Calcul du montant de l'ARE d'un fonctionnaire territorial cessant d’être pris en charge par le CNFPT

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Décision de justice

TA Grenoble – N° 2005670 – 15 mars 2022 – C+

Requête jointe N° 2005672

Juridiction : TA Grenoble

Numéro de la décision : 2005670

Numéro Légifrance : CETATEXT000031973355

Date de la décision : 15 mars 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Fonctionnaire territorial, Licenciement, Aide au retour à l’emploi, ARE

Rubriques

Fonction publique

Résumé

Le montant de l’aide au retour à l'emploi (ARE) dû à un fonctionnaire territorial cessant d’être pris en charge par le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) est calculé en référence à la rémunération qui lui a été versée par ce dernier.

Si le CNFPT ne peut être regardé comme l’employeur d’un fonctionnaire territorial durant la période où, à la suite de la suppression de son emploi, il a été pris en charge financièrement par cet organisme, le montant de l’ARE auquel cet agent a droit, suite à son licenciement par le CNFPT, est calculé en référence aux rémunérations qui lui ont été versées par le CNFPT, et non en référence au salaire versé par la dernière collectivité employeur de cet agent.

Le tribunal administratif est saisi par un fonctionnaire territorial qui a été, suite à la suppression de son emploi au sein d’une collectivité, pris en charge par le CNFPT pendant une période de 11 années, à l’issue de laquelle ce fonctionnaire a été licencié par le CNFPT. Cet agent conteste le montant de l’aide au retour à l’emploi (ARE) versée par le CNFPT à l’issue de ce licenciement en soutenant que le CNFPT ne peut être regardé comme son employeur durant la période où, à la suite de la suppression de son emploi, elle a été prise en charge financièrement par cet organisme. Selon elle, le montant de son ARE doit être calculé en référence à la rémunération qu’elle a perçue lors des 12 mois civils précédant le dernier jour de travail au sein de sa dernière collectivité d’emploi.

Toutefois, il résulte des textes régissant l’ARE, à savoir les articles L. 5421-1 et L. 5424-1 du code du travail et le règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017, que le salaire de référence est celui précédent immédiatement le fait générateur du droit à l’ARE qui est la perte involontaire d’emploi.

Il résulte en outre des dispositions de l’article 97 de la loi du 26 janvier 1984 que, durant toute la durée de sa prise en charge par le CNFPT, le fonctionnaire territorial conserve la qualité de fonctionnaire et perçoit une rémunération calculée par référence à l’indice correspondant à son grade.

La circonstance que le CNFPT n’ait pas été l’employeur de cet agent au cours de sa période de prise en charge est sans incidence sur la nature des sommes versées à ce titre, qui présentent le caractère de rémunérations au sens des dispositions précitées, et dont la perte constitue le fait générateur du droit à l’ARE.

Ainsi le CNFPT, en retenant, pour le calcul du montant de l’ARE due à cet agent, les rémunérations versées à cette dernière durant les 12 mois civils précédant le dernier jour de sa prise en charge financière par le CNFPT, a fait une exacte application des dispositions précitées.

36-10-06-04 Fonction publique territoriale, Cessation de fonctions, Licenciement, Aide au retour à l’emploi, Calcul de l'ARE, Licenciement par le Centre national de la fonction publique territoriale.

Calcul de l'Aide au retour à l’emploi (ARE) d'un agent cessant d’être pris en charge par le CNFPT

Lucien Breteau

Docteur en droit, Avocat au Barreau de Lyon

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.8742

Le salaire de référence permettant le calcul du montant l’aide au retour à l’emploi (ARE) peut, dans le cas d’un fonctionnaire territorial privé d’emploi, correspondre aux revenus de remplacement versés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).En l’espèce, le salaire de référence est constitué de ces revenus versés pendant une période de 12 mois avant le dernier jour d’emploi à la suite d’un licenciement par le CNFPT en application du règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 sur l’assurance chômage.

Le calcul du montant de l’aide au retour à l’emploi (ARE) est déterminé à partir de la notion de salaire de référence, ce qui laisse traditionnellement penser que le montant est nécessairement calculé par référence au versement pécuniaire d’un employeur en contrepartie d’un travail, dans le cadre d’un lien de subordination.

Néanmoins, cette conception traditionnelle est ici mise en échec dans la détermination des modalités d’indemnisation de fonctionnaires territoriaux privés d’emploi qui ont préalablement bénéficié de versements par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), établissement public administratif. Bien que cet établissement ne soit pas un employeur, le tribunal administratif de Grenoble a considéré que les versements de cet organisme en charge de la gestion de fonctionnaires privés d’emploi pouvaient constituer le salaire de référence. Ainsi, selon cette interprétation, le montant de l’indemnité chômage relative à l’ARE n’est basé que sur un critère purement temporel qui est relatif à la rémunération correspondante à la dernière période d’emploi au sens de l’article 11 du règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017.1 En l’espèce, cette période déterminant le salaire de référence se traduit par les indemnités du CNFPT versées pendant une période de 12 mois civils précédant le dernier jour de travail payé à l'intéressé, entrant dans l'assiette des contributions, dès lors qu'elles n'ont pas déjà servi pour un précédent calcul.

Ce jugement met donc en perspective l’articulation du droit à l’assurance chômage2 avec le régime de la fonction publique relatif à la prise en charge de fonctionnaires territoriaux privés d’emploi.

Dans cette affaire, les points débattus étaient multiples puisque pour des raisons procédurales, des conclusions de la requérante ont été mal engagées au point d’être déclarées irrecevables (I). Pour autant, la juridiction a opéré un important rappel de son office de juge du plein contentieux. Une telle démarche a permis de développer la détermination contre-intuitive de la notion de salaire de référence en ce qu’elle peut constituer un revenu de remplacement versé par un organisme n’ayant pourtant pas la qualité d’employeur (II).

I. L’irrecevabilité des conclusions en annulation contre la décision de licenciement et de la demande indemnitaire

Les conclusions du requérant, tant celles ayant pour objet l’annulation du licenciement, que celles ayant un objet indemnitaire, ne satisfaisaient pas aux conditions essentielles de recevabilité.

Ainsi, en ce qui concerne les conclusions en annulation, ces dernières ont été dirigées contre la décision de licenciement en date du 9 juillet 2020 et reçue via la signature de l’accusé de réception le 22 juillet 2020 par la requérante, alors même que la requête n’a été communiquée à la juridiction que le 29 septembre de cette même année.

Le tribunal rappelle le caractère franc du délai, l’évènement qui constitue son point de départ, et son point d’expiration. Ce délai classique de deux mois francs résulte de l’application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative.

L’expiration du délai a bien été démontrée par l’administration qui a été en mesure de prouver la date à laquelle la décision litigieuse a été régulièrement notifiée, c’est-à-dire lors de la réception de la décision. (CE, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 24 avr. 2012, n° 34114, Ministre de l’intérieur c/ M. A, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le délai devant être considéré comme expiré à l’issue de la journée du 23 septembre 2020, le dépôt de la requête par Télérecours au 29 du même mois ne pouvait qu’être tardif.

Le recours pécuniaire a lui aussi été déclaré irrecevable en raison de l’absence de liaison du contentieux par une décision administrative préalable, conformément au deuxième alinéa de l’article R. 421-1 du code précité.

Si l’irrecevabilité de ces premières conclusions était incontestable, celle des conclusions dirigées contre la décision individuelle fixant le montant des indemnités posait question. En effet, les conclusions dirigées contre l’arrêté du 24 juillet contestant la fixation du montant de l’ARE devaient également être considérées comme tardives.

Cependant, ces conclusions ont été rejetées sur le fond. Cela est démontré par la dernière phrase du point n° 11 du jugement selon laquelle : « (…) les conclusions dirigées contre l’arrêté du 24 juillet 2020, en tant qu’il fixe le montant de l’ARE versé à Mme X. à un niveau qu’elle estime insuffisant, doivent, sans qu’il soit besoin d’examiner leur recevabilité, être rejetées. »

Dès lors, c’est par souci de pédagogie que le tribunal administratif de Grenoble va s’atteler à des considérations précisant les caractéristiques de l’office du juge de plein contentieux pour la fixation du montant de l’ARE en matière de fonction publique.

II. Le salaire de référence constitué des sommes versées par le CNFPT : une base de calcul débouchant sur une indemnité ARE moindre

Le tribunal administratif rappelle l’office du juge en matière de contentieux de nature pécuniaire.

Ce rappel concerne tout d’abord une précision fondamentale relative au contrôle juridictionnel. Contrairement au contentieux de l’excès de pouvoir, il ne s’agit pas ici pour la juridiction de statuer dans le cadre d’un « procès fait à un acte ». (E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Berger Levrault, 1896, 2ème édition, t. 2, p. 561).

Ainsi, le point n° 7 du jugement rappelle que : « (…) Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l’administration, (…) détermine les droits d’une personne en matière d’aide ou d’action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d’emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d’examiner les droits de l’intéressé, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait qui résultent de l’instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. »

Sont ainsi considérés comme inopérants l’intégralité des moyens mobilisés dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, mais uniquement ceux relatifs au montant de la somme allouée eu égard aux circonstances de fait et de droit à la date à laquelle il statue conformément à une jurisprudence traditionnelle dans ce type de contentieux sociaux (CE, 7 févr. 1986, CRAM Rhône-Alpes, n° 27433, Lebon p. 396 ; CE, 2 févr. 2005, n° 262655, Foyer-logement résidence Maurice Villatte mentionné aux tables du recueil Lebon.)3.

Une telle approche est bien évidemment partagée au sein de l’ensemble des contentieux sociaux, y compris en ce qui concerne ceux relevant d’une juridiction spéciale en première instance, à l’instar du Tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale (CE, 1ère - 6ème chambres réunies, 20 oct. 2017, n° 401554, Société Sogecler, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Le tribunal poursuit en rappelant qu’ « (…) au vu de ces éléments, il lui appartient d’annuler ou de réformer, s’il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l’intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l’administration afin qu’elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d’un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d’emploi, c’est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer ».

Le tribunal rappelle l’appréciation à la date du litige, caractéristique des recours de plein contentieux (CE, Assemblée, 16/02/2009, 274000, Société ATOM, publié au recueil Lebon), contrairement au contentieux de l’excès de pouvoir où le juge statue à la date d’édiction de la décision en litige (CE, Sect., 22 juillet 1949, Société des automobiles Berliet, Lebon p. 264, cité par P. Tifine in Droit administratif français – Troisième Partie – Chapitre 3, Revue générale du droit on line, 2021, numéro 58207).

Au terme de cette appréciation, il en a résulté que le salaire de référence correspondant aux 12 mois précédant le dernier jour de travail correspondait à la période de prise en charge par le CNFPT.

Le règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 sur l’assurance chômage4 visé par le jugement présente l’intérêt fondamental de donner des clefs de détermination du montant de l’assurance chômage pour les fonctionnaires. Ce montant est déterminé à partir des principes fixés par le code du travail.

En l’espèce, le licenciement par le CNFPT de la requérante qui exerçait auparavant les fonctions de chargée de mission au sein du syndicat des énergies du département de l’Isère constitue ce fait générateur. C’est le rattachement au CNFPT qui a permis la détermination du salaire de référence, indépendamment de critères qui seraient relatifs à la notion de travail ou d’employeur. En effet, la prise en charge par le CNFPT ne correspond pas à l’exercice d’un emploi. Comme le rappelle la jurisprudence, « (…) les fonctionnaires pris en charge n'ont donc pas la qualité d'agent du CNFPT et ne peuvent bénéficier du régime indemnitaire réservé aux agents du CNFPT » (CAA Paris, 19 nov. 1996, n° 95PA04022, JurisData n° 1996-046440 ; Lebon T., 977-985).5

Le rejet de cette demande de réformation entraine un montant de l’indemnité d’aide au retour à l’emploi moindre par rapport à celui qui aurait résulté, comme le souhaitait la requérante, de la prise en compte de la rémunération perçue lors des 12 mois civils précédant le dernier jour de travail. En effet, le revenu de prise en charge par le CNFPT fait l’objet d’une dégressivité de 5% chaque années à l’issue des deux premières années en application de l’article 97 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa version applicable au litige. Pour rappel, la requérante ayant perdu son emploi depuis 2009, la dégressivité de sa rémunération se rapprochait donc du plancher des 50 %. À ce propos, il convient d’indiquer que depuis l’entrée en vigueur du code général de la fonction publique au 1er mars 2022, ce plancher a disparu, l’intégralité de la rémunération n’est maintenue que pour une année, et le taux de dégressivité est passé à 10 % (article L. 542-15 du CGFP).

Cette décision met ainsi en perspective des problématiques spécifiques à l’application du régime de l’assurance-chômage au bénéfice des fonctionnaires territoriaux, dans la mesure où ces derniers peuvent d’abord bénéficier du revenu de remplacement du CNFPT. Cette prise en charge pouvant être perçue comme une forme d’assurance préalable contre le chômage technologique avant licenciement par l’organisme.

Notes

1 Ce règlement est disponible en ligne sur le site de l’association chargée par délégation de service public de la gestion de l’assurance chômage en France dite « UNEDIC » : Règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 | Unedic.org.

2 Les dispositions visées sont les articles L. 5421-1 et L.5424-1 du code du travail.

3 Voir à ce propos : G. Pellissier, Régime général des recours de plein contentieux, Fasc. 1122, Jurisclasseur Administratif, 2021, § 26 à 30.

4 Règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017, op. cit., disponible en ligne ICI

5 A. Virot- Landais, Fonction publique territoriale . – Organes de gestion des personnels territoriaux, Fasc 856, Jursisclasseur Collectivités territoriales, 2022, § 72.

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