Demande d’homologation d’une transaction

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 08LY00326 – Société Brace Ingenierie – 07 janvier 2010 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 08LY00326

Numéro Légifrance : CETATEXT000021750224

Date de la décision : 07 janvier 2010

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Transaction, Demande d’homologation, Compétence pour transiger, Non-homologation, Signataire de la transaction, Interdiction des libéralités, Retrait, Résiliation, Recevabilité

Rubriques

Procédure, Marchés et contrats

Résumé

Transaction, Demande d’homologation, Compétence pour transiger, Non-homologation, Incompétence de l’autorité administrative signataire de la transaction, Interdiction des libéralités, Retrait de la décision de transiger, Résiliation de la transaction, Recevabilité de la demande d’homologation

Puisqu’il n’appartient qu’au ministre intéressé de transiger au nom de l’Etat, la transaction passée par une société avec une autorité administrative sans qualité pour représenter l’Etat, est nulle et de nul effet et ne peut recevoir d’homologation. Le contrat de transaction ayant entre les parties l'autorité de la chose jugée en dernier ressort (art. 2052 du code civil) est exécutoire de plein droit. En dehors des cas où la contestation à laquelle il est mis fin a été précédemment portée devant le juge administratif, des conclusions tendant à ce qu’il homologue une transaction sont en principe dépourvues d'objet et, par suite, irrecevables. Toutefois, la recevabilité d'une telle demande doit être admise, dans l'intérêt général, lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières. Lorsque cette condition est remplie - et sous réserve que la transaction ait pour objet le règlement ou la prévention de litiges pour le jugement desquels la juridiction administrative serait compétente - le juge doit vérifier que les parties consentent effectivement à la transaction, que l'objet de celle-ci est licite, qu'elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu'elle ne méconnaît pas d'autres règles d'ordre public. Si l’une de ces conditions n'est pas remplie, la non-homologation entraîne la nullité de la transaction.

Sauf disposition particulière, il n’appartient qu’au ministre intéressé de transiger au nom de l’Etat. Aucun texte n’attribue aux directeurs régionaux des services pénitentiaires, délégués dans les fonctions de personne responsable d’un marché, la compétence de transiger dans les litiges engageant la responsabilité de l’Etat en ses qualités de partie contractante ou de maître d’ouvrage. La transaction passée par la société avec une autorité administrative sans qualité pour représenter l’Etat qui, de ce fait, n’y a pas consenti, est nulle et de nul effet. Elle ne peut recevoir d’homologation.

Interrogations sur le régime de l’homologation des transactions

Élise Untermaier-Kerléo

Maître de conférences à l'Université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.5750

Créé de façon prétorienne en 2002, le recours au juge pour l’homologation des transactions conclues en dehors de toute instance suscite encore des interrogations : dans l’hypothèse où une transaction a été signée en cours d’instance mais n’a pas été portée à la connaissance de la juridiction par les parties, quelle est la conséquence du jugement doté de la force de chose jugée, postérieur à la transaction et affirmant l’absence de dette à la charge de l’administration ? L’administration peut-elle retirer sa décision de transiger, une fois la transaction conclue ? Est-il possible pour une partie de demander au juge d’homologuer une transaction alors que l’administration a retiré sa décision de transiger ? L’affaire portée devant la Cour administrative d’appel de Lyon concernant une transaction établie suite à la résiliation d’un marché public nous donne l’occasion de réfléchir sur le régime encore incomplet de l’homologation des transactions par le juge administratif.

A la suite de la résiliation sans faute du marché de maîtrise d’œuvre concernant la reconstruction de quatre miradors de la maison centrale de Moulins confié à la société Brace Ingenierie, le directeur régional des services pénitentiaires de Lyon conclut une transaction avec cette dernière, lui accordant une somme de 15 000 euros au titre du décompte du solde des honoraires.

Parallèlement, la société saisit le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’une demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser à la somme de 22 950, 04 € TTC, assortie des intérêts moratoires. Le tribunal rejette sa demande par un jugement du 9 novembre 2006, estimant que la société n’a pas respecté le délai de 45 jours prévu pour présenter une réclamation sur le décompte par l’article 12.32 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles.

A la suite de ce jugement, en février 2007, le directeur régional décide de retirer la décision par laquelle il a signé le protocole de transaction. La société présente un recours gracieux le 6 avril 2007, en vain. Elle conteste alors la décision de retrait et le rejet implicite de son recours gracieux devant le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui, par son jugement du 6 décembre 2007 dont la société Brace Ingenierie fait appel, rejette sa demande.

Devant la Cour administrative d’appel de Lyon, la société présente des conclusions à fin d’annulation des deux décisions précitées, à fin d’homologation de la transaction et à fin d’indemnisation.

Dans cette affaire, chaque partie avait un « bon dossier ». La société Brace Ingenierie invoquait notamment l’autorité de chose jugée de la transaction et la tardiveté du retrait de la décision de transiger par le directeur régional des services pénitentiaires de Lyon. De son côté, l’administration faisait valoir l’illicéité de l’objet de la transaction : dans la mesure où il résultait du jugement rendu par le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand qu’aucune somme n’était due au maître d’œuvre, l’administration ne pouvait accorder une somme de 15 000 euros à ce dernier, conformément au principe interdisant aux personnes publiques de faire des libéralités.

Toutefois, la Cour a décidé de se placer sur un autre terrain : après avoir jugé irrecevables les conclusions aux fins d’annulation dirigées contre les décisions du directeur régional des services pénitentiaires de Lyon, elle accueille la demande d’homologation de la transaction mais constate la nullité de celle-ci en relevant d’office l’incompétence de l’autorité administrative signataire de la transaction, la compétence de transiger n’appartenant qu’au ministre intéressé. Quant à la demande d’indemnisation, elle est, par conséquent, considérée comme dépourvue de fondement juridique et rejetée.

Le cas d’espèce soulève des interrogations – auxquelles la Cour n’a pas systématiquement apporté de réponse – concernant la licéité et l’existence même de la transaction.

Si la Cour soulève d’office le moyen tiré de l’incompétence de l’autorité administrative signataire de la transaction, elle ne se prononce pas sur l’éventuelle violation du principe interdisant aux personnes publiques de faire des libéralités, et plus précisément sur les conséquences du jugement doté de la force de chose jugée, postérieur à la transaction et concluant à l’absence de toute dette à la charge de l’administration.

Alors que l’arbitrage reste interdit aux personnes publiques, le recours à la transaction, perçu comme un moyen de résoudre de manière plus rapide les litiges et de désencombrer la justice administrative, a été largement encouragé. Ainsi le Conseil d’Etat a-t-il reconnu très tôt le pouvoir des ministres de transiger au nom de l’Etat (CE, 23 décembre 1887, De Dreux-Brézé, Evêque de Moulins c/ Etat, Rec. CE, p. 842, concl. M. Le Vavasseur de Précourt ; S. 1889. 3. 57 ; D. 1889. 3. 1) . Pour les collectivités locales et leurs établissements publics, la loi du 2 mars 1982 est venue définitivement les libérer de la tutelle mise en œuvre par l’article 2045 du Code civil qui exige une « autorisation expresse du Roi ». Seuls les établissements publics de l’Etat restent aujourd’hui soumis à cet article, l’autorisation du Premier ministre s’étant substituée à celle du Roi (CE, 14 décembre 1998, Chambre d’agriculture de la Réunion, Rec. CE tables, p. 729) .

Le Conseil d’Etat a donc été conduit à définir un régime de la transaction administrative qui emprunte sur de nombreux points à celui mis œuvre par les juridictions judiciaires sur la base du Code civil et en premier lieu, le principe figurant au premier alinéa de l’article 2045 du Code civil selon lequel « pour transiger, il faut avoir la capacité de disposer des objets compris dans la transaction ». Ainsi, de même qu’il vérifie que l’avocat concluant une transaction au nom d’un particulier dispose d’un mandat de celui-ci (CE, Sect. 5 janvier 1966, Sieur Hawezack, Rec. CE, p. 6), le juge administratif s’assure qu’une autorité administrative qui transige au nom d’une collectivité publique a bien qualité pour ce faire (CAA Marseille, 1er mars 2010, M. Henri A., société INGEROP et M. Jacques B., req. n° 07MA02089, inédit) . Il s’agit là d’une question d’ordre public, conformément à la jurisprudence selon laquelle le moyen tiré de l’incompétence du signataire d’un acte contractuel engageant une personne publique est d’ordre public (CE, Sect., 28 janvier 1977, Ministre de l’économie et des finances c/ Société Heurtey, Rec. CE, p.50) .

En l’espèce, c’est l’incompétence du directeur régional des services pénitentiaires pour transiger au nom de l’Etat qui, soulevée d’office par la Cour administrative d’appel de Lyon, conduit cette dernière à refuser d’homologuer la transaction et à la déclarer « nulle et de nul effet ». La juridiction rappelle à ce titre que « sauf disposition particulière, il n’appartient qu’au ministre intéressé de transiger au nom de l’Etat ; qu’aucun texte n’attribue aux directeurs régionaux des services pénitentiaires délégués dans les fonctions de personne responsable d’un marché, la compétence de transiger dans les litiges engageant la responsabilité de l’Etat en ses qualités de partie contractante ou de maître d’ouvrage ».

Alors que le juge judiciaire se borne à vérifier que la transaction n’est pas dépourvue de cause et qu’elle est bien le fruit de concessions réciproques, le juge administratif, à qui il appartient de protéger les deniers publics, exerce un contrôle plus poussé sur le montant de la somme sur laquelle les parties se sont accordées. Il vérifie notamment qu’une collectivité publique ne soit pas conduite à payer une somme qu’elle ne doit pas, cette interdiction étant d’ordre public et devant être soulevée d’office par le juge (CE, Sect., 19 mars 1971, Sieur M., Rec. CE, p. 235, concl. Rougevin-Baville) . Dans l’hypothèse d'un marché annulé, le juge administratif veille à ce que le montant total de l’indemnité ne dépasse pas celui du prix du marché (CE, 8 décembre 1995, Commune de Saint-Tropez, Rec. CE, p. 432) .

La situation est assez curieuse en l’espèce. La transaction litigieuse, accordant une somme de 15 000 euros en règlement du décompte de résiliation du marché à la société Brace Ingenierie, a été conclue le 11 octobre 2006. A peine un mois plus tard, le 9 novembre 2006, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand rejette la demande indemnitaire de la société, en raison de la tardiveté de la réclamation sur le décompte, sans mentionner une seule fois l’existence de la transaction, ce qui est d’autant plus étonnant que l’audience a eu lieu le 19 octobre 2006, soit postérieurement à la conclusion de ladite transaction. C’est à la suite de ce jugement que, le 12 février 2007, le directeur régional des services pénitentiaires retirera sa décision de transiger du 11 octobre 2006.

La Société Brace Ingenierie a donc commis une erreur stratégique en ne se désistant pas de son recours indemnitaire : si les parties avaient porté l’existence de la transaction à la connaissance du tribunal, ce dernier aurait prononcé un non-lieu à statuer (CE, 30 octobre 1974, Commune de Saint-Pierre-les-Bois c/ Sieur Gohin, Rec. CE, p. 525) et l’administration n’aurait sans doute pas décidé de revenir sur la transaction. Le tribunal de Clermont-Ferrand n’aurait pu se prononcer sur la licéité de celle-ci que si les parties lui avaient demandé de l’homologuer.

Quoi qu’il en soit, se pose la question de savoir si une telle transaction est contraire au principe de l’interdiction faite aux personnes publiques d’accorder des libéralités. C’est ce qu’ont affirmé les juridictions de première instance. Pourtant, cette solution n’a rien d’évident : la transaction est, à l’instar d’un jugement, dotée de l’autorité de chose jugée.

L’arrêt commenté amène à réfléchir tout d’abord sur la possibilité pour l’administration de revenir sur une transaction déjà conclue et, concomitamment, sur la recevabilité d’une demande d’homologation d’une transaction résiliée par l’administration.

La décision de transiger du 11 octobre 2006 a été retirée in extremis par l’administration le 12 février 2007 – le 11 février était un dimanche – soit dans le délai de 4 mois prévu par la jurisprudence Ternon pour le retrait des décisions créatrices de droit illégales (CE, Ass., 26 octobre 2001, Rec. CE, p. 497, concl. Séners) .

Les règles de retrait sont-elles uniformément applicables à toutes les décisions administratives ? Ne faut-il pas mettre à part les décisions de transiger dans la mesure où, selon l’article 2052 du Code civil, « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort » ?

La société requérante soutenait à ce titre que la transaction n’est pas un acte unilatéral que l’on peut retirer, mais un contrat, conformément à l’article 2044 du Code civil qui la définit comme un « contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ».

Ainsi se pose la question de savoir si « les règles générales des contrats administratifs » sont valables pour ces contrats administratifs « par détermination de la jurisprudence » que sont les transactions. Comme l’affirme le professeur Benoît Plessix, une transaction « n’est (…) pas un contrat administratif comme un autre » : « le pouvoir de résiliation unilatérale de l’administration ne semble pouvoir être admis, puisque, une fois conclue, la transaction est l’équivalent d’un jugement doté entre les parties de l’autorité de chose jugée à laquelle aucune prérogative, même de puissance publique, ne saurait venir porter atteinte » (« Transaction et droit administratif », La transaction dans toutes ses dimensions, dir. Blandine Mallet-Bricout et Cyril Nourrissat, Paris, Dalloz, 2006, p. 133) .

Il convient de noter que la Cour administrative d’appel de Lyon a été sensible à l’argumentation de la requérante puisqu’elle prend soin de placer entre guillemets le terme « décision » lorsqu’elle mentionne les « décisions » par lesquelles l’administration a « retiré sa décision de signer la transaction » puis « rejeté le recours gracieux » présenté contre la « décision » initiale.

Elle a toutefois écarté le débat en jugeant les conclusions à fin d’annulation de la société Brace Ingenierie irrecevables, conformément à la jurisprudence selon laquelle les cocontractants de l’administration ne peuvent présenter un recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables postérieurs au contrat administratif (CE, 19 février 1958, Société Air‑Tahiti, Rec. CE, p. 113) .

La Cour aurait pu se poser la question de la légalité du retrait de la décision dans le cadre de l’examen, d’une part, des conclusions indemnitaires déposées par la société – l’illégalité du retrait était susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat – et d’autre part, de la recevabilité de la demande d’homologation de la transaction. Effectivement, la recevabilité de cette dernière n’allait pas de soi.

La demande d’homologation d’une transaction est une voie d’accès aux juridictions administratives ne relevant ni de l’excès de pouvoir, ni du plein contentieux, créée de façon prétorienne par le Conseil d’Etat, conformément aux conclusions de son commissaire du gouvernement Gilles Le Chatelier. En effet, selon le considérant de principe issu de l’avis d’Assemblée du Conseil d’Etat du 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les-Roses (Rec. CE, p. 433, concl. ; BJCP 2003, p. 54 ; RFDAen dehors des cas où la contestation à laquelle il est mis fin a été précédemment portée devant le juge administratif, des conclusions tendant à ce que celui-ci homologue une transaction sont en principe dépourvues d'objet et sont par suite irrecevables ; que la recevabilité d'une telle demande d'homologation doit toutefois être admise, dans l'intérêt général, lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières ». 2003, p. 291), et repris en l’espèce par la Cour administrative d’appel de Lyon.

Si le cas d’espèce rentre prima facie dans le champ d’application de la demande d’homologation tel qu’il a été conçu dès l’origine, à savoir le domaine des marchés publics et des délégations de service public, en réalité il ne satisfait pas les conditions de recevabilité posées par la Haute juridiction administrative en 2002.

En effet, dans l’avis de 2002, le Conseil d’Etat précise que « la demande d’homologation ne peut porter que sur un contrat conclu. Lorsque ce contrat doit être soumis à l’approbation de l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale ou d’un ou plusieurs des conseils d’un établissement public, le juge ne peut être saisi qu’après cette approbation. Les contrats de transaction soumis au contrôle de légalité ne peuvent faire l'objet d'une demande d'homologation avant d'avoir été transmis au représentant ».

La demande d’homologation a donc été conçue comme un recours supposant l’absence de tout litige entre les parties : une fois le litige éteint par la transaction, ces dernières s’en remettent au juge seulement afin qu’il valide leur accord. Or, la situation est totalement différente en l’espèce : la Cour admet la recevabilité des conclusions tendant à son homologation « sans qu’il soit nécessaire d’examiner les difficultés auxquelles se heurte son exécution, révélées par le refus du directeur régional des services pénitentiaires de verser l’indemnité de 15 000 euros TTC ». La Cour juge recevable la demande d’homologation alors que la transaction avait été résiliée par l’administration. Ce faisant, elle procède à une extension du champ d’application du recours créé en 2002 par le Conseil d’Etat.

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