Les deux affaires qui viennent d’être appelées concernent deux litiges similaires présentés par le même agent public hospitalier recruté en CDD ; nous prononcerons donc des conclusions communes.
Mme C… E… a été engagée par le centre hospitalier de Vichy comme praticienne hospitalière contractuelle en anesthésie, par un contrat à durée déterminée de six mois à compter du 4 novembre 2016, contrat renouvelé par trois avenants successifs tous les six mois, jusqu’au 31 octobre 2018.
Cet engagement ne s’étant pas poursuivi, Mme C… E… a sollicité du centre hospitalier de Vichy qu’il lui verse l’indemnité de précarité prévue à l’article L. 1243-8 du code du travail.
Elle a présenté une première demande la 4 octobre 2018 pour la période de novembre 2016 à septembre 2018, concernant les 3 premiers contrats.
Cette demande a été rejetée par une décision du 7 décembre 2018 du directeur du centre hospitalier de Vichy.
La première requête (n° 190127) tend, d’une part, à l’annulation de cette décision du 4 octobre 2018 et, d’autre part, à la condamnation du centre hospitalier de Vichy à lui verser la somme de 11.424,67 euros au titre de l’indemnité de précarité, avec intérêts.
La requérante a ensuite présenté une deuxième demande 18 janvier 2019 en vue du versement de cette indemnité de précarité au titre de son dernier contrat arrivé à terme le 31 octobre 2018. Cette seconde demande a fait l’objet d’une décision implicite de rejet.
La seconde requête (n° 190830) tend à la condamnation du centre hospitalier de Vichy à lui verser la somme de 3.105,78 euros au titre de l’indemnité de précarité, avec intérêts, au titre de ce quatrième et dernier contrat.
Dans les deux affaires Mme C… E… soutient que l’indemnité est due à la fin de chaque contrat à durée déterminée ; et qu’elle est en droit d’obtenir le versement de cette indemnité, en application des dispositions du code du travail.
Elle estime qu’elle ne peut être regardée comme ayant refusé un poste de praticien titulaire permanent.
Nous précisons que le référé provision portant sur la somme totale réclamée par la requérante a été rejeté par ordonnance du juge des référés le 28 mai 2019 (n° 190728).
Nous pensons que vous devrez rejeter cette requête et retenir l’argumentation du centre hospitalier qui soutient qu’il a tout mis en œuvre pour garder la requérante sur un poste pérenne à durée indéterminée à l’issue de son CDD.
De plus vous apprenez que la requérante avait programmé de ne pas poursuivre son activité au sein du centre hospitalier de Vichy, puisqu’elle avait prévu de prendre un poste dans une clinique privée à Nantes.
On voit donc mal comment la requérante pourrait revendiquer une prime de précarité alors que la décision de ne pas poursuivre son activité à l’hôpital de Vichy résulte d’un choix personnel.
Vous pourriez donc rejeter ses requêtes en retenant que la non poursuite du contrat en CDI résulte de son seul choix personnel de changer de région et de travailler dans le secteur privé.
Mais nous pensons que vous pouvez également rejeter ses requêtes en estimant que le centre hospitalier de Vichy lui a fait une proposition assimilable à un CDI, proposition qu’elle a refusée (compte tenu de son choix personnel sans doute déjà pris en début d’année 2018).
Les dispositions applicables sont celles du code de la santé publique qui renvoient au code du travail.
L’article R. 6152-418 du code de la santé publique dispose que : « Les dispositions du code du travail sont applicables aux praticiens contractuels en tant qu'elles sont relatives, à l'indemnité prévue à l'article L. 1243-8 du code du travail (…) ».
L’article L. 1243-8 du code du travail prévoit que : « Lorsque, à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation. / Cette indemnité est égale à 10 % de la rémunération totale brute versée au salarié. / Elle s'ajoute à la rémunération totale brute due au salarié. Elle est versée à l'issue du contrat en même temps que le dernier salaire et figure sur le bulletin de salaire correspondant. »
Enfin, l’article L. 1243-10 du code du travail précise que : « L'indemnité de fin de contrat n'est pas due : (…) 3° Lorsque le salarié refuse d'accepter la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, assorti d'une rémunération au moins équivalente ».
Dans sa première requête, la requérante demande le versement de l’indemnité de précarité au titre de chacun de ses trois premiers contrats et elle estime que cette indemnité était due à la fin de chaque contrat, en s’appuyant sur un jugement du tribunal administratif de Versailles du 24 février 2006 n° 0401644.
Nous pensons que l’interprétation de la requérante de ce jugement est erronée.
Il ne résulte ni de ce jugement ni des dispositions applicables que l’indemnité de précarité serait due à l’issue de chaque période du contrat à durée déterminée, d’une durée maximale de deux années.
En l’espèce Mme C… E… a bénéficié en réalité d’un contrat à durée déterminée, qui a été renouvelé à trois reprises pour des durées équivalentes de six mois. Le droit à l’indemnité de précarité ne peut donc être revendiqué qu’au terme du contrat, soit en l’espèce au 31 octobre 2018 à la fin de la période de deux années maximum pendant laquelle un praticien hospitalier peut être recruté en CDD.
Dans nos affaires les deux décisions explicite et implicite de refus de l’indemnité sont bien intervenues après l’expiration du contrat et le droit au paiement éventuel de cette indemnité doit donc s’apprécier au terme des deux années de CDD.
Toute la question posée par ces deux affaires est de déterminer les conditions de la rupture du contrat de travail.
Mme C… E… soutient que le CDD ne s’est pas poursuivi par un CDI et que les propositions faites par le centre hospitalier de Vichy ne sont pas assimilables à un CDI.
L’Administration, au contraire, soutient qu’elle a tout fait pour la garder dans son effectif, tout comme trois autres confrères anesthésistes auxquels les mêmes propositions ont été faites à la même époque et qui sont aujourd’hui praticiens hospitaliers.
Le centre hospitalier de Vichy soutient en effet que trois propositions lui ont été faites :
une proposition d’un déroulé de carrière au moment de son recrutement, pour une titularisation d’un poste permanent après obtention du concours national des praticiens hospitaliers, et l’autorisation d’une activité libérale en secteur 2 ;
une proposition le 15 mars 2018 d’un contrat d’engagement de carrière (contrat spécifique créé par décret n° 2017-326 du 14 mars 2017), devant aboutir à un poste titulaire à l’issue de la réussite au concours de praticien hospitalier (voir la pièce n° 10 en défense). Mme C… E… a refusé cette proposition en indiquant qu’elle quittait la région pour le secteur privé.
Enfin, une proposition de CDI le 28 août 2018, qu’elle a également refusée.
Nous estimons que la proposition faite le 15 mars 2018 d’un contrat d’engagement de carrière est, contrairement à ce qu’estime la requérante, parfaitement assimilable à une proposition de CDI, ainsi que cela a été jugé. Voir CE 22 fev. 2018 centre hospitalier de Ste Foy la Grande n° 409251 en B.
Vous devrez donc vous reporter aux dispositions de l’article R. 6152-404-1 du code de la santé publique (créé par le décret 2017-326 du 14 mars 2017) qui définit la notion de convention d'engagement de carrière hospitalière pouvant être conclue entre le directeur d’un établissement hospitalier et un praticien hospitalier contractuel, dans des spécialités connaissant des difficultés de recrutement. Ce décret détermine les engagements respectifs de l’établissement et du praticien, pendant la durée de trois années de la convention et qui permet en pratique au praticien de se présenter au concours national de praticien hospitalier.
L’arrêt du conseil d’Etat juge que : « Lorsqu’un praticien contractuel, employé dans le cadre de contrats à durée déterminée, est recruté comme praticien hospitalier dans le cadre du statut prévu au 1° de l’article L. 6152-1 du code de la santé publique, la relation de travail se poursuit dans des conditions qui doivent être assimilées, pour l’application de l’article L. 1243-8 du code du travail, à celles qui résulteraient de la conclusion d’un contrat à durée indéterminée. Lorsque l’établissement a déclaré vacant un emploi de praticien hospitalier relevant de la spécialité du praticien contractuel, un refus de ce dernier de présenter sa candidature sur cet emploi, alors qu’il a été déclaré admis au concours national de praticien des établissements publics de santé prévu à l’article R. 6152-301 du code de la santé publique, doit être assimilé au refus d’une proposition de contrat à durée indéterminée au sens du 3° de l’article L. 1243-10 du code du travail. Par suite, sous réserve qu’eu égard aux responsabilités et conditions de travail qu’il comporte l’emploi vacant puisse être regardé comme identique ou similaire à celui précédemment occupé en qualité de contractuel et qu’il soit assorti d’une rémunération au moins équivalente, l’indemnité de fin de contrat n’est pas due en pareille hypothèse. »
Cet arrêt a été rendu alors que le praticien avait été reçu au concours national.
Nous estimons que le raisonnement peut être étendu au cas du praticien auquel est proposé une convention d’engagement de carrière prévue par les dispositions de l’article R. 6152-404-1 du code de la santé publique qui, compte tenu de ses caractéristiques, équivaut à un CDI et ce alors même que l’engagement définitif est conditionné par la présentation et la réussite au concours, ce qui en l’occurrence constitue une simple formalité compte tenu des taux de réussite dans cette spécialité de l’anesthésie.
Le centre hospitalier vous indique sans être contredit que le taux de réussite s’est élevé à plus de 88 % les trois années auxquelles la requérante aurait pu se présenter, ce qui représente un risque de 2 % de rater trois fois consécutives le concours (PJ n° 8 en défense)
En l’espèce, le centre hospitalier de Vichy a recruté en CDD Mme C… E… sur un poste vacant d’anesthésiste-réanimateur le 15 septembre 2016 dans la perspective qu’elle puisse occuper ce poste à titre permanent, avec une activité libérale en secteur 2, à l’horizon de juillet 2018 ou juillet 2019, suivant sa réussite au concours national.
Au cours de sa dernière période d’engagement, il lui a été proposé dans cette perspective la signature d’une convention d’engagement de carrière, datée du 15 mars 2018, sur un des quatre postes d’anesthésiste autorisé sur ce mode de recrutement par l’arrêté de l’Agence régionale de santé du 27 octobre 2017.
Il ressort de l’échange de mails du même jour, que Mme C… E… a seulement indiqué qu’elle allait en prendre connaissance, et il n’est pas contesté qu’elle a indiqué en réponse par téléphone qu’elle allait quitter la région en novembre 2018.
Il ressort également des pièces du dossier qu’elle s’est en effet installée par la suite à Nantes où elle exerce dans une clinique privée, après d’ailleurs avoir refusé une dernière proposition de contrat à durée indéterminée.
Mme C… E…, qui s’était inscrite au concours national pour la session 2017, ne s’est pas présentée aux épreuves, en raison d’un congé de maternité selon ses déclarations, ou d’un problème de « mode de garde de son bébé ».
Il ressort également des pièces du dossier que cette proposition d’engagement, qui prévoyait au surplus une indemnité spécifique de 30000 euros brut conformément aux dispositions applicables, lui offrait, au moins sur la durée et dans la perspective d’une titularisation prochaine, des conditions de rémunération au moins égales, voire supérieures au contrat à durée déterminée.
Dans ces conditions, Mme C… E… doit être regardée comme ayant refusé, pour des raisons personnelles, une offre de pérennisation de son engagement au sein de l’établissement, et dès lors, en application des dispositions des article L 1243-8 et 1243-10 du code du travail elle n’est pas fondée à demander le versement de l’indemnité de précarité pour ce motif.
Vous observerez que les trois confrères praticiens hospitaliers anesthésistes de la requérante présents au centre hospitalier de Vichy à la même période ont été recrutés au même moment sur ce contrat d’engagement de carrière ont été effectivement titularisés par la suite.
Les conclusions à fin d’annulation des décisions du centre hospitalier de Vichy refusant le paiement de l’indemnité de précarité et les conclusions à fin de condamnation de l’établissement à son paiement ne pourront donc qu’être rejetées.
Par ces motifs, nous concluons au rejet des deux requêtes dans toutes leurs conclusions.