L’attribution de la NBI dépend de l’exercice effectif des fonctions à titre principal

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Décision de justice

CAA Lyon, 3ème chambre – N° 20LY00634 – commune d'Annemasse – 19 avril 2022 – C+

Pourvoi en cassation non admis : CE, 6 décembre 2022, n° 465051

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 20LY00634

Date de la décision : 19 avril 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Fonctionnaires, Rémunération, NBI

Rubriques

Fonction publique

Résumé

La nouvelle bonification indiciaire (NBI) ne constitue pas un avantage statutaire et son attribution n'est liée ni au cadre d'emplois, ni au grade d’un agent mais dépend seulement de l'exercice effectif des fonctions qui y ouvrent droit, ce qui implique que ces fonctions soient exercées à titre principal.

L’article 1er du décret du 3 juillet 2006 portant attribution de la nouvelle bonification indiciaire à certains personnels de la fonction publique territoriale prévoit, parmi les « fonctions impliquant une technicité particulière » ouvrant droit à une bonification de dix points d’indice majoré, celles de « dessinateur ».

Un technicien territorial occupant les fonctions de « gestionnaire bâtiment », dont l’emploi comporte des activités de dessinateur exercées seulement à titre accessoire, ne peut bénéficier de cette nouvelle bonification indiciaire.

36-08-03, Fonctionnaires et agents publics, Rémunération, Indemnités et avantages divers

La lettre et l'esprit de la NBI

Georgina Vincent Benard

Doctorante en droit public à l'Université de Lille (CRDP, ERDP)

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DOI : 10.35562/alyoda.8735

L'instauration de la nouvelle bonification indiciaire est génératrice de contentieux en raison de la difficulté à appréhender les conditions de son attribution. La source du problème provient de sa double approche, à la fois salariale dans la lettre et fonctionnelle dans l'esprit des textes fondateurs. Ce nouvel arrêt en la matière de la CAA de Lyon est majeur en actant comme condition d'attribution d'une bonification indiciaire l'exercice à titre principal des fonctions y ouvrant droit.

La rémunération des agents peut être constituée d’éléments facultatifs qui viennent s’ajouter au traitement de base. Tel est le cas de la NBI (nouvelle bonification indiciaire), décidée suite au protocole d’accord conclu le 9 février 1990 sur la rénovation de la grille des classifications et des rémunérations des trois fonctions publiques et mise en place par l'article 27 de la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991. Les règles d'attribution sont définies par le décret n° 2006-779 dit « NBI Durafour » avec en annexe la liste des fonctions éligibles.

En l'espèce, un agent de la commune d'Annemasse ayant le grade de technicien territorial principal de deuxième classe occupe un emploi de gestionnaire bâtiment. Sa fiche de poste énonce une activité consistant en la « réalisation de plans de sécurité incendie des bâtiments et de plans adaptés pour les diagnostics immobiliers ». À ce titre, l'agent sollicite le maire par demande officielle en date du 23 juin 2017 de lui accorder la NBI afférente au métier de dessinateur ouvrant droit à l'attribution de dix points d'indice majorés. Le maire, en tant qu'autorité territoriale, a émis une décision de refus en date du 24 octobre 2017. L'agent a porté l'affaire devant le tribunal administratif de Lyon. Le juge administratif de première instance, le 29 octobre 2019 a donné raison à l'agent. La commune a relevé appel. La Cour administrative d'appel de Lyon, par l'arrêt du 19 avril 2022 annule le jugement en arguant que « la nouvelle bonification indiciaire ne constitue pas un avantage statutaire et son attribution n'est liée ni au cadre d'emplois, ni au grade d'un agent mais dépend seulement de l'exercice effectif des fonctions qui y ouvrent droit, ce qui implique que ces fonctions soient exercées à titre principal ». Dans le cas d'espèce, l'emploi de l'agent comporte bien des activités de dessinateur, mais il ressort de sa fiche de poste que celles-ci ne sont « exercées qu'à titre accessoire, sans que l'intéressé ne puisse être regardé comme exerçant des fonctions de dessinateur à titre principal. Par suite, l'emploi occupé par M.A ne lui ouvrait pas droit au bénéfice d'une nouvelle bonification indiciaire ». L'exercice à titre principal des fonctions, imposée comme condition d'attribution de la NBI, constitue l'apport majeur de l'arrêt.

L'arrêt met en valeur la double approche qui caractérise la NBI. Si la NBI a été construite d'abord sur une approche salariale (I), elle a acquis une dimension plus fonctionnelle (II).

I- Approche salariale : un élément obligatoire de la rémunération

La NBI consiste en un complément de rémunération, versé mensuellement, exprimé en points d'indice supplémentaires au traitement de base. Cela reprend l'étymologie de la bonification, à savoir l'attribution d'un boni, donc un supplément de salaires. Elle a pour effet d'augmenter l'indice majoré de l'agent sans modifier l'indice brut afférent à l'échelon du grade détenu. Le nombre de points attribué n'est pas figé comme le démontre le récent décret relatif qui double la NBI des secrétaires de mairie de moins de 2 000 habitants (Décret n° 2022-281 du 28 février 2022 relatif à la NBI des secrétaires de mairie des communes de moins de 2 000 habitants).

Il s'agit d'un droit pour l'agent qui remplit les conditions de l'obtention. La NBI est attachée à la fonction et non à la performance de l’agent ou à sa manière de servir. L'autorité territoriale se trouve en situation de compétence liée. Aucune délibération n’est donc nécessaire, à la différence d'une prime ou indemnité. Il convient uniquement d’établir un arrêté d’attribution individuelle, décision créatrice de droits. Les emplois ouvrant droit à la NBI et le nombre de points d'indice accordés sont fixés par le décret n° 2006-779 du 3 juillet 2006, précisément dans son annexe. Concernant la NBI de dessinateur, elle figure au point 27. En cas de mise en place tardive de la NBI, l’agent doit percevoir celle-ci de façon rétroactive dans la limite de la prescription quadriennale en application de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968. Logiquement, en l'espèce, l'agent revendique un rappel de rémunération depuis le 1er octobre 2013. Le rappel de rémunération est déterminé à partir de la date de prise de fonctions car la NBI est soumise à cotisation retraite et donne droit à un supplément de pension calculé en fonction du montant de la bonification et de sa durée de perception.

Le juge d'appel précise que la NBI ne crée pas un avantage statutaire. Cette affirmation provoque deux conséquences. Tout d'abord, l'octroi de la NBI exige un exercice effectif des fonctions. La fin des fonctions entraine l'arrêt des versements de la NBI (CE, 12 décembre 2012, n° 340802, Ministère de la défense, Rec. T.). D'autre part, la NBI n'est pas lié au grade. En effet, la bonification ne résulte pas des missions susceptibles d'être statutairement confiées à un agent mais des seules caractéristiques des fonctions exercées. La jurisprudence est désormais claire et établie (CE, 20 décembre 2013, n° 366412, M. A c/ Commune de Calais, inédit). Le Conseil d'État a récemment donné droit à un agent en annulant un décret sur la NBI du ministère de l'équipement faisant référence à un corps (CE, 5 mai 2022, n° 452347, inédit). La Cour lyonnaise ne déroge pas à cette ligne jurisprudentielle.

L'approche salariale forme la première assise de la NBI conformément à la lettre des textes. Néanmoins, dans la pratique, une approche fonctionnelle se révèle basée sur le métier exercé.

II- Approche fonctionnelle : un outil de gestion des ressources humaines

L'objectif de la NBI est d'offrir une plus grande attractivité à des emplois qui nécessitent une expertise, un investissement, une prise de responsabilité supplémentaire de la part des agents qui occupent ces emplois. Elle sert à récompenser l'occupation de certaines fonctions réputées difficiles et techniques. La fiche de poste, détaillant la fonction occupée, est analysée par le juge. Pour autant, la fiche de poste ne relève d'aucune disposition statutaire et ne prétend pas à l'exhaustivité. Cet outil de gestion des ressources humaines ne lie pas l’employeur. La seule obligation juridique demeure la conformité aux fonctions décrites dans la définition du grade. Dans le cadre de la NBI, la fiche de poste établit un indice qui doit être conforté par la vérification de la réalité des fonctions. En conséquence, le juge d'appel mentionne explicitement les « précisions apportées par la commune sur la réalité des fonctions et non utilement démenties par M. A. ».

Concernant l'exercice de la fonction, le sujet central de l'arrêt commenté est le suivant : La seule mention dans une fiche de poste d'une activité ouvrant droit à une NBI suffit-elle ? À cette interrogation, le tribunal administratif de Lyon a répondu positivement. La Cour administrative d'appel remet en cause ce raisonnement en énonçant que la fonction doit être exercée à titre principal. Concrètement, la fonction doit constituer l'essentiel de l'activité de l'agent. Seules les missions significatives qui caractérisent le poste comptent, les missions accessoires étant écartées. Le juge d'appel reprend une méthode d'analyse identique à celle opérée en matière de NBI d'accueil du public où il est fait référence à la moitié du temps de travail (CE, 4 juin 2007, n° 284380, Commune de Carrières-sur-Seine, Rec. T.). Autrement dit, seuls les emplois de guichet ou de chargés d'accueil avec des contacts réguliers et directs avec le public sont concernés (voir sur ce point la réponse ministérielle à la question écrite n° 24381 du député Alain Péréa, publiée au JO du 25 février 2020, p. 1439). Dans le même sens, seul un agent qui présente une fiche de poste de dessinateur peut se voir accorder la NBI du même nom. Le rapporteur public de l'affaire, Samuel Deliancourt, dans ses conclusions, utilise fort justement la notion de fonctions « habituellement exercées » (JCP A, 2022, n° 25, 2202). À noter que la NBI n'est pas « proratisable » en fonction du temps de travail passé sur des fonctions ouvrant droit à la NBI (CAA Lyon, 4 novembre 2003, n° 00LY01670, inédit). À l'évidence, en l'espèce, il ressort que la fiche de poste que les activités de dessinateur sont « exercées qu'à titre accessoire, sans que l'intéressé ne puisse être regardé comme exerçant des fonctions de dessinateurs à titre principal ». En conséquence, la Cour lyonnaise donne droit à la requête en annulation du jugement présentée par la Commune d'Annemasse.

La solution retenue peut se targuer de faire respecter aussi bien la lettre (approche salariale) que l'esprit (approche fonctionnelle) des dispositions régissant la NBI. Néanmoins, l'approche fonctionnelle comporte des limites car la liste des postes ouvrant droit à la NBI est restrictive et laisse aucune marge de manœuvre aux collectivités (D. Jean-Pierre, « Réflexions sur la NBI dans la fonction publique territoriale : les limites de l'approche fonctionnelle », JCP A, n° 22, 31 mai 2010, 2184). Le gel de la liste des métiers à forte technicité (12 à ce jour) ouvrant droit à la NBI est assumé par l'État pour des raisons financières. Ce statu quo cause de nombreuses frustrations et tensions asymétriques entre agents ou hiérarchiques, notamment au moment des entretiens annuels d'évaluation. Dans le cas d'espèce, cela signifierait que le métier de gestionnaire bâtiments implique moins de technicité que celui de dessinateur. Pourtant à l'analyse du répertoire métier du CNFPT, qui sert de référence dans la fonction publique territoriale, les savoir-faire techniques à mobiliser sont aussi importants. Le débat est loin d'être clos.

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