M. X, qui fut champion olympique de ski dans l’épreuve de descente en 1960, et inventeur de la position dite de l’œuf, a cédé en 1988 un ensemble de marques et logos X, notamment les célèbres lunettes de soleil, à la société Interlicence Distribution Ltd (IDL) dont le siège était situé aux Iles Vierges Britanniques et dont il est actionnaire. A cette même date, un contrat de licence a été conclu entre cette société IDL et la société X International BV, dont le siège est situé à Amsterdam, laquelle a passé des contrats avec les exploitants de ces marques, ces derniers lui versant en contrepartie des redevances.
M. X a fait l’objet d’un examen de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 1998 et 1999, jusqu’au 30 septembre, avant son remariage, avec sa nouvelle épouse pour la période du 1er octobre au 31 décembre 1999. M. et Mme X ont ensuite fait l’objet d’un second examen de leur situation fiscale personnelle pour les années 2001 à 2003. A l’issue de ces contrôles, l’administration a estimé que les sommes versées à la société X International BV en rémunération de l’exploitation des marques et logos X constituaient des revenus imposables entre les mains de M. X, en application des dispositions de l’article 155 A du code général des impôts, sommes imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
M. X, dans la requête n° 13LY01351, M. et Mme X dans la requête n° 13LY01349, relèvent appel des jugements du 29 mars 2013 par lesquels le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes tendant à la décharge desdites impositions. Nous ferons des conclusions communes sur ces deux affaires, qui présentent à juger les mêmes questions.
Aux termes de l’article 155 A du code général des impôts (CGI) : « I. Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ;
- soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ;
- soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A. »
Ces dispositions sont issues de la loi de finances pour 1973 et visaient à permettre à l’administration, sans recourir à la procédure de répression de l’abus de droit, à redresser les personnes, principalement artistes et sportifs, qui se livraient à un montage par lequel la rémunération correspondant à leur performance ne leur était pas directement versée mais transitait par une société généralement placée sous leur contrôle et toujours installée dans un Etat à faible taux d’imposition, société gérant leurs droits d’auteur ou leurs droits de reproduction de leur image. Dans ces montages, la société interposée n’est qu’une façade, et l’article 155 A permet ainsi de frapper le revenu du prestataire réel et non apparent.
La constitutionnalité de ces dispositions a été admise (Conseil Constitutionnel, 26 novembre 2010, n° 2010-70 QPC), le Conseil ayant estimé que le législateur avait entendu mettre en œuvre l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale en se fondant sur des critères objectifs et rationnels. Il a toutefois posé une réserve d’interprétation afin que soit écarté le risque de double imposition lorsque la personne établie à l’étranger reverse au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations.
Comme l’indiquait Vincent Daumas dans ses conclusions sur la décision CE, 4 décembre 2013, N° 348136, ces dispositions comportent tout d’abord une porte d’entrée, à savoir la réalisation par la personne domiciliée en France de prestations payées au profit de personnes domiciliées hors de France. Dans cette décision, fichée aux Tables notamment sur ce point, le Conseil d’Etat a précisé que « les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d’être imposée dans les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l’essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte. »
Selon l’administration, à qui incombe la charge de la preuve s’agissant d’une imposition établie contradictoirement et contestée par le contribuable, la prestation effectuée par M. X consiste en la cession du droit d’exploiter les marques et logos. Elle identifie il est vrai d’autres prestations, indiquant que M. X a signé les contrats de licence conclus par la société X International BV et les divers exploitants ou qu’il a pu exercer des fonctions de représentation pour cette dernière. Mais, il s’agit à notre sens plutôt d’indices mis en avant pour établir l’existence d’un contrôle de M. X sur cette société, soit la seconde condition imposée par l’article 155 A du code général des impôts (CGI), et vous ne pourrez ainsi suivre le Tribunal qui semble avoir considéré que ces prestations avaient pu fonder les sommes versées par les exploitants. Ces prestations éventuelles sont en effet sans lien direct avec le montant des prestations perçues par la société X International BV pour avoir autorisé l’exploitation des logos et marques et ne pourraient fonder l’imposition sur le fondement des dispositions précitées. Comme l’indiquait M. Aladjidi dans ses conclusions sur CE, 20 mars 2013 N° 346642, « il appartient à l’administration d’établir que le service rendu par le contribuable constitue la composante essentielle de la prestation qui a été facturée par la personne établie ou domiciliée hors de France ».
Pour contester l’existence de telles prestations, M. X soutient d’une part que la cession du droit d’exploiter une marque ou un logo ne constitue pas une prestation, d’autre part qu’il n’était de toutes façons plus propriétaire des marques et logos, qu’il avait cédés en 1988 à la société IDL.
Le droit d’exploiter un nom patronymique à des fins commerciales constitue une prestation de service devant être soumise à taxe sur la valeur ajoutée (voir, pour un tel droit concédé par un champion de tennis, CE, 3 mars 1993, N° 83462 avec les conclusions d’Olivier Fouquet au BDCF) . L’article 259 B du code général des impôts, qui liste des prestations de services dont le lieu est réputé ne pas se situer en France si certaines conditions sont remplies, mentionne les « cessions et concessions de droits d'auteurs, de brevets, de droits de licences, de marques de fabrique et de commerce et d'autres droits similaires ». Pour l’application de ces dispositions, voyez CE, 28 mai 2014, N° 361413.
Nous ne voyons pas de raison de donner une acception différente en l’espèce de la notion de prestation. Dans l’affaire N° 348136 précitée, le Conseil d'Etat a d’ailleurs fait application de l’article 155 A du CGI pour d’autres prestations immatérielles, à savoir en l’espèce la possibilité d’exploiter commercialement le droit à l’image d’un sportif.
Voyez aussi pour l’application de cet article à des redevances rémunérant la concession d’un concept, d’un savoir-faire et d’une marque en matière de conseil et d’expertise en hautes technologies, CAA Versailles, 10 mai 2012, N° 09VE02775.
Mais, il convient alors, pour suivre l’administration, de lever la seconde objection faite par M. X, qui fait valoir qu’il n’était plus propriétaire des marques et logos objets des contrats, dès lors qu’il les a cédés en 1988 à la société IDL. Cet argument n’est pas inopérant, comme l’a laissé entendre le Tribunal administratif de Grenoble, dès lors qu’on considère que la prestation est le droit d’exploiter la marque et le logo et non des fonctions de signature ou de représentation. C’est le point le plus délicat du dossier.
Selon les constatations faites par les services fiscaux pendant le contrôle auprès de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) et de l’Office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI), M. X était officiellement propriétaire à titre personnel des marques et logos X exploités pendant les années vérifiées. M. X indique qu’il s’agirait d’anciennes marques et logos double cercle qui ne seraient plus utilisés depuis leur remplacement par le logo simple cercle en 1991. Vous relèverez que les contrats d’exploitation passés par la société X International BV portent sans distinction sur l’ensemble des droits et logos X. Mais, M. et Mme X produisent une expertise réalisée par M. C., expert près la Cour de cassation et la cour d’appel de Paris, qui semble confirmer que seuls les logos et marques cédés à la société IDL ont fait réellement l’objet d’une exploitation commerciale.
Toutefois, ce rapport d’expertise permet également de vous éclairer sur la raison pour laquelle M. X reste titulaire des marques cédées dans les registres internationaux ou en tous cas de certaines d’entre elles.
L’arrangement de Madrid, de 1891, géré par le bureau de l’OMPI, a créé un système international d’enregistrement des marques qui dispense les intéressés d’avoir à effectuer autant de dépôts de marques que de pays dans lesquels ils souhaitent voir leurs marques protégées. Mais, aucune transmission de marque n’est possible au profit d’une personne n’ayant pas la nationalité d’un pays ayant ratifié cet arrangement. Tel est le cas de la société IDL, domiciliée aux Iles vierges Britanniques.
Ainsi, la cession des marques à la société IDL était inopposable aux tiers. Pour autant, les marques ayant été cédées à cette société en vertu de l’acte de cession de 1988 dont l’administration ne prétend pas qu’il aurait été fictif, M. X ne pouvait plus en disposer librement et c’est d’ailleurs cette société qui a conclu un contrat de licence avec la société X International BV, contrat de licence ne figurant pas aux registres INPI et OMPI pour les motifs exposés ci-dessus.
Cette particularité était d’ailleurs appréhendée dans le contrat de cession de 1988 qui prévoyait en son point 3 que « Pour des raisons tenant aux particularités des légalisations locales et de l’arrangement de Madrid, les marques mentionnées en annexe resteront la propriété apparente du cédant. Celui-ci toutefois s’engage à signer tout document et tout contrat (et notamment toute licence d’exploitation) que pourrait lui présenter le cessionnaire. Il s’engage à reverser les redevances qu’il pourrait percevoir en application de tels contrats à la cessionnaire, propriétaire réelle de ces marques. »
Autant dire que, si M. X n’a plus la libre disposition des marques en vertu de cet acte de cession, il ne se trouve pour autant pas dépossédé de tout rôle. En tant que propriétaire au moins apparent des marques et logos, il est ainsi le seul à pouvoir agir pour assurer leur protection, et on s’étonne d’ailleurs qu’aucune clause du contrat de cession ne fasse peser sur lui une telle obligation d’action. Il est également le seul à pouvoir signer les licences d’exploitation, même si le contrat de cession qu’il a signé ne lui laisse sur ce point aucune marge de manœuvre.
Ces constatations, sur les particularités propres à la cession intervenue, ne nous paraissent toutefois pas, par elles seules, de nature à écarter l’argument opposé par M. X. Dans un tel montage, il joue certes un rôle actif, notamment en ce qu’il est le seul à pouvoir agir pour protéger sa marque, mais il ne paraît guère possible de considérer que c’est cette prestation, d’ailleurs potentielle, qui fait l’objet de la rémunération.
Mais, au regard tant du contexte et de la portée de cette cession que de l’objet des dispositions de l’article 155 A du code général des impôts, qui visent à ce que, par-delà une éventuelle société interposée, soit imposée entre les mains du prestataire réel domicilié en France la rémunération du service qu’il a effectivement rendu, l’interposition d’une seconde société, dès lors qu’elle est contrôlée par le prestataire et qu’elle ne joue aucun rôle autre que celui de société interposée, ne nous paraît pas de nature à faire obstacle à l’imposition en France.
En l’espèce, il résulte de l’instruction que M. X disposait de 70% du capital de la société IDL et en était le dirigeant, selon les éléments recueillis par l’administration et non sérieusement contredits. Cette société ne nous paraît avoir joué aucun autre rôle que celui de céder à la société X International BV la licence d’exploitation des marques qu’elle avait acquises le jour même.
Par-delà cette société, il nous semble donc finalement que M. X doit être regardé comme étant le véritable prestataire des services rémunérés par les exploitants des marques et logos X, à l’origine des redevances versées à la société X International BV.
Avant de passer à l’examen de la question de savoir si est remplie une au moins des trois conditions relatives à la personne qui perçoit la rémunération posées par l’article 155 A du CGI, il convient encore de vérifier, comme nous l’avons dit, si les prestations correspondent à un service rendu pour l’essentiel par M. X et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte. Autrement dit, il nous faut vérifier que la société X International BV n’a pas d’autre rôle que celui d’assurer le transit de la rémunération des services rendus par M. X.
Sur ce point, il semble appartenir au contribuable, seul en mesure d’amener des éléments, de justifier des contreparties qui auraient pu lui être offertes par la société X International BV (voir sur ce point le considérant utile de la décision CE, 20 mars 2013, N° 346642 et N° 346643, qui précise en l’espèce que « les requérants n'apportent aucun élément permettant d'établir que la facturation de ces prestations par cette dernière société aurait trouvé une contrepartie réelle dans une intervention qui lui aurait été propre et de regarder le service ainsi rendu comme l'ayant été pour son compte » ) .
Et, sur ce point, le dossier est des plus vide, nous ne connaissons rien de l’activité de cette société.
Voyez a contrario CAA Paris, 11 octobre 2012, N° 10PA04573, C+, la société percevant les rémunérations pour les prestations rendues par la contribuable disposant également d’un personnel employé à la gestion des engagements pris par l’intéressée.
Si vous nous suivez, vous constaterez donc que M. X doit être regardé comme ayant effectué lui-même des prestations, en rémunération desquelles des redevances ont été versées à la société X International BV.
Cette société n’étant pas domiciliée dans un Etat à fiscalité privilégié, il convient pour entrer dans le champ des dispositions de l’article 155 A, soit que M. X contrôle directement ou indirectement cette société, soit que celle-ci n’exerce pas, de manière prépondérante, une activité industrielle et commerciale autre que la prestation de services. Si l’administration s’est située sur les deux terrains, elle semble privilégier le premier.
Il résulte de l’instruction que la société IDL, dont on a vu qu’elle était détenue à 70% et contrôlée par M. X, détenait indirectement, au travers d’une société établie à Curaçao, 100% du capital de la société X International BV. L’administration a également relevé divers autres éléments pour établir l’existence d’un tel contrôle. Certes, et au regard de ce qui a été dit précédemment, le fait que M. X ait signé les contrats de licence, comme le prévoyait l’acte de cession de 1998, pourrait ne pas apparaître en lui-même déterminant pour établir l’existence d’un tel contrôle. Mais, comme le fait valoir le ministre, M. X a signé de nombreux contrats en tant que directeur et représentant de la société. Il apparaît également comme l’un des directeurs de cette société sur l’extrait de l’équivalent du Kbis obtenu par les autorités françaises auprès des autorités néerlandaises. M. X, de son côté, ne produit aucun élément probant de nature à contredire ces indications. Il se borne pour l’essentiel à indiquer que les éléments sur lesquels se fonde l’administration sont antérieurs pour la plupart aux périodes contrôlées.
Sur ce point, on peut regretter que l’administration n’ait pas poussé plus loin ses investigations. Mais, certains éléments recueillis, portent sur les périodes contrôlées (notamment le KBis datant de 2001) et les requérants ne produisent aucun élément tendant à démontrer que les documents saisis lors de la visite domiciliaire, en février 2004, relatifs au contrôle des sociétés du groupe, ne correspondaient plus à la réalité.
Dans ces conditions, les rémunérations perçues par M. X entraient dans le champ des dispositions de l’article 155 A du CGI. Les impositions étant fondées sur le contrôle par M. X de la société X International BV, l’administration n’était pas tenue d’apporter la preuve de l’appréhension de ces sommes par M. X. (CAA Paris, n° 06PA04149, 5/03/2009 ; CAA Paris, 1/12/2011, N° 09PA02693) .
M. X ne peut utilement faire valoir que ces sommes auraient fait l’objet d’une imposition aux Pays-Bas, entre les mains de la société de droit néerlandaise, ce qui n’est d’ailleurs pas établi, dès lors qu’il ne saurait y avoir ainsi double imposition, s’agissant de contribuables distincts (Voir décision Piazza déjà citée). Et, par ailleurs, il ne résulte pas de l’instruction qu’il aurait déjà lui-même été imposé sur ces sommes.
Enfin, M. X soutient que l’application des dispositions de l’article 155 A du CGI aurait été de nature à restreindre sa liberté de circulation et d’établissement, telles que protégées par l’article 38 du Traité instituant la communauté européenne.
Mais, M. X n’agissait pas en tant que salarié, de sorte que sa liberté de circulation n’a pu être restreinte. Et, compte tenu de l’interprétation retenue par la jurisprudence, notamment pour la première condition, à savoir lorsque la prestataire contrôle la personne percevant la rémunération, les dispositions de l’article 155 A, qui visent uniquement l’imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée en France et ne trouvant aucune contrepartie dans une intervention propre d’une personne établie ou domiciliée hors de France, elles n’ont pu entraîner aucune entrave à la liberté de M. X de s’établir hors de France (voyez sur ce point également la décision N° 346642) .
Nous vous proposons donc de confirmer les impositions mises à la charge de M. X, dont le montant n’est pas contesté. En faisant valoir que M. X a cherché, ainsi qu’il a été dit, à éluder l’impôt en utilisant des sociétés interposées, basées à l’étranger, l’administration établit la mauvaise foi de l’intéressé justifiant l’application de majorations de 40% en application de l’article 1729 du code général des impôts.
Par ces motifs, nous concluons au rejet des deux requêtes.