Délibération d'une commune faisant grief ou exprimant un simple vœu

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Décision de justice

TA Clermont-Ferrand – N° 1700337 – association Organisation juive européenne et Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme – 18 octobre 2008 – C+

Requête jointe N° 1700596 - Jugement confirmé en appel par CAA Lyon, N° 18LY04207, ordonnance de rejet en date du 29 janvier 2019 - Pourvoi en cassation non admis N° 429300

Juridiction : TA Clermont-Ferrand

Numéro de la décision : 1700337

Date de la décision : 18 octobre 2008

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Délibération, Décision faisant grief, Vœu

Rubriques

Procédure

Résumé

Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, saisi par deux associations, s'est prononcé sur une délibération du conseil municipal de Clermont-Ferrand, qualifiée de vœu.

Par une délibération du 16 décembre 2016, le conseil municipal de Clermont-Ferrand a, en effet émis un vœu "relatif aux colonies israéliennes en Palestine". Cette délibération prend acte de la violation au droit international qui a été affirmée par les institutions internationales et européennes, et émet des vœux concernant l’importation de produits et services en provenance de cette zone.

Après avoir rappelé les critères d'un vœu, dégagés par le Conseil d'Etat dans l'arrêt n° 157623 SARL Enlem du 29 décembre 1997, le tribunal administratif a fait l'exégèse de la délibération attaquée pour en conclure que celle-ci est dénuée de toute valeur décisoire et, par suite, ne constitue pas un acte susceptible de recours.

Si le tribunal administratif rejette ainsi les deux requêtes comme étant irrecevables, il rappelle néanmoins qu'il n'appartient pas à l'assemblée délibérante d'une collectivité locale de se prononcer sur des sujets de politique étrangère et de droit international, ainsi que le tribunal administratif de Montreuil l'avait déjà indiqué dans une espèce similaire.1

135-02-01-04, Collectivités territoriales, Commune, Importation de produits en provenance de colonies israéliennes en Palestine, Délibération faisant grief, Vœu

Notes

1 Voir TA Montreuil, n° 1606488, 20 avril 2017, organisation juive européenne, C+ Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Philippe Chacot

Rapporteur public au tribunal administratif de Clermont-Ferrand

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.6496

Lors de sa séance du 16 décembre 2016, le conseil municipal de la commune de Clermont-Ferrand, à l’initiative des groupes communistes, front de gauche et Europe écologie les verts a adopté un « vœu B » relatif aux colonies israéliennes en Palestine. La délibération prend acte de la violation du droit international qui a été reconnue par les institutions internationales et européennes, et émet des vœux concernant l’importation de marchandises provenant des colonies israéliennes en Palestine. Par une requête n° 1700337 du 16 février 2017 l’organisation juive européenne vous demande d’annuler cette délibération. Par une autre requête distincte n° 1700596 du 16 mars 2017 l’association Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, vous demande également d’annuler cette délibération.

L’argumentation des deux associations est assez proche :

  • elles soutiennent qu’elles ont intérêt à agir eu égard à leur objet statutaire ;

  • que la délibération est une décision faisant grief, malgré la qualification de « vœu », dès lors que par cette délibération il est décidé de ne fournir à la population que des marchandises et services conformes au droit international qui déclare les colonies israéliennes en Palestine illégales et de ne plus acheter de marchandises en provenance « des colonies israéliennes » ;

  • que la délibération est entachée d’incompétence car les enjeux politiques propres au conflit israélo-palestinien ne peuvent être qualifiés d’intérêt local ou d’affaire communale ; la commune de Clermont-Ferrand a outrepassé les pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales ;

  • que la délibération attaquée constitue une discrimination contraire aux articles L. 225-1 et L. 225-2 du code pénal.

En défense, la commune invoque diverses irrecevabilités tirées du défaut d’intérêt à agir, de la tardiveté et de l’absence de caractère décisoire d’un vœu et elle tente de justifier au fond la légalité de l’acte attaqué.

Les deux affaires portant sur la même délibération, nos conclusions seront bien évidemment communes. Nous disions que la commune de Clermont-Ferrand tente de justifier la légalité, car vous l’aurez compris tout ceci est purement et uniquement politique et bien évidemment au fond, la délibération attaquée est, sans doute aucun, parfaitement illégale, au regard des dispositions du code général des collectivités territoriales, qui prévoient que le conseil municipal a compétence pour gérer les affaires de la commune. En aucun cas le conseil municipal n’a compétence pour s’immiscer dans la conduite ou la détermination de la politique étrangère de la France qui relève du gouvernement ainsi que cela a déjà été jugé. TA Montreuil 20 avril 2017, association « organisation juive européenne » n° 166488

Dans ce jugement le tribunal administratif a annulé une délibération du conseil municipal de Bondy qui décidait de ne plus acheter de marchandises en provenance des colonies palestiniennes. Nous ne pouvons donc que constater, pour le regretter, que le conseil municipal de Clermont-Ferrand a le loisir de se consacrer à d’autres tâches qui sont les siennes et qu’il suscite ainsi du contentieux inutile qui ne devrait pas venir encombrer votre tribunal. Nous regrettons également au passage que le préfet n’ait pas déféré cette délibération à votre censure ; mais sans doute a-t-il pensé que vous aviez mieux à faire et, sur ce point, il a entièrement raison. Mais, nous pensons que vous n’aurez pas à examiner la légalité de cette délibération et que vous devrez vous en tenir, en amont, aux fins de non-recevoir invoquées qui sont pertinentes.

1) Tardiveté

Vous pourriez retenir la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté pour l’une des associations requérantes. La requête n° 1700596 présentée par le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme a été enregistrée au greffe le 16 mars 2017. Or, en défense, la commune vous indique que la délibération du 16 décembre 2016 a été affichée le 19 décembre 2016. Cette requête déposée au-delà du délai de deux mois du recours contentieux de droit commun est donc tardive et pourrait être rejetée pour ce motif.

2) Vœu – acte non décisoire

Mais vous avez également la possibilité de retenir une autre fin de non recevoir invoquée par la commune de Clermont-Ferrand qui est commune aux deux requêtes et c’est la solution que nous vous proposons. La commune de Clermont-Ferrand soutient en défense que la délibération attaquée est un vœu qui est dénué de caractère décisoire et qu’elle ne constitue donc pas un acte faisant grief. Les dispositions applicables sont celles de l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales qui prévoit : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. (...) / Le conseil municipal émet des vœux sur tous les objets d'intérêt local. ». La délibération par laquelle un conseil municipal émet un vœu, une prise de position ou une déclaration d’intention, ne constitue donc pas un acte faisant grief et n'est donc pas susceptible de faire l'objet d'un recours devant le juge de l'excès de pouvoir même en raison de prétendus vices propres. CE 29 décembre 1997, Sarl. Enlem n° 157623 (classé en A) Comme vous le savez, la seule exception légale à ce principe réside dans le cas du déféré préfectoral prévu par l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales CE 30 décembre 2009, département du Gers n° 308514. L’irrecevabilité n’aurait donc pas pu être accueillie en cas de déféré préfectoral et, dans ce cas, vous auriez pu vous prononcer sur la légalité de l’acte et vous l’auriez annulé sans coup férir comme l’a fait la T.A. de Melun récemment. T.A. Melun 28 juin 2017, préfet du val de Marne n° 172021 .

Nous nous permettons de sortir un instant du cadre austère du droit et de la jurisprudence. Comme vous le savez nous fêtons cette semaine le 50ème anniversaire de l’arrivée de la publicité sur les chaînes de télévision française. Les plus anciens d’entre vous se souviendront, peut-être, d’une ancienne publicité vantant les mérites d’une boisson gazeuse qui avait l’apparence, la couleur et le goût de l’alcool, mais qui n’en était pas. Nous sommes un peu dans cette configuration, même si nous ne pouvons pas ici invoquer une quelconque jurisprudence « Canada dry ». En effet dans ces affaires, vous allez devoir déterminer si la délibération attaquée, qui s’intitule « vœu B », qui a toute l’apparence d’un vœu, compte tenu de son titre et de sa formulation, en est vraiment un, ou bien si elle constitue, en réalité, un acte décisoire, en dépit des précautions de style, comme le soutiennent les associations requérantes. Nous vous avouons avoir eu quelques hésitations. Dans l’affaire du tribunal administratif de Montreuil précité, l’affaire était plus claire. Le conseil municipal de Bondy avait adopté une délibération, tout aussi politique et sans doute pleinement assumée en tant que telle, dans laquelle le conseil décidait de ne plus acheter de marchandises en provenance des colonies israéliennes en Palestine. Le verbe « décider » était utilisé, martelé à plusieurs reprises. Le tribunal n’a donc pas eu de peine à reconnaître le caractère décisoire de la délibération en cause et à l’annuler puisqu’elle intervenait hors du champ de compétence des affaires communales. Sans doute instruits de ce jugement, les groupes politiques du conseil de Clermont-Ferrand, à l’initiative du vœu ont été moins abruptes, ou plus subtils, c’est selon. Le vœu exprimé est clairement basé sur des considérations de droit international lié aux condamnations par les instances internationales des implantations juives en Palestine. (Conseil de sécurité de l’ONU et Cour Internationale de Justice) Encore une fois nous sommes clairement hors champ de compétence du conseil municipal. Puis après ces rappels, le vœu est exprimé par trois phrases qu’il convient d’analyser.

a) En premier lieu, le conseil municipal de la commune de Clermont-Ferrand, « se prononce pour l’application du droit international (...) qui déclare les colonies israéliennes en Palestine illégales et a estimé qu’aucun consommateur ne devrait se voir proposer des marchandises et des services non conformes au droit international ». Il ressort des termes employés que le conseil municipal s’est borné, d’une part, à émettre un vœu relatif au respect de la légalité internationale s’agissant des colonies israéliennes en Palestine et, d’autre part, à faire état d’une opinion, caractérisée par l’emploi du mode conditionnel, portant sur l’accès à certains produits et services, et non à décider de restrictions concernant l’accès de la population locale à de tels produits et services en raison de leur provenance. Cette phrase ne comporte aucune décision, il s’agit donc d’un vœu, sans plus.

b) dans le second point, le conseil municipal « prend acte que la municipalité n’achète pas de marchandises en provenance des colonies israéliennes ». Ce second point est beaucoup plus ambigu et c’est celui qui nous a fait hésiter. Vous pourrez constater que, contrairement à la délibération de Bondy, le verbe décider n’est pas utilisé.

Par ailleurs, l’expression « prendre acte » consiste à prendre bonne note, à constater un fait ou une décision déjà actée, mais l’action de prendre acte ne constitue pas une décision en soi et nous estimons donc, mais cela est discutable, que vous êtes à nouveau en présence d’un vœu. Dans le cas contraire, si vous ne suiviez pas, vous devriez alors considérer que cette rédaction sibylline traduit en réalité l’expression d’une prise de décision. Nous nous écartons à nouveau du droit pour faire appel à la sémantique. En effet, le français est une langue riche et subtile, et chaque mot ou expression a un sens précis, (ce qui est également le cas en droit). C’est pourquoi, nous ne pensons pas que vous puissiez donner à cette expression : « prendre acte » un sens qu’elle n’a pas, même si l’on ne peut exclure de la part du conseil municipal une part de pusillanimité à ne pas avoir assumé une prise de position politique qui ne fait guère de doute. Nous proposons donc de considérer que ce deuxième point ne traduit pas une décision.

c) Enfin, dans le 3ème point le conseil municipal de la commune de Clermont-Ferrand « fait le vœu que puisque l’Europe et la communauté internationale reconnaissant l’illégalité des colonies en Palestine, la France interrompe dans les plus brefs délais les importations des produits qui y sont fabriqués ». Pour le coup il s’agit là d’un vœu pieu et non d’une décision. En tout état de cause, la délibération, qui a été utilisée par certains groupes de la majorité municipale comme une tribune politique, a peu de chances d’avoir des conséquences pratiques. En effet, un produit importé d’Israël ne mentionne pas s’il provient des territoires israéliens tels qu’ils existaient à la date de l’indépendance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, ou bien s’il s’agit de marchandises provenant de colonies israéliennes en Palestine. Aussi, et sauf à boycotter tous les produits d’Israël, sans distinction, nous voyons mal comment ce vœu pourrait trouver une application concrète. Mais pour le coup une telle façon de procéder, si elle était avérée, constituerait une incrimination pénale. Au final nous estimons donc que la délibération en cause ne constitue qu’un vœu, qui est dénué de caractère décisoire et qu’elle ne constitue donc pas un acte faisant grief et vous retiendrez donc la fin de non-recevoir opposée en défense par la commune et ce alors même qu’au fond, la décision est parfaitement illégale, par son objet même qui se situe hors champ des compétences communales. Compte tenu de la solution d’irrecevabilité proposée, les conclusions des deux associations requérantes au titre L 761-1 code de justice administrative seront rejetées ; et, compte tenu de ce qui vient d’être dit, nous vous proposons également de laisser la commune de Clermont Ferrand supporter la charge des frais du procès qu’elle a elle-même suscité inutilement. Par ces motifs nous concluons : Au rejet des deux requêtes (irrecevabilité : vœu ne faisant pas grief) Et au rejet des conclusions de la commune de Clermont-Ferrand au titre des frais irrépétibles.

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