Régularisation de travaux portant sur une construction irrégulièrement édifiée ou transformée

Lire les conclusions de :

Lire les commentaires de :

Décision de justice

CAA Lyon, 5ème chambre – N° 21LY00063 – 10 novembre 2022 – C+

Requête jointe : 21LY00064

Arrêts annulés en cassation: CE, 30 avril 2024, n° 472746, B et renvoie à la CAA de Lyon sous le numéro 24LY01154

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 21LY00063

Numéro Légifrance : CETATEXT000046575845

Date de la décision : 10 novembre 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Permis de construire, Construction irrégulière, Régularisation d’autorisation d’urbanisme, Sursis à statuer, L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, R.431-5 du code de l’urbanisme

Rubriques

Urbanisme et environnement

Résumé

Dans le cas de travaux portant sur une construction irrégulièrement édifiée ou transformée, est rappelée l’obligation de demander l'autorisation des travaux passés irréguliers en même temps que des nouveaux travaux envisagés. En ce cas, le juge peut-il prononcer un sursis à statuer en vue de la régularisation d'une autorisation d'urbanisme (article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme) ou une annulation partielle (article L. 600-5) ?

L’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité, tant que la construction que ce permis autorisé n’est pas achevée, un permis le modifiant, sous réserve que les modifications apportées au projet initial n’en remettent pas en cause, par leur nature ou leur ampleur, la conception générale1.

Par ailleurs, lorsqu’une construction a été édifiée sans respecter la déclaration préalable déposée ou le permis de construire obtenu ou a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé. Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation. Dans l’hypothèse où l’autorité administrative est saisie d’une demande qui ne satisfait pas à cette exigence, elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation. Cette invitation, qui a pour seul objet d’informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s’il entend poursuivre son projet, n’a pas à précéder le refus que l’administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés2.

Dans le cas d’espèce jugé par la cour, il ressort des pièces du dossier que le pétitionnaire, alors qu’il avait seulement été autorisé à surélever, puis étendre, la maison déjà édifiée sur la parcelle, a procédé à une déconstruction intégrale des murs, de la toiture et de la charpente, avant d’engager une reconstruction du bâtiment ainsi que son extension, ce qui ne saurait être assimilé à une « réhabilitation lourde » ou à une simple « substitution » des murs périphériques par des murs en briques. Le permis de construire initial ne peut en particulier être regardé comme ayant eu pour effet d’autoriser après démolition la reconstruction, même à l’identique, du bâtiment existant, dès lors que le dossier initial ne portait que sur une surélévation doublée d’une extension. Alors même qu’il n’est pas établi que l’assemblée délibérante aurait institué l’obligation de demander un permis de démolir dans le quartier concerné par le projet, Le pétitionnaire, eu égard au caractère irréversible de la démolition intervenue, n’a pas mis le service instructeur en mesure d’apprécier si, par leur ampleur, les modifications apportées au projet, tel qu’il avait été initialement approuvé, n’en remettaient pas en cause la conception générale et ne nécessitaient pas, dès lors, la délivrance d’un nouveau permis et non d’un permis modificatif, en se bornant, dans son nouveau dossier de demande, à faire état de modifications projetées, telles que la porte-fenêtre, sur « la construction existante », sans préciser que le bâtiment d’origine avait en réalité fait l’objet d’une reconstruction intégrale. Il n’a pas non plus permis au service instructeur, le cas échéant, d’apprécier le respect des règles d’urbanisme applicables à une construction nouvelle.

Par suite, le moyen tiré du caractère incomplet du dossier de demande de permis de construire doit être accueilli sur ce point, le dossier de demande du second permis de construire modificatif délivré par arrêté du 6 juillet 2022 ne régularisant pas cette illégalité3.

Cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation par un permis de construire modificatif en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ou d’une annulation partielle en application de l’article L. 600-5 du même code4.

68-03-01-01, Urbanisme et aménagement du territoire, Permis de construire, Travaux soumis au permis, Présentent ce caractère

Notes

1 Cf. CE, 25 novembre 2020, n° 429623, Rec. T. p. 1056. Retour au texte

2 Cf. s’agissant des obligations du pétitionnaire et de l’administration, CE, 9 juillet 1986, n° 51172, p. 201 ; CE, 13 décembre 2013, n° 349081, Rec. T. pp. 879-882. Retour au texte

3 Cf. s’agissant des effets d’un vice dans la composition du dossier, moyen de légalité interne, CE, 21 novembre 2014, n° 377234, T. pp. 504-705-816. - CE, 23 décembre 2015, 23 décembre 2015, 393134, Rec. T. p. 915. Retour au texte

4 Cf. CE, 6 octobre 2021, société Maresias, n° 442182, Rec. p. 296. Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Jean-Paul Vallecchia

rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.9178

M.X. est propriétaire, sur le territoire de la commune de Dijon, …d’un terrain cadastré … sur lequel était construite une maison d’habitation de 63 m². Messieurs Y. sont propriétaires mitoyens au n°… par la parcelle de terrain DN ... M. et Mme Z., dont l’adresse est au n°…, sont également voisins mitoyens de M. X. par leur parcelle de terrain DN ... En leur qualité de voisins immédiats l’intérêt à agir de MM Y. et de M. et Mme Z. ne pose aucune difficulté particulière.

Le 12 septembre 2017 M. X. a obtenu du maire de Dijon un premier permis de construire destiné à surélever et étendre, à 175 m², sa maison d’habitation. La légalité de ce permis de construire n’a pas été contestée devant la juridiction administrative mais son exécution a fait l’objet d’observations auprès des services communaux de la part de Messieurs Y. et de M. et Mme Z., ce qui a donné lieu, le 12 mars 2018, à un procès-verbal d’infractions au code de l’urbanisme et à un arrêté interruptif de travaux pris par le maire de Dijon.

Un premier permis de construire modificatif a été accordé à M. X. le 27 mars 2019. Il a été contesté devant le tribunal administratif de Dijon. Le 22 mai 2019 MM Y. et M. et Mme Z. ont demandé au maire de Dijon de retirer ce permis de construire modificatif, ce qui a été refusé le 15 juillet 2019.

Les premiers juges ont rejeté les recours en annulation de MM Y. et de M. et Mme Z., se fondant, pour l’essentiel, sur le caractère définitif du permis initial, sur le caractère seulement modificatif du permis du 27 mars 2019, lequel aurait finalement rendu le projet initial plus conforme aux dispositions du règlement du PLU.

Un second permis de construire modificatif a été accordé le 6 juillet 2022 par le maire de Dijon à M. X. après un nouveau procès-verbal d’infraction au code de l’urbanisme.

Dans cette affaire, le point central que vous avez à traiter est celui, très clairement soulevé depuis le début de la procédure contentieuse, de la démolition de la maison d’origine avant sa reconstruction. Cette démolition est clairement attestée par des procès-verbaux de constat d’huissier des 9 février et 25 juillet 2018. Elle a été au demeurant reconnue par M. X. lui-même : la circonstance que les fondations de la maison d’origine auraient été conservées ne permettent pas de s’abstraire de cette réalité très concrète de démolition de la construction existante. Mais ce n’est toutefois pas au travers de l’éventuel défaut d’un permis de démolir qu’il faut aborder ce dossier : nous nous trouvons sur un secteur périphérique du PLU de la commune de Dijon qui ne semble pas exiger une telle autorisation et le permis de construire initial est devenu définitif, ce que les requérants ne contestent pas, même si nous nous trouvons, à notre sens, assez proche, dans cette affaire, du domaine de la fraude.

Quoiqu’il en soit, sans vous attarder sur la nécessité d’un permis de démolir, le permis de construire modificatif qui est contesté devant vous a été pris sur le fondement d’un permis initial destiné à la surélévation et l’extension de la maison d’origine. Or, alors qu’après la délivrance du permis initial cette maison d’origine a, comme cela est patent, été effectivement et irréversiblement démolie, M. X. ne pouvait, à l’évidence, plus poursuivre au travers d’un permis de construire modificatif son projet de surélévation et d’extension de la maison d’origine. Le permis de construire modificatif ne se justifie qu’au regard des droits que le pétitionnaire tient du permis initial : Conseil d’Etat, Section n°23604 du 26 juillet 1982, en A. Et le permis ne peut être qualifié de modificatif que pour autant qu’il n’excède pas l’autorisation initiale au point d’en modifier l’économie générale : Conseil d’Etat, n°429623 du 25 novembre 2020 en B.

Or, au cas d’espèce, nous avons une construction nouvelle qui a été traitée comme la modification d’un projet de surélévation et d’extension devenu sans objet du fait de la démolition. Il appartenait donc à M. X., à l’origine de cette situation, de présenter, après la démolition de sa maison, un dossier de demande de permis de construire portant sur le bâtiment tel qu'il avait été initialement approuvé : Conseil d’Etat n°442182 du 6 octobre 2021 société Maresias, en A, qui découle de la célèbre jurisprudence (Conseil d’Etat n°51172 du 9 juillet 1986). Et comme M. X. n’a pas satisfait à cette obligation il appartenait à la commune de Dijon, conformément à cette même jurisprudence, de refuser de lui délivrer un permis de construire modificatif lié à un projet de surélévation et d’extension d’une maison existante auquel M. X. avait, à l’évidence, renoncé, de manière parfaitement illégale, en faisant procéder à la démolition de la maison d’origine.

Le permis de construire modificatif délivré à M.X. est bel et bien illégal. Il vous faudra le censurer. Et c’est aussi en vous référant à cette même jurisprudence précitéé que vous devrez constater que l’illégalité en cause ne constitue pas un vice susceptible d’être régularisé sur le fondement des articles L. 600-5-1 et L. 600-5 du code de l’urbanisme.

Vous pourrez, eu égard au contexte de ce dossier, mettre à la charge de la commune de Dijon et de M.X. une somme de 2.000 euros chacun, dans chacun des deux dossiers.

Tel est le sens de nos conclusions dans ces deux affaires.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

La régularisation de travaux portant sur une construction irrégulièrement édifiée ou transformée.

Fariel Slimani

Juriste Commande publique

Étudiante du Master 2 - Contrat, construction, et propriétés publiques.

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.9086

La célèbre jurisprudence Thalamy1 dégage un principe selon lequel, une construction ayant été irrégulièrement édifiée, doit faire l’objet d’une régularisation par le propriétaire qui envisage d’effectuer les nouveaux travaux, et doit présenter une demande d’autorisation portant sur l’ensemble de la construction. Dans le cas où l’autorité compétente est saisie d’une demande qui ne satisfait pas cette exigence, elle est alors tenue d’inviter son auteur à présenter une nouvelle demande portant sur l’ensemble du bâtiment. Ainsi, l’autorité administrative pourra délivrer au pétitionnaire un permis de construire modificatif à condition que les modifications apportées ne remettent pas en cause la conception générale du projet initial, et que la construction autorisée ne soit pas achevée. Seulement, le propriétaire ayant procédé à une démolition intégrale, plutôt qu’une réhabilitation, ne permet pas à l’autorité compétente d’apprécier, si, par l’ampleur des modifications apportées au projet tel qu’initialement approuvé, ne remettait pas en cause la conception générale. Pour la cour d’appel, l’autorité administrative compétente n’aurait pas dû délivrer ce permis modificatif, mais inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l’ensemble de la construction. Par ailleurs, le juge ne peut pas surseoir à statuer ou annuler partiellement le permis délivrer afin de régulariser la situation du pétitionnaire, car ce vice est insusceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation prévue aux articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme2.

« Il faut, croyons-nous, distinguer la régularisation des situations et celle des actes, qui relèvent de logiques bien distinctes. La première vient donner un titre juridique à une situation de fait qui en manquait (…) La seconde vient lever le vice dont un acte était entaché, tout en reprenant le dispositif, qui demeure inchangé. »3

Les propos de Louis Dutheillet de Lamothe et Guillaume Odinet à propos de l’arrêt de section du Conseil d’État du 1er juillet 2016, « Commune Émerainville » n° 3630474, expriment la distinction qui existe entre la régularisation d’une situation de fait, et des actes administratifs. Cette citation tirée d’une revue sur les procédures de régularisation dans le cadre de l’excès de pouvoir, trouve sens en droit de l’urbanisme, en particulier lorsqu’il s’agit des constructions irrégulièrement édifiées ou transformées, puisque cette « situation de fait » peut être régularisée par l’obtention d’un « acte administratif », le permis de construire.

En principe, les travaux exécutés sur une construction existante, sont dispensés de formalités urbanistiques, selon les dispositions de l’article R. 421-13 du code de l’urbanisme5. Néanmoins, il existe au sein de l’article R. 421-76du même code, une exigence selon laquelle certains travaux, en raison de leur importance, leur localisation ou de leur nature, doivent faire l’objet d’une déclaration préalable ou d’un permis de construire. Ces autorisations d’urbanisme ne devraient porter que sur les travaux envisagés par le propriétaire, et non pas sur la construction existante. Cependant, la situation est très différente lorsque la construction initiale a été édifiée, transformée, de façon irrégulière ou incompatible avec des règles d’urbanisme alors en vigueur.

La cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la régularisation de travaux portant sur une construction irrégulièrement édifiée ou transformée, à l’occasion d’un arrêt du 10 novembre 2022 n° 21LY00063. En effet, le tribunal administratif de Dijon a rendu deux jugements suite à deux requêtes distinctes qui portaient toutes deux sur la contestation d’un permis de construire modificatif. D’une part, MM. H ont demandé à la juridiction administrative d’annuler un arrêté du 27 mars 2019 par lequel le maire de Dijon a accordé à M. B…. Et A… un permis de construire modificatif. D’autre part, M. et Mme E… ont également demandé l’annulation de ces deux actes.

Ces deux jugements en date du 5 novembre 2020 (n° 1902627 et n° 1902628) ont rejeté les demandes de MM. H… et M., Mme E… Par suite, les requérants ont décidé d’interjeter appel. La cour administrative d’appel de Lyon décida de joindre les requêtes afin de statuer dans un seul arrêt, en raison de la connexité qui existe entre ces deux affaires.

Devant la juridiction d’appel lyonnaise, les parties contestaient la légalité du permis de construire modificatif en considération du projet qu’il porte, ainsi que de son incomplétude. D’une part, le permis n’aurait pas dû être délivré par la commune, car le pétitionnaire aurait dû, en amont, faire une demande de permis de démolir, la maison initiale ayant été entièrement détruite sans autorisation préalable. D’autre part, le dossier du pétitionnaire était incomplet. Et il ne précisait pas non plus que la maison initiale avait été détruite de manière irrégulière sans autorisation d’urbanisme. Le permis modificatif n’a pas eu pour effet de régulariser les illégalités susmentionnées. De plus, l’autorisation modificative ne respecterait pas les documents d’urbanisme en vigueur.

La cour devait donc déterminer s’il était possible pour un juge de régulariser une situation dans laquelle une construction irrégulièrement édifiée ou modifiée, sans que l’autorité administrative n’ait été saisie d’une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble de l’édifice.

La juridiction d’appel décida d’annuler les deux jugements rendus par le tribunal. En effet, la cour administrative d’appel de Lyon, estima qu’il était possible d’obtenir un permis de construire modificatif, sous certaines conditions, afin de régulariser une illégalité, ou d’effectuer quelques modifications sur le projet afférent. La juridiction lyonnaise releva que le titulaire de l’autorisation initiale avait procédé à la déconstruction intégrale des murs, de la toiture, et de la charpente — alors que ce dernier, avait seulement été autorisé par le permis initial, à effectuer une surélévation puis une extension de l’existant. Il ne s’agit pas d’une réhabilitation lourde, mais d’une démolition. Pour la cour d’appel, l’autorité administrative compétente n’aurait pas dû délivrer ce permis modificatif, mais inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l’ensemble de la construction.

Tout d’abord il existe des dispositifs qui permettent de régulariser une construction irrégulièrement édifiée ou modifiée. Seulement, ces possibilités de régularisation demeurent encadrées ce qui ne permet pas à certaines constructions de faire l’objet d’une mesure de régularisation comme c’est le cas dans l’arrêt du 10 novembre 2022.

Les dispositifs de régularisation d’une construction irrégulièrement édifiée ou modifiée

Afin de comprendre comment il est possible de régulariser une construction irrégulièrement édifiée ou transformée, il convient, dans un premier temps, de définir ce qu’est une construction irrégulière, pour aborder, dans un second temps, les possibilités de régularisation.

La définition d’une construction irrégulière

Un permis de construire peut tout à fait être accordé pour régulariser des travaux déjà exécutés, à condition que ceux-ci respectent les normes urbanistiques en vigueur au moment de la délivrance du permis de construire7. Il existe certaines situations dans lesquelles, une construction peut avoir été irrégulièrement édifiée. Une construction dite « irrégulière » est une construction qui est édifiée sans autorisation, ou en l’absence de conformité des prescriptions contenues dans l’autorisation délivrée8. De même, la construction dont le permis a été annulé ou retiré9, est irrégulière. C’est aussi le cas d’une construction initiale ayant fait l’objet de travaux sans autorisation, ou sans respect des prescriptions contenues dans l’autorisation délivrée10. Enfin, une construction édifiée en respectant les règles d’urbanisme peut être irrégulière lorsqu’elle a fait l’objet de travaux de modification ou de changement de destination sans autorisation préalable.

En l’espèce, la cour administrative d’appel de Lyon considère que par un premier permis de construire délivré le 12 septembre 2017, le pétitionnaire avait seulement été autorisé à « surélever puis étendre la maison édifiée sur une parcelle ». Il pouvait en outre procéder à une déconstruction intégrale de certains éléments, avant d’engager une reconstruction et finalement une extension. Le permis de construire initial n’avait pas pour effet d’autoriser après la démolition, la reconstruction, même à l’identique, du bâtiment existant. La construction est donc bien irrégulière au regard de la définition que nous avons donnée. Dans cette situation, quelles sont les possibilités de régularisation offertes au pétitionnaire ?

Les possibilités de régularisation

Dans notre cas, après un constat dressé le 12 mars 2018 relevant le caractère erroné de certaines mentions des plans déposés dans la demande d’autorisation initiale, ainsi que d’autres infractions aux règles d’urbanisme et aux prévisions contenues dans l’autorisation délivrée, le pétitionnaire a obtenu un permis de construire modificatif par arrêté en date du 27 mars 2019. En outre, il est tout à fait possible d’obtenir un tel permis afin de régulariser une illégalité. Cependant, l’octroi de cette autorisation est encadré par deux conditions cumulatives.

Ainsi, dans une décision du 26 juillet 198211, le conseil d’État juge que les modifications sans influence sur la conception du projet initial peuvent faire l’objet d’un permis modificatif, sans qu’il soit nécessaire de demander l’octroi d’un nouveau permis de construire. Puis, à l’occasion d’un arrêt rendu le 1er octobre 2015, celui-ci apporte12 quelques précisions quant aux deux conditions à respecter pour l’octroi d’un permis modificatif. Il est nécessaire que les travaux autorisés par le permis de construire initial soient inachevés au moment de l’octroi du permis modificatif, et que le permis soit en cours de validité au moment de la demande de permis modificatif. En outre, les modifications apportées au projet initial ayant pour objet de régulariser l’illégalité relevée ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale13. Dans le cas contraire, l’obtention d’un nouveau permis de construire est nécessaire.

En effet, le permis modificatif a notamment pour objet de faire évoluer le projet initial en apportant les ajustements nécessaires, afin de purger ses illégalités.

Pour rappel, lors de l’octroi du premier permis de construire en date du 12 septembre 2017, le pétitionnaire pouvait procéder à une surélévation ainsi qu’à l’extension de la maison existante, afin de porter sa surface de plancher de 63m2 à 175m2. Un constat dressé en 2018 a relevé plusieurs irrégularités. Les travaux ont alors été interrompus en raison du caractère erroné de certaines mentions des plans déposés et de diverses infractions constatées. La commune de Dijon, autorité compétente, a accordé au pétitionnaire un permis modificatif afin de régulariser cette situation. Or, la cour administrative d’appel estime que l’administration compétente aurait dû se borner à refuser l’octroi de ce permis modificatif. La juridiction lyonnaise juge que :

« le permis de construire initial ne peut en particulier être regardé comme ayant eu pour effet d’autoriser après la démolition la reconstruction, même à l’identique, du bâtiment existant, dès lors que le dossier initial ne portait que sur une surélévation doublée d’une extension ».

Même s’il n’était pas établi qu’il existait une obligation de demander un permis de démolir dans le quartier concerné par le projet du pétitionnaire, le caractère irréversible de la démolition réalisée n’a pas mis l’autorité administrative en mesure d’apprécier si le projet ne remettait pas en cause la conception générale, et ne nécessitait pas dès lors, la délivrance d’un nouveau permis. En effet, le pétitionnaire devait se borner à effectuer une surélévation puis une extension du bâtiment, ce qui s’apparentait à une « réhabilitation lourde », et non pas à une démolition intégrale.

Existe-t-il d’autres moyens qui pourraient permettre de régulariser la construction irrégulièrement édifiée ou modifiée, en dehors de ceux permis par l’octroi d’un permis modificatif ?

Selon la célèbre jurisprudence Thalamy14, lorsqu’une construction a été édifiée sans autorisation d’urbanisme, en méconnaissance des prescriptions légales en vigueur, sans respecter celles présentes dans l’autorisation octroyée, ou encore, lorsque la construction a fait l’objet de transformations sans suivre la procédure légale afférente, il appartient au propriétaire qui envisage d’effectuer de nouveaux travaux, de présenter une demande d’autorisation portant sur l’ensemble de l’édifice, même si ceux-ci ne prennent pas directement appui sur une partie de la construction initialement irrégulière15. Il existe quelques singularités relatives au caractère dissociable ou non des travaux projetés, ainsi qu’à l’existence d’une prescription légale de 10 ans au-delà de laquelle la régularisation de la construction n’est plus nécessaire. Celles-ci seront exclues du propos.

En l’espèce, la cour administrative d’appel reprend ce raisonnement et juge que :

« dans le cas où l’autorité administrative est saisie d’une demande qui ne satisfait pas à cette exigence, elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation ».

Pourtant, l’administration a octroyé — à tort — un permis modificatif, au lieu d’inviter le pétitionnaire à faire une nouvelle demande de permis portant sur l’ensemble du bâtiment. Est-il toujours possible, à ce stade, de régulariser cette situation ?

Il existe deux mécanismes de régularisation pouvant être accordées par le juge, le sursis à statuer16 et l’annulation partielle de l’autorisation17.

Les mécanismes légaux de régularisation : l’incompatibilité entre ces mécanismes et la jurisprudence Thalamy.

Le sursis à statuer et l’annulation partielle d’un permis de construire, sont deux mécanismes prévus par le code de l’urbanisme. L’article L. 600-5-1, oblige le juge administratif, lorsque les conditions sont réunies, à surseoir à statuer et à inviter le pétitionnaire à régulariser sa situation. Tandis que l’article L. 600-5 du même code, permet au juge de limiter l’annulation qu’il prononce à l’encontre d’un permis de construire, au seul vice qui affecte une partie du projet. Au regard de ces dispositions, est-il possible d’appliquer ces mécanismes de régularisation ou d’annulation sous l’égide de la jurisprudence Thalamy ?

Les mécanismes légaux de régularisation du code de l’urbanisme

L’article 600-5 du code de l’urbanisme, la loi, et la jurisprudence, intègrent pleinement ce dispositif de régularisation par le juge. De surcroit, la Loi ELAN du 23 novembre 201818, modifie cet article et prévoit que la régularisation peut être prononcée même lorsque les travaux ont été achevés. De même, la mise en œuvre du sursis à statuer devient une obligation, et non une liberté pour le juge administratif. De cette manière, lorsque le juge constate l’existence d’un vice qui entache la légalité d’une autorisation d’urbanisme litigieuse, alors il doit prononcer un sursis à statuer assorti d’un délai qu’il fixe, afin que le pétitionnaire puisse régulariser sa situation.

L’annulation partielle du permis de construire, autorisée par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, est quelque peu différente. Déjà, l’illégalité qui vicie le permis de construire contesté, doit être détachable de l’autorisation. Il faut pour cela constater si l’illégalité est divisible du permis dans sa globalité, auquel cas il sera possible de régulariser par une demande de permis de construire modificatif.

En l’espèce, la cour d’appel, refuse d’appliquer ces deux mécanismes légaux. Elle estime que :

« cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation par un permis de construire modificatif en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, ou d’une annulation partielle en application de l’article L.600-5 du même code. »

Ce n’est pas la première fois qu’un juge administratif refuse de faire application de ces procédures de régularisation. De fait, dans un arrêt du 06 octobre 2021 « Société Marésias »19, le juge expliquait que l’application des articles susmentionnés, trouvaient leur limitation dans les bordures de la jurisprudence Thalamy.

L’incompatibilité entre les mécanismes légaux de régularisation et la jurisprudence Thalamy :

Comme cela a été indiqué, l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, et la jurisprudence prévoient que, dans le cas où le juge administratif constate une illégalité affectant une autorisation d’urbanisme, mais qui peut être régularisée, celui-ci doit surseoir à statuer afin de laisser le pétitionnaire régulariser cette situation litigieuse20, en plus de pouvoir prononcer une annulation partielle de l’autorisation.

Cependant, ces deux mécanismes offerts par le droit prétorien et le code, connaissent une limite lorsqu’ils rencontrent la jurisprudence Thalamy. En effet, lorsque l’autorité administrative est saisie d’une demande relative à de nouveaux travaux projetés sur une construction irrégulièrement édifiée ou transformée, cette demande doit porter sur l’ensemble des éléments de la construction. Dans le cas contraire, l’autorité compétente doit inviter son pétitionnaire à régulariser sa demande21. Si l’administration ne le fait pas, et qu’elle décide quand même d’octroyer une autorisation d’urbanisme, cette illégalité n’est pas régularisable22.

Dans l’arrêt commenté, le juge ne fait pas d’écart quant à l’application de l’arrêt Marésias. Il réitère ce principe jurisprudentiel exposant que l’autorité n’a pas été saisie d’une demande portant sur l’ensemble des éléments devant lui être soumis, afin de régulariser la situation du pétitionnaire par de nouveaux travaux, mais qu’au contraire, le fait d’avoir octroyé un permis modificatif sans vérifier si le nouveau permis ne remettait pas en cause le projet initial dans sa conception globale, ne permet pas au juge d’accorder un sursis à statuer ou une annulation partielle. Ce vice est insusceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation en application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Notes

1 Conseil d'État, 5 / 3 SSR, du 9 juillet 1986, n° 51172, publié au recueil Lebon Retour au texte

2 Articles 600-5 et 600-5-1 du code de l’urbanisme, modifiés par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 Retour au texte

3 Louis Dutheillet de Lamothe et Guillaume Odinet, « La régularisation, nouvelle frontière de l'excès de pouvoir » : chronique sur l’arrêt du Conseil d’État, sect. 1 juill. 2016, 363047 AJDA 2016. Retour au texte

4 Conseil d’État sect. 1er juillet 2016, « Commune Émerainville » n° 363047 publié au recueil Lebon. Retour au texte

5 Article R. 421-13 du code de l’urbanisme. Retour au texte

6 L’article R. 421-7 Retour au texte

7 CE, 18 juin 1969, Terry, req. n° 72045 mentionné aux tables du recueil Lebon. Retour au texte

8 CE, 25 avril 2001, Époux Ahlborn req. n° 207095 mentionné aux tables du recueil Lebon. Retour au texte

9 CE, 9 mars 1984, Macé req. n° 41314 mentionné aux tables du recueil Lebon. Retour au texte

10 CE, 9 juillet 1986, Mme Thalamy, req. n° 51172 publié au recueil Lebon. Retour au texte

11 Conseil d’État du 26 juillet 1982 « Le Roy » req. n° 23604. Retour au texte

12 CE 1e octobre 2015 req. n° 374338. Retour au texte

13 CE 27 avril 1995 « Bouchy » req. n° 128478. Retour au texte

14 CE, 9 sept. 1986, « Mme Thalamy » req. n° 51172 Retour au texte

15 CE 13 décembre 2013 « Mme Carn et A » req. n° 349081 Retour au texte

16 Article L 600-5-1 du code de l’urbanisme Retour au texte

17 Article L 600-5 du code de l’urbanisme Retour au texte

18 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique Retour au texte

19 Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 06/10/2021, n° 442182, publié au recueil Lebon Retour au texte

20 CE 4 mai 2023, Société Octogone req. n° 464702 Retour au texte

21 CE 9 juillet 1986, req. n° 51172 « Mme Thalamy » Retour au texte

22 CE 06/10/2021 req. n° 442182 « Société Marésias » Retour au texte

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0