La célèbre jurisprudence Thalamy dégage un principe selon lequel, une construction ayant été irrégulièrement édifiée, doit faire l’objet d’une régularisation par le propriétaire qui envisage d’effectuer les nouveaux travaux, et doit présenter une demande d’autorisation portant sur l’ensemble de la construction. Dans le cas où l’autorité compétente est saisie d’une demande qui ne satisfait pas cette exigence, elle est alors tenue d’inviter son auteur à présenter une nouvelle demande portant sur l’ensemble du bâtiment. Ainsi, l’autorité administrative pourra délivrer au pétitionnaire un permis de construire modificatif à condition que les modifications apportées ne remettent pas en cause la conception générale du projet initial, et que la construction autorisée ne soit pas achevée. Seulement, le propriétaire ayant procédé à une démolition intégrale, plutôt qu’une réhabilitation, ne permet pas à l’autorité compétente d’apprécier, si, par l’ampleur des modifications apportées au projet tel qu’initialement approuvé, ne remettait pas en cause la conception générale. Pour la cour d’appel, l’autorité administrative compétente n’aurait pas dû délivrer ce permis modificatif, mais inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l’ensemble de la construction. Par ailleurs, le juge ne peut pas surseoir à statuer ou annuler partiellement le permis délivrer afin de régulariser la situation du pétitionnaire, car ce vice est insusceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation prévue aux articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.
« Il faut, croyons-nous, distinguer la régularisation des situations et celle des actes, qui relèvent de logiques bien distinctes. La première vient donner un titre juridique à une situation de fait qui en manquait (…) La seconde vient lever le vice dont un acte était entaché, tout en reprenant le dispositif, qui demeure inchangé. »
Les propos de Louis Dutheillet de Lamothe et Guillaume Odinet à propos de l’arrêt de section du Conseil d’État du 1er juillet 2016, « Commune Émerainville » n° 363047, expriment la distinction qui existe entre la régularisation d’une situation de fait, et des actes administratifs. Cette citation tirée d’une revue sur les procédures de régularisation dans le cadre de l’excès de pouvoir, trouve sens en droit de l’urbanisme, en particulier lorsqu’il s’agit des constructions irrégulièrement édifiées ou transformées, puisque cette « situation de fait » peut être régularisée par l’obtention d’un « acte administratif », le permis de construire.
En principe, les travaux exécutés sur une construction existante, sont dispensés de formalités urbanistiques, selon les dispositions de l’article R. 421-13 du code de l’urbanisme. Néanmoins, il existe au sein de l’article R. 421-7du même code, une exigence selon laquelle certains travaux, en raison de leur importance, leur localisation ou de leur nature, doivent faire l’objet d’une déclaration préalable ou d’un permis de construire. Ces autorisations d’urbanisme ne devraient porter que sur les travaux envisagés par le propriétaire, et non pas sur la construction existante. Cependant, la situation est très différente lorsque la construction initiale a été édifiée, transformée, de façon irrégulière ou incompatible avec des règles d’urbanisme alors en vigueur.
La cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la régularisation de travaux portant sur une construction irrégulièrement édifiée ou transformée, à l’occasion d’un arrêt du 10 novembre 2022 n° 21LY00063. En effet, le tribunal administratif de Dijon a rendu deux jugements suite à deux requêtes distinctes qui portaient toutes deux sur la contestation d’un permis de construire modificatif. D’une part, MM. H ont demandé à la juridiction administrative d’annuler un arrêté du 27 mars 2019 par lequel le maire de Dijon a accordé à M. B…. Et A… un permis de construire modificatif. D’autre part, M. et Mme E… ont également demandé l’annulation de ces deux actes.
Ces deux jugements en date du 5 novembre 2020 (n° 1902627 et n° 1902628) ont rejeté les demandes de MM. H… et M., Mme E… Par suite, les requérants ont décidé d’interjeter appel. La cour administrative d’appel de Lyon décida de joindre les requêtes afin de statuer dans un seul arrêt, en raison de la connexité qui existe entre ces deux affaires.
Devant la juridiction d’appel lyonnaise, les parties contestaient la légalité du permis de construire modificatif en considération du projet qu’il porte, ainsi que de son incomplétude. D’une part, le permis n’aurait pas dû être délivré par la commune, car le pétitionnaire aurait dû, en amont, faire une demande de permis de démolir, la maison initiale ayant été entièrement détruite sans autorisation préalable. D’autre part, le dossier du pétitionnaire était incomplet. Et il ne précisait pas non plus que la maison initiale avait été détruite de manière irrégulière sans autorisation d’urbanisme. Le permis modificatif n’a pas eu pour effet de régulariser les illégalités susmentionnées. De plus, l’autorisation modificative ne respecterait pas les documents d’urbanisme en vigueur.
La cour devait donc déterminer s’il était possible pour un juge de régulariser une situation dans laquelle une construction irrégulièrement édifiée ou modifiée, sans que l’autorité administrative n’ait été saisie d’une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble de l’édifice.
La juridiction d’appel décida d’annuler les deux jugements rendus par le tribunal. En effet, la cour administrative d’appel de Lyon, estima qu’il était possible d’obtenir un permis de construire modificatif, sous certaines conditions, afin de régulariser une illégalité, ou d’effectuer quelques modifications sur le projet afférent. La juridiction lyonnaise releva que le titulaire de l’autorisation initiale avait procédé à la déconstruction intégrale des murs, de la toiture, et de la charpente — alors que ce dernier, avait seulement été autorisé par le permis initial, à effectuer une surélévation puis une extension de l’existant. Il ne s’agit pas d’une réhabilitation lourde, mais d’une démolition. Pour la cour d’appel, l’autorité administrative compétente n’aurait pas dû délivrer ce permis modificatif, mais inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l’ensemble de la construction.
Tout d’abord il existe des dispositifs qui permettent de régulariser une construction irrégulièrement édifiée ou modifiée. Seulement, ces possibilités de régularisation demeurent encadrées ce qui ne permet pas à certaines constructions de faire l’objet d’une mesure de régularisation comme c’est le cas dans l’arrêt du 10 novembre 2022.
Les dispositifs de régularisation d’une construction irrégulièrement édifiée ou modifiée
Afin de comprendre comment il est possible de régulariser une construction irrégulièrement édifiée ou transformée, il convient, dans un premier temps, de définir ce qu’est une construction irrégulière, pour aborder, dans un second temps, les possibilités de régularisation.
La définition d’une construction irrégulière
Un permis de construire peut tout à fait être accordé pour régulariser des travaux déjà exécutés, à condition que ceux-ci respectent les normes urbanistiques en vigueur au moment de la délivrance du permis de construire. Il existe certaines situations dans lesquelles, une construction peut avoir été irrégulièrement édifiée. Une construction dite « irrégulière » est une construction qui est édifiée sans autorisation, ou en l’absence de conformité des prescriptions contenues dans l’autorisation délivrée. De même, la construction dont le permis a été annulé ou retiré, est irrégulière. C’est aussi le cas d’une construction initiale ayant fait l’objet de travaux sans autorisation, ou sans respect des prescriptions contenues dans l’autorisation délivrée. Enfin, une construction édifiée en respectant les règles d’urbanisme peut être irrégulière lorsqu’elle a fait l’objet de travaux de modification ou de changement de destination sans autorisation préalable.
En l’espèce, la cour administrative d’appel de Lyon considère que par un premier permis de construire délivré le 12 septembre 2017, le pétitionnaire avait seulement été autorisé à « surélever puis étendre la maison édifiée sur une parcelle ». Il pouvait en outre procéder à une déconstruction intégrale de certains éléments, avant d’engager une reconstruction et finalement une extension. Le permis de construire initial n’avait pas pour effet d’autoriser après la démolition, la reconstruction, même à l’identique, du bâtiment existant. La construction est donc bien irrégulière au regard de la définition que nous avons donnée. Dans cette situation, quelles sont les possibilités de régularisation offertes au pétitionnaire ?
Les possibilités de régularisation
Dans notre cas, après un constat dressé le 12 mars 2018 relevant le caractère erroné de certaines mentions des plans déposés dans la demande d’autorisation initiale, ainsi que d’autres infractions aux règles d’urbanisme et aux prévisions contenues dans l’autorisation délivrée, le pétitionnaire a obtenu un permis de construire modificatif par arrêté en date du 27 mars 2019. En outre, il est tout à fait possible d’obtenir un tel permis afin de régulariser une illégalité. Cependant, l’octroi de cette autorisation est encadré par deux conditions cumulatives.
Ainsi, dans une décision du 26 juillet 1982, le conseil d’État juge que les modifications sans influence sur la conception du projet initial peuvent faire l’objet d’un permis modificatif, sans qu’il soit nécessaire de demander l’octroi d’un nouveau permis de construire. Puis, à l’occasion d’un arrêt rendu le 1er octobre 2015, celui-ci apporte quelques précisions quant aux deux conditions à respecter pour l’octroi d’un permis modificatif. Il est nécessaire que les travaux autorisés par le permis de construire initial soient inachevés au moment de l’octroi du permis modificatif, et que le permis soit en cours de validité au moment de la demande de permis modificatif. En outre, les modifications apportées au projet initial ayant pour objet de régulariser l’illégalité relevée ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale. Dans le cas contraire, l’obtention d’un nouveau permis de construire est nécessaire.
En effet, le permis modificatif a notamment pour objet de faire évoluer le projet initial en apportant les ajustements nécessaires, afin de purger ses illégalités.
Pour rappel, lors de l’octroi du premier permis de construire en date du 12 septembre 2017, le pétitionnaire pouvait procéder à une surélévation ainsi qu’à l’extension de la maison existante, afin de porter sa surface de plancher de 63m2 à 175m2. Un constat dressé en 2018 a relevé plusieurs irrégularités. Les travaux ont alors été interrompus en raison du caractère erroné de certaines mentions des plans déposés et de diverses infractions constatées. La commune de Dijon, autorité compétente, a accordé au pétitionnaire un permis modificatif afin de régulariser cette situation. Or, la cour administrative d’appel estime que l’administration compétente aurait dû se borner à refuser l’octroi de ce permis modificatif. La juridiction lyonnaise juge que :
« le permis de construire initial ne peut en particulier être regardé comme ayant eu pour effet d’autoriser après la démolition la reconstruction, même à l’identique, du bâtiment existant, dès lors que le dossier initial ne portait que sur une surélévation doublée d’une extension ».
Même s’il n’était pas établi qu’il existait une obligation de demander un permis de démolir dans le quartier concerné par le projet du pétitionnaire, le caractère irréversible de la démolition réalisée n’a pas mis l’autorité administrative en mesure d’apprécier si le projet ne remettait pas en cause la conception générale, et ne nécessitait pas dès lors, la délivrance d’un nouveau permis. En effet, le pétitionnaire devait se borner à effectuer une surélévation puis une extension du bâtiment, ce qui s’apparentait à une « réhabilitation lourde », et non pas à une démolition intégrale.
Existe-t-il d’autres moyens qui pourraient permettre de régulariser la construction irrégulièrement édifiée ou modifiée, en dehors de ceux permis par l’octroi d’un permis modificatif ?
Selon la célèbre jurisprudence Thalamy, lorsqu’une construction a été édifiée sans autorisation d’urbanisme, en méconnaissance des prescriptions légales en vigueur, sans respecter celles présentes dans l’autorisation octroyée, ou encore, lorsque la construction a fait l’objet de transformations sans suivre la procédure légale afférente, il appartient au propriétaire qui envisage d’effectuer de nouveaux travaux, de présenter une demande d’autorisation portant sur l’ensemble de l’édifice, même si ceux-ci ne prennent pas directement appui sur une partie de la construction initialement irrégulière. Il existe quelques singularités relatives au caractère dissociable ou non des travaux projetés, ainsi qu’à l’existence d’une prescription légale de 10 ans au-delà de laquelle la régularisation de la construction n’est plus nécessaire. Celles-ci seront exclues du propos.
En l’espèce, la cour administrative d’appel reprend ce raisonnement et juge que :
« dans le cas où l’autorité administrative est saisie d’une demande qui ne satisfait pas à cette exigence, elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation ».
Pourtant, l’administration a octroyé — à tort — un permis modificatif, au lieu d’inviter le pétitionnaire à faire une nouvelle demande de permis portant sur l’ensemble du bâtiment. Est-il toujours possible, à ce stade, de régulariser cette situation ?
Il existe deux mécanismes de régularisation pouvant être accordées par le juge, le sursis à statuer et l’annulation partielle de l’autorisation.
Les mécanismes légaux de régularisation : l’incompatibilité entre ces mécanismes et la jurisprudence Thalamy.
Le sursis à statuer et l’annulation partielle d’un permis de construire, sont deux mécanismes prévus par le code de l’urbanisme. L’article L. 600-5-1, oblige le juge administratif, lorsque les conditions sont réunies, à surseoir à statuer et à inviter le pétitionnaire à régulariser sa situation. Tandis que l’article L. 600-5 du même code, permet au juge de limiter l’annulation qu’il prononce à l’encontre d’un permis de construire, au seul vice qui affecte une partie du projet. Au regard de ces dispositions, est-il possible d’appliquer ces mécanismes de régularisation ou d’annulation sous l’égide de la jurisprudence Thalamy ?
Les mécanismes légaux de régularisation du code de l’urbanisme
L’article 600-5 du code de l’urbanisme, la loi, et la jurisprudence, intègrent pleinement ce dispositif de régularisation par le juge. De surcroit, la Loi ELAN du 23 novembre 2018, modifie cet article et prévoit que la régularisation peut être prononcée même lorsque les travaux ont été achevés. De même, la mise en œuvre du sursis à statuer devient une obligation, et non une liberté pour le juge administratif. De cette manière, lorsque le juge constate l’existence d’un vice qui entache la légalité d’une autorisation d’urbanisme litigieuse, alors il doit prononcer un sursis à statuer assorti d’un délai qu’il fixe, afin que le pétitionnaire puisse régulariser sa situation.
L’annulation partielle du permis de construire, autorisée par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, est quelque peu différente. Déjà, l’illégalité qui vicie le permis de construire contesté, doit être détachable de l’autorisation. Il faut pour cela constater si l’illégalité est divisible du permis dans sa globalité, auquel cas il sera possible de régulariser par une demande de permis de construire modificatif.
En l’espèce, la cour d’appel, refuse d’appliquer ces deux mécanismes légaux. Elle estime que :
« cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation par un permis de construire modificatif en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, ou d’une annulation partielle en application de l’article L.600-5 du même code. »
Ce n’est pas la première fois qu’un juge administratif refuse de faire application de ces procédures de régularisation. De fait, dans un arrêt du 06 octobre 2021 « Société Marésias », le juge expliquait que l’application des articles susmentionnés, trouvaient leur limitation dans les bordures de la jurisprudence Thalamy.
L’incompatibilité entre les mécanismes légaux de régularisation et la jurisprudence Thalamy :
Comme cela a été indiqué, l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, et la jurisprudence prévoient que, dans le cas où le juge administratif constate une illégalité affectant une autorisation d’urbanisme, mais qui peut être régularisée, celui-ci doit surseoir à statuer afin de laisser le pétitionnaire régulariser cette situation litigieuse, en plus de pouvoir prononcer une annulation partielle de l’autorisation.
Cependant, ces deux mécanismes offerts par le droit prétorien et le code, connaissent une limite lorsqu’ils rencontrent la jurisprudence Thalamy. En effet, lorsque l’autorité administrative est saisie d’une demande relative à de nouveaux travaux projetés sur une construction irrégulièrement édifiée ou transformée, cette demande doit porter sur l’ensemble des éléments de la construction. Dans le cas contraire, l’autorité compétente doit inviter son pétitionnaire à régulariser sa demande. Si l’administration ne le fait pas, et qu’elle décide quand même d’octroyer une autorisation d’urbanisme, cette illégalité n’est pas régularisable.
Dans l’arrêt commenté, le juge ne fait pas d’écart quant à l’application de l’arrêt Marésias. Il réitère ce principe jurisprudentiel exposant que l’autorité n’a pas été saisie d’une demande portant sur l’ensemble des éléments devant lui être soumis, afin de régulariser la situation du pétitionnaire par de nouveaux travaux, mais qu’au contraire, le fait d’avoir octroyé un permis modificatif sans vérifier si le nouveau permis ne remettait pas en cause le projet initial dans sa conception globale, ne permet pas au juge d’accorder un sursis à statuer ou une annulation partielle. Ce vice est insusceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation en application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.