Mesures concernant les détenus dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire

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Décision de justice

TA Lyon, ordonnance – N° 2002758 – Ordre des avocats du barreau de Lyon – 22 avril 2020 – C

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 2002758

Date de la décision : 22 avril 2020

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Etat d’urgence sanitaire, Epidémie Covid-19, Etablissements pénitentiaires, Détenus, Référé-liberté

Rubriques

Police administrative

Résumé

Une requête auprès du juge des référés a posé la question de la violation des droits fondamentaux des détenus en période de pandémie du fait de leurs conditions d’incarcération. Par son ordonnance, le juge ne considère pas l’atteinte établie du fait du manque de moyens de l’administration, lequel ne lui permet pas de prendre de disposition matérielle supplémentaire.

Quelle réponse juridique donner à une pénurie matérielle dans le contexte carcéral en période de pandémie mondiale ?

Agathe Chirossel

Doctorante en droit public de l'Université Clermont Auvergne (CM – EA 4232)

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DOI : 10.35562/alyoda.6611

La Covid-19 a bouleversé l’ordre juridique français, et ce particulièrement dès le 16 mars 2020 lorsqu’a été annoncé le confinement de la population. A cet égard, la détention présente un enjeu singulier, notamment du fait de la surpopulation carcérale et de la promiscuité qu’elle engendre. Les juges français doivent alors faire face à la question majeure de la protection du détenu en temps de pandémie, et principalement du respect de ses droits et libertés fondamentaux.

L’ordonnance rendue le 22 avril 2020 répond ainsi à une requête formulée par deux demandeurs, un détenu de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas et l’ordre des avocats au barreau de Lyon. Ils dénoncent les conditions d’incarcération et la rupture du lien entre les avocats et leurs clients du fait de l’épidémie de Covid-19. Ils soutiennent que, contrairement à ce qu’a préconisé le Conseil d’Etat (8 avril 2020, n° 439827, inédit) le directeur de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas n’a pas pris les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie. Ainsi, les détenus subiraient une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit à la vie, leur droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et leur droit de recevoir des traitements et des soins appropriés. Factuellement, ces atteintes sont caractérisées à plusieurs titres. D’abord par le manque de masques, et ce particulièrement pour les détenus en charge de la confection et de la distribution des repas, l’impossibilité de respecter les consignes nationales de distanciation physique du fait de la surpopulation carcérale et de l’agencement des espaces où les détenus peuvent se croiser, notamment pour les départs en promenade. Ensuite, le manque de dépistage, et ce même après la détection médicalement avérée d’un détenu atteint du coronavirus, constitue un manquement à l’obligation de prise en charge médicopsychologique des détenus. Enfin, ils relèvent le manque global d’hygiène, particulièrement du fait du défaut de nettoyage des locaux entre les douches des détenus ainsi qu’entre les fouilles et la trop faible distribution de produits d’hygiène. Par ailleurs, les droits de la défense subissent également une violation du fait de l’impossibilité de visites régulières des avocats aux parloirs en raison du risque sanitaire.

En défense, la garde des sceaux demande le rejet de la requête, estimant que le requérant ne présente pas de vulnérabilité particulière, ce qui empêche de caractériser l’urgence nécessaire au recours à un référé-liberté. De plus, le seul cas de Covid-19 présent dans la maison d’arrêt ne suffit pas à caractériser un risque particulier de contamination, étant précisé que le malade a été rapidement pris en charge puis transféré auprès de l’unité hospitalière sécurisée interrégionale et est aujourd’hui guéri. Les malades potentiels ont en outre été placés en confinement sanitaire. Par ailleurs, la réduction d’accès aux services médicaux n’est pas avérée puisque les soins étaient alors dispensés directement en cellule. En outre, l’occupation du centre pénitentiaire a été diminuée de 24, 13 points de pourcentage afin d’œuvrer contre la surpopulation et la promiscuité conséquente entre les détenus, notamment pendant les heures de promenade. Les mesures d’hygiène ont également été améliorées : le téléphone est nettoyé et le linge personnel des détenus est entretenu gratuitement par la buanderie de l’établissement. Quant à la violation des droits de la défense, la garde des sceaux relève que la configuration du parloir avocat ainsi que des salles destinées aux commissions de discipline ou aux entretiens ont été aménagées afin de prendre en compte les gestes barrière. La fourniture des masques et autres matériels de protection est, elle, limitée aux personnes extérieures à l’établissement en contact physique direct et prolongé avec les personnes détenues. Ainsi, l’absence de distribution automatique à tous les détenus ne constituerait pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

L’opposition totale entre les moyens soulevés par les demandeurs et ceux de la garde des sceaux révèle les difficultés d’adaptation du droit à un état de crise. Le rôle du juge en cette période de limitations de libertés se trouve ainsi accru et valorisé dans sa mission de contrôle de proportionnalité d’éventuelles atteintes. Le contentieux, notamment administratif, revêt un intérêt tout particulier dans la réaffirmation des libertés, mais également dans leur redéfinition face à une pandémie mondiale. En l’occurrence, le juge des référés rejette la requête des deux demandeurs en considérant que si le risque de contagion de l’épidémie au sein du centre pénitentiaire existe, il ne dispose pas en l’état de moyens pour mettre en place une procédure particulière. Il considère en ce sens que la maison d’arrêt a pris les mesures qui lui étaient possibles de prendre en cette période pour réduire les risques de contamination. Ainsi, l’atteinte alléguée aux droits fondamentaux de M. X n’est pas caractérisée, « eu égard aux moyens actuellement disponibles pour l’ensemble de la population française ». En outre, la situation de M. X n’est pas constitutive, selon le juge, d’une vulnérabilité particulière lui imposant un traitement différencié.

Ce litige pose le problème de l’efficacité du référé-liberté en période d’état d’urgence sanitaire ; questionnement exacerbé par le contexte carcéral et les enjeux qui lui sont liés. Le jugement en référé consiste en la prescription de mesures pour faire cesser une atteinte à une liberté fondamentale, lesquelles sont principalement provisoires. Elles sont donc particulièrement liées au contexte dans lequel s’inscrit l’ordonnance. La question demeure donc de savoir si, en cas de profusion de matériel de protection, la solution du juge aurait été différente.

Dans une ordonnance globalement défavorable aux détenus, le juge des référés estime que l’absence de moyens, dans une lignée jurisprudentielle avancée par le Conseil d’Etat, ne lui permet pas d’ordonner de mesures particulières (I). Cette sévérité se justifie par une définition stricte de la vulnérabilité, en désaveu d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme (II).

1. Une absence matérielle justifiant une absence d’injonction

Le juge du référé-liberté, selon une lecture combinée des articles L. 511-1 et L. 521-2 du Code de justice administrative (CJA), prononce des mesures ayant un caractère provisoire visant à faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale à l’encontre d’une liberté fondamentale dans un délai de quarante-huit heures.

En premier lieu, le droit à la vie est qualifié de liberté fondamentale (en ce sens : CE, Sect., 16 novembre 2011, Ville de Paris, n° 353172, Rec. p. 552), tout comme celui des droits de la défense. Cette condition est nécessaire mais insuffisante pour emporter la compétence du juge des référés puisque l’atteinte doit être « grave » et « manifestement illégale ». Cette gravité relève de l’appréciation souveraine du juge. En l’occurrence, s’il rappelle l’aspect dommageable de l’absence de mise à disposition de produits d’hygiène supplémentaires tels que gel hydroalcoolique et masques, cette absence « n’est pas, à elle seule, de nature à établir une carence grave de l’administration », dans la mesure où les avocats « ont la possibilité de se procurer eux-mêmes le gel dont ils estiment avoir besoin ». Ainsi, les libertés fondamentales alléguées ne subissent pas une atteinte caractérisée. Il est néanmoins à noter que le juge précise que le défaut de fourniture de matériel n’est pas constitutif d’une carence « grave » de l’administration. Il semble donc qu’un recours devant une autre juridiction, qui pourrait juger le litige au fond et analyser les questions relatives au contentieux indemnitaire, permettrait de caractériser la carence fautive de l’administration. L’absence d’exigence du caractère urgent et particulièrement grave pourrait donc profiter au requérant.

Cela permet en second lieu de soulever l’importance du contexte dans une ordonnance du juge des référés. L’article L. 521-2 du CJA rappelle que la demande présentée devant le juge des référés doit être justifiée par l’urgence. Le juge affirme alors qu’il « ne peut, au titre de cette procédure particulière, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale ». Ainsi, cette ordonnance d’un juge des référés est ancrée dans un contexte national très particulier, l’état d’urgence sanitaire. Celui-ci est caractérisé par une situation nationale de pénurie de matériel de prévention du virus, qu’il s’agisse de masques ou de tests de dépistage. Le juge, alors pressé par l’urgence, établit donc une hiérarchie dans la distribution limitée qu’il peut en faire, à savoir les personnes particulièrement exposées au virus : les personnes âgées et les personnels soignants. C’est ainsi qu’il peut conclure que la maison d’arrêt a pris toutes les mesures nécessaires « eu égard aux moyens actuellement disponibles pour l’ensemble de la population française ». Autrement dit, le juge s’en tient à une situation de pénurie matérielle pour conclure à une impossibilité juridique lui permettant de faire cesser une éventuelle atteinte à une liberté fondamentale.

Cette position révèle la frilosité du juge face aux problématiques carcérales. En effet, le manque de moyens n’est pas toujours un argument validant l’impossibilité d’action de la puissance publique. Notamment, le Conseil d’Etat a, dans une ordonnance en référé du 20 avril 2020 (Assoc. Respire, n° 440005, au Lebon T.), jugé qu’il « incombe à l’administration […] de faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire en veillant à ce que soit pris, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils ». Autrement formulé, cela sous-entend que l’administration n’a pas en l’état les moyens de faire cesser un trouble allégué mais que, lorsqu’elle le pourra, elle devra le faire. L’impossibilité matérielle à un moment donné n’induit donc pas une impossibilité juridique à la charge de l’Etat de faire lorsqu’il le pourra. Le juge des référés a donc la capacité de presser l’administration dans certains contentieux. Cette posture très en retrait dans l’ordonnance commentée n’est donc pas justifiée uniquement par le contexte de pénurie matérielle, mais aussi par le contexte carcéral dans lequel se trouvent les requérants.

Cette ordonnance s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne jurisprudentielle du Conseil d’Etat amorcée début avril. Par une décision en référé du 8 avril 2020 (Syndicat de la magistrature, n° 439827, inédit), il a estimé qu’un « nettoyage renforcé » et une « aération régulière des locaux » sont des consignes permettant d’éviter le risque de contamination puisqu’il conclut qu’il « n’apparaît pas, en l’état de l’instruction et à la date de la présente ordonnance, que, s’agissant des règles et des mesures d’hygiène, devrait être ordonnée, au motif d’une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées, l’édiction d’autres instructions de portée générale ». Quant à la distribution de masques aux détenus, le Conseil d’Etat estime qu’il « n’apparaît pas […] qu’eu égard à la stratégie de gestion et d’utilisation maîtrisée des masques mise en place à l’échelle nationale, en l’état du nombre de masques de protection actuellement disponibles, l’absence de distribution de masques de protection à l’ensemble des personnes détenues révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ». Les juges administratifs semblent donc se cantonner à un raisonnement factuel dans les litiges relatifs à l’univers carcéral.

L’ordonnance du 7 mai 2020 du Conseil d’Etat (Ordre des avocats au barreau de Martinique, n° 440151, au Lebon T.) peut permettre d’entrevoir une évolution positive à l’égard des détenus puisque ces derniers, comme le personnel pénitentiaire, « sont désormais identifiés comme personnes prioritaires pour des tests en cas de symptômes du Covid-19 ». Cette évolution est cependant rendue discrète par la teinte globale de son discours selon lequel, « compte tenu des mesures mises en œuvre par le chef d’établissement

L’ordonnance du 7 mai 2020 du Conseil d’Etat (Ordre des avocats au barreau de Martinique, n° 440151, au Lebon T.) peut permettre d’entrevoir une évolution positive à l’égard des détenus puisque ces derniers, comme le personnel pénitentiaire, « sont désormais identifiés comme personnes prioritaires pour des tests en cas de symptômes du Covid-19 ». Cette évolution est cependant rendue discrète par la teinte globale de son discours selon lequel, « compte tenu des mesures mises en œuvre par le chef d’établissement […] pour limiter les risques de propagation du virus […], l’absence de distribution de masques de protection à l’ensemble des personnes détenues ne révélait pas une carence de l’administration ». Les détenus ne sont ainsi toujours pas rendus destinataires prioritaires des matériels de protection, dans un contexte pourtant plus favorable puisque la pénurie de masque était déjà en train de se résorber. Néanmoins, le 4 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a amorcé une évolution jurisprudentielle majeure en faveur des détenus. Par son ordonnance (TA Toulouse, ord., 4 septembre 2020, n° 2004355), il a « enjoint au chef d’établissement d’organiser une campagne de dépistage du virus […] et de mettre à la disposition des détenus des masques dans certains locaux clos et partagés ». Les avocats requérants dénoncent la repopulation majeure des centres pénitentiaires, au sein desquels n’ont pas été réexaminés les mesures prises pendant le confinement qui étaient justifiées par la seule baisse de densité. La maison d’arrêt concernée supporte aujourd’hui une population de 178, 5% de la capacité maximale d’accueil. Le juge des référés a donc considéré comme caractérisées les atteintes aux droits fondamentaux allégués (P. Gagnebet, « Coronavirus : la prison de Toulouse-Seysses sommée de dépister et de fournir des masques aux détenus », Le Monde, 9 septembre 2020).

2. Des critères mouvants de définition de la vulnérabilité

Un axe majeur du raisonnement du juge réside dans la caractérisation de la vulnérabilité. En effet, il justifie la distribution prioritaire de masques aux personnels soignants et les personnes présentant une vulnérabilité particulière, dont il faut comprendre qu’il s’agit d’une vulnérabilité spécifiquement à l’égard de la maladie, étant nommément visées les personnes âgées dépendantes, sachant qu’il était alors déjà acquis que le virus s’avérait particulièrement mortel pour celles-ci. Ainsi, la vulnérabilité ne semble plus correspondre ici à la définition juridique qui lui est habituellement attribuée mais davantage à une caractérisation médicale puisque déterminée face au virus. Pour le juge, les « personnes présentant une vulnérabilité particulière » sont les « occupants des établissements pour personnes âgées dépendantes, ou [les] personnes exposées à de fréquents contacts avec des personnes susceptibles d’avoir été contaminées ».

En théorie, il reste couramment admis que les détenus sont, du fait même de leur incarcération, au nombre des personnes considérées comme vulnérables. Nous pouvons citer en ce sens divers exemples de jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme, dont la décision du 5 septembre 2017, Tekin et Arslan C./ Belgique (n° 37795/13) reste la plus claire et dont l’énoncé balaie toute difficulté d’interprétation : « les personnes détenues sont en situation de vulnérabilité et les autorités ont le devoir de les protéger ». Aussi, l’arrêt du 22 octobre 2009, Norbert Sikorski C./ Pologne (n° 17599/05) entérine une obligation positive à la charge de l’Etat : « la personne incarcérée peut avoir besoin d’une protection accrue en raison de la vulnérabilité de sa situation et parce qu’elle se trouve entièrement sous la responsabilité de l’Etat ». En l’occurrence et en état d’urgence sanitaire, les personnes détenues devraient donc voir leurs garanties multipliées, puisque justement placées « sous la responsabilité de l’Etat ». De plus, la France a été condamnée par la CEDH (J.M.B et autres c./ France, 30 janvier 2020, n° 9671/15, 30 janvier 2020, n° 9671/15) du fait de sa surpopulation carcérale, constituant une violation de l’article 3 de la Convention. Il est étonnant de constater que le juge des référés se contente ici d’une diminution de la surpopulation (sans donc rechercher à enjoindre l’établissement de ne pas dépasser sa capacité maximale d’accueil) pour considérer que des mesures de prévention ont été prises. C’est se placer en décalage avec les condamnations récurrentes de la CEDH pour les conditions de détention.

Le juge français a néanmoins déjà reconnu la vulnérabilité des détenus comme étant structurelle. En effet, le 6 octobre 2014, l’Observatoire international des prisons a déposé une requête en référé auprès du tribunal administratif de Fort-de-France pour dénoncer les graves atteintes aux libertés fondamentales des détenus du centre pénitentiaire local, subissant notamment une surpopulation de 208%. Dans son ordonnance du 17 octobre 2014 (TA Fort-de-France, ord., n° 1400673), le juge des référés avait notamment reconnu la violation de droits fondamentaux en affirmant « qu’eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration, il appartient à celle-ci […] de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu’à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant ».

En l’espèce, le juge ne retient aucune de ces solutions. Les détenus ne sont selon lui pas des personnes vulnérables et il n’y voit donc pas d’obligation positive à la charge de l’Etat d’assurer une protection particulière en temps de pandémie. Il semble retenir une identification multiple (A. Palanco, « Les variations autour des formes de vulnérabilité reconnues en droit européen des droits de l’homme », in C. Boiteaux-Picheral (dir.), La vulnérabilité en droit européen des droits de l’homme – Conception et fonction, Anthemis, 2019, Droit et Justice, pp. 33-62), appelée « recours complétif », qui permet d’identifier la vulnérabilité sur le rattachement à une catégorie (en l’espèce, les détenus), mais également sur des facteurs individuels (par exemple, une pathologie déjà connue) . Ainsi, bien que le détenu soit vulnérable, s’il ne détient pas de facteur individuel particulier, il ne sera pas considéré comme faisant l’objet d’une « particulière vulnérabilité » imposant des soins et traitements particuliers à son égard. La CEDH a déjà validé cette interprétation différenciée dans un arrêt du 13 septembre 2016 (A.S. C./ Turquie, n° 58271/10 n° 58271/10) : « la Cour rappelle la situation de vulnérabilité des détenus ainsi que la particulière vulnérabilité des mineurs ». Le contexte national d’état d’urgence sanitaire semble donc ajouter une condition de « particulière gravité » afin de prendre en compte la vulnérabilité du détenu.

La détention est un lieu où seule la liberté d’aller et venir doit être limitée. L’atteinte à d’autres droits est donc régulièrement sanctionnée par la CEDH, et particulièrement dans des litiges relatifs aux traitements médicaux (notamment CEDH, 21 décembre 2010, X. c./ France, n° 36435/07 caractérisant la torture du fait d’un manque de soins à l’égard de la requérante) . La question qui demeure est donc celle de la possibilité d’une condamnation postérieure de la France du fait de la non-fourniture de matériel de protection, si ceux-ci sont assimilés à des traitements médicaux. Les détenus y auraient par conséquent droit du fait de leur vulnérabilité et de leur dépendance vis-à-vis de l’administration, pour paraphraser la jurisprudence de la Cour.

Si les détenus sont confinés du fait de la détention, c’est le monde extérieur qui intègre les établissements. L’aspect clos des centres pénitentiaires exacerbe la nécessité de précautions avec ces différents acteurs, étant acquis que dès le virus entré dans l’enceinte de l’établissement, la promiscuité en promet une diffusion rapide et difficilement contrôlable. Le raisonnement du juge suit donc un axe idéologique que seul un lieu fermé permet : les détenus sont tous considérés comme sains, n’ayant pas de contact avec l’extérieur. Pourtant, le « danger médical » lié au contexte de l’espèce provient de l’extérieur, intégrant le huis clos en trois temps précis.

Premièrement, il s’agit de la relation entre les détenus et les surveillants. Le juge indique à ce titre que les masques ont été « distribués aux personnels en contact direct et prolongé avec les détenus pour éviter qu’ils ne soient contaminés par des personnes venues de l’extérieur », visant sans les nommer les surveillants.

Deuxièmement, le droit fondamental à la défense impose le maintien d’un lien continu entre détenus et avocats. La possibilité de fourniture pour les avocats de gel hydroalcoolique à l’extérieur de l’établissement semble être pour le juge une garantie suffisant à écarter la caractérisation de l’atteinte à une liberté fondamentale, garantissant ainsi la santé publique au sein du centre pénitentiaire.

Dernièrement, l’intrusion d’objets lancés au-dessus de l’enceinte d’établissement constitue la dernière intrusion du monde extérieur dans l’univers carcéral. La maison d’arrêt de Lyon Corbas « est confrontée à de nombreuses projections d’objets depuis l’extérieur », justifiant ainsi le maintien des fouilles corporelles. Il est néanmoins étonnant de voir que le juge relève cette intrusion de l’extérieur sans garantir davantage de précautions sanitaires en cas de fouille, le virus ayant pu être diffusé par ce moyen. Le 22 avril 2020, au jour de cette ordonnance, les scientifiques n’étaient néanmoins pas unanimes sur la survie du virus sur des objets laissés à l’air libre

Par une réflexion très factuelle, le juge des référés constate en parallèle la diminution du taux d’occupation qui, bien que toujours supérieur à la capacité maximale de la maison d’arrêt, semble avoir fait disparaitre l’enjeu de la promiscuité en milieu carcéral, à savoir la facilité de déplacement d’un virus une fois entré dans l’enceinte de l’établissement. Une contamination massive en détention soulèverait pourtant des difficultés majeures en termes de conciliation entre droit à la santé et respect de la sécurité.

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