Mesures de police du maire dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire

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Décisions de justice

TA Lyon, ordonnance – N° 2002813 – Ligue des droits de l'homme – 24 avril 2020 – C

Requête jointe : 2002835

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 2002813

Date de la décision : 24 avril 2020

Code de publication : C

TA Lyon, ordonnance – N° 2002394 – Ligue des droits de l'homme – 28 avril 2020 – C

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 2002394

Date de la décision : 28 avril 2020

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Etat d’urgence sanitaire, Mesure de police, Maire, Référé-liberté, Epidémie Covid-19, Police sanitaire spéciale, Police générale du maire, Police spéciale de l'Etat

Rubriques

Police administrative

Résumé

L’état d’urgence sanitaire ayant été déclaré pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’usage par le maire de son pouvoir de police générale pour édicter des mesures de lutte contre cette épidémie est subordonné à la double condition qu’elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu’elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale.

49-04, Etat d'urgence, Etat d'urgence sanitaire, Epidémie, Covid-19, Police sanitaire spéciale, Police générale du maire, Police spéciale de l'Etat, Cohérence avec les mesures prise par l'Etat, L.2212-1 du code général des collectivités territoriales, L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, Article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, Référé liberté

« Le retour en grâce du pouvoir de police administrative des maires pour lutter contre la COVID-19 »

Thomas Dord

Élève-avocat, diplômé du Master 2 Droit Public des Affaires de l'Université Jean Moulin Lyon 3

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DOI : 10.35562/alyoda.6613

Alors que l’étude du contexte jurisprudentiel lié à la COVID-19 pouvait laisser craindre un amoindrissement des pouvoirs de police des Maires en raison de la création d’un police administrative spéciale pour lutter contre l’épidémie, l’ordonnance du Tribunal administratif de Grenoble en date du 28 avril 2020 démontre que tel n’est pas le cas.

Un maire peut-il interdire l’occupation des résidences secondaires et des biens destinés à la location touristique situés sur le territoire de sa commune en raison de la crise sanitaire liée à la COVID-19 ? C’est la question à laquelle a dû répondre le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble à la fin du mois d’avril dernier.

En effet, par deux arrêtés (n°ARD 2020-21 et n°ARD 2020-23) du 7 avril 2020, le maire des Contamines-Montjoie, commune de Haute-Savoie située au pied du Mont-Blanc (et tristement connue pour avoir accueilli le premier « cluster » de la covid-19 en France), avait décidé d’interdire, jusqu’à l’issue du « confinement », l’occupation des résidences secondaires situées sur le territoire de la commune ainsi que les locations saisonnières d’hébergements de tous types, c’est-à-dire les locations de logements meublés ou de résidences hôtelières.

Plus précisément, ces arrêtés, relativement succincts, prévoyaient :

- « L’occupation des logements meublés non affectés à l’habitation principale, est interdite à compter de ce jour et durant toute la durée du confinement, dont la durée est fixée par décret, sur le territoire des Contamines-Montjoie » (art. 1). Cette disposition a été complétée, par l’arrêté n°ARD 2020-23 (abrogeant et remplaçant l’arrêté n°ARD 2020-21) par une mention précisant que les logements visés étaient uniquement ceux « non occupés depuis le début du confinement », excluant, par conséquent, les résidences secondaires dans lesquelles des individus avaient choisi de se confiner dès l’origine ;

- « Les locations saisonnières de logements et hébergements de tous types et les mises à disposition gracieuse de logements et hébergements de tous types sont interdites, à compter de ce jour et durant toute la durée du confinement, dont la durée est fixée par décret, sur le territoire des Contamines-Montjoie. » (art. 2) ;

- enfin, « Les interdictions prévues aux articles 1 et 2 ne s’appliquent pas si les locataires ou les propriétaires d’un bien sont des personnes provenant du personnel soignant mobilisé dans le cadre du Covid-19 » (art. 3).

Considérant que les deux arrêtés du 7 avril 2020 portaient atteinte à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et familiale, à la liberté de commerce et de l’industrie ainsi qu’à la liberté personnelle, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une requête en référé-liberté afin que celui-ci ordonne, sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA, la suspension de l’arrêté litigieux.

La LDH soutenait, outre la violation des libertés fondamentales susmentionnées, que la mesure en question ne respectait pas les règles applicables en matière de concours de police administrative dès lors qu’elle ne serait justifiée par aucun contexte local particulier et que, bien plus encore, elle affectait en réalité la cohérence des mesures de police spéciale édictées par les autorités étatiques.

Cependant, par une ordonnance en date du 28 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a refusé de faire droit à ces prétentions et, par conséquent, a refusé de suspendre l’arrêté querellé. En effet, selon lui, bien que l’arrêté en question puisse porter atteinte à certaines libertés fondamentales, et notamment la liberté d’aller et venir et le droit de chacun au respect de sa vie personnelle (§. 1 de l’ordonnance), les mesures prescrites s’inscrivaient, contrairement à ce que soutenait la LDH, dans un contexte local particulier, étaient proportionnées à l’objectif recherché et respectaient les mesures étatiques. Partant, la requête de l’association a été rejetée.

Ce jugement, s’inscrivant dans la nébuleuse de décisions rendues contre des arrêtés municipaux édictés durant la période du confinement liée à la COVID-19, permet au juge grenoblois de rappeler, au niveau local, les règles encadrant les concours de polices entre autorités de police générale et spéciale (1) tout en précisant l’étendue des pouvoirs de police des exécutifs municipaux durant la crise sanitaire (2).

1-. Une ordonnance rappelant les règles encadrant les concours entre mesures de police administrative générale et spéciale durant la crise sanitaire 

Alors que la question des règles encadrant les concours de police pouvait, à bien des égards, et, notamment, au regard de la jurisprudence abondante en la matière, apparaître comme définitivement réglée, la crise sanitaire de la Covid-19 a été l’occasion pour les juridictions administratives de revenir, dans un contexte marqué par la multiplication des mesures de police locale, sur la possibilité pour les maires d’aggraver des mesures de police administrative spéciale. 

En effet, pour faire face à l’épidémie causé par la COVID-19, la loi du 23 mars 2020 (art.2) a institué une nouvelle police administrative spéciale placée entre les mains du Premier ministre, du ministre de la santé et des préfets de Département, permettant l’adoption de mesures restrictives destinées à lutter contre l’épidémie en cours sur le territoire.

Cependant, insatisfaits par les mesures adoptées sur ce fondement, certains maires, autorités de police administrative générale sur le territoire de leur commune, ont, sur le fondement des articles L. 2112-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT), adopté des mesures plus restrictives que celles des autorités nationales.

C’est notamment ce qu’a fait le maire des Contamines-Montjoie par le biais de l’arrêté querellé. En effet, alors que, sur le fondement des dispositions de la loi du 23 mars 2020 (figurant désormais aux articles L.3131-12 à L.3131-20 du CSP), le préfet du Département de Haute-Savoie avait, par un arrêté du 7 avril 2020, interdit la location de logements meublés touristiques dans son département afin d’enrayer la propagation du virus, le maire de la commune a, par l’arrêté attaqué, aggravé les prescriptions préfectorales en décidant d’interdire sur le territoire de sa commune tant la location de logements meublés touristiques (à l’instar de l’arrêté préfectoral) que l’occupation des résidences secondaires par des personnes n’ayant pas choisi de s’y installer dès le début de l’épidémie. C’est sur ce second point que l’arrêté attaqué différait de l’arrêté préfectoral.

Remettant en cause la possibilité pour le maire des Contamines-Montjoie d’adopter une telle mesure en raison de sa prétendue contrariété avec l’arrêté préfectoral susmentionné, la LDH a attaqué l’arrêté municipal donnant au juge des référés la possibilité d’appliquer la jurisprudence du Conseil d’État quant aux concours de police durant la crise sanitaire.

En effet, par une ordonnance du 17 avril 2020 (n°440057), le juge des référés du Conseil d’État, saisi d’un recours contre l’arrêté du maire de Sceaux imposant le port du masque dans l’espace public, avait jugé, dans le contexte spécifique de la crise sanitaire, que :

« Les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales […] autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État. ». 

Cette ordonnance du Conseil d’État adaptant le principe traditionnel selon lequel l’existence d’une police administrative spéciale n’exclut pas qu’une autorité de police administrative générale prenne des mesures de police si ces dernières sont plus rigoureuses et justifiées par des circonstances locales particulières (conformément à la décision C.E, 18 décembre 1959, Sté des films Lutétia, n°36385 36428, Lebon 693 ; GAJA 22e édition, p.481), est reprise en l’espèce par le tribunal administratif de Grenoble.

 En effet, appliquant la nouvelle grille d’analyse dégagée par le Conseil d’État désormais fondée sur la notion de « circonstances locales impérieuses » et sur l’absence de compromission des mesures étatiques de police administrative spéciale, le juge des référés a constaté que , d’une part, la Commune des Contamines-Montjoie, premier foyer de coronavirus détecté sur le territoire, ayant vu sa population augmenter de près de 40% depuis le début des vacances scolaires de la zone C début avril (soit sept jours avant l’arrêté), était dans une situation « particulière » au sens de la jurisprudence car cette augmentation significative du nombre de résidents sur le territoire communal (entre 400 et 500 personnes), en pleine crise sanitaire, faisait craindre une reprise de l’épidémie dans un de ses foyers initiaux. De plus, et comme l’a souligné le juge, cette situation particulière était renforcée par la configuration géographique de la commune, située à l’extrémité d’une vallée, rendant par conséquent compliquée l’évacuation de potentiels malades, en grand nombre, dans la plaine.

D’autre part, le juge des référés a constaté que l’arrêté attaqué s’inscrivait en complément de l’arrêté préfectoral du préfet de Haute-Savoie adopté le même jour et prescrivant l’interdiction de la location de résidences meublées sur le territoire départemental. En effet, bien loin de revenir sur les mesures prescrites par le préfet comme le soutenait la LDH, l’arrêté municipal contesté imposait des mesures plus restrictives que ce premier (en interdisant, également, l’occupation des résidences secondaires par des néo-arrivants jusqu’à l’issue du confinement).

Enfin, le juge a relevé que cet arrêté était proportionné dès lors qu’il ne concernait ni les personnes occupant, depuis le début du confinement une résidence secondaire sur le territoire de la commune, ni le personnel médical qui bénéficiait d’une dérogation.

Par conséquent, le tribunal administratif a donc considéré l’arrêté attaqué comme légal, car complétant les mesures préfectorales édictées le même jour. Cette décision est intéressante car elle confirme et réaffirme le pouvoir de police des maires malgré l’existence d’une règlementation nationale d’exception.

2-. Une ordonnance réaffirmant le pouvoir de police générale des maires malgré l’existence d’une règlementation nationale d’exception

Alors qu’il est de longue date établi que l’existence d’une autorité de police administrative spéciale n’empêche pas les autorités de police générale d’adopter des mesures de police à condition que celles-ci soient plus contraignantes et justifiées par des circonstances locales particulières (not. : C.E., 18 déc. 1959, Société des Films Lutétia, préc.), les différentes décisions rendues en référé durant la période de la crise sanitaire ont pu laisser penser que ce principe n’avait qu’une portée platonique.

En effet, si d’un point de vue juridique, et comme il l’a été rappelé précédemment, le Conseil d’État a, par son ordonnance du 17 avril 2020, réaffirmé cette possibilité, l’étude précise des décisions rendues en la matière démontre qu’en pratique, de très nombreuses mesures de police municipales, plus contraignantes que les mesures nationales, ont été censurées par les juridictions administratives alors même qu’elles pouvaient apparaitre (ou ont pu, a posteriori, apparaitre) justifiées. S’agissant de l’obligation du port du masque au sein d’une commune (C.E., 17 avril 2020, Commune de Sceaux, préc.), de restrictions aux déplacements (par ex. : T.A. Toulon, 23 avril 2020, n°2001178) ou encore de mesures de couvre-feux (par ex. : T.A. Nantes, 24 avril 2020, n°2004365), nombreuses sont les jugements ou ordonnances ayant censuré les velléités des maires d’intensifier les mesures de lutte contre l’épidémie jusqu’à parfois faire penser que leur pouvoir d’aggraver, par le biais de mesures de police générale, des mesures de police spéciale était exclu dans le cadre spécifique de la crise sanitaire.

Cependant, tant l’ordonnance commentée que de récentes jurisprudences (voir not. en ce sens T.A. Nice, 5 aout 2020, n°2003001) démontrent que tel n’est pas le cas. Bien au contraire, il est possible de penser que le cadre d’action mis en place par le Conseil d’État par son ordonnance du 17 avril (Commune de Sceaux, préc.), axé autour de la notion de « circonstances locales » et réaffirmé en l’espèce pourrait, à l’avenir, en cas de recrudescence de l’épidémie sur le territoire, permettre de justifier le recours au pouvoir de police des maires. En effet, la fin de l’urgence sanitaire ayant entrainé l’assouplissement de nombreuses mesures de police spéciale, les autorités de police administrative générale se retrouvent désormais en première ligne pour faire face à la crise sanitaire toujours présente et adopter, au niveau local, des mesures de police adaptée à leur territoire.

Cette possibilité pour les maires d’adopter des mesures de police adaptées à leur territoire grâce au cadre fixé par le Conseil d’État, loin d’être purement théorique, est, d’ores et déjà une réalité. En effet, pour exemple, par le biais de l’ordonnance en date du 5 août 2020 précitée, le T.A. de Nice a très récemment jugé légal, en l’absence de mesure préfectorale en ce sens, l’arrêté du maire de Nice imposant le masque au sein du centre de celle-ci afin de prévenir toute reprise de l’épidémie. Cette décision, et les nombreux arrêtés municipaux ayant fleuri sur le territoire depuis quelques semaines démontrent bel et bien un retour en grâce des pouvoirs de police des maires pour lutter, au niveau local, contre l’épidémie.

Il sera sur ce point intéressant d’étudier, dans les semaines à venir, les jurisprudences qui ne manqueront pas d’arriver dans l’hypothèse (malheureuse) d’une recrudescence de l’épidémie justifiant d’adopter des mesures contraignantes pour apprécier si les Maires ont réellement retrouvé leurs pouvoirs de police.

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