Par un arrêt du 29 juin 2021, la cour administrative de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif de Lyon du 17 juillet 2020 et la décision du 18 janvier 2019 par laquelle le préfet du Rhône avait refusé l’autorisation provisoire de séjour d’une ressortissante ivoirienne. Celle-ci se prévalait de l’article L. 311-11 CESEDA (aujourd’hui abrogé), qui prévoyait la délivrance d’une telle autorisation d’une durée de 12 mois, non renouvelable, à « l’étranger ayant obtenu, dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national, un diplôme au moins équivalent au grade de master ». Le juge administratif d’appel interprète largement l’expression « obtenu dans l’année » de l’article R. 311-35 du même code qui vient préciser les modalités temporelles d’octroi de l’autorisation, contrairement à la position d’autres cours administratives d’appel. Il tient ainsi compte de manière bienvenue des spécificités des calendriers universitaires. La réforme du CESEDA, sur ce point induite par le droit de l’Union européenne, rend la question pour l’essentiel caduque, mais un conflit d’interprétation pourrait subsister à titre résiduel pour les contentieux nés avant l’entrée en vigueur de ladite réforme.
Les faits à l’origine de l’arrêt commenté sont le lot commun de nombreux étudiants étrangers en France. De nationalité ivoirienne, la requérante a obtenu un master 2 en analyse financière internationale à l’INSEEC le 19 octobre 2017, après avoir soutenu son mémoire. Ne pouvant plus bénéficier de l’autorisation provisoire de séjour (« APS ») au bénéfice des étudiants, celle-ci souhaite se prévaloir de l’ancien article L. 311-11 CESEDA, qui prévoyait qu’un étranger ayant obtenu un diplôme de master se voyait délivrer une APS de douze mois non renouvelables. Elle dépose, en ce sens, une demande le 10 octobre 2018, soit plusieurs mois après l’obtention de son diplôme. Se fondant sur le fait que la demande n’a pas été déposée dans l’année d’obtention, le préfet du Rhône ne fait pas droit à sa demande, décision confirmée par le juge de première instance. La cour administrative d’appel infirme néanmoins cette solution, estimant que la condition de délai de la demande est remplie, compte tenu notamment du fait que son titre de séjour précédent n’arrivait à échéance que fin novembre 2018. Autrement dit, bien qu’ayant déposé sa demande près d’un an – à huit jours près – après l’obtention officielle de son diplôme, la requérante était fondée à demander l’APS refusée ; il est dès lors enjoint au préfet du Rhône de procéder au réexamen de la situation de la requérante.
On peut se réjouir de la solution, de bon sens, retenue par le juge administratif d’appel. Non seulement le droit applicable n’était pas clair, mais en outre les étudiants étrangers se retrouvent dans des situations administratives objectivement complexes. Aussi, cette interprétation bienveillante était souhaitable, bien qu’elle soit particulièrement extensive (I). Ses conséquences en apparence gênantes ont, en pratique, été neutralisées par la réforme entrée en vigueur le 1er mars 2019 (II).
I – Une construction jurisprudentielle fragile au service d’une souplesse bienvenue
Le cœur de la problématique posée par les faits réside dans l’imprécision de l’article L. 311-11 CESEDA, selon lequel « une autorisation provisoire de séjour d’une durée de validité de douze mois, non renouvelable, est délivrée à l’étranger ayant obtenu, dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national, un diplôme au moins équivalent au grade de master ou figurant sur une liste fixée par décret et qui : 1° Soit entend compléter sa formation par une première expérience professionnelle, sans limitation à un seul emploi ou à un seul employeur (…) 2° Soit justifie d’un projet de création d’entreprise dans un domaine correspondant à sa formation ». Cette disposition ne précisait aucun délai de soumission de la demande d’autorisation ; mais l’article R. 311-35 CESEDA, aujourd’hui également abrogé, en instituait un. Ce dernier prescrivait, pour pouvoir se prévaloir de l’autorisation, la nécessité de présenter « un diplôme, obtenu dans l’année, au moins équivalent au grade de master ou figurant sur une liste fixée par décret ».
La difficulté n’est pourtant pas résolue à la lecture de l’article R. 311-35 : comment interpréter l’expression « obtenu dans l’année » ? Faut-il comprendre « dans l’année civile », « dans la même année universitaire » ou « depuis moins d’une année révolue » ? Dans les deux premiers cas, la demande de la requérante ne pouvait qu’être rejetée. Dans le troisième, il aurait fallu faire droit à sa demande. La CAA de Lyon retient, suivant les conclusions du rapporteur public, une quatrième voie plus large encore. Considérant qu’il « ne résulte nullement des dispositions de l’article R. 311-35 citées au point 2 que la demande de délivrance de l’autorisation provisoire de séjour doive être présentée dans l’année civile d’obtention du diplôme », elle relève en effet que la requérante a « présenté sa demande dans l’année qui a suivi l’obtention de son diplôme et pendant la durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle que lui avait délivrée le préfet du Rhône, valable jusqu’au 30 novembre 2018 » pour en déduire que la décision préfectorale de refus d’APS est entachée d’une erreur de droit et, partant, annuler la décision du TA qui validait ledit refus.
Cette souplesse peut être considérée comme en phase avec la réalité des procédures universitaires. Comme le relève le rapporteur public dans ses conclusions, « il faut sans doute faire un effort supplémentaire de pragmatisme ici. Outre les retards administratifs éventuels de fabrication des diplômes déjà évoqués, il faut prendre en compte d’éventuels rattrapages de fin d’année universitaire et au niveau master surtout prendre en compte la souplesse nécessaire au déroulement ou à la conclusion des stages ». À vrai dire, il nous semble pourtant que l’argument est discutable. La fabrication du diplôme n’est, en pratique, pas un obstacle à la délivrance d’une attestation de réussite, qui est généralement communiquée dans des délais très brefs. Surtout, l’étudiant conserve son statut soit jusqu’à la délivrance de l’attestation de réussite, soit jusqu’à l’officialisation de son échec…ce qui inclut nécessairement les rattrapages, le déroulement et la soutenance des stages et mémoires. Dit autrement, la requérante ayant obtenu son diplôme le 19 octobre 2017 après la soutenance de ses derniers travaux, il n’existe a priori aucun délai supplémentaire dont il faudrait tenir compte par une souplesse particulière.
L’interprétation de l’expression « obtenu dans l’année » de l’article R. 311-35, fondée sur des éléments matériellement exacts – les divers retards et difficultés administratives des étudiants étrangers – mais appréciés largement, s’avère en outre particulièrement extensive, sinon audacieuse sur le fond. Interpréter cette expression comme signifiant « obtenu dans l’année ou dans l’année qui suit » (nous soulignons) paraît d’abord, objectivement, peu conforme au texte, quand bien même l’on concèderait, avec le rapporteur public, que l’intention du législateur n’était sans doute pas d’instituer un délai rigide. La solution de la CAA s’appuie, en outre, sur un second élément extérieur à la rédaction de l’article R. 311-35 : la requérante a « présenté sa demande dans l’année qui a suivi l’obtention de son diplôme et pendant la durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle que lui avait délivrée le préfet du Rhône ». Par cette association, le juge administratif d’appel semble ici dégager une condition supplémentaire d’appréciation de l’expression « obtenu dans l’année », reposant sur l’idée qu’il convient de l’interpréter largement dans la mesure où la demande est formulée pendant la durée de validité de la carte de séjour de l’étudiant. Le raisonnement relève du bon sens : il paraît logique qu’un étudiant n’ait pas à se soucier des délais tant que sa carte de séjour est en vigueur, et il n’a manifestement aucun intérêt à solliciter un nouveau titre dès son diplôme obtenu, alors même que le précédent est valable plusieurs mois encore. Autrement dit, il parait difficile d’exiger de la requérante, qui a obtenu son diplôme un an et un mois avant l’expiration de sa carte de séjour, que celle-ci imagine et anticipe un risque de ne pas obtenir, un an plus tard, une APS. Celle-ci pouvait en effet attendre légitimement de l’administration qu’elle tienne compte de la date de fin de validité de sa carte pluriannuelle.
Le raisonnement de la CAA n’en demeure pas moins gênant, en ce qu’il semble adjoindre une nouvelle condition prévue ni par la loi, ni par la partie règlementaire la complétant. Doit-on déduire de l’arrêt de la CAA que si la demande avait été formulée dans l’année qui a suivi l’obtention du diplôme mais alors que la carte de séjour pluriannuelle n’était plus valide, celle-ci aurait été rejetée – ce qui reviendrait à considérer que la validité de la dernière carte constitue une dérogation à l’interprétation stricte de la condition de l’article R. 311-35 ? Cette question demeure évidemment sans réponse, même si l’on peut considérer que la CAA ferait – comme ici – avant tout preuve de pragmatisme pour résoudre les éventuelles difficultés qui pourraient survenir. Ces difficultés auraient pu se révéler nombreuses si les tout aussi nombreuses réformes récentes du CESEDA n’avaient pas, à la faveur d’une directive européenne, clarifié les règles à appliquer.
II – Des risques d’incohérence neutralisés par le droit de l’Union européenne
Au regard de l’imprécision du droit en vigueur, la CAA de Lyon pouvait faire preuve de souplesse, ou interpréter de manière moins favorable l’article R. 311-35. Cette dernière option paraissait d’ailleurs particulièrement indiquée, puisque d’autres CAA retenaient des solutions inverses à celle finalement dégagée.
Comme le relève le rapporteur public, la CAA de Bordeaux a ainsi débouté un requérant qui avait présenté en août 2016 la même demande, alors que son diplôme avait été édité en février 2016 et son attestation en septembre 2015. Bien que se trouvant dans une situation factuellement similaire à celle de la requérante, le requérant bordelais n’avait pas bénéficié de la même bienveillance, le juge d’appel relevant qu’il n’avait pu présenter à la date de sa demande « un diplôme obtenu pendant l’année civile 2016 » (CAA Bordeaux, 1ère ch., 28 décembre 2017, n°17BX02638, §6) . Cette interprétation particulièrement sévère – on ne voit pas, au regard du calendrier universitaire, comment le requérant aurait pu obtenir un diplôme final avant le mois d’août de l’année entamée) – est confirmée par un autre arrêt de la même CAA, cité lui aussi par le rapporteur public, qui fait une application encore plus stricte – et, sur ce point précis, quelque peu ubuesque – de la même règle. Dans cette espèce où la question était moins centrale puisqu’il s’agissait d’une deuxième demande après rejet pour un autre motif, la CAA juge en effet qu’une requérante ayant obtenu son diplôme en novembre 2017 ne pouvait se prévaloir en février 2018, soit trois mois plus tard, d’un diplôme obtenu « dans l’année » (CAA Bordeaux, 4ème ch., 22 septembre 2020, n°20BX00711, §6) . Si l’on peut concevoir que le préfet – et le juge administratif – fasse peu de cas de la distinction entre l’année civile et l’année universitaire, il paraît peu sensé de réclamer d’un requérant qu’il présente un diplôme obtenu en janvier ou en février sous le seul prétexte qu’il dépose sa demande en février. Plus encore, ces jurisprudences placent les requérants dans des situations d’inégalité face à l’administration, en fonction de la date de fin de validité de leur carte pluriannuelle et/ou de celle du dépôt de leur demande – les deux étant souvent liées.
Toujours est-il que la solution lyonnaise s’inscrit frontalement en contradiction avec la jurisprudence girondine, sans que toutes les zones d’ombre générées par cette nouvelle solution soient éclairées. Un risque d’incohérence jurisprudentielle, et donc d’inégalité entre requérants placés dans des situations similaires – et aux conséquences on ne peut plus importantes – selon la juridiction du ressort devant laquelle ils se présentent, peut donc être dégagé.
Cependant, l’arrêt commenté s’inscrit dans une temporalité spécifique. Devenu d’abord article L. 313-8 CESEDA du fait de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, l’ancien article L. 311-11 avait déjà fait l’objet d’une modification substantielle, puisque la référence à l’année d’obtention du diplôme avait disparu. L’ordonnance n° 02020-1733 du 16 décembre 2020 ou le décret n° 2020-1734 du 16 décembre 2020, portant respectivement partie législative et règlementaire du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ont repris ces dispositions au sein du nouvel article L. 422-10 CESEDA, lequel dispose que « l’étranger titulaire d’une assurance maladie qui justifie soit avoir été titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention "étudiant" (…) et avoir obtenu dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national un diplôme au moins équivalent au grade de master (…) se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "recherche d’emploi ou création d’entreprise" d’une durée d’un an » s’il souhaite « compléter sa formation par une première expérience professionnelle » ou s’il « justifie d’un projet de création d’entreprise dans un domaine correspondant à sa formation ou à ses recherches ». Cette suppression de toute condition d’obtention ratione temporis du diplôme est attestée par la disparition de l’article R. 311-35, dont seules les dispositions relatives à la liste des diplômes autres que les masters relevant du champ d’application du dispositif ont survécu dans le nouvel article D422-13 CEDESA.
À cet égard, il faut signaler que la demande de la requérante a été déposée en octobre 2018, soit après l’adoption de la loi du 10 septembre 2018, de sorte qu’elle aurait pu bénéficier de l’article L. 313-8, plus favorable, de l’époque. Néanmoins, le décret d’application n’étant paru que le 28 février 2019 s’agissant de ces nouvelles cartes, celle-ci n’a pu bénéficier du nouveau régime (Décret n° 2019-151 du 28 février 2019 pris pour l’application de la loi n° 02018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie et portant diverses dispositions relatives au séjour) . Il n’est au demeurant pas garanti que la requérante aurait tiré meilleur bénéfice de cette réforme ; si la condition du délai a disparu, les « conditions de délivrance de la nouvelle carte sont assez draconiennes » et laissent une marge d’appréciation significative au préfet quant à l’évaluation du projet professionnel présenté par l’étranger (X. Delpech, « Loi Asile et Immigration : création d’entreprise en France par des ressortissants étrangers », D. Actualité, 18 septembre 2018).
À la lecture de ces nouvelles dispositions, il apparaît en tout état de cause que le seul délai nouvellement fixé est celui du terme de l’assurance maladie de l’étudiant. Cette réforme a été conditionnée par la Directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair, qu’elle transpose partiellement – avec quelques mois de retard, s’agissant de la disposition étudiée. L’article 25 de ladite directive, consacré au « séjour à des fins de recherche d’emploi ou de création d’entreprise par les chercheurs et les étudiants », fixe en effet un cadre nouveau, impliquant la transformation de l’APS délivrée à certains étudiants ayant obtenu leur diplôme – et seulement certains d’entre eux – en carte de séjour temporaire « recherche d’emploi ou création d’entreprise » non renouvelable. La directive ne prévoit, à cet égard, aucune marge de manœuvre quant à la possible imposition d’un délai entre l’obtention du diplôme et le dépôt de la demande, imposant simplement que la demande « soit introduite au moins trente jours avant l’expiration » de l’autorisation de séjour précédente (ibid., §5) . Au contraire, en prévoyant que les étudiants (et chercheurs) ont, « après avoir achevé leurs recherches ou leurs études », « la possibilité de rester sur le territoire de l’État membre (…) pendant au moins neuf mois afin d’y chercher du travail ou d’y créer une entreprise » (ibid., §1, nous soulignons), la directive neutralise la jurisprudence de la CAA de Bordeaux, impliquant a minima que le préfet ignore la barrière que constituait le changement d’année civile. Au surplus, le nouvel article L. 422-14 CESEDA prévoit qu’un étranger ayant obtenu un diplôme et ayant quitté le territoire français…peut s’en prévaloir pendant une durée de quatre ans pour obtenir la nouvelle carte de séjour « recherche d’emploi ou création d’entreprise », de sorte que limiter ne serait-ce qu’à un an ce droit pour les étudiants ne quittant pas le territoire n’aurait, en plus d’être contraire au droit de l’Union européenne, plus de sens.
La solution de la CAA de Lyon est donc doublement logique. D’une part, elle entend assouplir les anciennes conditions imposées dans le cadre des contentieux nés avant la réforme ; d’autre part, elle s’inscrit dans le sillage de la réforme, certes sans que les conclusions du rapporteur public n’en fassent mention. S’il n’est pas certain que la CAA de Bordeaux suive, pour les – rares ? – contentieux concernés, l’assouplissement proposé, les éventuelles conséquences de cette possible dysharmonie jurisprudentielle devraient donc être limitées à quelques cas d’espèce. Plus largement, l’analyse a incidemment montré la complexité de l’enchevêtrement des réformes successives du CESEDA, adoptées souvent en urgence – alors que les décrets d’application se font attendre plusieurs mois – et le labyrinthe administratif qui en découle pour les requérants qui ne peuvent suivre et se conformer à des évolutions si rapides. Cet exemple nous semble dès lors topique de la nécessité qu’il y a, une fois le droit européen transposé, à cesser de réformer en permanence le droit du séjour des étrangers, et, surtout, à assortir la loi et ses décrets d’application de l’intégralité des éléments nécessaires à leur interprétation un minimum harmonieuse.