En remettant à la disposition de la collectivité l'agent que celle-ci avait détaché auprès d'elle, et en cessant de le rémunérer, la société a méconnu les stipulations du marché, qui imposaient l'emploi d'un agent en détachement et ne prévoyaient pas de possibilité pour le titulaire du marché de mettre fin unilatéralement au détachement.
Détachement d’un fonctionnaire territorial auprès d’une entreprise privée titulaire d’un marché public
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Conclusions du rapporteur public
Geneviève Gondouin
Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.5749
La SARL DUMAS ENVIRONNEMENT, désormais TRILOGIE, s’est vu confier, par un acte d’engagement signé le 28 mars 2006, un marché public de collecte des ordures ménagères sur le territoire du SIVOM du Bas-Bugey, pour une durée d’un an renouvelable deux fois à compter du 24 avril 2006.
En vertu de l’article 2 du cahier des charges, « le personnel sera recruté directement par l’entrepreneur, à l’exception de l’emploi obligatoire d’un seul employé en détachement du SIVOM auprès de l’entreprise, selon le décret n° 086-68 du 13 janvier 1986 relatif aux détachements ».
La société DUMAS étant titulaire du précédent marché, elle emploie depuis quelques années déjà M. Q., en qualité de rippeur.
Mais, dès le 16 mai 2006, la société se plaint auprès du SIVOM de la façon de servir de ce dernier. Par courrier daté du 9 juin 2006, elle demande au SIVOM de saisir le comité médical départemental de son cas, puis remet M. Q. à sa disposition le 19 juin suivant. Autrement dit, elle met fin au détachement.
Le SIVOM décide de procéder à une réfaction des factures présentées par la société DUMAS à concurrence des salaires de M. Q. qu’il prend désormais en charge.
La SARL DUMAS ENVIRONNEMENT saisit le TA de Lyon d’une demande tendant à la condamnation du SIVOM à lui verser la somme de 21 860,44 € TTC, outre intérêts contractuels à compter de la réception de son mémoire en réclamation.
Le TA lui donne satisfaction à hauteur seulement de 11 197, 96 €, somme non contestée dit-il, après avoir retenu que le détachement était irrégulier faute d’avoir été approuvé préalablement par le SIVOM du Bas-Bugey.
La SARL DUMAS ENVIRONNEMENT / TRILOGIE relève appel de ce jugement du 30 avril 2008 en tant qu’il a limité à 11 197, 96 € le montant du remboursement auquel il a condamné le SIVOM. Ce dernier vous demande, par la voie de l’appel incident, d’annuler le jugement qui l’a condamné.
Précisons que la juridiction administrative est en l’espèce compétente puisque le litige oppose la collectivité et l’entreprise titulaire du marché public. Mais si M.Q., agent détaché, avait pris l’initiative d’engager un contentieux à l’encontre de la SARL DUMAS, alors la juridiction administrative aurait vraisemblablement dû décliner sa compétence (TC 24 juin 1996, Préfet du Lot-et-Garonne, req. 3031 – 15 février 1999, GIE Agir Informatique, req. 3141 – 18 juin 2001, M. P., req. 3248)
Les fonctionnaires territoriaux comme les fonctionnaires de l’Etat peuvent bénéficier d’un détachement (art. 64 de la loi n° 084-53 de la loi du 26 janvier 2004) auprès d’une entreprise privée.
Aux termes de l’article 2 du décret n° 086-68 du 13 janvier 1986 relatif aux positions des fonctionnaires territoriaux : « Le détachement d'un fonctionnaire ne peut avoir lieu que dans l'un des cas suivants : (…) 5° Détachement auprès d'une entreprise privée assurant des missions d'intérêt général, notamment auprès d'une entreprise titulaire d'un traité de concession, d'affermage, de gérance ou de régie intéressée d'un service public d'une collectivité publique, sous réserve de l'approbation préalable, par la collectivité ou l'établissement dont relève l'agent, du projet de contrat et de ses avenants éventuels (…) ».
L’article 9 du cahier des charges stipule : « L’employé du SIVOM DU BAS BUGEY en détachement auprès de l’entrepreneur est soumis aux dispositions légales de détachement loi n° 084-53 26 janvier 1984 / décret 86-68- 13 janvier 1986. / La durée de détachement correspond à la durée du contrat. / L’administration d’origine, c’est-à-dire le SIVOM DU BAS BUGEY gère la carrière de l’agent : notation, promotion d’échelon, promotion de grade… / L’entrepreneur est chargé de la rémunération de l’agent : salaire, prime de fin d’année, cotisation Sécurité sociale, retraite et retraite complémentaire (…) / L’entrepreneur est tenu de verser au SIVOM DU BAS BUGEY les cotisations retraites CNRACL afin d’être reversées par le SIVOM DU BAS BUGEY à la CNRACL. / L’agent dépendra de la convention collective de l’Employeur (Entreprise) (…) »
- En 1re instance, la SARL avait soutenu que le détachement de M. Q. était illégal puisqu’elle est titulaire, non d’une délégation de service public, mais d’un marché de service et que le décret de 1986 ne prévoit pas une possibilité de détachement des agents ou fonctionnaires territoriaux dans cette hypothèse. Elle reprend d’ailleurs ce moyen dans ses derniers mémoires.
Ce qui pourrait militer en faveur de cette thèse, c’est effectivement l’énumération que donne le décret des contrats liant la collectivité, dont dépend l’agent, aux entreprises : il s’agit de délégations de service public, en principe conclues pour une durée assez longue.
Et il se peut d’ailleurs que le sous-préfet de Belley ait lui-même été ébranlé par cette argumentation (lettre du 24 mai 2007 adressée à la société).
Reste que le décret en question emploie l’adverbe notamment (« Détachement auprès d'une entreprise privée assurant des missions d'intérêt général, notamment auprès d'une entreprise titulaire d'un traité de concession, d'affermage, de gérance ou de régie intéressée d'un service public d'une collectivité… ») qui laisse penser que l’énumération ensuite donnée n’est pas exhaustive. (Pour la fonction publique d’Etat : Décret n° 085-986 du 16 septembre 1985, 5° « Détachement auprès d’une entreprise ou d’un organisme privé d’intérêt général ou de caractère associatif assurant des missions d’intérêt général (…) » Pour la fonction publique hospitalière, voir le D. n° 088-976 du 13 octobre 1988) .
La mission ou activité d’intérêt général ne perd pas cette qualité ou caractéristique selon qu’elle est exercée dans le cadre d’un marché, d’une délégation unilatérale ou contractuelle de service public. La collecte des ordures ménagères ou des déchets est d’intérêt général, elle est même un service public (art. L.2224-1 et s. du CGCT) qu’elle soit assurée par une entreprise titulaire d’un marché ou par une entreprise titulaire d’une concession.
Nous n’avons pas beaucoup de jurisprudence sur ce point, ce qui n’est pas très étonnant dans la mesure où le contentieux lié à ces détachements oppose essentiellement les agents détachés à l’entreprise qui les emploie et échappe de ce fait à la compétence du juge administratif. (Par ex. CA de Lyon Ch. Soc. 9 février 2006, à propos d’un contrat liant un fonctionnaire détaché à la société Novame Onyx à qui avait été attribué le marché de la collecte des ordures ménagères de la communauté de communes du pays de BAGE) .
Il nous semble que le détachement de M. Q. auprès de l’entreprise SARL DUMAS ENVIRONNEMENT n’était pas prohibé par le décret de 1986.
- Il n’est pas impossible, comme les premiers juges l’ont d’ailleurs relevé, que le détachement ait été en l’espèce irrégulier puisque le contrat liant M. Q. à la SARL DUMAS ENVIRONNEMENT n’a pas été approuvé par le SIVOM ou en tout cas son assemblée délibérante. Encore que l’hésitation soit ici permise, dans la mesure où le comité syndical, à plusieurs reprises, a délibéré sur le principe du détachement de M.Q. auprès de l’entreprise DUMAS qui l’emploie depuis des années. (Le TA a estimé que le cahier des charges approuvé par le SIVOM ne précisait ni l’identité de l’agent, ni les modalités du détachement. L’article 9 du cahier des charges renvoie à l’annexe V, fiche de l’agent, que nous n’avons pas) .
En réalité, il semble bien, comme le fait valoir le SIVOM du Bugey qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le préjudice allégué et l’illégalité avérée ou supposée du détachement.
- Si l’on suit la chronologie des évènements, telle qu’elle ressort des pièces produites, lors d’une réunion en mai 2006, la société informe le SIVOM du Bugey que M. Q. est inapte physiquement aux fonctions pour lesquelles il est employé, lesquelles présentent même un risque pour sa santé ou son intégrité physique. En juin, la société développe les mêmes arguments en invoquant notamment la surcharge pondérale de l’agent, la fréquence et la durée de ses arrêts maladie depuis 3 ans qui engendrent des coûts pour l’entreprise et des changements fréquents dans l’organisation, le fait qu’il ne se présente pas aux convocations à des visites médicales. A la mi-juin 2006 le détachement de M. Q. prend fin, alors que le mois suivant le médecin du travail le déclare apte, mais uniquement sur les tournées courtes (et après vérification de la hauteur des marchepieds) .
Le préjudice allégué, et pour lequel la SARL DUMAS demande réparation, réside dans la circonstance qu’elle a subi une réfaction sur ses factures correspondant au salaire /traitement que le SIVOM a dû verser à son agent. Il est la conséquence du fait que la société a mis un terme au détachement de l’agent du SIVOM, alors que ce détachement devait durer autant que le contrat en vertu de l’article 9 du cahier des charges.
Mais il n’y a effectivement pas de lien entre l’illégalité du détachement, à supposer encore qu’elle existe, et ce préjudice. C’est donc à tort que les premiers juges ont condamné le SIVOM du Bugey à verser à la société DUMAS la somme de 11 197,96 €.
- En revanche, la SARL DUMAS ne pouvait, comme elle l’a fait, mettre un terme au détachement sans en subir les conséquences financières. Aucune disposition du marché, notamment pas l’article 9 du cahier des charges, ne prévoit la possibilité pour elle de mettre un terme unilatéralement au détachement. Et il ne résulte pas de l’instruction que le SIVOM ait pu immédiatement employer M.Q. dans le domaine de compétence qui est le sien ou d’ailleurs dans tout autre domaine.
Dans ces conditions, la faute commise par l’entreprise et qui a consisté à mettre un terme au détachement de M.Q. avant la date prévue justifie les réfactions pratiquées par le SIVOM du Bugey.
Nous sommes ici dans le cadre des rapports contractuels entre la SARL DUMAS et le SIVOM du Bugey, mais nous retrouvons la logique de l’article 67 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : « Le fonctionnaire détaché qui est remis à la disposition de sa collectivité ou de son établissement d’origine avant l’expiration normale de la période de détachement pour une cause autre qu’une faute commise dans l’exercice de ses fonctions et qui ne peut être réintégré dans son corps ou cadres d’emplois d’origine faute d’emploi vacant continue d’être rémunéré par l’organisme de détachement au plus tard jusqu’à la date à laquelle le détachement devait prendre fin ».
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête de la SARL DUMAS / TRILOGIE, à l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il a condamné le SIVOM du Bugey à verser à la société la somme de 11 197,96 € et au rejet de la demande présentée par la SARL DUMAS ENVIRONNEMENT devant le TA de Lyon.
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