite […] et, d’autre part, sur les autres limites séparatives, en retrait de 4 mètres minimum ». Estimant ces deux conditions satisfaites à la date à laquelle elle statuait, la cour a considéré que l’illégalité entachant le permis de construire initial portant sur la méconnaissance de la règle de distance minimale par rapport à la moitié de la hauteur de la façade était susceptible d’être régularisée par l’adoption d’une mesure adéquate. Elle a ainsi écarté la proposition de son rapporteur public qui soutenait que, à la lumière des dispositions applicables du PLUiH, le vice qui affectait le permis litigieux devait être regardé comme régularisé.

Le rejet orthodoxe de la régularisation du seul fait de la modification des règles applicables au projet.

En admettant le caractère régularisable du vice, la cour a implicitement jugé qu’il entachait encore le permis litigieux à la date à laquelle elle se prononçait, en dépit de l’entrée en vigueur d’un PLUiH. Le rapporteur public Jean-Simon Laval l’avait pourtant invitée à regarder ce défaut comme ayant été régularisé par l’intervention du PLUiH : invoquant la jurisprudence SCI Alexandra selon laquelle le juge peut constater, au regard des règles applicables à la date de sa décision, que le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction, il soutenait que l’office du juge de la régularisation pouvait se limiter « à effectuer le constat que l’intervention d’un nouveau document d’urbanisme a fait disparaître le vice en cause », et ce « avant même que de faire usage de l’article L 600-5-1 »9.

Cette solution, pratiquée par plusieurs cours administratives d’appel10, semblait néanmoins procéder d’une lecture trop constructive de la jurisprudence du Conseil d’État. Il est vrai que la décision SCI Alexandra précitée a vu ce dernier relever une erreur de droit commise par une cour administrative d’appel en « refusant de tenir compte de la circonstance que certains [des] vices [du permis litigieux] avaient, en l’état du nouveau plan local d’urbanisme, disparu à la date à laquelle elle statuait ». Il semble cependant que dans cette espèce, l’erreur résidait plutôt dans le refus de la cour de faire application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme eu égard au caractère régularisable d’une illégalité, et non dans le refus de regarder ladite illégalité comme ayant été réparée. Deux mois avant que la cour rende son second arrêt, la décision Société Territoires Soixante-Deux paraissait également avoir exclu qu’une modification des prescriptions d’urbanisme suffise à emporter la régularisation d’un permis illégal, le Conseil d’État rappelant que :

« lorsqu’une autorisation d’urbanisme a été délivrée en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol […], l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d'une autorisation modificative dès lors que celle-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause » et précisant qu’« elle peut, de même, être régularisée par une autorisation modificative si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par l’autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce »11.

La récente décision Société Octogone du Conseil d’État a complété cette lecture, en des termes qui excluent désormais clairement la régularisation du permis initial du seul effet de la modification des règles qu’il méconnaissait : dans le même sens que la cour administrative d’appel de Lyon, celui-ci juge ainsi que :

« la seule circonstance que le vice dont est affectée l’autorisation initiale et qui a justifié le sursis à statuer résulte de la méconnaissance d’une règle d'urbanisme qui n’est plus applicable à la date à laquelle le juge statue à nouveau sur la demande d'annulation, après l’expiration du délai imparti aux intéressés pour notifier la mesure de régularisation, est insusceptible, par elle-même, d’entraîner une telle régularisation et de justifier le rejet de la demande » d’annulation du permis12.

Ainsi, si le caractère régularisable d’une illégalité entachant le bien-fondé d’un permis de construire doit bien être apprécié de manière dynamique par le juge lorsqu’il envisage d’appliquer l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, il ne lui appartient pas, en l’absence de permis de régularisation, de se prononcer sur la légalité du permis à la date à laquelle il statue comme pourrait le faire un juge de plein contentieux13 : pour être fortement dérogatoire, l’office du juge des autorisations d’urbanisme s’inscrit encore, en l’état du droit, dans le champ de l’excès de pouvoir gouverné par le principe d’appréciation de la légalité de l’acte litigieux à la date de son adoption, et il n’en va autrement que lorsqu’une mesure de régularisation lui est notifiée en temps utile, soit spontanément, soit après qu’il a sursis à statuer.

Sans doute la solution pragmatique préconisée par le rapporteur public pouvait-elle s’inscrire dans la logique d’autres décisions rendues par le Conseil d’État : il peut notamment être relevé que la décision Association des Américains Accidentels14 admet que le juge doit constater, le cas échéant, que l’illégalité tenant à l’incompétence de l’auteur d’un acte réglementaire a cessé du fait d’un changement de réglementation ayant conduit à investir l’auteur de l’acte de la compétence qui lui faisait défaut. Pour autant cette logique, propre au contentieux du refus d’abroger des actes réglementaires, désormais gouverné par l’approche dynamique de la légalité, ne paraît pas totalement transposable au contentieux des autorisations d’urbanisme, qui sont des actes individuels avec une vocation à l’intangibilité justifiant une attention sur l’ensemble des conditions de leur adoption.

Il en résulte que la régularisation d’un permis délivré en méconnaissance des règles d’urbanisme ne peut être accomplie que par l’adoption d’une mesure de régularisation dédiée à la correction des vices qui l’entachent.

La nécessité de l’intervention d’une mesure de régularisation dédiée à la correction du vice initial du permis litigieux.

Postérieurement à l’entrée en vigueur du PLUiH, un permis modificatif a été spontanément délivré au pétitionnaire le 17 juin 2021 par la commune de Divonne-les-Bains, portant sur la hauteur du faîtage de la construction et l’augmentation de la surface de plancher. La cour a néanmoins estimé qu’il y avait lieu de surseoir à statuer dans l’attente d’une mesure de réparation du vice tenant à la méconnaissance des règles de prospects, dès lors que ce permis modificatif n’a, comme elle le relève, « eu ni pour objet ni pour effet de régulariser ce vice du seul fait qu’il a été délivré sous l’empire des nouvelles dispositions du PLUIH applicable ». Elle précise ainsi le formalisme qui s’impose à l’autorité administrative dans le processus de régularisation en jugeant que, dans l’hypothèse d’un changement de circonstances conduisant à regarder le vice affectant le bien-fondé d’un permis comme régularisable, sa correction ne peut résulter que de l’adoption d’une mesure dédiée à sa réparation et non de la simple délivrance d’un permis modificatif portant sur d’autres éléments.

L’adoption d’un permis de régularisation qui se bornerait à entériner la mise en conformité de la réglementation locale et du contenu du permis initial, sans apporter de modification au projet, peut, certes, paraître purement formelle, notamment du point de vue du pétitionnaire. Une telle exigence peut, en outre, sembler éloignée de la logique pragmatique qui inspire la technique de la régularisation dans le contentieux de l’urbanisme, en particulier lorsqu’elle se manifeste, comme en l’espèce, au terme d’une succession de décisions juridictionnelles.

Admettre la possibilité d’une régularisation « passive »15 du fait d’un changement de circonstances n’en comporte pas moins certaines difficultés. En particulier, il est à craindre qu’elle induise une confusion du cadre et du débat contentieux de la contestation des projets d’urbanisme en dispersant les instances portant sur le permis litigieux et celles portant sur les modifications de la réglementation. Le principe de la contestation de la mesure ou du permis de régularisation par les parties dans le cadre de l’instance initiale présente quant à lui l’avantage d’offrir une unité de temps et de lieu pour les débats sur la correction du permis initial et de concentrer, le cas échéant, l’exercice des voies de recours. Dans la même perspective, des interrogations peuvent être émises quant à la possibilité pour les parties de soulever utilement, dans le cadre de l’instance portant sur le permis initial, des moyens tirés de l’illégalité de la procédure de modification de la réglementation ou de son bien-fondé, la voie de l’exception pouvant être barrée par l’absence de mesure d’application. Ainsi, l’intervention d’une « mesure individuelle de régularisation »16 en cours d’instance pour acter la conformité du permis initial au nouvel état de la réglementation paraît indispensable au maintien des garanties procédurales nécessaires à la préservation du droit fondamental au recours.

En dépit de l’essor significatif des techniques de régularisation en contentieux administratif, la régularisation des permis de construire par la modification du cadre réglementaire local dans lequel ils s’inscrivent ne peut être regardée comme une modalité habituelle. S’agissant d’une configuration originale, dans laquelle le rétablissement de la légalité ne résulte pas de la correction de l’acte illégalement adopté, il semble justifié qu’elle soit soumise à des règles relativement strictes. En les appliquant en un sens que le Conseil d’État a depuis approuvé17, la cour administrative d’appel de Lyon aura également fait ressortir un peu plus clairement les éléments qui distinguent encore l’office du juge de l’excès de pouvoir de celui du juge de pleine juridiction.

Notes

1 CAA Lyon, 1er juin 2021, n° 19LY01952. Retour au texte

2 CE, 25 mai 2022, n° 455127, au Lebon T. ; AJDA 2022, p. 1132 ; RDI 2022, p. 615 note P. Solers-Couteaux. Retour au texte

3 Id. Retour au texte

4 CE, 14 avril 1995, n° 129479, S.C.I. « Les terrasses de la mer », Lebon. T. p. 1079. Retour au texte

5 CE, 7 décembre 2018, n° 410380, Syndicat des copropriétaires « Villa Oressence », inédit. Retour au texte

6 CE, Sect., avis, 2 octobre 2020, n° 438318, Barrieu, au Lebon ; RFDA 2021, p. 146, concl. O. Fuchs. Retour au texte

7 CE, 3 juin 2020, n° 420736, SCI Alexandra, au Lebon T. Retour au texte

8 CE, 24 avril 2019, n° 417175, Mme Bloch, au Lebon T. Retour au texte

9 J.-S. Laval, concl. sur CAA Lyon, 13 décembre 2022, n° 22LY01624. Retour au texte

10 CAA Douai, 15 juillet 2020, n° 18DA01835, § 39 ; CAA Bordeaux, 17 juin 2021, n° 19BX00926, § 12 ; CAA Nantes, 19 juillet 2022, n° 21NT01640, § 20. Retour au texte

11 CE, 10 octobre 2022, n° 451530, Société Territoires Soixante-Deux, au Lebon T. Retour au texte

12 CE, 4 mai 2023, n° 464702, Société Octogone, au Lebon. Retour au texte

13 CE, 16 décembre 2016, n° 391452, Société Ligérienne Granulats, au Lebon. Retour au texte

14 CE, Ass., 19 juillet 2019, n° 424216, 424217, Association des Américains Accidentels, au Lebon ; AJDA 2019, p. 1986, chron. C. Malverti et C. Beaufils ; RFDA 2019, p. 891, concl. A. Lallet. Retour au texte

15 J.-S. Laval, concl. préc. Retour au texte

16 CE, 4 mai 2023, n° 464702, Société Octogone. Retour au texte

17 CE, 4 mai 2023, n° 464702, Société Octogone. Retour au texte

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