La jurisprudence administrative assimile la décision administrative de surseoir à statuer sur une demande de construction à un refus, au sens de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme. Cette position devait toutefois évoluer, à l’aune de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme. Apportant une solution jusqu’alors inédite, le tribunal administratif de Grenoble refuse d’enjoindre à l’administration de délivrer un permis de construire après l’annulation d’une décision de surseoir à statuer.
Le Tribunal administratif de Grenoble devait résoudre une question inédite, que posait l’articulation entre l’annulation juridictionnelle d’un sursis à statuer pris sur le fondement de l’article L. 153-11 du Code de l’urbanisme et les dispositions de l’article L. 600-2 du même code. Ces dernières emportent un effet cristallisateur, dès lors que l’administré, dont la demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol a été rejetée, ne peut se voir opposer un nouveau refus fondé sur des dispositions qui seraient intervenues « postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire » (art. L. 600-2 C.urb.) . Ainsi, cet article « crée un droit acquis, évitant que l’application de nouvelles règles ne transforme le succès contentieux en victoire à la Pyrrhus » (Trémeau (J.), « La gestion du risque inondation par le droit de l’urbanisme », in Mélanges en l’honneur d’Yves Jégouzo, Dalloz, 2009, p. 769), étant entendu que la confirmation de la demande par l’administré est implicitement reçue « lorsqu’une juridiction, à la suite de l’annulation d’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol, fait droit à des conclusions aux fins d’injonction sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative » (C.E., 23 février 2017, SARL Côte d’Opale, n° 395274, Lebon T. p. 853, p. 862 ; concl. Bourgeois-Machureau (B.), note Trémeau (J.), BJDU, 2017, n° 3, p. 173; C.E., Avis, 25 mai 2018, Préfet des Yvelines et autres, n° 0417350, Lebon p. 240, concl. Burgurburu (J.) ; note Soler-Couteaux (P.), RDI, 2018, n° 07, p. 400 ; note Richard (M.), AJDA, 2018, p. 1506) . Adoptant une conception extensive et, partant, favorable à l’administré, le juge administratif assimile la décision de surseoir à statuer à un refus, étendant ainsi le bénéfice des dispositions de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme (C.A.A. Lyon, 27 déc. 2001, Cne de la Clusaz, n° 98LY01450 ; confirmé par C.E., 9 mars 2016, Cne de Beaulieu, n° 383060, Lebon p. 72 ; concl. Decout-Paolini (R.), BJDU, 2016, n° 3, p. 221).
Les cartes ont toutefois été rebattues par l’entrée en vigueur du nouvel article L. 424-3 du Code de l’urbanisme issu de la loi dite Macron du 6 août 2015, imposant à l’administration d’indiquer l’intégralité des motifs justifiant sa décision de rejet, d’opposition ou de surseoir à statuer. Or, dans un avis contentieux du 25 mai 2018, le Conseil d’État a estimé que la combinaison de ces dispositions avec celles résultant de l’article L. 600-4-1 du Code de l’urbanisme obligeant la juridiction administrative à se prononcer sur l’ensemble des moyens de la requête pouvait aboutir à ce que le juge, saisi de conclusions à fin d’annulation d’un rejet de permis de construire et à fin d’injonction, contraigne l’administration à la délivrance du titre (C.E., Avis, 25 mai 2018 Préfet des Yvelines, préc.) . Tout l’enjeu de l’affaire soumise à l’examen du Tribunal administratif de Grenoble était donc de savoir si ce pouvoir d’injonction était susceptible de s’étendre en cas d’annulation juridictionnelle d’un sursis à statuer.
Bien qu’il soit déjà admis que l’annulation juridictionnelle d’une décision de surseoir à statuer entraîne l’obligation pour l’administration de procéder à une nouvelle instruction de la demande de l’administré (C.E., 28 déc. 2018, Assoc. du Vajra Triomphant Mandarom Aumisme, n° 402321, Lebon T., p. 838 ; concl. Iljic (A.), BJDU, 2019, n° 2, p. 125 ; v. aussi pour une autorisation de lotir, C.E., 23 févr. 2017, Cne de Pleslin-Trigavou, n° 396105, inédit), l’extension de cette solution à l’hypothèse d’une injonction de faire droit à la demande supposait de franchir une étape supplémentaire, ce que le Tribunal administratif s’est refusé à faire.
Mais la position adoptée par la juridiction de premier ressort ne doit pas surprendre. En considérant qu’ « il résulte de la nature d’une décision de sursis à statuer que l’autorité administrative n’examine pas la conformité d’un projet aux règles d’urbanisme en vigueur », le juge administratif rappelle que la décision de surseoir à statuer ne constitue qu’une simple « mesure de sauvegarde » (Soler-Couteaux (P.), note sous C.E., 11 févr. 2015, SCI Naq Gamma, n° 361433, RDI, 2015, n° 4, p. 197) . L’injonction serait alors contraire à l’esprit du sursis à statuer, qui vise justement à gagner du temps sur une prise de décision future. En somme, le sursis à statuer demeurerait assimilable à une décision de refus lorsque son annulation entraîne le réexamen de la demande ; cette qualification serait en revanche exclue lorsqu’elle aurait pour effet de délivrer automatiquement le permis. La formulation précautionneuse utilisée par le tribunal administratif – « au sens et pour l’application de ces dispositions » – invitant à cette lecture circonscrite de la solution retenue.