Compétence de la commune pour reclasser un agent contractuel d'une régie municipale dissoute

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Décisions de justice

CAA Lyon, 3ème chambre – N° 18LY03413 – commune de Grenoble – 14 janvier 2021 – C+

Arrêt confirmé en cassation : CE, 14 décembre 2022, N° 450115 et 450159

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 18LY03413

Numéro Légifrance : CETATEXT000042991753

Date de la décision : 14 janvier 2021

Code de publication : C+

CAA Lyon, 3ème chambre – N° 18LY03411 – commune de Grenoble – 14 janvier 2021 – C+

Arrêt confirmé en cassation : CE, 14 décembre 2022, N° 450115 et 450159

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 18LY03411

Numéro Légifrance : CETATEXT000042991750

Date de la décision : 14 janvier 2021

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Agent contractuel, Reclassement, Licenciement, Régie municipale, Dissolution de la régie

Rubriques

Fonction publique

Résumé

Il résulte d’un principe général du droit, dont s’inspirent tant les dispositions du code du travail, et notamment celles de l’article L. 224-1, que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l’emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu’il incombe à l’administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée motivé par la suppression, dans le cadre du renoncement à l’exploitation d’une régie par un conseil municipal, de l’emploi permanent qu’il occupait, de chercher à reclasser l’intéressé.

S’il appartient à l’autorité territoriale compétente de la régie, d’inviter l’agent contractuel qu’elle entend licencier, à raison de la suppression de son emploi, à présenter une demande écrite de reclassement, en application des dispositions de l'article 39-5 du décret n° 088-145 du 15 février 1988, le maire de la commune, qui est chargé de procéder à la liquidation de la régie, est tenu, quant à lui, de chercher à reclasser, dans un emploi pouvant légalement être occupé par un agent contractuel, l’agent qui n’a pas pu faire l’objet d’un reclassement de la part de la régie.

Illégalité du licenciement de l’agent contractuel, qui n’a pu être reclassé par la régie qui l’a recruté, en l’absence de mise en œuvre par la commune d’une procédure de reclassement visant à proposer à l’agent un emploi ou un poste équivalent dans les services de la collectivité, laquelle ne peut se retrancher derrière le motif que la régie municipale, dotée de la personnalité morale, disposait de personnels et de biens propres.1

36-04-01, 36-12-03-01, Fonctionnaires et agents publics, Agent contractuel, Reclassement, Licenciement, Reclassement avant licenciement, Fin du contrat, Régie municipale, Dissolution de la régie, Article L. 224-1 du code du travail, Article R. 2221-17 du CGCT, Article R. 2221-62 du CGCT, Garantie des agents publics, PGD droit du travail, Principe général du droit obligeant l'administration à chercher à reclasser un agent contractuel recruté pour une durée indéterminée, avant de pouvoir prononcer son licenciement motivé par la suppression de son cadre d'emploi suite au renoncement à l’exploitation d’une régie par une commune.

Notes

1 Cf. CE, avis, Section, 25 septembre 2013 - n° 365139 p.233 Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Pierre Thierry

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.6661

En 2001 la commune de Grenoble a choisi de confier à un établissement public administratif (EPA) doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, nommé la « Régie 2C » l’exploitation de deux équipements culturels : une salle de répétition (« la chaufferie ») et une salle de spectacle (« le Ciel »). En 2012, la « Régie 2C », devenue entre temps la régie « Ciel » a recruté son directeur et un administrateur sur la base de contrats de travail à durée indéterminée.

Pour des raisons économiques, la commune de Grenoble a décidé, par une délibération du 23 mai 2016, de renoncer à ce service public facultatif et de liquider l’EPA par la clôture de ses comptes et la reprise de l’actif et du passif dans le budget principal de la commune. Les bâtiments « la chaufferie » et « le ciel » ont ainsi réintégré le patrimoine immobilier communal.

Par une délibération du 28 juin 2016, le conseil d’administration de la régie a ensuite décidé de la suppression des deux emplois du directeur et de l’administrateur. En l’absence de reclassement, ils ont été licenciés par deux décisions du 21 juillet 2016 à compter du 1er décembre 2016. Ces derniers ont alors demandé au tribunal administratif de Grenoble l’annulation de la délibération du 23 mai 2016 et des décisions du 21 juillet 2016 de licenciement. Le tribunal a annulé la délibération du 23 mai 2016 en tant qu’elle a décidé la dissolution de la régie Ciel sans déterminer la situation des personnels de cette Régie ainsi que les deux décisions de licenciement du 21 juillet 2016.

La commune de Grenoble, vous demande de revenir sur la position du tribunal administratif de Grenoble ce qui va vous conduire à vous prononcer sur la question, a priori inédite en jurisprudence et non tranchée par les textes, du sort à réserver aux agents contractuels dans le cadre de la dissolution d’un EPA local.

I/ Sur la délibération du 23 mai 2016

Sur la régularité du jugement

La commune de Grenoble soutient en premier lieu que le jugement est entaché d’irrégularité puisque la délibération du 23 mai 2016, selon le moyen, ne faisait pas grief. Le tribunal aurait donc dû considérer que les conclusions en annulation dirigées contre la délibération étaient irrecevables.

Le TA n’a annulé que partiellement la délibération litigieuse, il l’a annulée, en quelque sorte « en creux », pour une disposition qui lui fait défaut et qui, selon le tribunal administratif de Grenoble devait obligatoirement y figurer. La question qui est ainsi posée par la commune de Grenoble revient à s’interroger sur l’intérêt à agir des requérants de première instance contre une absence de décision. Pour apporter cette réponse il faudrait au préalable savoir si les requérants peuvent se prévaloir d’une prérogative qui leur aurait été refusée. Or cette question relève du fond et non de la recevabilité. Et la recevabilité ne s’apprécie pas rapport au fond. Pour sortir de cette impasse je pense qu’il faut admettre que les requérants ont par principe intérêt à agir contre une décision qui refuse de leur accorder une prérogative avant de se prononcer sur l’existence même de cette prérogative.

En l’espèce, cela doit vous conduire à admettre que les demandeurs avaient bien intérêt à se plaindre de ce que le conseil municipal a omis de se prononcer sur leur sort, dès lors qu’il est manifeste que l’objet de la délibération est susceptible de provoquer une modification de leur situation. Je vous invite ainsi à écarter la fin de non recevoir.

Sur le bien-fondé du jugement et la légalité de la délibération litigieuse.

Les premiers juges ont considéré que la commune de Grenoble avait méconnu les articles R. 2221-62 et R. 2221-17du code général des collectivités territoriales. Aux termes de ceux-ci « La délibération du conseil municipal décidant de renoncer à l'exploitation de la régie détermine la date à laquelle prennent fin les opérations de celle-ci. (…) L'actif et le passif de la régie sont repris dans les comptes de la commune. Le maire est chargé de procéder à la liquidation de la régie. (…) » (R. 2221-17) : « En cas de dissolution, la situation des personnels de la régie est déterminée par la délibération prévue à l'article R. 2221-17 et est soumise, pour avis, aux commissions administratives paritaires compétentes ». (R. 2221-62)

Il est certes indiqué dans l’exposé des motifs de la délibération que celle-ci aboutira à « conduire les démarches comptables et administratives nécessaires, notamment le licenciement des deux agents restants ». Mais ces démarches ne sont pas mentionnées dans le dispositif de la décision. Le TA a considéré que cela ne suffisait pas pour considérer que le conseil municipal avait « déterminé la situation de ces personnels à l’issue du vote, en l’absence de toute mention les concernant dans le dispositif de la délibération attaquée »

Pour contester ce raisonnement, la commune de Grenoble fait valoir que les dispositions précitées ne l’obligeaient pas à régler elle-même le sort des agents concernés et que celui-ci dépendait de la compétence de l’établissement (la régie Ciel) et qu’il devait être soumis à l’avis de la CAP compétente.

Que la CAP compétente doive être saisie de la situation des deux agents concernés est une chose, mais que la situation des personnels de la régie soit déterminée par la délibération en est une autre. Les dispositions de l’article R. 2221-62 du CGCT me semblent ni ambiguës, ni se prêter à une interprétation. Elles prévoient que c’est la délibération qui décide de la dissolution qui détermine la situation des personnels de la régie. Je ne vois dans le reste de l’article aucun moyen d’échapper à cette obligation. Le fait que cette décision soit ensuite soumise à l’avis d’une CAP, me paraît parfaitement indépendant. Vous pourrez ainsi écarter ce moyen.

En second lieu, la commune de Grenoble, soutient que la délibération évoquait la situation des deux agents de la régie et que la traduction juridique du sort des agents ne pouvait lui appartenir et donc figurer dans son dispositif dès lors que ces deux agents étaient employés par une personne morale à part entière. En d’autres termes, la régie étant dotée de la personnalité morale, elle échapperait aux dispositions de l’article R. 2221-62.

Il est vrai que le code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit bien deux formes de régies, soit la régie dotée de la seule autonomie financière, soit la régie dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière (article L. 2221-4). Pour la seconde, le régime est fixé par les articles L.2221-10 et ss et ces régies sont en effet considérées comme des établissements publics locaux.

Si l’article R. 2221-17 relatif à la délibération de dissolution de la régie ne distingue pas entre les deux formes de régies, en revanche l’article R. 2221-62 est spécifique aux régies dotées de la personnalité morale. Il ne fait donc aucun doute que le pouvoir réglementaire a bien pris en compte l’existence de la personnalité morale de la régie lorsqu’il a donné la compétence au conseil municipal pour déterminer le sort des personnels de la régie lorsque le principe de sa dissolution est décidé.

Quant à savoir si la délibération litigieuse détermine effectivement le sort des agents, la défense adoptée par la commune revient à reconnaître que ce n’est pas le cas. Je n’ai pas de difficulté à vous inviter à considérer, comme l’a fait le TA, que le sort des agents devait être fixé dans le dispositif, c’est à dire la partie de la délibération qui a valeur de décision, et non simplement dans l’exposé des motifs.

Le moyen ne peut donc qu’être écarté.

Il en résulte c’est à juste titre que le tribunal administratif de Grenoble a annulé la délibération du 23 mai 2016 en tant qu’elle ne décide pas du sort des deux agents de la régie.

II/ Sur les décisions de licenciement du 21 juillet 2016

Le décret n° 088-145 du 15 février 1988 pris pour l’application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale dispose à son article 39-5 que « Le licenciement [...] ne peut être prononcé que lorsque le reclassement de l'agent n'est pas possible dans un autre emploi que la loi du 26 janvier 1984 susvisée autorise à pourvoir par un agent contractuel et dans le respect des dispositions légales régissant le recrutement des agents contractuels »

Le tribunal administratif de Grenoble a considéré qu’en vertu de ces dispositions et de celles des articles précités du CGCT, en cas de dissolution d’une régie, l’autorité territoriale compétente était tenue, a minima d’inviter l’agent contractuel en passe d’être licencié en raison de la suppression de son emploi à présenter une demande de reclassement. Constatant qu’aucune procédure de reclassement n’avait été engagée concernant les deux agents, le TA a annulé les décisions de licenciement.

La commune de Grenoble considère que, ce faisant, le TA a entaché son jugement d’une erreur de droit car en vertu de ce même article 39-5 « L'offre de reclassement concerne les emplois des services relevant de l'autorité territoriale ayant recruté l'agent ». Or, fait-elle observer, elle n’est pas l’autorité territoriale qui recruté les deux agents, cette autorité était la Régie, dotée de la personnalité morale. Le tribunal n’avait pas, selon le moyen à la substituer à la régie.

Précisons tout d’abord, pour répondre au moyen, qu’il est certain que pesait sur l’autorité responsable, nous verrons ensuite laquelle, une obligation de rechercher à reclasser les agents dont la suppression de poste est prévue. Cela découle de l’avis du Conseil d'État 25/09/2013 n° 365139, A , dont la solution a été reprise dans de nombreux arrêts.

Le conseil d’Etat a considéré dans cet avis qu’il résulte d’un principe général du droit qu’il incombe à l’administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l’emploi correspondant, de chercher à reclasser l’intéressé.
Il convient de préciser que dès un arrêt Conseil d'État 18/12/2013 ministre de l’Education nationale  n° 0366369 (B) le principe a été élargi à tous les cas licenciement, (sauf faute disciplinaire) y compris donc ceux qui ne sont pas opérés pour remplacer l’agent contractuel par un fonctionnaire.

La commune ne conteste pas ce principe, mais elle estime que ce n’est pas à elle d’assumer la responsabilité d’une recherche de reclassement des deux intimés. Il vous faut donc trancher la question de savoir à qui incombe cette responsabilité.

En prévoyant que « L'actif et le passif de la régie sont repris dans les comptes de la commune. », en cas de dissolution, l’article R. 2221-17 du CGCT semble induire d’y inclure les droits et obligations de la structure qui disparaît. Mais il faut bien reconnaître que cela n’a rien d’évident et ce n’est en tout cas pas tranché par les textes.

En effet, par comparaison, on peut observer que des mécanismes de transferts de moyens et donc de personnels sont certes prévus par le CGCT à l’occasion d’opération de transferts de compétences d’une commune vers un EPCI, ou d’un EPCI à un autre ou encore de fusion de communes. Voyez, par exemple, les dispositions de l’article L. 5211-41 pour une fusion de syndicat, l’article L. 5212-33 pour une dissolution de syndicat.

Ces mécanismes qui induisent en général des transferts ou de reprise de personnel, s’expliquent par le fait que le service, ou la compétence, transféré continue d’être assuré. Or ce n’est pas véritablement le cas en l’espèce puisque l’on comprend que l’offre culturelle proposée par la régie « Ciel » a pris fin faute de moyens financiers.

De la même façon, dans le cas des délégations de service public, la fin de la délégation ou le changement de délégataire, peut s’accompagner d’une reprise du personnel, mais cela ne résulte alors que de clauses contractuelles qui peuvent être demandées par le délégant et non d’une obligation réglementaire ou législative.

Si la régie est dissoute faute de moyen, il n’existe pas, à ma connaissance, de mécanisme qui lui impose de maintenir le service lorsque ce service public ne présente pas un caractère obligatoire.

Il est donc possible d’avoir un doute sur une obligation de reprise des personnels en l’espèce.

Ceci précisé, le TA n’a pas fait mention exactement d’une reprise du personnel, mais seulement d’une reprise des contrats. Ce qui n’est qu’une déclinaison de la reprise des droits et obligations. Cela laisse la latitude à la commune de mettre un terme à ces contrats, et pour une bonne raison qui est celle de la disparition du service qui a justifié la création des emplois. Il n’est d’ailleurs pas fait obligation à une collectivité territoriale de conserver dans ses effectifs un fonctionnaire dont le poste est supprimé. Ce dernier est en général, dans cette situation, placé sous la responsabilité du centre de gestion (après un an en surnombre).

Il me semble que vous pourriez ainsi juger, que la dissolution de la régie implique pour la commune l’obligation de chercher à reclasser les agents. Ce faisant, pour vous n’imposerez pas à la commune une obligation de reprise du personnel de la régie qui n’est pas prévue par les textes. Vous ne ferez que donner une portée pragmatique au principe général du droit de l’avis précité (CE, avis, Section, 25 septembre 2013, n° 365139 p.233.) L’obligation transférée à la commune n’est que celle de rechercher et, le cas échéant de proposer, un poste de niveau équivalent aux deux agents de la régie. Il ne s’agit pas de l’obliger à reprendre ce personnel.

L’obligation que vous imposeriez ainsi à la commune me semble relativement couler de source dès lors que la commune est à l’origine de la création de la régie, comme de sa dissolution. Il me paraît donc logique qu’elle assume les conséquences de ces décisions et en l’espèce ces conséquences ne sont que celles d’une obligation de simple mise en œuvre de moyens et non de résultat.

Par suite, même si les dispositions du code général des collectivités territoriales précitées ne sont pas explicites, leur combinaison avec le principe de la jurisprudence précitée, me conduit à vous proposer d’écarter le moyen de la commune et, par suite à rejeter ses conclusions en annulation.

[...]

Par ces motifs, nous concluons au rejet des requêtes.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Décider, c’est assumer : à propos du reclassement de l’agent contractuel d’un établissement public communal dissous

Valentin Lamy

Docteur en droit, Chercheur postdoctoral à la Chaire de droit des contrats publics, Équipe de droit public de Lyon (EDPL ; EA 666) Université Lyon 3

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Statuant sur la délicate question de l’obligation de reclassement d’un agent contractuel en CDI recruté par une régie communale en la forme d’un établissement public supprimée, la cour administrative d’appel de Lyon a estimé qu’en l’absence de proposition de reclassement émanant de la régie, il découlait d’un principe général du droit que la commune ayant décidé la dissolution de la régie était tenue de chercher à reclasser l’agent avant de procéder à son licenciement.

« Diverses solutions jurisprudentielles contribuent à amoindrir ce que pourrait avoir de spécifique la situation des agents contractuels » (R. Chapus, Droit administratif, t.2, 15ème éd., Montchrestien, 2001, p. 73). Le constat dressé par René Chapus il y a vingt ans n’a pas pris une ride. Il se trouve parfaitement illustré par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon ici commenté.

Par une délibération du 23 mai 2016, la commune de Grenoble avait acté, pour des raisons financières, la fin de l’exploitation de la régie personnalisée, dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière, dénommée « Régie 2C ». Cette régie, créée en 2001 pour exploiter deux salles à vocation culturelle, prenait la forme d’un établissement public local à caractère administratif et disposait ainsi de la personnalité morale et de l’autonomie financière. La délibération prononçait en outre la liquidation de l’établissement à la date du 1er décembre 2016, emportant clôture des comptes et reprise de l’actif et du passif dans le budget communal. Par ailleurs, elle prévoyait, dans ses seuls motifs et sans plus de précision, le licenciement de deux agents, dont le directeur qui avait été recruté par contrat à durée indéterminée en 2012. Prenant acte de cette décision, le conseil d’administration de la régie a adopté le 28 juin une délibération supprimant le poste du directeur de l’établissement, puis a convoqué celui-ci pour l’entretien préalable à son licenciement. Enfin, par décision du 21 juillet 2016, la présidente de la régie a prononcé le licenciement du directeur pour le même 1er décembre 2016, sans que ne lui soit proposé un nouveau poste au titre de son reclassement.

Le directeur a donc saisi le tribunal administratif de Grenoble de deux requêtes en annulation, l’une portant sur la délibération du 23 mai 2016 actant la dissolution de la régie, l’autre à l’encontre de la décision de la présidente de la régie du 21 juillet 2016 emportant son licenciement au 1er décembre suivant. Le directeur soulevait l’illégalité de la délibération en tant qu’elle ne déterminait pas sa situation en violation des dispositions de l’article R. 2221-62 du Code général des collectivités territoriales. Ce point ne soulève pas de difficulté particulière. La délibération ne faisait en effet qu’évoquer le licenciement du directeur dans ses motifs, et non dispositif, sans d’autre précision. Or, mentionner n’est pas déterminer et il est parfaitement logique que le TA de Grenoble (TA Grenoble, 10 juil. 2018, M. B., n° 160472-1605362) et la CAA de Lyon aient annulé partiellement la délibération en cause sur ce point.

Les conclusions tendant à l’annulation de la décision de licenciement étaient, quant à elles, davantage sujettes à débat. Il est constant et n’était d’ailleurs pas contesté que ce licenciement n’avait pas été précédé de la saisine de la commission consultative paritaire, ni d’une procédure de reclassement dans les conditions de l’article 39-5 du décret du 15 février 1988 d’application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984. Dans sa requête, le directeur désignait comme parties en défense la régie et la commune de Grenoble. La régie ayant disparu en cours d’instruction, ne restait à l’instance que la commune de Grenoble qui n’était pas l’autorité administrative à avoir édicté l’acte de licenciement. Devant le tribunal administratif, la ville avait donc d’abord opposé une fin de non-recevoir pour ce motif, puis précisé dans ses écritures qu’en tout état de cause, n’étant pas l’autorité administrative ayant recruté le directeur, elle n’était pas tenue de chercher à le reclasser. Sur la fin de non-recevoir, le TA l’a écartée pour un motif qui mérite d’être rapporté tant il est rare qu’il soit exprimé ainsi, en estimant que le « recours pour excès de pouvoir est un procès fait à un acte, indépendamment de son auteur ». Du Laferrière dans le texte (É. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t. 2, 2ème éd., Berger-Levrault, 1896, p. 561) Le moyen suivant mérite de retenir davantage l’attention car il porte sur une question inédite, qui ne s’est jamais posée en ces termes en jurisprudence et qui n’est par ailleurs pas expressément couverte par les textes : une commune décidant de dissoudre une régie municipale disposant de la personnalité morale est-elle tenue de chercher à reclasser les agents de cet établissement alors qu’elle n’est pas organiquement l’autorité l’ayant recruté ?

Le TA de Grenoble a estimé que les dispositions du Code général des collectivités territoriales régissant la dissolution des régies municipales n’instauraient aucune dérogation à la procédure de reclassement des agents contractuels et que la transmission à la commune de l’actif et du passif de la régie impliquait aussi une transmission des contrats de travail. Dès lors, l’obligation de tenter de reclasser l’agent telle que prévue à l’article 39-5 du décret de 1988 pesait bel et bien sur la commune. Saisie en appel par cette dernière, la CAA de Lyon a abondé en ce sens (II). Néanmoins, elle a préféré fonder l’obligation de reclassement sur un principe général du droit, par essence plus malléable que des dispositions réglementaires (I).

I – Tenter de reclasser avant de licencier : une application de l’avis du CE, section n° 0365139 du 29 septembre 2013 A

En estimant que la décision de la présidente de la régie du 21 juillet 2016 actant le licenciement du directeur au 1er décembre sans chercher à le reclasser était illégale, la cour a appliqué le principe général du droit selon lequel l’administration est tenue de chercher à reclasser un agent contractuel dont l’emploi est supprimé. Pour rappel, on a assisté, depuis le début des années 2000 à une extension progressive de cette obligation de reclassement des agents contractuels, préalablement à un licenciement. Classiquement, l’« agent contractuel […] n’ayant pas la qualité de fonctionnaire communal, aucune disposition législative ou règlementaire n’obligeait l’administration à consulter une commission administrative paritaire ou à formuler une proposition de reclassement de l’intéressé » (CE, 17 juin 1992, n° 112771, inédit), à l’exception notable de l’hypothèse d’inaptitude physique médicalement constatée à occuper un emploi, hypothèse érigée en principe général du droit (CE, 2 oct. 2002, n° 227868, CCI de Meurthe-et-Moselle, Lebon p. 319).

Cependant, cette position, conforme à une séparation rigide entre l’univers du fonctionnariat et celui des agents contractuels, ne pouvait pas tenir tant le début du siècle fut le témoin d’un profond déploiement du recours aux contractuels et d’une insertion de ceux-ci dans une logique de carrière traditionnellement réservée aux seuls fonctionnaires. Entre la loi du 26 juillet 2005, la loi « Sauvadet » du 12 mars 2012 et nombreux décrets, un véritable « dualisme statutaire » (D. Jean-Pierre, « La loi du 12 mars 2012 et la consécration du dualisme statutaire dans la fonction publique », JCP G, 2012, 2290) a été établi, notamment par un recours accru à la « CDIsation » et à l’accroissement des garanties textuelles au bénéfice des contractuels. Il va sans dire que la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a abondé dans ce sens.

Dans ce contexte, la jurisprudence a profondément étendu l’obligation de rechercher à reclasser un agent contractuel avant tout licenciement et sur ce point, la CAA de Lyon a été à l’avant-garde du mouvement. Peu après que la CAA de Marseille eut dégagé le principe général du droit selon lequel l’administration était tenue de chercher à reclasser un agent contractuel en CDI avant de le licencier lorsque son emploi était supprimé (CAA Marseille, 30 mars 2010, n° 08MA01641, inédit), le juge lyonnais a étendu le principe à tout contractuel occupant un emploi permanent, y compris en CDD et pour toute la durée de son contrat (CAA Lyon, 7 juil. 2011, n° 10LY02078, inédit) . Le Conseil d’État a suivi le mouvement initié par les juges du fond en estimant dans son avis du 29 septembre 2013 qu’il résultait d’un « principe général du droit, dont s’inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés dont l’emploi est supprimé que les règles du statut général de la fonction publique qui imposent de donner, dans un délai raisonnable, aux fonctionnaires en activité dont l’emploi est supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade, qu’il incombe à l’administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l’emploi correspondant, de chercher à’ ( reclasser l’intéressé » (CE, Sect., avis, 25 sept. 2013, n° 365139, Lebon p. 233) . Le principe, « plus modeste » (A. Bretonneau, « La chute et le parachute. De la confortable précarité des contractuels en CDI », AJDA, 2013, p. 2199) que celui découvert par la CAA de Lyon puisque ne concernant que les agents en CDI, avait été dégagé dans l’hypothèse où l’administration entendait affecter un fonctionnaire au poste occupé par l’agent contractuel. Il a rapidement été élargi à tous les cas de licenciement, à l’exception du licenciement pour faute (CE, 18 déc. 2013, n° 366369, Min. de l’éducation nationale, Lebon T. p. 642). En matière de fonction publique territoriale, il a été repris dans sa version la plus large (concernant tout à la fois les agents en CDI que ceux en CDD) par le décret du 29 décembre 2015 qui a intégré un article 39-5 au décret du 15 février 1988.

En cas de suppression de poste, l’administration est donc tenue de proposer d’abord un emploi d’une même catégorie hiérarchique dans les compétences de l’agent contractuel ou, à défaut et avec l’accord de celui-ci, un emploi d’une catégorie hiérarchique inférieure avant de le licencier. Alors que, dans notre affaire, le poste de directeur de la régie 2C a été supprimé en même temps que l’exploitation du service, il est constant qu’aucune proposition de reclassement n’a été formulée, en violation de ce texte et du principe général du droit précédemment évoqué.

Toutefois – et c’est bien là que l’on retrouve l’audace du TA de Grenoble et de la CAA de Lyon – il a été jugé en l’espèce qu’en l’absence de proposition de reclassement formulée par la régie, employeur du directeur, l’obligation de chercher à reclasser l’agent avant son licenciement pesait in fine sur la commune.

II – Qui supprime reclasse : l’obstacle organique surmonté

L’apport essentiel de l’arrêt se situe ici. Au quatrième considérant, le juge précise que « s’il appartient à l’autorité territoriale compétente de la régie, d’inviter l’agent contractuel qu’elle entend licencier, à raison de la suppression de son emploi, à présenter une demande écrite de reclassement, en application des dispositions de l’article 39-5 du décret n° 088-145 du 15 février 1988, le maire de la commune, qui est chargé de procéder à la liquidation de la régie, est tenu, quant à lui, de chercher à reclasser, dans un emploi pouvant légalement être occupé par un agent contractuel, l’agent qui n’a pas pu faire l’objet d’un reclassement de la part de la régie ».

Une telle solution n’était pas évidente au regard des textes. D’abord, il faut noter qu’il n’existe aucun mécanisme légal ou réglementaire de reprise de personnel dans le cadre de la dissolution d’une régie municipale contrairement à ce qu’il existe, par exemple, en cas de dissolution d’un établissement public de coopération intercommunale ou de mise en régie d’un service précédemment exploité par un délégataire de service public dans le cadre d’une concession. Ceci s’explique aisément : si la dissolution de l’établissement est commandée par la suppression du service qu’elle exploitait, il n’y a pas lieu de reprendre le personnel. Du reste, les dispositions de l’article R. 2221-17 du Code général des collectivités territoriales que le juge invoque, n’impliquent pas, par elles-mêmes, le transfert de l’obligation de reclassement au maire en cas de défaillance de la régie. Pour rappel, il y est notamment précisé que lorsque le conseil municipal décide de mettre un terme à l’exploitation d’une régie dotée de la personnalité morale, « l’actif et le passif de la régie sont repris dans les comptes de la commune » et que « le maire est chargé de procéder à la liquidation de la régie ». Plus encore, l’article 39-5 du décret du 15 février 1988 précise bien que l’obligation de reclassement pèse sur « l’autorité territoriale ayant recruté l’agent ». La ligne de défense de la commune de Grenoble était donc très simple : elle consistait à dire qu’elle n’était pas l’autorité territoriale ayant recruté le directeur licencié – ce qui d’un point de vue strictement organique est incontestable – et que, partant, elle n’était pas tenue de chercher à le reclasser. Abonder dans ce sens aurait cependant fait perdre toute effectivité à l’obligation de reclassement.

Pour éviter cet écueil et donner, selon le rapporteur public (que nous remercions pour l’aimable transmission de ses conclusions), « une portée pragmatique au principe général du droit de l’avis CE du 29 septembre 2013 », le TA de Grenoble et la CAA de Lyon ont opté pour une interprétation extensive de l’article R. 2221-17 du CGCT. Ils ont ainsi estimé que la reprise de l’actif et du passif de la régie dans les comptes de la commune induisait implicitement un transfert de l’ensemble des droits et obligations de la régie à la commune étant entendu, par ailleurs, que c’était bel et bien la commune qui était à l’origine de la dissolution de l’établissement. Ce faisant, le contrat du directeur est transféré à la commune qui est tenue d’assumer toutes les conséquences attachées à un licenciement dont, notamment, l’obligation de rechercher préalablement à le reclasser. On ne peut que louer le pragmatisme dont ont fait preuve les deux juges.

Toutefois, on ne peut s’empêcher de noter que la rédaction choisie par la CAA de Lyon laisse certaines questions en suspens. D’abord, une certaine confusion ressort du considérant principal puisqu’il est précisé que l’obligation de chercher à reclasser l’agent ne pèse sur le maire de la commune que si l’agent « n’a pas pu faire l’objet d’un reclassement de la part de la régie ». Cette précision est soit surabondante – puisque dans l’hypothèse où la régie disparaît, on voit mal comment l’agent pourrait y être reclassé…–  soit de nature à faire peser un doute sur le transfert effectif de l’obligation de chercher à reclasser. On sait en effet que l’obligation de reclassement n’est qu’une obligation de moyen. Or, une telle rédaction permet de s’interroger sur l’hypothèse dans laquelle la régie formule, avant de disparaître, une offre de reclassement à l’agent. En particulier, elle laisse entendre qu’en pareil cas, le transfert de l’obligation de chercher à reclasser au maire n’aura pas lieu ce qui serait profondément étrange car de nature à priver d’effet le principe ici dégagé. Ensuite, se pose la question du moment du transfert de l’obligation. En principe, les droits et obligations sont transférés à la date prévue par la délibération du conseil municipal pour la dissolution de la régie (le 1er décembre 2016 dans notre cas). Or le licenciement a été acté, pour cette même date, le 21 juillet 2016, alors que la régie existait encore et que, partant, rien n’avait encore été transféré à la commune. L’arrêt laisse à penser que cette obligation de chercher à reclasser est en quelque sorte autonome par rapport au reste de l’actif et du passif de l’établissement, puisqu’elle serait transférée non au moment de la dissolution de l’établissement mais dès le moment où aucune offre de reclassement ne serait parvenue de la régie.

Sans doute aurait-il été plus clair de préciser simplement qu’en cas de dissolution de la régie, l’obligation de chercher à reclasser les agents en CDI et ceux dont la durée du contrat excède la durée restante de vie de la régie, pesait nécessairement sur la commune, étant entendu qu’en pareil cas, il apparaît impossible que le reclassement puisse venir de la régie elle-même.

Reste à savoir si l’application du principe général du droit dégagé dans l’avis CE n° 365139 du 29 septembre 2013 dans une pareille configuration pourra prospérer. Toujours est-il qu’ainsi appliqué, il illustre toute la force d’agilité de la catégorie des principes généraux du droit qui, faut-il le rappeler, garantissent aux administrés « le respect par l’Administration d’une certaine éthique comportementale » (B. Plessix, Droit administratif, 3ème éd., LexisNexis, 2020).

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