M. et Mme X. étaient salariés de l’EURL EFS Conseils, qui exerçait une activité de vente et d’installation de systèmes d’alarmes et d’énergies renouvelables, avant sa mise en liquidation judiciaire en 2015. Créé le 6 octobre 2011, le capital social de cette société était détenu en totalité par Mme Y., gérante de droit. Ce sont pourtant M. et Mme X., qualifiés de maîtres de l’affaire, que l’administration fiscale a regardés comme les bénéficiaires de revenus réputés distribués, sur le fondement du 1° du 1 de l’article 1091 et du c de l’article 1112 du code général des impôts, à l’issue de la vérification de comptabilité dont l’EURL ESF a fait l’objet portant sur la période du 6 octobre 2011 au 31 décembre 2013. Par un jugement du 31 décembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir constaté un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement prononcé en cours d’instance3, a rejeté les demandes de M. et Mme X. tendant à la décharge des compléments d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013 ainsi que des pénalités correspondantes. M. et Mme X. relèvent appel de ce jugement.
Les compléments d’impôt sur le revenu auxquels M. et Mme X. ont été assujettis procèdent de l’imposition de sommes, d’un montant de 53 491 euros et de 53 768 euros au titre respectivement de 2012 et 2013, correspondant à des charges non engagées dans l’intérêt de l’entreprise, à des charges non justifiées et à des versements au profit de M. X. sur la base de factures que le service a qualifiées de fictives. Il résulte de l’instruction que M. et Mme X. ont régulièrement contesté les rectifications proposées, il appartient donc à l’administration d’établir l’existence et le montant des revenus réputés distribués.
S’agissant des charges non justifiées, il résulte de l’instruction que l’EURL a comptabilisé en charges des dépenses diverses (6 411 euros en 2012 et 48 284 euros en 2013), sans être en mesure de présenter les pièces justificatives. Parmi ces dépenses, figurent des indemnités kilométriques versées à M. X. entre les mois de janvier et juillet 2013, pour un montant de plus de 21 800 euros, au cours de l’année 2013, alors qu’il était directeur technique et commercial salarié de l’entreprise. Les appelants produisent toujours les mêmes listings kilométriques des mois de janvier, mars et juillet 2013, qui ne couvrent pas l’intégralité de la période, ainsi que des plannings d’intervention du service commercial et non de M. X. lui-même qui ne permettent donc pas de justifier les charges en cause.
En ce qui concerne les autres charges inscrites en comptabilité, il résulte de l’instruction qu’elles ont été réintégrées au bénéfice de la société, l’administration fiscale pouvait donc en tenir compte pour le calcul des sommes distribuées en application des articles 109, 1 -1° et 110 du code général des impôts4 ainsi que de l’article 47 de l’annexe II à ce code5 alors même qu’elles n’auraient pas été destinées à satisfaire les besoins personnels des époux X..
S’agissant des charges non engagées dans l’intérêt de l’entreprise, il résulte de l’instruction que l’administration fiscale a considéré que des dépenses d’un montant de 6 080 euros pour 2012 et 4 484 euros pour 2013, correspondant à des frais de téléphonie, de restaurants, de cadeaux, de vêtements et autres n’avaient pas été engagées dans l’intérêt de l’EURL.
En ce qui concerne les frais de téléphonie, il résulte de l’instruction qu’ils ont été comptabilisés par l’EURL avant même que M. X. ne soit embauché le 1er octobre 2012, à l’exception d’une somme de 136,59 euros comptabilisée le 2 octobre mais couvrant a priori, une période antérieure à cette date. Les appelants ne peuvent donc valablement soutenir que ces frais étaient inhérents à la fonction de directeur technique et commercial de M. X. et qu’ils étaient engagés dans l’intérêt de la société pour lui permettre d’être en relation avec la gérante, les clients et les fournisseurs pour assurer le suivi des chantiers.
Quant aux autres dépenses, pour les mêmes motifs que nous avons déjà énoncés, la circonstance que le nom du bénéficiaire de ces dépenses n’était pas connu, ne privait pas l’administration d’en tenir compte pour le calcul des sommes réputées distribuées sur le fondement du 1° du 1 de l’article 109 du code général des impôts.
S’agissant des « factures fictives », il résulte de l’instruction que le service a constaté que l’EURL EFS Conseils payait par avances des factures à l’en-tête de M. X. pour l’achat de matériels divers d’énergies renouvelables (radiateurs, pompes à chaleur …). Or, M. X. n’exerçait aucune activité déclarée de vente et il n’avait pas la qualité pour émettre de telles factures. Par ailleurs, l’administration fiscale, au vu des pièces produites par l’EURL, n’était pas en mesure de faire le lien entre ces soi-disant achats et leur utilisation par l’EURL sur des chantiers. Elle en a déduit que l’enregistrement de ces factures n’avait d’autre objet que d’émettre des règlements au bénéfice de M. X. sous une apparente légalité.
Les appelants produisent des factures émises par l’EURL EFS Conseils à l’attention de ses clients ainsi qu’un certain nombre d’attestations de particuliers, rédigées pour les besoins de la cause, selon lesquelles ces personnes auraient vendu le matériel à M. X.. Mais ces pièces ne permettent pas de justifier, d’une part, que les matériels dont il est question proviendraient du stock de la société qu’il dirigeait, placée en liquidation judiciaire, ainsi qu’il le soutient ni d’autre part, que ces matériels auraient été vendus par M. X. à l’EURL EFS Conseils pour une utilisation sur des chantiers facturés par cette dernière.
Les appelants relèvent que les montants retenus par l’administration fiscale, soit 41 000 euros en 2012 et 1 000 euros en 2013, ne correspondent pas aux factures d’achat qui s’élèvent à 44 500 euros en 2012 et 836 euros en 2013. Mais ces différences s’expliquent par le fait, d’une part, que l’administration n’a pas retenu pour l’imposition à l’impôt sur le revenu de M. et Mme X. au titre de l’année 2012, une facture, enregistrée en comptabilité le 31 décembre 2011, d’un montant de 3 500 euros et d’autre part, qu’elle a retenu, s’agissant de l’année 2013, le montant TTC de la facture enregistrée en comptabilité le 25 septembre 2013 pour un montant HT de 836,12 euros.
Il en résulte que l’administration fiscale doit être regardée comme établissant l’existence et le montant de l’ensemble des revenus réputés distribués par l’EURL EFS Conseils.
Mais M. et Mme X. contestent avoir appréhendé les sommes en cause.
Nous l’avons dit, l’administration fiscale s’est fondée sur la circonstance que les intéressés devaient être regardés comme les maîtres de l’affaire. Cette seule qualité suffit en effet à regarder le contribuable comme bénéficiaire des revenus réputés distribués, tant en application du 1° du 1 de l’article 109 du code général des impôts (CE, 29 juin 2020, n°432815, B) que du c de l’article 111 de ce code (CE, 13 juin 2016, n°391240, B).
Mais le CE juge plutôt qu’une telle présomption d’appréhension des sommes distribuées par une société ne trouve à s’appliquer que lorsqu’une seule personne est regardée comme le maître de l’affaire (CE, 22 février 2017, n°388887, A). Néanmoins, par exception à ce principe, le rapporteur public sous cette affaire, admet que deux personnes, soumises à une imposition commune au titre de l’impôt sur le revenu, comme c’est le cas en l’espèce, peuvent être regardées comme exerçant conjointement la maîtrise de l’affaire (Conclusions de Vincent Daumas publiées à la RJF 5/17 n° C431). C’est ce que vous avez jugé le 7 avril 2022 (CAA69, 7 avril 2022, n°20LY02893, C / V aussi CAA75, 29 mai 2019, n°18PA01875, C et CAA13, 8 février 2018, n°16MA03225, C)
Est qualifiée de maître de l’affaire, la personne qui exerce la responsabilité effective de l’ensemble de la gestion administrative, commerciale et financière de la société et dispose sans contrôle de ses fonds. Cette qualification nécessite une analyse des circonstances propres à l’affaire et notamment du fonctionnement spécifique de l’entreprise (CE, 14 septembre 2016, n° 400882, inédite au Recueil, RJF 12/2016 n° 1113). En règle générale, sont notamment pris en compte la détention d’une part significative du capital, la gérance de droit ou de fait, la disposition de la signature sociale, la procuration sur les comptes sociaux, l’absence d’implication du gérant de droit ou des autres porteurs de parts dans la gestion de l’affaire, le fait d’être l’interlocuteur des tiers.
Il résulte de l’instruction que l’administration s’est d’abord fondée sur la circonstance que M. et Mme X. exerçaient ensemble la gérance de fait de l’EURL EFS Conseils. Cette notion est clairement résumée par Jacques Delmas-Marsalet dans ses conclusions sous l’affaire CE, 18 juillet 1973, Ministre de l'Economie et des Finances c/ Sieur X. (n°90059, A). Il y distingue des critères liés aux pouvoirs et fonctions exercés par l’intéressé, qui doivent être plus importants que ceux normalement exercés par un simple associé ou par un cadre salarié et des critères subsidiaires tenant à la situation de l’intéressé dans la société, à sa rémunération ou à ses antécédents, comme par exemple le fait d’avoir exercé antérieurement la gérance de droit de la société. En droit des sociétés, la gérance de fait se caractérise par l’exercice d’une activité positive de gestion et de direction en toute liberté et indépendance de façon continue et régulière. Pour établir l’indépendance du dirigeant de fait, la carence, l’absence ou la faiblesse du dirigeant de droit peut être mise en avant (V. par ex Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 20 avril 2017, n° 15-10.425, Inédit)
En l’espèce, lors de sa première intervention, le 8 janvier 2015, la vérificatrice a été interpellée par le comportement de Mme X. qui s’est présentée sous le nom de Mme Z.. Alors que la gérante statutaire de l’EURL, Mme Y., était présente, c’est Mme X. qui a expliqué à la vérificatrice le fonctionnement de l’entreprise, a répondu aux questions et a même évoqué être à l’origine du licenciement de plusieurs salariés. Ce comportement a été réitéré à l’occasion d’une nouvelle intervention le 27 janvier 2015 au cours de laquelle elle a informé la vérificatrice du dépôt prochain d’un dossier de demande de mise en liquidation judiciaire.
La consultation du registre unique du personnel a permis à la vérificatrice de constater que Mme Z. était en réalité Mme X. qui n’avait été embauchée que le 27 mai 2014 en qualité de gestionnaire ADV (administration et direction des ventes). Quant à M. X., il figure sur le registre du personnel depuis le 1er octobre 2012 comme directeur technique et commercial.
Plusieurs notes de service, reproduites dans la proposition de rectification adressée à M. et Mme X., font état de ce que, concernant les suivis de chantiers, les interlocuteurs uniques des autres salariés, sont Mme Z. et M. X. « qui sont les seuls décisionnaires », ou encore que « l’administration sociale, fiscale, fournisseur, salaires, acomptes et tous documents administratifs sont gérés uniquement par Mme Z. », que « le technique (organisation du travail, des chantiers, de l’approvisionnement matériel, entretien est assuré par M. X. » ainsi que le « service après-vente ». Une autre note de service fait référence à Mme Z. comme étant la « directrice administrative ».
Il résulte de ces premiers éléments que M. et Mme X. se présentent comme étant les seuls décisionnaires à tous points de vue dans la société (administratif, social, fiscal, technique), du moins vis-à-vis des autres salariés. A cela s’ajoute le fait que ces notes de services sont antérieures à la date d’embauche de Mme X. qui était, par ailleurs déjà en 2013, l’interlocutrice du cabinet comptable mais aussi des fournisseurs et des clients de la société et a été l’interlocutrice de la vérificatrice au début des opérations de contrôle avant qu’elles ne se poursuivent chez le mandataire liquidateur, désigné suite à la mise en liquidation judiciaire de la société. Les fonctions exercées par Mme X. dépassent le cadre de son emploi et constituent des actes positifs de gestion et de direction de la société.
Vous pourriez hésiter s’agissant de M. X., qui en sa qualité de directeur technique et commercial est nécessairement un interlocuteur privilégié, des autres salariés placés sous sa responsabilité mais aussi des fournisseurs et des clients. Mais d’autres éléments doivent être pris en compte. Nous l’avons dit, il bénéficiait avant son embauche de la prise en charge par l’EURL de certains frais, en particulier des frais de téléphonie et il se faisait payer par avances sur des factures fictives. Par ailleurs, M. X. a été, à la suite de Mme X., le gérant de droit de la SARL Koream depuis le 24 janvier 2008, jusqu’à sa liquidation judiciaire le 3 novembre 2011. Cette société exerçait la même activité que l’EURL EFS Conseils, créée en octobre 2011, et Mme Y., gérante de droit de cette dernière, était salariée de la SARL Koream où elle exerçait des fonctions d’assistante de direction. M. X. dispose d’une rémunération 2,5 fois supérieure à celle de la gérante de droit et c’est lui qui a toutes les compétences techniques pour prendre des décisions pour la société, Mme Y. ayant déclaré dans le cadre du recours hiérarchique exercé par la société, qu’elle n’avait aucune compétence en matière d’énergies renouvelables et que s’agissant des alarmes, elle les paramétrait et changeait les piles.
Enfin, la liberté de décisions de M. et Mme X. au sein de la société ne semble pas altérer par la présence de Mme Y. qui au vu des pièces produites, en particulier des échanges de mails, semble avoir des fonctions très limitées. Ces messages, contrairement à ce que soutiennent les appelants, ne laissent transparaître aucun pouvoir décisionnel de Mme Y..
Il nous semble que vous êtes face à un ensemble d’indices de nature à établir que M. et Mme X. sont, ensemble, gérants de fait de l’EURL EFS Conseils. Mais cela ne suffit pas pour établir qu’ils sont les maîtres de l’affaire. Le maître de l’affaire doit en effet disposer sans contrôle des fonds de la société (CE, 30 décembre 2011, n°332088, B6).
Ici, il y a matière à hésitation. Il résulte de l’instruction que suite au droit de communication exercé auprès de l’établissement bancaire teneur du compte bancaire de l’EURL, la vérificatrice a constaté que seule Mme Y. disposait de la signature bancaire. C’est aussi elle qui s’est portée caution solidaire d’un prêt de 14 000 euros. Mais l’administration fiscale a retenu d’autres éléments de nature à faire penser que M. et Mme X., même sans disposer de la signature bancaire ni être l’interlocuteur de la banque, pouvaient disposer, sans contrôle, des fonds de l’EURL. Elle a ainsi relevé l’utilisation de la carte bancaire de la société afin de payer des dépenses personnelles du couple, l’enregistrement en comptabilité du remboursement de frais kilométriques non justifiés par l’activité professionnelle de M. X., ou encore le paiement par avances de sommes ne correspondant à aucune livraison de matériels par M. X. qui n’avait pas qualité pour émettre des factures. La circonstance que les frais afférents à un voyage en Corse ont été finalement regardés par le service comme justifiés par un objectif professionnel ne change rien. M. et Mme X. pouvaient utiliser la carte bancaire de la société, sans contrôle de la part de l’unique associée et gérante de droit, Mme Y.. Les époux X. pouvaient faire enregistrer en comptabilité, sans contrôle, le remboursement de frais divers. Enfin, M. X., pourtant salarié et n’exerçant aucune autre activité indépendante, a pu faire ouvrir en comptabilité un compte fournisseur et se faire payer par avances des sommes ne correspondant à la livraison d’aucun matériel.
Dans ces conditions, nous vous proposons de considérer que M. et Mme X. exerçaient la responsabilité effective de l’ensemble de la gestion administrative, commerciale et financière de la société et qu’ils disposaient sans contrôle de ses fonds. C’est donc à bon droit que l’administration fiscale a considéré qu’en leur qualité de maîtres de l’affaire, ils devaient être regardés comme ayant appréhendé les sommes réintégrées au bénéfice de l’EURL et qualifiées de revenus distribués sur le fondement du 1° du 1 de l’article 109 et du c de l’article 111 du code général des impôts.
S’agissant des majorations, il résulte de l’instruction que l’administration fiscales a appliqué aux rectifications en base relatives aux revenus de capitaux mobiliers provenant de la comptabilisation de factures fictives par l’EURL EFS Conseils, la majoration de 80% pour manœuvres frauduleuses prévue par le c de l’article 1729 du code général des impôts. Ainsi que l’a jugé le CE, le recours a des factures fictives est par lui-même constitutif de manœuvres frauduleuses (CE, 30 décembre 2015, Ministre c/ société Opportunités Finances, n°377855, B). M. X. a émis des factures alors qu’il n’était pas habilité à le faire et que ces factures ne correspondaient à la livraison d’aucun matériel. Le service en a déduit que l’enregistrement de ces factures n’avait d’autre objet que d’émettre des règlements au bénéfice de M. X. sous une apparente légalité. Ces agissements étaient ainsi destinés à égarer l’administration dans l’exercice de son pouvoir de contrôle et justifiaient l’application de la pénalité de 80%.
Pour le reste, l’administration fiscale a appliqué la pénalité de 40% pour manquement délibéré prévue au a de l’article 1729 du code général des impôts, en retenant qu’en leur qualité de maîtres de l’affaire, M. et Mme X. ne pouvaient ignorer qu’ils faisaient prendre en charge par l’EURL EFS Conseils des frais correspondant à des dépenses personnelles et à des charges non justifiées alors même qu’ils étaient à l’origine de ces dépenses. Ce faisant, l’administration fiscale établit l’intention de M. et Mme X. d’éluder une fraction de l’impôt sur le revenu dont ils étaient en principe redevables.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.