La Cour administrative d’appel de Lyon annule l’autorisation donnée par l’inspecteur du travail à la société S. de licencier un salarié protégé pour inaptitude physique. Dès lors que l’inaptitude physique était liée à un accident ou une maladie professionnelle, les délégués du personnel devaient être consultés sur les propositions d’emploi faites par l’employeur au salarié en vue d’un reclassement. Dans cette hypothèse, l’absence de consultation préalable des délégués du personnel, prévue par les textes, est une formalité substantielle conditionnant la légalité de l’autorisation administrative de licenciement.
Pour assurer le bon fonctionnement des instances représentatives du personnel, le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, assemblée, 5 mai 1976, n° 98647) comme la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre mixte, 21 juin 1974, n° 071-91.225) reconnaissent aux représentants du personnel le bénéfice d’une protection exorbitante du droit commun dans le cadre des relations contractuelles qu’ils ont avec leur employeur. Cette protection découle d’exigences constitutionnelles (Conseil constitutionnel, n° 88-244 DC, 20 juillet 1988) . A cet effet, ces relations contractuelles sont subordonnées à un ensemble de règles issues de la jurisprudence et du législateur : interdiction de la procédure de résiliation du contrat de travail, protection des salariés candidats aux élections professionnelles, encadrement strict des procédures de démissions… Le cœur de cette protection repose sur l’obligation pour l’employeur de solliciter l’autorisation de l’inspecteur du travail pour licencier un représentant du personnel, quel que soit le motif invoqué.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 11 décembre 2014 s’inscrit dans la continuité de cette protection en rappelant l’étendue du contrôle que doit opérer l’inspecteur du travail. Celui-ci doit ainsi vérifier, certes, la régularité de la procédure de licenciement suivie par l’employeur, mais également si la procédure suivie correspond effectivement à la situation du salarié.
En l’espèce, Monsieur A. est comptable au sein de la société S. depuis 2005 et assume, en parallèle, les fonctions de délégué syndical, de membre du comité d’établissement et de membre du comité central d’entreprise. Le 4 février 2008, il est victime d’une chute dans les locaux de l’entreprise dont va résulter un traumatisme au genou, cet incident sera mentionné dans le registre de l’infirmerie et déclaré à l’employeur le 5 mai 2008 et son caractère professionnel sera reconnu par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, le 20 juin 2008. Le 4 mai 2009, alors que Monsieur A. a repris son activité, il est victime d’un accident de trajet, entrainant un arrêt maladie jusqu’en septembre 2010. Par deux avis, en date des 3 et 17 septembre 2010, le médecin du travail le déclare inapte à ses fonctions à temps plein et sollicite un aménagement du poste à mi-temps. Néanmoins, Monsieur A. refuse successivement les deux propositions de reclassement faites par la société en date des 29 septembre et 5 octobre 2010. La société S. demande alors à l’inspection du travail l’autorisation de licencier Monsieur A. pour inaptitude physique, autorisation qui sera délivrée le 14 décembre 2010.
Dans ces circonstances, Monsieur A. a demandé l’annulation de la décision de l’inspecteur du travail au Tribunal administratif de Lyon. La juridiction de première instance a fait droit à la demande du salarié, dans un jugement en date du 2 juillet 2013, au motif que la formalité de consultation des délégués syndicaux, prévue par l’article L.1226-10 du code du travail, n’a pas été respectée. Sur appel de la Société S., la Cour administrative d’appel de Lyon est venue confirmer le jugement du Tribunal administratif.
La position de la Cour administrative d’appel de Lyon repose sur l’analyse, dans un premier temps, de la situation du salarié afin de déterminer si la procédure suivie en amont du licenciement lui correspond effectivement (1) puis, dans un second temps, du contrôle réalisé par l’inspecteur du travail (2).
1. Que le salarié assume un mandat syndical ou non, il bénéficie d’une garantie, lorsqu’à la suite d’une maladie ou d’un accident, il est déclaré inapte à son poste. Ainsi, avant de pouvoir licencier un salarié en raison de son inaptitude physique, l’employeur doit suivre une procédure strictement encadrée par le code du travail.
L’inaptitude au poste doit être constatée par le médecin du travail ; et l’on précisera ici que cette inaptitude doit être définitive, une simple inaptitude temporaire ne saurait donner droit au salarié à un reclassement (Cour de cassation, chambre sociale, 8 juin 2011, n° 09-42.261) . A l’appui des conclusions du médecin, l’employeur doit proposer d’autres emplois au salarié inapte, appropriés à ses capacités et tenant compte des conclusions du médecin du travail, conformément à l’article L.1226-2 du code du travail.
Or, et c’est là la difficulté posée par le cas d’espèce, cette procédure est renforcée pour les salariés dont l’accident ou la maladie a été reconnue imputable à l’activité professionnelle. En effet, dans cette hypothèse, l’article L.1226-10 du code du travail impose que l’avis des délégués du personnel soit recueilli sur les propositions de reclassement faites par l’employeur au salarié inapte.
En l’espèce, les délégués du personnel n’ont pas été saisis des propositions d’emploi faites à Monsieur A. par la Société S. En effet, l’employeur considérait, ou a souhaité considérer, l’inaptitude de Monsieur A. comme sans origine professionnelle, en se fondant sur la décision de la commission de recours de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie rendue le 20 septembre 2012, selon laquelle la prise en charge au titre de l’accident était inopposable à la Société S.
Sur ce point, la Cour administrative d’appel de Lyon va rappeler que la décision de la CPAM rend inopposable à la société la prise en charge au titre des accidents du travail uniquement pour des raisons administratives, la demande de prise en charge n’ayant pas respecté les formalités procédurales imposées par l’article R.441-11 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elle ne venait pas remettre en cause le caractère professionnel de l’accident, reconnue par la décision du 20 juin 2008.
Par conséquent, la Cour administrative d’appel de Lyon relève que dès le 20 juin 2008, l’employeur avait connaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude de Monsieur A.
D’autant plus que par la suite, le salarié a été victime d’une seconde chute, lors d’un trajet professionnel le 4 mai 2009, en lien avec son état de santé résultant de la chute du 4 février 2008, Monsieur A. étant resté affecté de dérobements du genou.
La juridiction d’appel conclut donc au caractère professionnel de l’accident ayant entrainé l’inaptitude de Monsieur A. ; ce qui imposait, au titre de l’article L.1226-10 du code du travail, la consultation des délégués du personnel sur les propositions de postes appropriés à l’état de santé du salarié.
Par ce raisonnement, la Cour administrative d’appel de Lyon reprend pas à pas le raisonnement qu’aurait dû avoir l’inspecteur du travail lorsque son autorisation a été sollicitée pour le licenciement de Monsieur A.
2. En effet, les salariés investis d’un mandat syndical au sens large, notamment les délégués syndicaux et les membres du comité d’entreprise, double qualité que détenait Monsieur A., bénéficient d’une protection supplémentaire par le biais de l’intervention de l’inspecteur du travail avant toute décision de licenciement.
Ainsi, l’inspecteur du travail, grâce à une enquête contradictoire, dont l’absence est une cause de nullité de la procédure (Conseil d’Etat, 4 décembre 1987, n° 72379) doit contrôler les faits fondant la demande de licenciement ainsi que leur qualification.
L’analyse par l’inspecteur du travail de la situation du salarié doit notamment porter sur les motifs fondant la demande de licenciement, la régularité de la procédure suivie ainsi que l’absence de finalité discriminatoire du licenciement en raison du mandat exercé par le salarié.
Mais, et c’est là que s’opère véritablement à notre sens toute la protection liée à l’intervention de l’inspecteur du travail, l’examen ne doit pas s’arrêter à la vérification de la régularité stricto sensu de la procédure de licenciement. Ainsi, en l’espèce, l’inspecteur était tenu de vérifier la procédure suivie à partir du moment où l’inaptitude physique de l’agent à son poste a été reconnue. La consultation des délégués du personnel pour avis sur les propositions de reclassement faites à l’agent n’intervient pas véritablement dans la procédure de licenciement pour inaptitude physique mais en amont, lorsque l’inaptitude physique du salarié a été reconnue et qu’un nouveau poste doit lui être proposé, en lien avec ses capacités et ses compétences.
La Cour administrative d’appel, restant dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 22 mai 2002, n° 221600), réaffirme que la consultation des délégués du personnel, exigée par le code du travail, est une formalité substantielle de la procédure. Dès lors, la juridiction d’appel en tire les conclusions logiques : les délégués du personnel n’ayant pas été consultés pour avis sur les propositions d’emplois faites à Monsieur A., la procédure suivie en amont du licenciement est irrégulière ; l’inspecteur du travail ne pouvait donc autoriser le licenciement de Monsieur A. La décision en date du 14 décembre 2010 de l’inspecteur du travail est annulée entrainant par conséquent la réintégration du salarié dans l’entreprise. L’administration devra procéder à une nouvelle instruction de la demande d’autorisation de licenciement en prenant en compte les nouvelles circonstances de droit et de fait existant à la date de la nouvelle décision (Conseil d’Etat, 6 janvier 1989, n° 84757).