M. X. a été assujetti à des impositions au titre de l’année 2012 sur des revenus de capitaux mobiliers résultant de la résiliation de contrats d’assurance-vie qu’il avait souscrits l’un en 1999 et l’autre en 2007, ce dont il est résulté un revenu de 30 591 euros.
Par réclamation en date du 13 février 2014, il a sollicité un dégrèvement d’impôt en demandant à bénéficier du régime de taxation des revenus exceptionnels prévu à l’article 163-0 A du CGI, qui prévoit que l’impôt est calculé en ajoutant le quart du revenu exceptionnel net au revenu net global imposable et en multipliant par quatre la cotisation supplémentaire obtenue. Ce dispositif permet de lisser, pour de tels revenus, la progressivité de l’impôt. De ce fait, et en vertu du III de cet article, il n’est applicable qu’aux seuls revenus soumis au barème progressif, par exclusion donc des sommes imposées selon le régime des plus-values, à un taux proportionnel (avant 1991, était prévu un système d’étalement de l’impôt, qui n’était pas soumis à une telle restriction).
L’administration fiscale a rejeté cette demande au motif que les produits de contrat d’assurance vie ne sauraient par nature constituer des revenus exceptionnels.
Par jugement du 19 mai 2015, dont le ministre des finances relève appel, le TA de Clermont-Ferrand a fait droit à la demande de M. X., ce dont il est résulté pour ce dernier un dégrèvement d’un montant de 2 018 euros.
Avant de revenir sur les dispositions applicables, il convient de préciser que le dossier ne comprend aucune information précise sur les caractéristiques des produits financiers en cause. Mais, cela ne nous paraît pas avoir d’incidence, l’administration fiscale opposant seulement un argument de principe, tiré de ce que des produits de placement à revenu fixe ne sauraient être regardés comme des revenus exceptionnels.
Le revenu exceptionnel est défini par les dispositions de l’article 163-0 A comme celui qui « par nature n’est pas susceptible d’être recueilli annuellement ». Il est défini aussi par son montant, puisqu’il doit dépasser la moyenne des revenus nets d’après lesquels le contribuable a été soumis à l'impôt sur le revenu au titre des trois années précédant celles de la perception ou de la réalisation dudit revenu. Il n’est pas contesté que cette seconde condition est remplie en l’espèce.
La jurisprudence concerne surtout les revenus tirés d’une activité professionnelle.
Le principe est alors que les revenus procurés par une activité professionnelle habituelle, ne présentent pas un caractère exceptionnel, quel qu’en soit le montant. Il s’agit de montants par nature recueillis annuellement, même si leur montant est fluctuant (CE, 20 avril 1983, n° 33149) . Ainsi, les produits tirés de la vente aux enchères de deux tableaux de maître ne constituent pas des revenus exceptionnels dès lors que l’activité n’excède pas ainsi le cadre habituel de la profession de la personne (CE, 1er décembre 1999, Ministre de l’économie N° 193264) . A l’inverse, toutefois, le CE a admis une exception à ce principe dans le cas d’une variation de recettes professionnelles directement imputable à l’attribution d’un prix littéraire (CE 11 juillet 1988 N° 58687 sect. : RJF 10/88 no 1054).
S'agissant des revenus distribués par les sociétés, l’ancien article 163 qualifiait expressément de revenu exceptionnel la distribution des réserves d'une société. La jurisprudence avait admis cette qualification tant pour les dividendes prélevés sur un compte de réserves facultatif (CE, 7e et 9e ss-sect., 14 nov. 1990, n° 64822 : JurisData n° 1990-600050 ; Rec. CE, tables 1990, p.697 ; Dr. fisc. 1992, n° 46, comm. 2147 ; RJF 1991, n° 7) que pour les dividendes prélevés sur un compte de report à nouveau (CE, 9e et 8e ss-sect., 5 mars 1993, n° 76566 et n° 99427, min. c/ M. et Mme C. : Rec. CE 1993, tables, p.727 ; RJF 1993, n° 482) .
Par ailleurs, constitue également un revenu exceptionnel, par sa nature et par son importance, le résultat tiré, pour les associés, des dividendes résultant de la cession de la plus grande partie des immobilisations d’un patrimoine immobilier par la société exerçant l’activité de loueur d'immeubles, opération qui n’a pas vocation à se renouveler (CE, 26 janvier 2011, Ministre du budget c/ M. et Mme V., N° 306897, aux Tables).
Dans un cas proche du nôtre, dans une décision CE du 15 juin 2005, Ministre c/ M. et Mme L., N° 250218, concernant l’application des anciennes dispositions sur l’étalement (mais transposable), le CE, a, pour écarter la qualification de revenus exceptionnels, s’agissant de cessions d’actions, relevé que le contribuable avait réalisé des opérations de même nature (quoique de moindre importance) les années précédentes et suivantes, pour en déduire que les produits de la cession ne pouvaient « dès lors » entrer dans le champ de ces dispositions.
Si l’on fait une lecture a contrario de cette décision, lecture faite par ses commentateurs tant à la RJF qu’à Droit fiscal, alors il conviendrait de s’en tenir à la question de savoir si le contribuable retirait régulièrement des revenus de telles cessions.
En ce sens et pour le produit tiré du rachat d’assurances vie, CAA Paris, 10 mars 2010 N° 08PA04566
Par ailleurs, et même si vous ne pourrez rien en tirer directement d’un point de vue juridique, on peut relever que la doctrine fiscale sur ce point semble en voie d’évolution (postérieurement aux impositions litigieuses). Si elle considérait initialement que les gains réalisés par un particulier dans le cadre de la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières ne constituent jamais des revenus exceptionnels (réponse de Lurat, Sénat, 27 juin 1991, n° 14463), elle se montre désormais beaucoup plus souple, tirant sans doute les conséquences de la jurisprudence (Rép. min. fin. n° 17498 à M. Christophe-André Frassa : JO Sénat Q 9 juin 2016, p. 2566, « une plus-value résultant de la cession d'action réalisée au cours d'une année N ne peut être regardée comme un revenu exceptionnel dès lors que le contribuable a réalisé au cours des années antérieures et postérieures des opérations de même nature. En revanche, lorsque la plus-value procède d'une opération ponctuelle, le système du quotient est susceptible de s'appliquer à la plus-value imposable. De plus, le fait d'agir ou non dans le cadre de la gestion d'un portefeuille de valeurs mobilières est sans incidence sur le bénéfice du système du quotient et a fortiori sur le caractère exceptionnel ou non du revenu généré lors de la cession »).
Il nous semble donc que, pour les valeurs mobilières, actions ou obligations, la jurisprudence est engagée dans le sens du contribuable. Nous ne voyons pas de raison majeure de ne pas étendre ce raisonnement à des produits d’assurance-vie, alors que ceux-ci ont précisément vocation à être versés au terme des contrats, procurant alors un revenu qui sera exceptionnel au moins par son montant.
Ainsi, malgré quelques hésitations, du fait qu’il nous semble que l’on s’éloigne ainsi de la condition tenant à ce que le revenu n’est « par nature n’est pas susceptible d’être recueilli annuellement », qui nous semble difficilement pouvoir s’appliquer à des gains réalisés dans un tel cadre, nous vous proposons de retenir l’approche in concreto qui semble devoir être privilégiée au regard de la jurisprudence, à savoir le fait de savoir si le contribuable réalise ou non effectivement de tels gains régulièrement. Il n’est pas allégué que tel était le cas pour M. X., même si, notons-le, le fait qu’il a dénoué ses deux contrats d’assurance vie la même année aboutit finalement à estimer qu’il a bénéficié de revenus exceptionnels alors qu’une approche différente aurait dû être retenue s’il avait réalisé les deux opérations à quelques mois d’écarts au cours de deux années différentes.
Nous avons enfin une dernière hésitation tirée de ce qu’en pratique, M. X. n’a été imposé sur ces gains à l’impôt progressif, condition pour qu’il puisse bénéficier de l’application du quotient, que du fait qu’il n’a pas opté dans un premier temps pour l’imposition de ces sommes à taux proportionnel dans le cadre d’un prélèvement libératoire forfaitaire.
Dans une telle configuration, ce revenu n’est exceptionnel que du fait du choix ainsi opéré par le contribuable, qui peut chercher ainsi à gagner sur les deux tableaux. Mais, aucune disposition n’exclut des gains réalisés après une telle option du bénéfice du système du quotient.
Si vous ne nous suivez pas sur le terrain principal, vous devrez d’ailleurs examiner la demande du requérant, tendant à titre subsidiaire, à bénéficier du prélèvement libératoire. Mais, vous savez que ce prélèvement sous forme d’une retenue à la source ne peut résulter que d’un choix exprimé par le bénéficiaire des produits au plus tard au moment de ce paiement. Tel n’était pas le cas en l’espèce.
Voyez CAA Lyon, 15 décembre 2015 N° 14LY02560.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.