Les faits et la procédure antérieure
Au-delà des faits de l’espèce le dossier dont vous êtes saisi pose une question de principe assez délicate à trancher qui vous permettra de préciser la portée de l’on doit donner désormais aux mesures de régularisation en dehors de la notion de permis de construire modificatif.
Le 24 août 2012, le maire de D., près de Megève, a délivré un permis de construire à Mme S. et M. B. pour la construction d’un chalet et d’un abri de jardin. Ce permis a été annulé par jugement du TA Grenoble en date du 28 mai 2015, pour méconnaissance des dispositions de l’article UB 14 du règlement du POS, sur les règles du COS. Vous avez confirmé cette annulation par un arrêt n° 015LY02537 et 15LY02729 du 27 juin 2017 mais les travaux s’étaient poursuivis, sous couvert d’un nouveau permis du 2 mars 2016. Logiquement le tribunal administratif de Grenoble a annulé ce permis. Il s’est fondé sur l’insuffisance du dossier de demande de permis de construire, s’agissant notamment des plans de façade et de toitures qui ne permettent pas d’apprécier le respect des dispositions de l’article UB 7 en reprenant la méconnaissance de l’article UB 14. Le tribunal administratif de Grenoble s’est placé dans une logique de permis de construire modificatif pensons-nous car il a refusé de faire droit aux conclusions L. 600-5-1 en indiquant que le présent projet a déjà été annulé, sur le fondement du même vice que celui relevé au point 7, par un jugement n° 01300671 du tribunal administratif de Grenoble du 28 mai 2015, lequel a été confirmé par un arrêt n° 015LY02729 de la cour administrative de Lyon du 27 juin 2017.
C’est essentiellement sur ce point que porte l’appel de la SCI X. qui critique en particulier le refus par les premiers juges de faire application de l’article L 600-5-1 dés lors que les vices relevés étaient régularisables. Pour autant, et comme par le passé, la société a tenté de régulariser sa situation une première fois en février 2018 avant de solliciter un nouveau permis le 18 avril 2018 accordé le 28 juin 2018 qui est actuellement contesté devant le tribunal administratif de Grenoble. Ce permis de construire a été délivré sous l’emprise d’un nouveau PLU alors même qu’il avait vocation principale à sa seule lecture à purger les vices du permis de construire initial. Vous avez averti les parties que vous étiez susceptible de prononcer un sursis à statuer en tenant compte de la régularisation opérée par la délivrance de ce nouveau permis. La commune cependant comme le pétitionnaire soutient que l’analyse du sursis à statuer relève de la demande de permis de construire modificatif en date du 23 février 2018 qui n’a pu prospérer alors que le permis de construire du 28 juin 2018 est un nouveau permis de construire, la société intimée est du reste d’accord sur ce point puisqu’elle estime que la régularisation est hors de portée dés lors qu’elle supposait l’instruction d’un nouveau projet, le projet précédent devant être regardé comme abandonné.
La solution
1) Vous êtes confrontés à une difficulté à l’instant de vous prononcer sur le point reproché au jugement sous l’angle de l’erreur d'appréciation
Erreur d’appréciation à avoir refusé de faire droit à une demande de sursis à statuer. Vous le savez l’analyse de la régularisation est de l’office du juge voyez CE n° 0338363 du 9 avril 2014 et elle s’inscrit dans une logique inchoative dès lors qu’elle peut intervenir en cours d’instance par le biais d’un permis de construire modificatif sous réserve que ce permis soit légal voyez CE n° 01164467 du 9 décembre 1994 ou même par le fait de l’évolution des documents d’urbanisme de référence voyez CE n° 0404079 40480 du 7 mars 2018 .
La jurisprudence a toutefois mis plusieurs limites à une telle analyse afin d’éviter l’insécurité juridique tenant à une modification permanente d’autorisation d’urbanisme délivrées selon des documents d’urbanisme eux-mêmes évolutifs. La première réside dans ce que le permis de construire modificatif ne peut intervenir que lorsque le permis de construire initial est toujours en vigueur La seconde est que l’instance relevant du permis initial se poursuit par la régularisation voyez ici CE n° 0401384 du 15 février 2019
En ce sens vous pourriez sans doute considérer que le tribunal administratif de Grenoble était fondé à refuser de régulariser un permis de construire initial qu’il avait annulé puisque par définition vous êtes devant l’obligation de prendre une nouvelle décision autorisant un permis différent voyez sur la notion de nouveau permis CE n° 072387 du 23 septembre 1988 . Mais la jurisprudence a évolué et cette situation n’est plus opposable en appel même en cas d’annulation du permis voyez CE n° 0389520 du 22 février 2018 sursis à statuer. ce qui confirme l’autonomie d’une mesure de régularisation par rapport au permis de construire modificatif. A l’inverse même s’il est possible que coexistent deux autorisations d’urbanisme sur le même terrain voyez CE n° 0262328 du 29 juin S. cela ne signifie pas qu’elles soient confondues, de sorte que l’appréciation de la légalité de la seconde autorisation ressortisse de celle de la première. Tel est du reste particulièrement le cas ici car le permis de construire du 28 juin 2018 a été délivré en application non pas du POS mais du PLU adopté postérieurement https://www.bjdu.fr/index.php/produit/janvier-fevrier-2019/11/" Francis Polizzi dans son article au BJDU de janvier février 2019 constatant que le permis de régularisation s’affranchissait dans le cadre de la nouvelle loi ELAN du « carcan du permis de construire modificatif » mais nous pensons que cette évolution législative était déjà en germe en jurisprudence. Dans ces conditions, nous pensons que si le tribunal administratif de Grenoble avait quelque difficulté à admettre à son niveau la régularisation tel n’est pas le cas dans votre office de juge d’appel.
Aussi nous aurions tendance à estimer qu’il convient d’analyser le permis de construire du 28 juin 2018 comme relevant à la fois d’un permis de construire nouveau et d’une mesure de régularisation. En revanche, nous ne sommes pas favorables à l’analyse qui voudrait que la SCI puisse tenir à la foi des droits du chef du permis de construire initial et du permis de construire nouveau dans le même temps c'est-à-dire sortir en réalité de la soumission du permis de construire aux documents d’urbanisme dans la mesure où les autorisations d’utilisation du sol ont pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’elles autorisent avec la législation et la réglementation d’urbanisme. On ne pourrait admettre que le projet ressortisse à la fois de deux permis de construire au choix du pétitionnaire ou même au pire qu’il tienne selon son choix à tel ou telle disposition des documents d’urbanisme successifs et c’est là un des obstacle à la régularisation qui est analysée ici.
En effet si le permis de construire modificatif a pour effet de conserver les droits afférents au permis de construire initial, il est lui-même soumis au principe de légalité sur ce point indépendamment de l’analyse de la légalité de ce permis lui-même. Il en va de même pour toute mesure de régularisation selon nous Ainsi selon la jurisprudence du 15 février 2019 du CE Commune de Cogolin précité lorsque le juge d'appel estime que le permis initialement attaqué est affecté d'un ou plusieurs vices régularisables, il statue ensuite sur la légalité de ce permis en prenant en compte les mesures prises le cas échéant en vue de régulariser ces vices, en se prononçant sur leur légalité si elle est contestée. Au terme de cet examen, s'il estime que le permis ainsi modifié est régularisé, le juge rejette les conclusions dirigées contre la mesure de régularisation. S'il constate que le permis ainsi modifié est toujours affecté d'un vice, il peut faire application de l'article L. 600-5 ou de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme pour permettre sa régularisation.
Dans ces conditions nous pensons que vous n’avez pas nécessairement à censurer le tribunal administratif de Grenoble en tant qu’il aurait omis de prononcer un sursis à statuer pour pouvoir vous prononcer vous-même sur la mesure de régularisation demandée.
Une solution inverse aurait selon nous l’inconvénient de vous amener soit à doublonner en appel un sursis à statuer rejeté par les premiers juges à bon droit en vous prononçant sur la régularisation tentée le 23 février 2018 et non sur la régularisation opérée le 28 juin 2018 soit d’attraire dans votre instance un permis de construire nouveau contesté cependant en première instance. Or nous l’avons indiqué le permis de construire du 28 juin 2018 qui se fonde sur un nouveau PLU n’est pas un permis de construire modificatif du permis de construire initial et s’il est bien une mesure de régularisation, elle n’intervient dans l’instance initiale que dans cette seule mesure.
Vous n’êtes donc pas en situation d’appliquer l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme suivant lequel « Lorsqu'un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d'une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. »
2) Il est temps de revenir aux vices constatés par le tribunal administratif de Grenoble
Nous ne sommes pas convaincus par le motif tiré de l’incomplétude du dossier initial. En effet il était possible de déterminer la distance du bâtiment et de la toiture aux limites séparatives et la largeur des débords de toitures à la seule lecture des plans de l’ensemble des façades et de la toiture du bâtiment qui étaient cotés. Les inexactitudes du dossier par ailleurs, n’apparaissent pas avoir faussé l’appréciation du service instructeur s’agissant des règles de distance aux limites séparatives. Nous pensons donc que vous ne pourrez suivre les premiers juges sur ce point. S’agissant de moyens de fond vous pourrez au regard des pièces du dossier vérifier que ces éléments permettent d’écarter la méconnaissance de l’article UB 7 du POS.
En revanche nous estimons que la méconnaissance des règles du COS a pu être relevée à bon droit par le tribunal administratif de Grenoble et justifier pour cette seule raison l’annulation du permis de construire initial. Ce point n’est du reste pas contesté.
En revanche il résulte de l’intervention de la loi ALUR du 24 mars 2014 que les PLU ne peuvent plus se référer au COS et il appartient à l’autorité chargée de délivrer les autorisations d’urbanisme de ne pas appliquer un document d’urbanisme devenu illégal voyez CE n° 0286606 du 8 novembre 2005 Le vice est donc non seulement régularisable mais régularisé par la seule intervention du nouveau permis de construire portant sur ce point. Il s’agit d’une régularisation par l’effet de sa seule intervention dès lors que l’autorité de délivrance ne peut plus faire application des règles du COS> CE n° 0366760 du 18 juin 2014
Nous pensons cependant que les pièces du dossier vous démontreront que les plans de masse et les plans de coupe comme les documents graphiques font apparaitre les éléments essentiels s’agissant des raccordements aux réseaux ou de l’implantation du bâtiment sur le terrain d’assiette notamment en terme de hauteur ou d’insertion dans l’environnement.
Contrairement à ce qui est soutenu le projet ne s’inscrit pas dans un terrain enclavé car il desservi par le chemin du Châtelard, qui est une voie privée ouverte à la circulation publique. Le terrain d’assiette du projet bénéficie d’une servitude de passage établie en 1991 et les caractéristiques de la voie, qui dessert déjà de nombreuses constructions, permet la circulation en toute sécurité.
Selon les dispositions de l’article UB 3 du règlement du POS relatives à la voirie : « Les voies privées doivent avoir des caractéristiques techniques adaptées à l’approche du matériel de lutte contre l’incendie. / Les dimensions, formes et caractéristiques techniques des voies privées doivent être adaptées aux usages qu’elles supportent ou aux opérations qu’elles doivent desservir. Les voies privées se terminant en impasse doivent être aménagées de telle sorte que les véhicules puissent faire demi-tour. La largeur de plateforme des voies privées nouvelles et celles existantes appelées à desservir plus de 3 logements ne pourra être inférieure à 6 mètres, dont 5 mètres minimum de chaussée. / La pente des voies privées et des entrées de garages ne pourra excéder 12% en ligne droite et 8% dans les virages. Au-delà de ces limites, une rampe chauffante sera exigée. Mais les règles relatives aux voies privées desservant les terrains situés dans la zone y compris celles relatives aux aire de retournement pour les voies se terminant en impasse ne sont relatives qu’à l’aménagement des voies nouvelles voyez CE n° 0414412 du 26 décembre 2018 D’ailleurs, le chemin du Châtelard, qui dessert déjà plusieurs constructions, présente des caractéristiques techniques adaptées à son usage
Selon l’article UB 9 du règlement du POS : Le coefficient maximum d’emprise au sol, soit le rapport de la surface du terrain occupée par la construction à la superficie de la parcelle, ne doit pas dépasser 0, 20. Ce coefficient ne s’applique qu’aux constructions dépassant de plus d’un mètre le sol naturel. L’emprise au sol du chalet et du mazot représente 216, 78 m2, soit moins de 20% de la superficie du terrain d’assiette. Il n’y a pas lieu par ailleurs de tenir compte de l’emprise de la voie d’accès au garage ni des murs de soutènement, qui ne dépassent pas de plus d’un mètre le sol naturel. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.
Le plan d’occupation des sols comporte des dispositions classiques prohibant des projets qui portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains. Mais tel n’est pas le cas pour un chalet présentant un gabarit et des caractéristiques architecturales proches de ceux des constructions avoisinantes. Le permis de construire prévoit des prescriptions afin de respecter les autres règles précisant qu’en dehors des tons naturels des matériaux employés, il ne sera admis que deux couleurs par construction, l'une pour les enduits éventuels, l'autre pour les éléments de menuiserie. ».
Le plan d’occupation des sols prévoit enfin que les clôtures ne pourront être constituées que de barrières en bois n'excédant pas 1, 20 mètre de hauteur et que Les murettes et murs apparents en ciment ou béton sont interdits.Le projet prévoit la pose de rondins de bois en limite de propriété, mais il ne s’agit pas d’une clôture en bois excédant 1, 2 mètre de hauteur. La notice indique que les enrochements situés près du chemin du Châtelard étaient préexistants à supposer qu’ils puissent relever des murettes sinon des murs apparents ils ne peuvent être regardé comme ayant autorisés par le projet au mépris de l’article UB 11 du POS qui ne portent pas sur la distance des haies et éléments par rapport aux voies internes du projet.
Dans ces conditions, nous pensons que seul le vice tiré de l’absence de respect des règles de COS peut être relevé lequel a été régularisé. Vous avez donc la possibilité et c’est le sens de notre démonstration de vous positionner sur cette régularisation.
Nous inclinons à vous proposer un rejet cependant. La régularisation que vous allez constater aura pour effet de restituer un permis de construire annulé à bon droit alors même qu’un second permis en a opéré la régularisation. A notre sens, cette régularisation est adhérente au permis nouveau lequel est contesté par ailleurs devant le tribunal administratif de Grenoble. Dès lors c’est bien en tant qu’il régularise le permis initial que ce permis du 28 juin 2018 doit être maintenu dans votre instance et non le permis de construire initial du 2 mars 2016 sans préjudice de sa contestation devant le tribunal administratif de Grenoble. Nous pesons toutefois la difficulté à laquelle nous sommes réduits car c’est en réalité à rebours de l’application de l’article L. 600-5-2 cité plus haut incidenter au nom du passé le jugement à venir des premiers juges et non attraire à votre audience le litige en cours. Mais vous pourrez y voir l’avantage de maintenir ici un double degré de juridiction sur le reliquat des conclusions dirigés sur ce permis alors même que vous admettez que sa délivrance régularise le permis de construire initial.
Par suite nous concluons au rejet de la requête et du surplus des conclusions des parties y compris de la commune de Demi quartier que vous avez appelé en tout état de cause à produire des observations voyez CE n° 0281849 du 28 décembre 2005