Annulation partielle d'un permis de construire et notion de partie perdante

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 21LY00415 – commune d'Aix-Les-Bains – 30 novembre 2021 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 21LY00415

Numéro Légifrance : CETATEXT000044468398

Date de la décision : 30 novembre 2021

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Permis de construire, Frais et dépens, Partie perdante, L. 600-5 du code de l’urbanisme, L. 761-1 du code de justice administrative, Annulation partielle, Frais irrépétibles

Rubriques

Urbanisme et environnement, Procédure

Résumé

Il résulte de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (CJA) que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel. 

Concernant un recours contre une autorisation d'urbanisme : à la différence de la procédure de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, lorsque le juge fait application des dispositions de l’article L. 600-5 du même code, il procède à une annulation partielle de l’autorisation d’urbanisme en litige. Dans ces conditions l’auteur de la décision est partie perdante pour l’essentiel et des frais peuvent être mis à sa charge au titre de l’article L. 761- 1 du code de justice administrative.

54-06-05-11, Procédure, Jugements, Frais et dépens, Remboursement des frais non compris dans les dépens, Urbanisme et aménagement du territoire. Règles de procédure contentieuse spéciales, Pouvoirs du juge, Annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme, L. 600-5 du code de l’urbanisme, Partie perdante, L. 761-1 du code de justice administrative, Partie perdante (art. L. 761-1 du CJA) - 1) Partie qui perd pour l'essentiel - 2) Cas d’une annulation partielle d’un permis de construire et d’application des dispositions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme- Circonstance permettant de regarder l’auteur de la décision comme la partie qui perd pour l'essentiel.

Conclusions du rapporteur public

Jean-Simon Laval

rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.8165

L’affaire qui vient d’être appelée porte sur les conclusions accessoires relatives à l’article L. 761-1 du code de justice administrative. La commune d’A. conteste le jugement du tribunal administratif de Grenoble qui a annulé partiellement le permis de construire délivré à la société de réalisation immobilière en tant qu’il porte sur les places de stationnement sous l’angle de sa condamnation à verser à M et Mme B. une somme de 1200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

La question qui se pose n’a rien d’accessoire cependant. Accessoire quant à la solution juridique, la condamnation que vous traduisez le plus souvent par l’expression édulcorée de « mise à la charge » des frais exposés et non compris dans les dépens est vécue souvent par les parties comme le point d’orgue du litige. Pourtant elle dépend en grande partie de du règlement du litige et de sa portée. Pour poursuivre la métaphore musicale vous reconnaitrez que la valeur des figures de la notation musicale n’est pas absolue mais relative à l’unité de temps fixée en début de portée. Le chiffrage de la mesure détermine ainsi la valeur de l’entitée et le nombre d’entitées musicales par mesures. Nous allons tenter d’expliciter ce qui pourrait permettre de vous déterminer sous l’angle d’une appréciation suffisamment tempérée de la condamnation aux frais exposés et non compris dans les dépens en évitant les doubles croches du raisonnement.

A notre sens, il faut dépasser le débat jurisprudentiel noué par les parties. Il tient essentiellement sur l’application de la décision du CE sur la notion de partie perdante pour l’essentiel qui figure dans CE n° 394677 du 19 juin 2017 ou le Conseil d’Etat a jugé qu’il résulte des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (CJA) que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel. Ainsi même si la décision de justice s'est fondée sur la régularisation de cette autorisation opérée, en application de l'article L.600-5-1 du code de l'urbanisme, par le permis de construire modificatif délivré le 4 septembre 2015, les requérants doivent néanmoins être regardés comme la partie qui perd pour l'essentiel. La commune requérante demande à ce que ce principe neutralisant l’application des mesures de régularisation au titre de l’article L. 600-5-1 soit appliqué au cas d’espèce où le tribunal administratif de Grenoble a fait application de l’autre article permettant régularisation selon le code de l'urbanisme, l’article L. 600-5 qui porte sur des mesures d’annulation partielle.

C’est précisément ce que remettent en cause en défense les époux B. qui font valoir que si l’autorité compétente en matière de permis de construire, peut n’être pas regardée comme une partie perdante dés lors que s’opère la régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme tel n’est pas le cas lorsque l’acte est annulé suivant l’article L. 600-5.

Il faut dépasser ce débat car la jurisprudence a nettement évolué. En effet le CE a jugé récemment que La circonstance qu'au vu de la régularisation intervenue en cours d'instance, le juge rejette finalement les conclusions dirigées contre la décision initiale, dont le requérant était fondé à soutenir qu'elle était illégale et dont il est, par son recours, à l'origine de la régularisation, ne doit pas à elle seule, pour l'application de ces dispositions, conduire le juge à mettre les frais à sa charge ou à rejeter les conclusions qu'il présente à ce titre. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter l'ensemble des conclusions des parties présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative voyez CE n° 437429 du 28 mai 2021. Explicitement le classement de cette décision vous révèle que la jurisprudence précédente doit être regardée comme abjurée. Un premier mouvement vous conduirait à appliquer ce que nous pourrions qualifier de jugement de Salomon, faisant droit au changement de mesure apporté par le Conseil d’Etat au rythme des condamnations aux frais exposés et non compris dans les dépens en en exonérant à la fois la commune et les requérants.

La question cependant reste entière de l’application de cette jurisprudence aux mesures de régularisation engagée au titre de l’article L. 600-5. Les conclusions de M Villette, rapporteur public sur cette affaire très récente, vous révèle que le CE a entendu régler la question des frais exposés et non compris dans les dépens au cas de régularisation sur le fondement de l’article L. 600-5-1 où la perspective d’une annulation devient quasi-chimérique.

Or, l’article L. 600-5 quoiqu’il participe d’un processus de régularisation reste cependant une solution d’annulation. En effet le texte de l’article L. 600-5 prévoit que Lorsqu'elle constate que seule une partie d'un projet de construction ou d'aménagement ayant fait l'objet d'une autorisation d'urbanisme est illégale, la juridiction administrative peut prononcer une annulation partielle de cette autorisation. Le processus de régularisation est conditionné par le seul dernier alinéa de l’article L'autorité compétente prend, à la demande du bénéficiaire de l'autorisation, un arrêté modificatif tenant compte de la décision juridictionnelle devenue définitive. Intuitivement l’existence d’une annulation appelle une censure de la décision attaquée même lorsqu’elle est partielle. Nous pensons, pourtant, que vous devrez vous refusez à entrer dans de telles logiques d’automaticité.

Il est jugé, cependant qu’est condamnée au frais exposés et non compris dans les dépens la partie qui perd pour l’essentiel. C'est-à-dire que si l’annulation est réformée en appel et donc revient à une annulation partielle, son auteur reste considéré comme la partie perdante voyez ici CE n° 106680 du 13 mars 1992 ou plus précis CE n° 48568 du 29 mars 1993 Cette logique de constat objectif qui tient à l’identification de la partie qui succombe est cohérente avec la prise en compte des dépens qui aux termes de l’article L.761-1 du code de justice administrative conditionne la condamnation au titre des frais non compris dans les dépens puisque le juge doit condamner aux dépens au titre de l’article R.761-1 du code de justice administrative la partie qui y est tenue de les rembourser et que la condamnation au titre des frais exposés et non compris dans les dépens est conditionnée  à la vérification de ce point voyez CE n° 362256 du 14 février 2013. Dans une certaine mesure ce qu’on appelle encore les « frais irrépétibles » ne le sont pas tant que cela. Vous pourriez donc estimer que le tribunal administratif de Grenoble a eu raison de condamner la commune aux frais exposés et non compris dans les dépens à raison de l’annulation du permis de construire. C’est du reste votre tendance constante.

Pour autant une solution alternative n’a rien d’illégitime. Pour en finir d’abord avec le raisonnement par référence aux dépens, vous pouvez noter que le remboursement des dépens n’est pas aussi mécanique qu’on pourrait le penser voyez pour l’inversion des charges de l’expertise CE n° 72530 du 23 février 1990. De même s’agissant des frais exposés et non compris dans les dépens cette fois le juge peut tenir compte de la situation concrète d’une partie qui a déjà été condamnée au titre de frais déjà exposés voyez CE n° 260057 du 12 décembre 2003. décembre 2003.

Les circonstances de chaque cas d’espèce sont à ce titre déterminantes. D’abord la solution sur le fond doit prédominer. Il ne suffit pas de gagner objectivement par une annulation pour voir le juge satisfaire les conclusions présentées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens voyez ainsi pour une partie qui obtient la cassation mais dont les conclusions au fond sont rejetées CE n° 200819 du 15 novembre 2000. Un requérant du reste qui obtient l'annulation du jugement de première instance pour irrégularité peut cependant être condamné dès lors que ses conclusions au fond sont finalement rejetées, après évocation, par le juge d'appel voyez CE n° 115425 du 22 juillet 1992, ou CE n° 136283 du 30 septembre 1994.CE n° 136283 du 30 septembre 1994. Le requérant ne bénéficie pas des frais exposés et non compris dans les dépens lorsqu’il gagne par défaut en raison de l’intervention d’une modification de la loi voyez CAA de Lyon n° 03LY01844 du 26 avril 2007.

Ensuite il nous parait possible d’aller jusqu’au bout du raisonnement du CE lorsqu’il inverse la solution habituelle en cas de régularisation en considérant dans sa décision précitée que La circonstance qu’au vu de la régularisation intervenue en cours d’instance, le juge rejette finalement les conclusions dirigées contre la décision initiale, dont le requérant était fondé à soutenir qu’elle était illégale et dont il est, par son recours, à l’origine de la régularisation, ne doit pas à elle seule, pour l’application de ces dispositions, conduire le juge à mettre les frais à sa charge ou à rejeter les conclusions qu’il présente à ce titre. Sont prises en compte à ce stade les effets bénéfiques pour la restauration de la légalité de l’intervention du recours et des considérations d’équité qui conduisent à rétablir l’équilibre entre le pétitionnaire qui peut poursuivre son projet et le requérant qui a accepté de manière « altruiste » pour reprendre l’expression de M Villette la charge et les risques du contentieux.

Les pouvoirs de régularisation exercés par le juge relèvent même dans le cas de figure de l’article L. 600-5 d’une solution co-construite où par l’effet du recours, le pétitionnaire est appelé à revoir sa copie alors que le commune est quant à elle chargée d’assurer l’application de la décision de justice puisqu’elle doit prendre sur demande de ce dernier un arrêté modificatif tenant compte de la décision juridictionnelle devenue définitive. La partie qui perd pour l’essentiel est donc non pas la commune mais avant tout le pétitionnaire qui doit à nouveau présenter une demande de sorte que son projet ne bénéficie pas des dispositions du code de l'urbanisme qui conduise à ce qu’un permis de construire n’ait d’autre objet que d’autoriser la construction conforme aux plans et indications fournis par le pétitionnaire selon la décision du n° 419067 du 13 novembre 2019décision du n° 419067 du 13 novembre 2019.

La situation est d’autant plus problématique pour la commune que vous n’êtes pas tenus de solliciter en cas de litige sur un permis de construire, l’autorité qui l’a délivrée voyez CE n° 291928 du 3 octobre 2008. Il est vrai qu’elle ne saurait être condamnée ici dans un litige où elle n’est pas partie mais cette situation montre que dans le litige triangulaire opposant le tiers, le pétitionnaire et la commune, la position de cette dernière, cantonnée dans son appréciation par la demande du pétitionnaire est moins décisionnaire qu’elle passive par rapport au litige. Vous pourriez également estimer utile d’assurer une cohérence aux litige de régularisation entre les articles L. 600-5-1 et L. 600-5 du code de l'urbanisme. Ces deux articles peuvent intervenir dans le même but alternativement puisque le juge n'est pas tenu de surseoir à statuer, i) d'une part, si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, ii) d'autre part, si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation sont à ce point lié que le choix de l’un permet d’écarter l’autre comme l’a jugé le CE voyez CE n° 438396 du 2 octobre 2020.

Dès lors, quand le juge choisit encore une fois à la lumière de ce qu’entend mettre en œuvre le pétitionnaire une solution de régularisation plutôt qu’une autre, il peut lui être délicat en équité d’assumer, le cas échéant alors que l’objectif est sensiblement le même de faire peser sur la commune une solution qui est essentiellement déterminée par le pétitionnaire. Si l’équilibre entre le requérant et la pétitionnaire doit être réaménagé, vous pourriez considérer qu’il doit l’être également entre le pétitionnaire et l’autorité délivrant le permis comme avec le requérant. Aussi nous vous proposons de considérer que la commune d’A. est fondée à faire valoir qu’elle ne saurait être condamnée sur le fondement des frais exposés et non compris dans les dépens sur la seule foi de l’annulation partielle du permis qu’elle a délivré. Ainsi quoique la commune succombe et quand bien même elle pourrait être tenue aux dépens vous pouvez dans ce cas de figure d’annulation partielle ne pas hésiter à revenir systématiquement aux cas d’espèce et tenir compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Vous pouvez même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.

Contrairement à ce que soutiennent les époux B., la requête de la commune ne peut donc être regardée comme abusive et vous ne prononcerez pas de condamnation à ce titre de la commune. D’ailleurs en l’espèce le débat quoiqu’il fasse état de telles conclusions peut aisément être recentré sur la question des frais exposés et non compris dans les dépens voyez par exemple CE n° 114544 du 4 février 1994.

Nous l’avons dit il faut revenir au cas d’espèce. Vous pouvez assez largement hésiter à retenir la condamnation de la commune au titre de l’annulation partielle de son arrêté, mais le tribunal administratif de Grenoble ne s’est pas limité à annuler partiellement l’arrêté, il a également retenu l’illégalité de la décision de la commune refusant de retirer un acte illégal ce à quoi elle est tenue en vertu de la jurisprudence CE n° 277280 du 9 mai 2005.E n° 277280 du 9 mai 2005. L’annulation est à ce titre totale et elle nous parait justifier une condamnation au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en l’espèce.

Il est du reste logique, alors que vous estimez légitime que la commune puisse faire valoir qu’une annulation partielle qui relève de la régularisation des autorisations d’urbanisme soit de nature à ne pas emporter de condamnation au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, vous estimiez à rebours que lorsque la commune n’a pas conduit les diligences permettant d’éviter le contentieux par la reprise ou la modification d’une décision illégale en amont elle puisse en revanche être condamnée pour la totalité aux frais exposés et non compris dans les dépens pour cette raison.

En définitive nous estimons donc que la commune d’A. n’est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Grenoble l’ait condamnée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Droits d'auteur

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L’annulation partielle d’un permis de construire et la notion de partie perdante

Oriane Sulpice

docteure en droit public - chercheuse postdoctorale à la Chaire de droit des contrats publics, Université Jean Moulin Lyon 3 - qualifiée aux fonctions de maître de conférences.

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DOI : 10.35562/alyoda.8484

L'autorité administrative ayant délivré un permis de construire qui a fait l’objet d’une annulation partielle en vertu de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme est la partie qui perd pour l'essentiel et qui doit payer les frais prévus par l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Qui est la partie perdante à un procès administratif et donc la partie qui devra verser les frais irrépétibles ? L’arrêt qui nous occupe pose cette question dans un contexte bien particulier, celui du contentieux du permis de construire. La singularité de ce dernier est double. D’une part, son aspect triangulaire est dû au fait que les parties à l’instance sont le requérant qui réclame l’annulation de ce permis, le bénéficiaire de cette autorisation et l’autorité publique qui l’a délivrée. D’autre part, dans ce type de litiges, l’annulation est devenue l’exception et la régularisation ou l’annulation partielle de la règle (L. Santoni, « La régularisation est la règle, l’annulation l’exception », Construction-Urbanisme, n° 11, Novembre 2020). Il s’agit alors de déterminer qui est susceptible de payer les frais « non compris dans les dépens » (frais d’avocats) prévus par l’article L. 761-1 du code de justice administrative dès lors qu’il n’y a ni annulation, ni rejet d’une requête injustifiée. La question avait déjà été tranchée par le Conseil d’État concernant l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Cependant, l’article L. 600-5 du même code ne s’était pas réellement vu appliquer de solution. À l’occasion d’un recours en appel introduit par la commune d’Aix-les-Bains, la cour administrative d’appel de Lyon a clarifié la situation. Elle précise donc l’articulation entre l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme et l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

En l’espèce, le 21 juin 2019, par une décision tacite, le maire d'Aix-les-Bains a délivré un permis de construire à une société. Le 23 septembre 2019, les époux C. lui ont adressé demande gracieuse afin qu’il accepte de retirer ce permis de construire ; ce qu’il a refusé. Les époux C. ont alors demandé au tribunal administratif (TA) de Grenoble d'annuler la décision tacite du maire d'Aix-les-Bains accordant ce permis de construire. Par un jugement n° 1907663 du 8 décembre 2020, le TA de Grenoble a annulé le permis de construire tacite en tant qu'il méconnaissait les dispositions de l'article UD12 du règlement du PLU s'agissant du nombre de places de stationnement couvertes et a mis à la charge de la commune la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il a prononcé une annulation partielle sur le fondement de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme. Par une requête et un mémoire enregistrés le 10 février 2021 et le 19 février 2021, la commune d'Aix-les-Bains a demandé à la CAA de Lyon d'annuler ce jugement en tant qu'il la condamne à verser aux époux C. la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Dès, lors cet arrêt pose la question de savoir qui est considéré comme la partie perdante en cas d’annulation partielle d’un permis de construire. Pour y répondre, la CAA de Lyon a tout d’abord rappelé que les procédures des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 sont deux procédures distinctes prévues par le code de l’urbanisme. Ainsi, elles n’emportent pas les mêmes conséquences au regard de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, la CAA considère qu’en cas d'application des dispositions de l'article L. 600-5, l'autorité administrative ayant délivré la décision en litige est la partie qui perd pour l'essentiel. La commune d’Aix-les-Bains payera donc bien les frais irrépétibles aux époux C.

Pour explorer cet arrêt, nous reviendrons tout d’abord sur ces deux procédures issues du code de l’urbanisme (I), puis sur les conséquences respectives qu’elles emportent au regard de l’article L. 761-1 du code de justice administrative (II).

I. La régularisation et l’annulation partielle, sœurs jumelles du contentieux des autorisations d’urbanisme

La CAA rappelle que les procédures d’annulation partielle et de régularisation sont distinctes (A) et s’inscrit dans la jurisprudence ayant précisé l’application de l’annulation partielle (B).

A- Le destin croisé des procédures distinctes de régularisation et d’annulation partielle

La CAA de Lyon rappelle le contenu des article L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, en estimant que « le législateur a mis en place en matière d'urbanisme deux procédures distinctes d'une part une procédure de régularisation devant le juge par l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et d'autre part une procédure d'annulation partielle et de régularisation de la décision en litige par l'autorité compétente par l'article L. 600-5 du même code. ».

En matière de contentieux des autorisations d’urbanisme, ces procédures sont en effet devenues la règle, et l’annulation l’exception (L. Santoni, « La régularisation est la règle, l’annulation l’exception », Construction-Urbanisme, n° 11, Novembre 2020). Il a connu de multiples réformes depuis les années 1990, visant à contrecarrer l’augmentation progressive des recours. Dans ce cadre, concernant l’annulation partielle, l’article L. 600-5 a été introduit dans le code de l’urbanisme par la loi ENL de 2006 (Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement), modifié par l'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 et par la loi ELAN de 2018 (Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant sur l’évolution du logement, de l'aménagement et du numérique). De plus, l’ordonnance de 2013 a inséré l’article L. 600-5-1 dans le code de l’urbanisme, également modifié par la loi ELAN.

Ainsi, l’article L. 600-5 permet une annulation partielle par le juge administratif d’une autorisation d’urbanisme dès lors qu’un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé. Dans ce cas, le juge limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation. À l’issue du procès, le titulaire du permis de construire doit alors faire une demande de régularisation à l’autorité compétente. C’est un pouvoir que le juge peut mobiliser d’office et si une partie lui demande de l’exercer, il doit alors motiver son refus d’y recourir. Si l’illégalité est trop importante, c’est-à-dire lorsqu’elle porte atteinte à l’économie du projet, l’annulation partielle n’est pas possible (CE, 9 avril 2014, commune de Saint-Martin-le-Vinoux, n° 338363, au Lebon).

Par ailleurs, l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme prévoit une procédure de sursis à statuer et de régularisation. C’est une faculté que le juge propose aux parties. En effet, lorsqu'un vice entraînant l'illégalité d’un acte est susceptible d'être régularisé, le juge sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. Il peut ne pas y recourir si les conditions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme sont réunies.

Le caractère régularisable d'une illégalité entachant une autorisation d'urbanisme relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (CE, 4 octobre 2013, commune d’Armissan, n° 358401, au Lebon).

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a rejeté une QPC les concernant. Elle n’a cependant pas les mêmes conséquences pour chacun d’entre eux. En effet, l’article L. 600-5-1 est estimé conforme, tandis que l’article L. 600-5 n’était pas applicable à ce litige (CE, 19 juin 2017, syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal, n° 394677, au Lebon).

Ces deux articles sont donc à lire en parallèle et leur articulation a été précisée par la jurisprudence. Cependant, pour comprendre la solution apportée à l’arrêt en présence, il faut revenir rapidement sur les évolutions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme.

B- Le destin singulier de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme

L’arrêt de la CAA de Lyon vient enrichir les réponses aux nombreuses questions posées par l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme.

Après 2006, les questions concernant son interprétation ont porté sur la question de savoir si l’annulation partielle n’était qu’une codification de la jurisprudence permettant l’annulation d’un permis de construire divisible (CE,23 février 2011, SNC Hôtel de la Bretonnerie, n° 325179, Lebon ; CE, 1er mars 2013, n° 350306, au Lebon) ou s’il permettait d’annuler partiellement un permis indivisible. Cette dernière solution a été adoptée à la suite de jurisprudences avancées tant par les cours administratives d’appel que du Conseil d’Etat (P.-E. Durand, « L'annulation partielle des autorisations d'urbanisme », AJDA 2012 p.129). Ainsi, le juge administratif peut procéder à l'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme dans le cas où une illégalité affecte une partie identifiable du projet et où cette illégalité est susceptible d'être régularisée par un arrêté modificatif de l'autorité compétente, sans qu'il soit nécessaire que la partie illégale du projet soit divisible du reste de ce projet (Ph. Billet, « Diviser pour mieux juger : le régime de l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme », JCP A, n° 25, 17 juin 2013). Et ce même quand une irrégularité externe est en cause (CE, 27 novembre 2013, association Bois-Guillaume Réflexion, n° 358765, au Lebon). Le choix de recourir à cet article relève de l’appréciation souveraine du juge du fond qui échappe au contrôle du juge de cassation (CE, 15 octobre 2014, commune d’Annecy, n° 359175, au Lebon).

Avant la loi ELAN, le juge a peu à peu précisé les conditions de son application, l'office du juge en la matière, et l'étendue du contrôle exercé par le juge de cassation (F. Priet, « De l'office du juge en matière d'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme », AJDA 2014 p.180 ; J.-M. Staub, « L'annulation partielle du permis de construire », Droit Administratif n° 2, Février 2014, comm. 16 ; CE, 4 octobre 2013, commune d’Armissan, n° 358401, préc.). Pour le mettre en œuvre, le juge doit constater préalablement qu'aucun des autres moyens présentés devant lui susceptibles de fonder une annulation totale de cette autorisation ne peut être accueilli et d'indiquer dans sa décision pour quels motifs ces moyens doivent être écartés (CE, 16 octobre 2017, association « Vivre en ville », n° 398902, au Lebon).

Cependant, à la suite de jurisprudences ayant apporté des réponses à l’identification de la partie perdante dans le cadre de la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1, la même question pouvait se poser pour l’article L. 600-5 de l’urbanisme. La CAA de Lyon va ici y répondre en distinguant les solutions à adopter.

II. La distinction de la partie perdante dans les cas d’annulation partielle et de régularisation d’une autorisation d’urbanisme

La CAA de Lyon a jugé qu’il résulte des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative « que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel » et que dans le cadre de l’application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme « le dispositif de la décision juridictionnelle comporte dans tous les cas une annulation partielle. Dans ces dernières circonstances l'autorité administrative ayant délivré la décision en litige est la partie qui perd pour l'essentiel ». Ainsi, nous verrons que la condamnation de la commune d’Aix-les-Bains à payer les frais irrépétibles dans le contentieux triangulaire du permis de construire découle de deux éléments. Le premier est celui d’un changement récent de jurisprudence concernant la définition de la partie qui perd pour l’essentiel dans le contentieux de l’article L. 600-5-1 (A). La CAA va expliquer pourquoi elle n’applique pas cette solution dans le cadre de l’article L. 600-5 (B).

A- Une solution distincte de celle donnée dans le contentieux de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme

La CAA rappelle ici la solution donnée par le Conseil d’État dans le contentieux de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Il avait jugé que lorsque le juge régularise, en cours d'instance, l'autorisation d'urbanisme attaquée, le requérant n’est pas la partie qui perd pour l’essentiel et qu’il ne peut pas être condamné à verser les frais irrépétibles. En effet, dans cette configuration, le recours est à l'origine de cette régularisation et le requérant n'est donc pas partie perdante puisque c’est son recours qui permet de purger l’illégalité d’un acte. Le juge avait rejeté l'ensemble des conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (CE, 28 mai 2021, n° 437429, au Lebon). Cette décision marquait un changement dans le raisonnement du juge par rapport à une décision de 2017 où le CE avait estimé que le requérant était la partie qui perd pour l’essentiel au sens de la lecture combinée des article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et du L.761-1 du code de justice administrative etqu’ils devaient donc payer les frais irrépétibles. (CE, 19 juin 2017, syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal, n° 394677, au Lebon). Il est à noter que le raisonnement adopté en 2021 par le CE était d’ores et déjà appliqué par les juges du fond comme le montre un jugement du TA de Versailles refusant de condamner le requérant à payer les frais irrépétibles. En revanche, il avait considéré qu’une commune devait être regardée comme la partie perdante en cas de régularisation d’un permis de construire issu de l’application de l’article L.600-5-1 et qu’elle devait donc payer les frais irrépétibles aux requérants (TA Versailles, n° 1605813, 28 octobre 2019, AJCT 2020, p.167).

Dans l’affaire qui nous occupe, la commune d’Aix-les-Bains avait mis en avant la solution dégagée par le CE en 2021 pour contester le jugement du tribunal administratif qui la condamnait à verser aux requérants une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Pour répondre à cet argument, la CAA de Lyon a donné une réponse en deux étapes. Premièrement, elle a affirmé que le raisonnement qui s’applique dans le cadre de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme n’est résolument pas le même dans le cadre de l’article L. 600-5 du même code, pour déterminer la partie perdante condamnée à verser les frais de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Secondement, elle a estimé que dans ce cadre, la commune est la partie perdante.

Ainsi, lorsque le juge met en œuvre l’article L. 600-5, la commune est la partie qui perd et qui peut être amenée à payer les frais de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

B- La commune comme partie qui perd pour l’essentiel dans le contentieux triangulaire du permis de construire.

La CAA de Lyon a décidé qu’ « en cas d'application des dispositions de l'article L. 600-5 du fait que le dispositif de la décision juridictionnelle comporte dans tous les cas une annulation partielle. Dans ces dernières circonstances l'autorité administrative ayant délivré la décision en litige est la partie qui perd pour l'essentiel ». Ainsi « la commune d'Aix-les-Bains n'est pas fondée à soutenir qu'en retenant qu'elle était la partie essentiellement perdante les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité. », elle est donc condamnée à verser les frais irrépétibles au requérant.

Précédemment, il a été jugé que peut être condamnée au versement des frais irrépétibles la partie qui perd pour l'essentiel (CE 13 mars 1992, ministre de l’agriculture c/ groupement agricole de la Nöe, n° 106680, au Lebon). Dès lors, les juridictions départagent de manière fine les cas où une commune est une partie perdante et les cas où elle ne l’est pas. D’une part, les communes se sont vues condamnées au versement des frais irrépétibles dans de nombreuses situations liées au contentieux triangulaire du permis de construire. D’autre part, il existe des cas où une commune n’est pas condamnée à verser les frais irrépétibles. Par exemple lorsque le maire agit en qualité d’autorité administrative de l’État et qu’il exerce ou refuse d’exercer le pouvoir d’interrompre des travaux (CE, 9 mai 2001, n° 231076, au Lebon). Ou encore, dans le cas d’un maire qui s’oppose à la déclaration préalable de travaux et dont la décision est jugée légale par la juridiction administrative, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune qui n'est pas la partie perdante. (CE, 13 novembre 2019, Ile d’Yeu, n° 419067, au Lebon). Par ailleurs, il se peut que la commune soit partie au procès et se voit verser ces frais irrépétibles, par exemple lorsqu’elle n'est pas intervenue à l'instance devant le tribunal administratif, mais a produit des observations en réponse à la communication que le greffe du tribunal lui avait faite (CAA Nancy, 7 juin 2001, n° 00NC01417).

Ici, il faut noter que la décision de la CAA ne retrace pas exactement le raisonnement de son rapporteur public qui était le suivant au regard des faits de l’espèce. Le rapporteur public a estimé que la commune d’Aix-les-Bains pouvait se voir condamner à verser les frais irrépétibles car, en amont du recours juridictionnel le permis de construire litigieux avait fait l’objet d’une demande de retrait de la part des requérants. La commune avait refusé, ce qui, a posteriori, constitue un refus de retrait d’un acte illégal. Pour le rapporteur public, il faut donc la condamner aux frais irrépétibles non pas parce que le permis de construire est entaché d’une illégalité, mais bien parce qu’elle a, à l’origine, refusé de retirer un acte partiellement illégal. En effet, le tribunal administratif de Grenoble ne s’est pas limité à annuler partiellement l’arrêté, il a également retenu l’illégalité de la décision de la commune refusant de retirer un acte illégal « ce à quoi elle [était] tenue en vertu de la jurisprudence CE n° 277280 du 9 mai 2005 » (J.-S. Laval, concl. sur cet arrêt). Ainsi, pour le rapporteur public, c’est l’articulation entre l’entêtement initial de la commune et l’application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme qui aurait dû conduire à ce que la commune soit condamnée aux frais irrépétibles. Il invitait la CAA à ne pas systématiser ce raisonnement et à juger au cas par cas des circonstances conduisant à ce qu’un permis de construire soit annulé partiellement en vue d’une régularisation.

La CAA semble simplifier quelque peu ce raisonnement, en estimant que puisque qu’elle prononce une annulation partielle, la commune est la partie qui perd pour l’essentiel, car elle est celle qui a délivré un acte partiellement illégal. La commune doit donc régulariser le permis de construire au vu du nombre de places de stationnement, payer les frais irrépétibles aux époux C.

Ainsi, l’application des article L. 600-5-1 et L. 600-5 du code de l’urbanisme ne s’articulent pas de la même manière avec les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans le cas de la procédure de régularisation, il n’y a pas d’annulation de l’acte. Mais on le voit désormais, chaque litige fait l’objet d’une analyse circonstanciée afin de décider qui perd et qui peut être condamné à verser des frais irrépétibles, le juge pouvant très bien décider qu’ils ne seront mis à la charge de personne (CE, 28 mai 2021, n° 437429, préc.).

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