A l’occasion de l’examen de la légalité du refus d’un maire de donner suite à une demande de déplacement hors de l’espace public d’une statue de la Vierge, que le tribunal administratif de Grenoble avait refusé d’annuler, la cour, qui adopte une définition stricte de la notion de dépendance d’un lieu de culte, juge que la seule circonstance qu’une procession traditionnelle, partant du parvis de l’église du village rejoigne dans un espace naturel à plus de deux kilomètres une croix ancienne, à proximité de laquelle une statue mariale a été érigée en 2004, ne confère pas à ce site le caractère d’une dépendance d’un lieu de culte ou la présence d’une telle statue serait admise.
Le fait religieux continue d’être source de tensions et de convoquer l’ensemble des branches du droit public, ici la domanialité publique, mais récemment aussi le droit de l’urbanisme. Un principe règne toutefois constamment : celui de la neutralité de la puissance publique et du droit, au‑delà même de la loi de 1905. Ce qui explique qu’il n’est pas possible, notamment pour un maire, de s’opposer à la construction d’un édifice religieux (TA Grenoble, 15 avril 2021, Association Meydia, n° 1803511) ou d’une école religieuse (TA Grenoble, 6 avril 2021, Association CIMG Alberville, n° 1906198, 1907341) répondant aux prescriptions des documents d’urbanisme, alors qu’il ne peut dans le même temps laisser subsister une statue de la Vierge Marie édifiée, en l’espèce dans le cadre d’une initiative privée, sur une parcelle appartenant à la commune Néanmoins, même si ces affaires semblent mobiliser les mêmes problématiques, seule l’interdiction d’ériger dans l’espace public un emblème religieux met directement en œuvre le principe de laïcité et, partant, les dispositions de la loi de 1905.
À l’automne 2014, une statue d’une hauteur de 3, 6 mètres représentant la Vierge Marie a été érigée à l’initiative de personnes privées, sur une parcelle appartenant à la commune de Saint‑Pierre-d’Alvey au lieu-dit « Mont Châtel » où une croix dite romaine était déjà présente depuis plusieurs siècles. Plusieurs habitants de la commune ont demandé au maire de faire procéder à l’enlèvement de la statue de la Vierge, au motif que son implantation dans l’espace public contrevenait à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État.
Face au refus du maire, ils ont saisi le tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté leur requête en jugeant que la parcelle sur laquelle a été édifiée la statue devait être qualifiée de dépendance de l’église de Saint-Pierre-d’Alvey, indissociable d’un édifice affecté au culte et, auquel ne s’applique donc pas l’interdiction posée par l’article 28 de la loi de 1905.
Saisi de l’appel formé contre ce jugement, la cour administrative d’appel de Lyon l’a annulé et a fait droit à la demande initiale. Retenant une interprétation stricte de l’article 28, la cour estime que la parcelle litigieuse ne peut être qualifiée de dépendance d’un édifice servant au culte et que, par conséquent, le maire ne pouvait refuser de déplacer la statue de la Vierge Marie.
Le raisonnement mené est bien connu de la cour puisqu’il est similaire à celui adopté en matière de crèches de Noël (CAA Lyon, 25 juin 2019, Région Auvergne-Rhône-Alpes c. Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, n° 17LY03989) : il s’agit de qualifier l’emblème religieux et rechercher, le cas échant, si son édification entre dans les exceptions posées par l’article 28 de la loi de 1905.
Une statue de la Vierge Marie correspond de toute évidence à l’idée que les parlementaires, débattant de la loi de 1905 à la chambre des députés, se faisaient d’un emblème religieux : « des objets qui ont un caractère nettement symbolique, qui ont été érigés moins pour rappeler des actions d’éclat accomplis par les personnes qu’ils représentent que dans un but de manifestation religieuse. On peut honorer un grand homme, même s’il est devenu un saint, sans glorifier spécialement la partie de son existence qui l’a désigné à la béatification de l’Eglise » (Chambre des députés, 2ème séance, 27 juin 1905 ; JO 28 juin 1905, p. 2528). On comprend que, contrairement à une statue de la Vierge, celle du pape Jean Paul II puisse légalement trouver sa place au centre d’un bourg breton, pour autant qu’elle n’est pas accompagnée d’une croix la surplombant (CE, 25 octobre 2017, Fédération morbihannaise de la libre pensée et autres, n° 396990) . En vertu du même principe, le Conseil d’État a procédé à une distinction selon que les crèches de Noël présentent un caractère culturel ou cultuel, pour interdire dans le second cas leur exposition dans les bâtiments publics (CE, Ass., 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, n° 395223 et n° 395122).
L’enjeu de l’affaire de la statue de la Vierge se situe davantage sur la détermination de la notion d’édifice servant au culte. À la différence de ce qu’a jugé le tribunal administratif de Grenoble, la cour estime que, « la circonstance que, depuis le XVIIIème siècle, des processions partant de l’église convergent traditionnellement à l’occasion des cérémonies de la Pentecôte vers une ancienne croix romaine implantée sur cette même parcelle ne permet pas de considérer que ladite parcelle est une dépendance indissociable et affectée au culte de l’église de Saint-Pierre-d’Alvey ». L’édification de la statue sur le domaine public n’entre donc pas dans les exceptions prévues par l’article 28 et n’est dès lors pas justifiée.
L'arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon revient ici à l’esprit du texte de 1905, prenant de la sorte ses distances avec l’appréciation faite par le tribunal administratif de Grenoble. Ce dernier avait procédé à une articulation entre la loi de 1907 relative à l’exercice public du culte et la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État afin d’étendre l’exception prévue à l’article 28. Cette disposition ménage en effet une exception à l’interdiction d’ériger ou d’apposer des emblèmes ou signes religieux sur le domaine public pour les édifices servant au culte, les terrains de sépulture dans les cimetières, les monuments funéraires ainsi que les musées ou expositions. Dans l’approche adoptée par le juge de première instance, l’affectation des biens à l’exercice du culte s’applique non seulement à un édifice cultuel mais aussi à ses dépendances nécessaires, « fonctionnellement indissociables » de l’édifice cultuel, quand même elles seraient situées à environ deux kilomètres à vol d’oiseau et utilisées une fois l’année lors d’une procession. Par conséquent, pour le tribunal, le terrain où a été édifiée la statue, d’une superficie d’environ 400 m2, pouvait être regardé comme affecté à l’exercice public du culte, car formant une dépendance de l’église de la commune en raison des processions s’y rendant à la Pentecôte et de la présence d’une croix ancienne.
Le tribunal administratif s’est inspiré d’une jurisprudence vénérable (CE, 1er avril 1938, Abbé Laplanche‑Coudert et autres, p. 339), décision dans laquelle le Conseil d’État avait jugé que le calvaire érigé sur la place d’une commune constituait une dépendance du lieu de culte en raison des processions s’y rendant depuis l’église se trouvant à proximité. Le juge du Palais Royal en avait déduit que la commune ne pouvait procéder à la démolition du calvaire qu’après l’adoption d’une décision de désaffectation. Néanmoins, l’affaire à juger par la cour présente une distinction de taille : l’édification de la statue est postérieure à la loi de 1905, tandis que le calvaire en litige devant le Conseil d’État avait été érigé en 1863. L’application de l’article 5 de la loi de 1907 fait sens dans l’affaire du calvaire : il s’agit de laisser à disposition des fidèles et des ministres du culte, pour la pratique de leur religion, les édifices déjà affectés au culte de même que les meubles les garnissant. Par conséquent, les biens affectés au culte avant 1905 doivent le rester, sauf désaffection préalable. Ces dispositions ne visent pas à permettre une lecture extensive des exceptions à l’édification d’emblèmes religieux sur le domaine public après l’entrée en vigueur de la loi de 1905 : ce qui est permis pour un édifice datant de 1863 ne l’est pas pour une statue érigée en 2014.
L’arrêt de la cour administrative de Lyon se rapproche ainsi davantage de la solution retenue dans une affaire similaire par le tribunal administratif de Grenoble au sujet de la création et l’édification en 2011 d’une statue de la Vierge Marie sur le domaine public de la commune de Publier (TA Grenoble, 29 janvier 2015, Fédération de Haute-Savoie de la libre pensée M. X. et autres, n° 1200005), où une interprétation stricte de l’article 28 de la loi de 1905 avait inspiré la décision du tribunal administratif.