Statuant sur la délicate question de l’obligation de reclassement d’un agent contractuel en CDI recruté par une régie communale en la forme d’un établissement public supprimée, la cour administrative d’appel de Lyon a estimé qu’en l’absence de proposition de reclassement émanant de la régie, il découlait d’un principe général du droit que la commune ayant décidé la dissolution de la régie était tenue de chercher à reclasser l’agent avant de procéder à son licenciement.
« Diverses solutions jurisprudentielles contribuent à amoindrir ce que pourrait avoir de spécifique la situation des agents contractuels » (R. Chapus, Droit administratif, t.2, 15ème éd., Montchrestien, 2001, p. 73). Le constat dressé par René Chapus il y a vingt ans n’a pas pris une ride. Il se trouve parfaitement illustré par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon ici commenté.
Par une délibération du 23 mai 2016, la commune de Grenoble avait acté, pour des raisons financières, la fin de l’exploitation de la régie personnalisée, dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière, dénommée « Régie 2C ». Cette régie, créée en 2001 pour exploiter deux salles à vocation culturelle, prenait la forme d’un établissement public local à caractère administratif et disposait ainsi de la personnalité morale et de l’autonomie financière. La délibération prononçait en outre la liquidation de l’établissement à la date du 1er décembre 2016, emportant clôture des comptes et reprise de l’actif et du passif dans le budget communal. Par ailleurs, elle prévoyait, dans ses seuls motifs et sans plus de précision, le licenciement de deux agents, dont le directeur qui avait été recruté par contrat à durée indéterminée en 2012. Prenant acte de cette décision, le conseil d’administration de la régie a adopté le 28 juin une délibération supprimant le poste du directeur de l’établissement, puis a convoqué celui-ci pour l’entretien préalable à son licenciement. Enfin, par décision du 21 juillet 2016, la présidente de la régie a prononcé le licenciement du directeur pour le même 1er décembre 2016, sans que ne lui soit proposé un nouveau poste au titre de son reclassement.
Le directeur a donc saisi le tribunal administratif de Grenoble de deux requêtes en annulation, l’une portant sur la délibération du 23 mai 2016 actant la dissolution de la régie, l’autre à l’encontre de la décision de la présidente de la régie du 21 juillet 2016 emportant son licenciement au 1er décembre suivant. Le directeur soulevait l’illégalité de la délibération en tant qu’elle ne déterminait pas sa situation en violation des dispositions de l’article R. 2221-62 du Code général des collectivités territoriales. Ce point ne soulève pas de difficulté particulière. La délibération ne faisait en effet qu’évoquer le licenciement du directeur dans ses motifs, et non dispositif, sans d’autre précision. Or, mentionner n’est pas déterminer et il est parfaitement logique que le TA de Grenoble (TA Grenoble, 10 juil. 2018, M. B., n° 160472-1605362) et la CAA de Lyon aient annulé partiellement la délibération en cause sur ce point.
Les conclusions tendant à l’annulation de la décision de licenciement étaient, quant à elles, davantage sujettes à débat. Il est constant et n’était d’ailleurs pas contesté que ce licenciement n’avait pas été précédé de la saisine de la commission consultative paritaire, ni d’une procédure de reclassement dans les conditions de l’article 39-5 du décret du 15 février 1988 d’application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984. Dans sa requête, le directeur désignait comme parties en défense la régie et la commune de Grenoble. La régie ayant disparu en cours d’instruction, ne restait à l’instance que la commune de Grenoble qui n’était pas l’autorité administrative à avoir édicté l’acte de licenciement. Devant le tribunal administratif, la ville avait donc d’abord opposé une fin de non-recevoir pour ce motif, puis précisé dans ses écritures qu’en tout état de cause, n’étant pas l’autorité administrative ayant recruté le directeur, elle n’était pas tenue de chercher à le reclasser. Sur la fin de non-recevoir, le TA l’a écartée pour un motif qui mérite d’être rapporté tant il est rare qu’il soit exprimé ainsi, en estimant que le « recours pour excès de pouvoir est un procès fait à un acte, indépendamment de son auteur ». Du Laferrière dans le texte (É. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t. 2, 2ème éd., Berger-Levrault, 1896, p. 561) Le moyen suivant mérite de retenir davantage l’attention car il porte sur une question inédite, qui ne s’est jamais posée en ces termes en jurisprudence et qui n’est par ailleurs pas expressément couverte par les textes : une commune décidant de dissoudre une régie municipale disposant de la personnalité morale est-elle tenue de chercher à reclasser les agents de cet établissement alors qu’elle n’est pas organiquement l’autorité l’ayant recruté ?
Le TA de Grenoble a estimé que les dispositions du Code général des collectivités territoriales régissant la dissolution des régies municipales n’instauraient aucune dérogation à la procédure de reclassement des agents contractuels et que la transmission à la commune de l’actif et du passif de la régie impliquait aussi une transmission des contrats de travail. Dès lors, l’obligation de tenter de reclasser l’agent telle que prévue à l’article 39-5 du décret de 1988 pesait bel et bien sur la commune. Saisie en appel par cette dernière, la CAA de Lyon a abondé en ce sens (II). Néanmoins, elle a préféré fonder l’obligation de reclassement sur un principe général du droit, par essence plus malléable que des dispositions réglementaires (I).
I – Tenter de reclasser avant de licencier : une application de l’avis du CE, section n° 0365139 du 29 septembre 2013 A
En estimant que la décision de la présidente de la régie du 21 juillet 2016 actant le licenciement du directeur au 1er décembre sans chercher à le reclasser était illégale, la cour a appliqué le principe général du droit selon lequel l’administration est tenue de chercher à reclasser un agent contractuel dont l’emploi est supprimé. Pour rappel, on a assisté, depuis le début des années 2000 à une extension progressive de cette obligation de reclassement des agents contractuels, préalablement à un licenciement. Classiquement, l’« agent contractuel […] n’ayant pas la qualité de fonctionnaire communal, aucune disposition législative ou règlementaire n’obligeait l’administration à consulter une commission administrative paritaire ou à formuler une proposition de reclassement de l’intéressé » (CE, 17 juin 1992, n° 112771, inédit), à l’exception notable de l’hypothèse d’inaptitude physique médicalement constatée à occuper un emploi, hypothèse érigée en principe général du droit (CE, 2 oct. 2002, n° 227868, CCI de Meurthe-et-Moselle, Lebon p. 319).
Cependant, cette position, conforme à une séparation rigide entre l’univers du fonctionnariat et celui des agents contractuels, ne pouvait pas tenir tant le début du siècle fut le témoin d’un profond déploiement du recours aux contractuels et d’une insertion de ceux-ci dans une logique de carrière traditionnellement réservée aux seuls fonctionnaires. Entre la loi du 26 juillet 2005, la loi « Sauvadet » du 12 mars 2012 et nombreux décrets, un véritable « dualisme statutaire » (D. Jean-Pierre, « La loi du 12 mars 2012 et la consécration du dualisme statutaire dans la fonction publique », JCP G, 2012, 2290) a été établi, notamment par un recours accru à la « CDIsation » et à l’accroissement des garanties textuelles au bénéfice des contractuels. Il va sans dire que la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a abondé dans ce sens.
Dans ce contexte, la jurisprudence a profondément étendu l’obligation de rechercher à reclasser un agent contractuel avant tout licenciement et sur ce point, la CAA de Lyon a été à l’avant-garde du mouvement. Peu après que la CAA de Marseille eut dégagé le principe général du droit selon lequel l’administration était tenue de chercher à reclasser un agent contractuel en CDI avant de le licencier lorsque son emploi était supprimé (CAA Marseille, 30 mars 2010, n° 08MA01641, inédit), le juge lyonnais a étendu le principe à tout contractuel occupant un emploi permanent, y compris en CDD et pour toute la durée de son contrat (CAA Lyon, 7 juil. 2011, n° 10LY02078, inédit) . Le Conseil d’État a suivi le mouvement initié par les juges du fond en estimant dans son avis du 29 septembre 2013 qu’il résultait d’un « principe général du droit, dont s’inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés dont l’emploi est supprimé que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l’emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu’il incombe à l’administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l’emploi correspondant, de chercher à’ ( reclasser l’intéressé » (CE, Sect., avis, 25 sept. 2013, n° 365139, Lebon p. 233) . Le principe, « plus modeste » (A. Bretonneau, « La chute et le parachute. De la confortable précarité des contractuels en CDI », AJDA, 2013, p. 2199) que celui découvert par la CAA de Lyon puisque ne concernant que les agents en CDI, avait été dégagé dans l’hypothèse où l’administration entendait affecter un fonctionnaire au poste occupé par l’agent contractuel. Il a rapidement été élargi à tous les cas de licenciement, à l’exception du licenciement pour faute (CE, 18 déc. 2013, n° 366369, Min. de l’éducation nationale, Lebon T. p. 642). En matière de fonction publique territoriale, il a été repris dans sa version la plus large (concernant tout à la fois les agents en CDI que ceux en CDD) par le décret du 29 décembre 2015 qui a intégré un article 39-5 au décret du 15 février 1988.
En cas de suppression de poste, l’administration est donc tenue de proposer d’abord un emploi d’une même catégorie hiérarchique dans les compétences de l’agent contractuel ou, à défaut et avec l’accord de celui-ci, un emploi d’une catégorie hiérarchique inférieure avant de le licencier. Alors que, dans notre affaire, le poste de directeur de la régie 2C a été supprimé en même temps que l’exploitation du service, il est constant qu’aucune proposition de reclassement n’a été formulée, en violation de ce texte et du principe général du droit précédemment évoqué.
Toutefois – et c’est bien là que l’on retrouve l’audace du TA de Grenoble et de la CAA de Lyon – il a été jugé en l’espèce qu’en l’absence de proposition de reclassement formulée par la régie, employeur du directeur, l’obligation de chercher à reclasser l’agent avant son licenciement pesait in fine sur la commune.
II – Qui supprime reclasse : l’obstacle organique surmonté
L’apport essentiel de l’arrêt se situe ici. Au quatrième considérant, le juge précise que « s’il appartient à l’autorité territoriale compétente de la régie, d’inviter l’agent contractuel qu’elle entend licencier, à raison de la suppression de son emploi, à présenter une demande écrite de reclassement, en application des dispositions de l’article 39-5 du décret n° 088-145 du 15 février 1988, le maire de la commune, qui est chargé de procéder à la liquidation de la régie, est tenu, quant à lui, de chercher à reclasser, dans un emploi pouvant légalement être occupé par un agent contractuel, l’agent qui n’a pas pu faire l’objet d’un reclassement de la part de la régie ».
Une telle solution n’était pas évidente au regard des textes. D’abord, il faut noter qu’il n’existe aucun mécanisme légal ou réglementaire de reprise de personnel dans le cadre de la dissolution d’une régie municipale contrairement à ce qu’il existe, par exemple, en cas de dissolution d’un établissement public de coopération intercommunale ou de mise en régie d’un service précédemment exploité par un délégataire de service public dans le cadre d’une concession. Ceci s’explique aisément : si la dissolution de l’établissement est commandée par la suppression du service qu’elle exploitait, il n’y a pas lieu de reprendre le personnel. Du reste, les dispositions de l’article R. 2221-17 du Code général des collectivités territoriales que le juge invoque, n’impliquent pas, par elles-mêmes, le transfert de l’obligation de reclassement au maire en cas de défaillance de la régie. Pour rappel, il y est notamment précisé que lorsque le conseil municipal décide de mettre un terme à l’exploitation d’une régie dotée de la personnalité morale, « l’actif et le passif de la régie sont repris dans les comptes de la commune » et que « le maire est chargé de procéder à la liquidation de la régie ». Plus encore, l’article 39-5 du décret du 15 février 1988 précise bien que l’obligation de reclassement pèse sur « l’autorité territoriale ayant recruté l’agent ». La ligne de défense de la commune de Grenoble était donc très simple : elle consistait à dire qu’elle n’était pas l’autorité territoriale ayant recruté le directeur licencié – ce qui d’un point de vue strictement organique est incontestable – et que, partant, elle n’était pas tenue de chercher à le reclasser. Abonder dans ce sens aurait cependant fait perdre toute effectivité à l’obligation de reclassement.
Pour éviter cet écueil et donner, selon le rapporteur public (que nous remercions pour l’aimable transmission de ses conclusions), « une portée pragmatique au principe général du droit de l’avis CE du 29 septembre 2013 », le TA de Grenoble et la CAA de Lyon ont opté pour une interprétation extensive de l’article R. 2221-17 du CGCT. Ils ont ainsi estimé que la reprise de l’actif et du passif de la régie dans les comptes de la commune induisait implicitement un transfert de l’ensemble des droits et obligations de la régie à la commune étant entendu, par ailleurs, que c’était bel et bien la commune qui était à l’origine de la dissolution de l’établissement. Ce faisant, le contrat du directeur est transféré à la commune qui est tenue d’assumer toutes les conséquences attachées à un licenciement dont, notamment, l’obligation de rechercher préalablement à le reclasser. On ne peut que louer le pragmatisme dont ont fait preuve les deux juges.
Toutefois, on ne peut s’empêcher de noter que la rédaction choisie par la CAA de Lyon laisse certaines questions en suspens. D’abord, une certaine confusion ressort du considérant principal puisqu’il est précisé que l’obligation de chercher à reclasser l’agent ne pèse sur le maire de la commune que si l’agent « n’a pas pu faire l’objet d’un reclassement de la part de la régie ». Cette précision est soit surabondante – puisque dans l’hypothèse où la régie disparaît, on voit mal comment l’agent pourrait y être reclassé…– soit de nature à faire peser un doute sur le transfert effectif de l’obligation de chercher à reclasser. On sait en effet que l’obligation de reclassement n’est qu’une obligation de moyen. Or, une telle rédaction permet de s’interroger sur l’hypothèse dans laquelle la régie formule, avant de disparaître, une offre de reclassement à l’agent. En particulier, elle laisse entendre qu’en pareil cas, le transfert de l’obligation de chercher à reclasser au maire n’aura pas lieu ce qui serait profondément étrange car de nature à priver d’effet le principe ici dégagé. Ensuite, se pose la question du moment du transfert de l’obligation. En principe, les droits et obligations sont transférés à la date prévue par la délibération du conseil municipal pour la dissolution de la régie (le 1er décembre 2016 dans notre cas). Or le licenciement a été acté, pour cette même date, le 21 juillet 2016, alors que la régie existait encore et que, partant, rien n’avait encore été transféré à la commune. L’arrêt laisse à penser que cette obligation de chercher à reclasser est en quelque sorte autonome par rapport au reste de l’actif et du passif de l’établissement, puisqu’elle serait transférée non au moment de la dissolution de l’établissement mais dès le moment où aucune offre de reclassement ne serait parvenue de la régie.
Sans doute aurait-il été plus clair de préciser simplement qu’en cas de dissolution de la régie, l’obligation de chercher à reclasser les agents en CDI et ceux dont la durée du contrat excède la durée restante de vie de la régie, pesait nécessairement sur la commune, étant entendu qu’en pareil cas, il apparaît impossible que le reclassement puisse venir de la régie elle-même.
Reste à savoir si l’application du principe général du droit dégagé dans l’avis CE n° 365139 du 29 septembre 2013 dans une pareille configuration pourra prospérer. Toujours est-il qu’ainsi appliqué, il illustre toute la force d’agilité de la catégorie des principes généraux du droit qui, faut-il le rappeler, garantissent aux administrés « le respect par l’Administration d’une certaine éthique comportementale » (B. Plessix, Droit administratif, 3ème éd., LexisNexis, 2020).