Greffiers des tribunaux de commerce : redevance d'occupation du domaine public pour leurs fonctions extra-juridictionnelles

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Décision de justice

TA Lyon – N° 1808606 – SELARL V. – 08 juin 2020 – C+

Juridiction : TA Lyon

Numéro de la décision : 1808606

Date de la décision : 08 juin 2020

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Domaine public, Redevance d’occupation du domaine public, Greffiers des tribunaux de commerce

Rubriques

Propriétés publiques

Résumé

Les greffiers des tribunaux de commerce, qui ont la qualité d'officier public et ministériel nommé par le garde des sceaux, exercent une profession réglementée dans un cadre libéral au sens du paragraphe I de l'article 29 de la loi du 22 mars 2012. Ils exercent des missions d’assistance des juges du tribunal de commerce à l'audience et du président dans l'ensemble des tâches administratives qui lui sont propres ainsi que le secrétariat, sous l'autorité du président du tribunal et sous la surveillance du ministère public, de l'ensemble des services du greffe et enfin des missions d’accueil du public. A ce titre, ils font partie intégrante, avec les juges élus, de la juridiction commerciale et participent directement à l'exercice du service public de la justice et aucune redevance d’occupation du domaine public ne peut être demandée pour ces fonctions.

Les greffiers des tribunaux de commerce sont également chargés de missions extra-juridictionnelles, à savoir la tenue de registres de publicité légale et la diffusion de l’information juridique et financière des entreprises, missions dissociables des premières, qui ne participent qu’indirectement à ce service public et qui ne commandent pas nécessairement la présence des greffiers auprès des autres membres de la juridiction commerciale. Par suite, lorsqu’ils sont logés au sein du palais de justice et y exercent ces missions extra-juridictionnelles, ils ne peuvent être regardés, pour ces missions, comme affectataires du domaine public de l’Etat mais sont des occupants de ce domaine, entrant ainsi dans le champ d’application de l’article L.2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Une redevance d’occupation du domaine public peut être demandée à ce titre.

24-01-02-01-01, Domaine public, Propriétés publiques, Occupation du domaine public, Utilisation privative du domaine, Redevances, Greffiers des tribunaux de commerce, L.2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, Possibilité de redevance, Possibilité de redevances au titre de fonctions extra-juridictionnelles, Absence de possibilité de redevance au titre de l’exercice du service public de la justice, Article L.2125-1 du CGPPP, Greffier des tribunaux de commerce - 1) Possibilité de redevance au titre de l’exercice du service public de la justice - Absence – 2) Possibilité de redevance au titre de fonctions extra-juridictionnelles – Existence

Les greffiers des tribunaux de commerce n’échappent pas à la redevance d’occupation domaniale

Anthony Bron

Elève-avocat

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.6610

Les activités extra-juridictionnelles des greffiers des tribunaux de commerce sont, lorsqu’elles sont réalisées au sein des locaux d’un tribunal, soumises à une redevance pour occupation du domaine public.

Aucune des dépendances domaniales ne semble désormais échapper à l’impératif de valorisation du domaine public que l’administration met en œuvre pour l’ensemble de ses propriétés. Tel pourrait être l’enseignement de la présente affaire. En l’espèce, une société d’exercice libéral à responsabilité limitée, titulaire d’un office de greffier d’un tribunal de commerce, s’était vu notifier le 2 juillet 2018 un avis de paiement, par lequel le directeur régional des finances publiques d’Auvergne Rhône-Alpes et du département du Rhône lui demandait le paiement de la somme de 18 348 euros au titre de la redevance d’occupation du domaine public pour l’année 2017.

Estimant cet avis de paiement non fondé, la société, après avoir vu son recours gracieux rejeté, a demandé au Tribunal administratif de Lyon de prononcer l’annulation de cette décision et, en conséquence, de la décharger de l’obligation de payer le montant de la redevance.

Pour décider si les greffiers des tribunaux de commerce doivent être assujettis au paiement d’une redevance domaniale, le tribunal administratif leur reconnaît une double qualité d’affectataire et d’occupant d’une dépendance du domaine public, selon qu’il exerce des missions juridictionnelles ou au contraire, extra-juridictionnelles (1). Ce jugement soulève néanmoins des questions, notamment en ce qu’il retient la qualification de redevance domaniale, plutôt que celle de redevance pour service rendu (2).

1 La double qualité d’affectataire et d’occupant d’une dépendance du domaine public reconnue aux greffiers des tribunaux de commerce

Le Tribunal administratif n’a, en l’occurrence, fait droit à aucune des demandes de la société requérante. Il a en premier lieu retenu que les greffiers des tribunaux de commerce exercent, d’une part, des missions d’assistance aux juges consulaires durant l’audience et auprès du président pour l’ensemble de ses tâches administratives, d’autre part, le secrétariat sous l’autorité du président du tribunal, et enfin, des missions d’accueil du public (articles R. 741-1 à R. 741-3 du code de commerce) . Par conséquent, le Tribunal considère que les greffiers des tribunaux de commerce « font partie intégrante, avec les juges élus, de la juridiction commerciale et participent directement à l’exercice du service public de la justice ». Ainsi, alors qu’aucune disposition du Code général de la propriété publique ne les qualifiait expressément comme tels, il estime que les greffiers doivent être, pour ces missions, qualifiés de simples affectataires du domaine public, et non comme des occupants de celui-ci. Il s’ensuit que les dispositions de l’article L. 2125-1 du CG3P qui prévoient que « Toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique (…) donne lieu au paiement d’une redevance », ne leur sont pas, lorsqu’ils ont cette qualité, applicables.

En second lieu, les juges lyonnais constatent que les greffiers des tribunaux de commerce ne participent pas seulement au service public de la justice et qu’ils exercent également en parallèle de celles-ci, des missions qualifiées d’« extra-juridictionnelles ». En effet, comme le relève le jugement commenté, les greffiers des tribunaux de commerce sont aussi chargés de « la tenue de registres de publicité légale et (de) la diffusion de l’information juridique et financière des entreprises » en vertu des articles R. 741-2 et R. 741-4 du Code de commerce.

Pour les activités qui ne participent qu’indirectement au service public de la justice et qui n’impliquent pas nécessairement leur présence auprès des membres de la juridiction commerciale, les greffiers doivent être considérés comme des occupants des dépendances du domaine public. Ainsi, les dispositions de l’article L. 2125-1 du CG3P ne s’appliquent qu’aux seules activités non juridictionnelles exercées par les greffiers. Pour l’exercice de ces activités, ils sont donc soumis au paiement d’une redevance domaniale.

En définitive, une même personne présente sur le domaine public peut donc avoir deux qualités, en étant à la fois affectataire de ce domaine mais aussi occupant ou utilisateur de cette même dépendance. En pareille situation, tout l’enjeu est de déterminer le montant de la redevance due pour les seules activités faisant de la personne un occupant du domaine public. La détermination de la part d’activité non liée à une occupation du domaine public est alors essentielle. Dans le cas d’espèce, la redevance comprenait une part fixe représentant la valeur locative des locaux occupés et une part variable établie sur la base de 1 % du chiffre d’affaires, sans que soit identifiée la nature de la mission exercée. Afin de fixer son montant de manière plus précise, les juges lyonnais ont dû demander un supplément d’instruction pour que les parties et notamment l’occupant, puissent apporter des éléments sur le chiffre d’affaires, les volumes d’activité et les surfaces occupées pour chacune des missions, juridictionnelles comme extra-juridictionnelles.

2 La qualification contestable de redevance domaniale

Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Lyon suscite une interrogation au moins à deux égards.

Tout d’abord, le refus de rattacher certaines des autres missions incombant aux greffiers des tribunaux de commerce notamment celle portant sur la tenue du registre du commerce et des sociétés (RCS), au service public de la justice, est très discutable. Le jugement en fait déjà presque lui-même l’aveu, en indiquant que ces missions « ne participent qu’indirectement à ce service public ». Or, il convient de rappeler que le RCS, comme le prévoit l’article L. 123-6 du code de commerce, est tenu par les greffiers « sous la surveillance du président ou d'un juge commis à cet effet ». De surcroît, l’article R. 741-2 du même code prévoit que « Le greffier dirige, sous l'autorité du président du tribunal et sous la surveillance du ministère public, l'ensemble des services du greffe ». Il s’ensuit que les liens entre les missions dont les greffiers ont la charge et les juridictions commerciales sont donc très étroits. La dichotomie retenue par les juges parait ainsi bien fragile car si certaines des missions ne relève pas stricto sensu d’une fonction juridictionnelle, elles entrent tout de même dans le champ des activités relevant au sens large, des juridictions commerciales.

Surtout, la qualification retenue pour la redevance en cause semble également critiquable. Les juges lyonnais ont, en l’espèce, considéré que les missions ne relevant pas de missions juridictionnelles, sont soumises au paiement d’une redevance domaniale. Toutefois, il aurait été intéressant de se demander – ce que la requérante n’a vraisemblablement pas fait – si cette redevance ne devait pas être qualifiée de redevance pour service rendu.

En effet, les faits du présent litige présentent certaines similitudes avec la décision rendue par le Conseil d’Etat en assemblée, le 16 juillet 2007 (C.E., Ass., 16 juillet 2007, Syndicat national de défense de l'exercice libéral de la médecine à l'hôpital, n° 293229, Lebon p. 238) . Dans cette affaire, le Syndicat national de défense de l'exercice libéral de la médecine à l'hôpital avait demandé l’annulation du décret n° 2006-274 du 7 mars 2006, qui autorisait les praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé et les syndicats interhospitaliers, à exercer une activité libérale moyennant le versement d'une redevance par le praticien. Les juges du Palais Royal avaient en l’occurrence retenu que « la redevance due par un praticien hospitalier (…) au titre de l'activité libérale qu'il est autorisé à exercer au sein d'un établissement public de santé, n'est pas liée à une occupation privative du domaine public mais est la contrepartie du service que l'établissement rend à ce praticien en lui permettant de percevoir une rémunération à l'acte tout en bénéficiant des installations et du personnel du service public hospitalier ».

Pour mémoire, les redevances pour service rendu sont définies par le Conseil d’Etat comme « toute redevance demandée à des usagers en vue de couvrir les charges d’un service public déterminé ou les frais d’établissement et d’entretien d’un ouvrage public, et qui trouve sa contrepartie directe dans les prestations fournies par le service ou dans l’utilisation de l’ouvrage » (C.E., Ass., 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens, Lebon p. 572). Même si, comme le relève Elise Untermaier, la distinction entre la redevance pour service rendu et la redevance domaniale demeure en pratique assez « ténue » (Elise Untermaier, Que reste-t-il de la distinction des redevances pour service rendu et des redevances pour occupation du domaine public ?, AJDA 2010, p. 1062), deux critères permettent de caractériser une telle redevance, d’une part, l’existence d’un service rendu et d’autre part, le montant de ladite redevance, qui doit être équivalent à la prestation fournie par le service ou à l’utilisation de l’ouvrage. Il n’en demeure pas moins que la subtilité de la frontière entre ces deux notions reste toujours d’actualité, comme en témoigne un très récent arrêt du 5 octobre 2020, dans lequel le Conseil d’Etat précise qu’une redevance superficiaire, prévue par l’article Lp. 131-3 du code minier de la Nouvelle-Calédonie, « n'a ni le caractère d'une redevance domaniale, dès lors qu'elle ne constitue pas la contrepartie de l'autorisation d'occuper le domaine public de la Nouvelle-Calédonie à laquelle elle est versée, ni le caractère d'une redevance pour service rendu, dès lors qu'elle ne tend pas à couvrir les charges d'un service public ou les frais d'établissement et d'entretien d'un ouvrage public et ne trouve pas sa contrepartie dans les prestations fournies par ce service ou l'utilisation de cet ouvrage » (CE., 5 octobre 2020, Société anonyme Le Nickel, n° 423928).

La situation des greffiers des tribunaux de commerce semble assez comparable à celle des praticiens hospitaliers autorisés à exercer une activité libérale au sein de leur établissement public de santé. Tout comme ces derniers, la redevance versée par les greffiers pourrait être considérée comme étant la contrepartie du service que le tribunal de commerce leur rend, en leur permettant d’exercer au sein de ces mêmes locaux, des activités qui ne se rattachent pas directement au service public de la justice et pour lesquelles ils peuvent être rémunérés.

Or, une telle qualification aurait eu des conséquences, notamment sur la détermination du montant de la redevance contestée. En effet, les redevances pour service rendu obéissent à un régime distinct de celui des redevances domaniales. En particulier, si le Tribunal administratif de Lyon avait qualifié la redevance en cause de redevance pour service rendu, il aurait notamment dû se prononcer sur la question de savoir si cette redevance avait bien été « établie et perçue sur la base de décrets en Conseil d'Etat » (article 4 de la loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances).

Indiquons enfin, que ces deux questions juridiques devraient être de nouveau discutées, puisque la société requérante a fait appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Lyon.

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