La société Favre Sports, qui exerce une activité de location de skis dans des magasins situés à Tignes et Val d’Isère, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité ayant porté sur les exercices clos en 2006 et 2007, en matière d’impôt sur les sociétés, sur la période du 1er juillet 2005 au 31 juillet 2008 en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
Furent mis en recouvrement d’importants rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Les résultats de la société étant restés déficitaires, aucune cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés ne fut mise en recouvrement. En revanche, l’administration fiscale a rectifié le montant d’une plus-value sur cession d’éléments d’actifs, réalisée au cours de l’exercice clos en 2006, qu’elle a imposé au taux de 15%.
La société Favre Sports, qui n’a pas contesté le rehaussement de ses résultats à l’origine d’une baisse de son déficit reportable, a saisi le TA Grenoble de deux demandes, tendant à la décharge de ces impositions (impôt sur les sociétés au titre de la plus-value et rappels de TVA), que le tribunal a rejetées par les deux jugements dont elle relève appel.
Les requêtes présentent à juger un moyen commun, qui est aussi le seul moyen soulevé dans le dossier d’impôt sur les sociétés, tiré de l’irrégularité de la procédure d’imposition au motif que les membres de la brigade de vérification étaient présents lors de l’entretien qui s’est tenu en présence de l’interlocuteur départemental, le 11 juin 2010.
Vous savez que la faculté de recourir à l’interlocuteur départemental n’est pas prévue par la loi, mais par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié. Ce document, qui doit être remis au contribuable au début des opérations de vérification de comptabilité ou d’ESFP, est opposable à l’Administration, par l’effet des dispositions de l'article L. 10 du LPF. Parmi les garanties instituées par ce document figure donc celle de pouvoir, lorsque les redressements ont été maintenus, faire appel dans un premier temps au supérieur hiérarchique du vérificateur, puis à l’interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé, spécialement désigné à cette fin par le directeur départemental.
Cette faculté est une garantie substantielle dont le non-respect entraîne la décharge de l’imposition (CE, 21 juin 2002, Ministre c/ N° 219313, aux Tables).
Lorsque l’entretien a effectivement lieu, le contribuable bénéficie de la garantie prévue par la charte, à condition toutefois que cette garantie ait été exercée dans des conditions « ne conduisant pas à ce qu’elle soit privée d’effectivité ». Cette formulation, qui nous paraît bien synthétiser, la jurisprudence du CE figure dans la récente décision CE, 6 juillet 2016, Société Mistral Informatique, N° 393033, aux Tables. C’est à l’aune de ce critère, tenant à l’effectivité de la garantie, que vous devrez examiner l’argument de la société requérante.
Les garanties prévues par la charte étant de nature doctrinale, le juge en fait une application littérale.
Par ailleurs, l’interlocuteur départemental n’est pas une autorité assimilable à une juridiction ou à un organe extra-administratif soumis au principe d’impartialité objective (c'est-à-dire pour reprendre la définition qu’en donnait M. Hubac dans ses conclusions sur une décision de Section du 27 avril 1988, Sophie, 665650, rec p. 160, le fait de s’assurer que, même en l’absence de la moindre preuve de partialité personnelle, la personne en cause vue de l’extérieur en quelque sorte ne puisse être soupçonnée de manque d’objectivité et donne toutes les apparences de l’impartialité) . L’interlocuteur départemental est un fonctionnaire de l’administration fiscale qui n’est pas chargé de trancher un litige mais de prendre position, au nom de l’administration fiscale, sur un contrôle en cours. L’utilité de l’entretien avec cet interlocuteur n’est pas affectée par la participation de ce dernier à la séance de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires saisie des redressements du contribuable (CE, 5 mai 2010, Ministre du budget c/ SCI Agora Location, N° 308430, au recueil sur ce point) .
Il est a fortiori exclu que la régularité de la présence lors de cet entretien d’un tiers puisse être appréciée au travers de ce critère d’impartialité objective.
La question est de savoir si la présence lors de l’entretien s’étant déroulé avec l’interlocuteur départemental du vérificateur a pu par elle-même priver cette garantie d’effectivité.
Le CE s’est pour l’heure toujours refusé de considérer qu’en principe, la seule présence d’un tiers, non prévue mais non exclue par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, puisse être regardée comme privant d’effectivité la garantie. Voyez pour la présence d’un tiers, en l’occurrence un autre fonctionnaire de l’administration, CE, 14 mars 2008, M. et Mme B., N° 301163, T. p. 670 et pour la présence du supérieur hiérarchique, la décision Mistral Informatique précitée.
Dans ce dernier cas a donc été regardée comme ne conduisant pas à ce que la garantie soit privée d’effectivité la présence d’une personne, le supérieur hiérarchique, qui s’était pourtant précédemment prononcée sur la situation du contribuable. Or, on peut penser qu’un contribuable constatant la présence à l’entretien avec l’interlocuteur départemental de ce dernier, qui n’avait pas accueilli favorablement ses argumentations, puisse ressentir un certain dépit ou un certain malaise.
Mais, vous pourriez être réticents à franchir un pas supplémentaire, s’agissant de la présence du vérificateur, qui est à l’origine même des rectifications contestées et avec lequel le contribuable a pu entretenir des relations dont on peut supposer qu’elles n’ont pas toujours été d’une parfaite sérénité au cours des semaines pendant lesquelles se sont déroulées les opérations de contrôle.
Toutefois, et même s’il pourrait sembler plus pertinent ou plus simple de fixer des bornes au-delà desquelles l’administration fiscale ne pourrait aller, il nous semble que la jurisprudence du CE est très nettement engagée dans le sens d’une appréciation in concreto des conditions dans lesquelles se déroule l’entretien.
Il est vrai que dans l’affaire CE, 14 mars 2008, M. et Mme B., N° 301163, T. p. 670 précitée, Nathalie Escaut dans ses conclusions indiquait « Si nous ne croyons pas que la présence d'un tiers lors de l'entretien avec l'interlocuteur départemental soit de nature à elle seule à porter atteinte à cette garantie, tel pourrait être le cas si le contribuable établit que la présence de ce tiers a pu avoir une incidence sur la position adoptée par l'interlocuteur départemental, notamment, par exemple, si ce tiers est le vérificateur qui a mené les opérations de contrôle. »
Mais, il n’est pas sûr qu’elle ait été suivie sur ce point, le fichage de la décision CE, 14 mars 2008, M. et Mme B., N° 301163, T. p. 670 précisant que la présence d’un tiers, en l’occurrence un autre fonctionnaire de l’administration (sans restriction sur ce point) ne viciait pas la procédure.
Surtout, nous l’avons dit, le critère désormais clairement mis en avant par la jurisprudence du CE est le fait de savoir si la garantie a été exercée dans des conditions « ne conduisant pas à ce qu’elle soit privée d’effectivité ». La même Nathalie Escaut, dans ses conclusions rendues en 2016 sur la décision Mistral Informatique, précisait que, si plusieurs approches étaient envisageables, il convenait d’écarter celle reposant sur l’idée que « la présence du vérificateur ou de son supérieur hiérarchique prive, par principe, de son utilité l’appel à l’interlocuteur départemental » pour privilégier une approche concrète de l’incidence de la présence du vérificateur ou du supérieur lors de l’entretien, et ne regarder la garantie méconnue que dans le cas où cette présence a privé effectivement l’entrevue de toute utilité.
Sans doute, et comme le soulignait le commentaire à la RJF de la décision CE, 14 mars 2008, M. et Mme B., N° 301163, T. p. 670 sera-t-il bien difficile pour le contribuable d’apporter la preuve concrète que la présence du vérificateur a prouvé l’entretien d’effectivité, ce qui serait le cas notamment si celui-ci y tient une telle place que l’interlocuteur n’y jouerait qu’un rôle secondaire. Il conviendrait alors de faire preuve d’une certaine compréhension dans l’administration de la preuve.
Quoi qu’il en soit, il nous semble qu’il vous appartient de vérifier que la présence du vérificateur a privé l’entretien de toute utilité. Or, en l’espèce, la société Favre Sports en reste à une démonstration toute théorique et vous pourrez dans ces conditions écarter son moyen.
Voyez en ce sens très récemment, CE, 21 novembre 2016, Société Ogier Sports Val d’Isère, N° 387098
Aucun autre moyen n’étant soulevé dans la requête portant sur l’impôt sur les sociétés, vous pourrez la rejeter.
Dans le dossier de TVA, la société conteste le bien-fondé d’une partie des rappels, procédant de l’assujettissement à la taxe de prestations d’assurances et de transport, prestations que l’administration fiscale a regardées comme accessoires à la prestation principale.
La société Favre Sports assurait outre une prestation de location de skis, une prestation d’assurance des matériels loués, ainsi qu’une prestation de transport aux clients de certains de ses magasins. Ces prestations étaient facultatives mais n’étaient offertes qu’aux personnes ayant loué un matériel de ski. Autrement dit, seules les personnes ayant préalablement loué des skis pouvaient assurer ce matériel, ce qui est logique, mais aussi bénéficier d’un transport sur leur lieu de résidence ou sur les sites de départ du domaine skiable, mais les personnes louant des skis n’étaient nullement tenues de payer en plus ces prestations facultatives.
L’administration fiscale a estimé que ces deux activités étaient accessoires de l’activité principale de location. Elle a en a déduit qu’elles devaient être soumises au taux normal de taxe, comme l’activité principale, alors que l’activité d’assurance était exonérée de taxe et que la société appliquait le taux réduit sur l’activité de transport.
Les principes sur ce point ont été posés par la CJUE dans un arrêt du 25 février 1999, Cars Protection Plan Ltd (aff. C 349/96), qui énonce que d’une part chaque prestation de service doit normalement être considérée comme distincte et indépendante mais que, d’autre part, une prestation composée d’un seul service ne doit pas être artificiellement décomposée, constituant en fait une opération unique. Tel est le cas aussi lorsqu’il est constaté qu'une ou plusieurs prestations constituent une prestation principale et que la ou les autres prestations constituent une ou plusieurs prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale (CJCE, 21 février 2008, Part Service Srl, 425/06). En particulier, une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu'elle ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire.
Tel n’est pas le cas par exemple d’une activité de location d’un bien immeuble et d’un service de nettoyage des parties commune s de cet immeuble, qui constituent des activités autonomes, le propriétaire pouvant faire assurer par un tiers l’activité de nettoyage (CJUE, 11 juin 2009, RLRE Tellmer Property sro, aff 572/07), sauf s’il apparaît que les prestations de services sont incluses dans le contrat de bail et constituent la raison économique de ce contrat (CJUE, 27 septembre 2012, Field Fischer Waterhouse LLP, aff 392/11) .
Le CE a repris ces critères dans une CAA Lyon, 27 août 2015, SARL Proactive, N° 12LY01867.
Dans cette affaire, le CE a considéré que l’accès à un centre aquatique au sein d’une résidence de vacances Center Parcs n’était pas accessoire à la prestation d’hébergement en mobilisant un faisceau d’indices, notamment le fait que sont proposées de nombreuses autres activités, que l’accès au complexe aquatique n’est jamais garanti, qu’il ne constitue ni un critère déterminant du choix de séjourner dans ces centres ni une pratique systématique lors d’un séjour.
Il ne nous paraît pas douteux que la prestation de transports ne constituait pas un accessoire de l’activité de location de skis. La circonstance qu’elle ne peut être proposée en dehors de la location n’est pas suffisante, nous l’avons dit. Cette prestation, si elle n’est assurée qu’aux clients ayant loué le matériel, constitue bien une fin en elle-même : elle est très nettement distincte de l’activité de location de skis, auquel elle ne se rattache que très indirectement et ne peut être regardée par elle-même comme permettant de bénéficier dans des meilleures conditions de cette prestation. Le transport des clients vers le domaine skiable peut être assuré de multiples manières, sans que l’activité de ski en soit affectée.
Voyez pour des cas proches CAA Paris, 7 juillet 2016, Société Entreprise Massey et Cie, 15PA00867 : la prestation consistant à mettre à disposition un accompagnateur n’est pas accessoire à l’activité principale de transport de voyageurs ; CAA Lyon, 27 août 2015, SARL Proactive, N° 12LY01867 sur le fait que les prestations de restauration, divertissement et animation ne sont pas accessoires à l’activité principale de location de péniches.
S’agissant de la prestation d’assurance, on pourrait peut-être plus hésiter et l’appréciation du caractère accessoire ou non de la prestation dépend clairement des faits de l’espèce, de sorte que selon les cas une activité d’assurance des biens loués sera ou non regardée comme accessoire.
Ainsi que l’indiquait la CJUE dans sa décision du 16 juillet 2015 aff. 584/13, 5e ch., Mapfre asistencia compania internacional de seguros y reaseguros SA, Mapfre warranty SpA : RJF 11/15 n° 0981, « toute opération d'assurance présente, par sa nature, un lien avec le bien qu'elle a pour objet de couvrir. Néanmoins, un tel lien ne saurait suffire, en lui-même, pour déterminer s'il existe ou non une prestation unique complexe aux fins de la TVA. En effet, si toute opération d'assurance était soumise à la TVA en fonction de la soumission à cette taxe de prestations portant sur le bien qu'elle couvre, l'objectif même de l'article 13, B, sous a), de la sixième directive, à savoir l'exonération des opérations d'assurance, se trouverait remis en cause ».
De même, le seul fait que l’assurance réduise les risques encourus par l'assuré en raison de ce bien ne permet pas de la qualifier d'accessoire à l’acquisition de ce dernier (CJUE, 3e ch., 17 janv. 2013, aff. C-224/11, BGZ Leasing sp. z o.o., préc.) .
Dans l’affaire jugée en 2015, qui concernait une garantie offerte à l’acheteur d’un véhicule d’occasion, la CJUE mobilise un faisceau d’indices, tenant notamment au fait de savoir si la prestation et l’assurance sont fournies par la même personne, si l’acheteur du véhicule peut l’acheter sans souscrire la garantie ou s’il dispose de la possibilité de conclure une garantie avec une autre société, et enfin, si la convention de garantie peut être résiliée sans que cette résiliation n'affecte le contrat de vente du véhicule. Il peut aussi être regardé si les prestations sont incluses dans le même contrat, l’une ne pouvant survivre à la disparition de l’autre (CJUE, 6e ch., 27 sept. 2012, aff. C-392/11, Field Fisher Waterhouse LLP, préc., pt 28), ou encore si les prestations font l’objet d’une tarification distincte (CJUE, BGZ Leasing précité).
Ainsi, et contrairement à ce que soutient le ministre des finances, le fait que la souscription d’une assurance est facultative n’est aucunement sans incidence sur l’appréciation qu’il convient de porter et constitue au contraire un indice très fort de ce que l’activité d’assurance n’était pas accessoire. Si les pièces du dossier ne permettent pas d’apprécier plus les conditions dans lesquelles sont conclus ces contrats d’assurance, ce seul élément nous paraît suffisant pour que vous écartiez en l’espèce la qualification d’activité accessoire retenue par l’administration fiscale pour assujettir à la taxe sur la valeur ajoutée cette activité.
Par ces motifs, nous concluons:
Au rejet de la requête n° 15LY01412
A ce que la société Favre Sports soit déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférents aux prestations d’assurances et de transports, soit un total de 136 017 euros sur l’ensemble de la période,
A ce que le jugement n° 1304886 du tribunal administratif de Grenoble soit réformé dans cette mesure,
A ce que soit mise à la charge de l’Etat, dans le dossier 15LY01413 la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du CJA,
Au rejet du surplus des conclusions de la requête n° 15LY01413.