Les trois affaires que nous examinons maintenant visent le Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la Commune de Saint-Martin d’Hères, dans le Département de l’Isère, PLU approuvé par délibération du 20 octobre 2011.
M.C., qui a exercé une activité d’entrepreneur, est propriétaire d’un tènement foncier sur le territoire de cette Commune, au n° 02 de la Rue Paul Monval, tènement constitué de deux parcelles, AN 200 et AN 806, d’une superficie globale de 1824 m², anciennement classées en zone UIb, chacune ayant une superficie d’un peu plus de 900 m². Le nouveau PLU les classe désormais en zone UIa – réservée aux espaces économiques à caractère industriel, artisanal ou de services et interdisant toute construction relative à l’habitat et grèvent en outre la parcelle 806 d’un emplacement réservé n° 02 destiné au « prolongement de l’allée de la rocade pour la desserte de la zone AUa », c’est à dire au futur accès d’un projet d’urbanisation.
La SAS Distribution Casino France exploite un hypermarché à Saint-Martin d’Hères sur les parcelles BM 512 et 44, au sein de la Zone d’Aménagement Concertée (ZAC) de Neyrpic. Ces parcelles étaient anciennement classées en zone UIe dans l’ancien POS et relèvent désormais d’une zone URUn, la zone URU correspondant à une zone de renouvellement urbain équipée, destinée à accueillir des constructions à usage d’activités économiques, le sous-secteur URUn correspondant à l’espace de renouvellement urbain du secteur de Neyrpic et celui classé URUp au secteur de renouvellement urbain de l’Avenue Gabriel Péri dans sa section centrale.
L’Immobilière Groupe Casino est titulaire d’un bail à construction et d’un bail emphytéotique portant sur les parcelles cadastrées BM n°s 10, 512, 32, 44, 5, 6 40, 411, 413, 470 et 471.
L’indivision X. a reçu en héritage de Mme Y. décédée en 1980, trois parcelles de terrain situées sur la colline du Mûrier cadastrées AP n°s 244, 247 et 273, classées dans l’ancien POS en zone ND, zone naturelle inconstructible, et dans le nouveau PLU en zone N, également inconstructible.
Le Tribunal Administratif de Grenoble, par jugement n° 1106771-1106810-1200803 du 10 octobre 2013 de sa 2ème chambre, dont il est aujourd’hui relevé appel, a donc rejeté les demandes de première instance.
M.C. développe d’assez nombreux moyens qui ne nous paraissent pas pouvoir mieux prospérer qu’en première instance :
- les conseillers municipaux convoqués le 14 octobre 2011 pour la séance du 20 octobre suivant au cours de laquelle a été approuvé le PLU ont bien été destinataire d’une note de synthèse de 7 pages accompagnée d’une annexe de 13 pages contenant toutes les informations utiles sur la procédure en cours : l’article L.2121-12 du Code Général des Collectivités Territoriales a parfaitement été respecté ;
- la seule existence d’une ZNIEFF de type 2 sur le territoire de la Commune de Saint-Martin d’Hères ne signifie pas ipso facto que le nouveau PLU aura des effets notables sur l’environnement au sens de l’article L.121-10 du Code de l’Urbanisme et n’impliquait donc pas l’établissement d’une évaluation environnementale conformément à ces mêmes dispositions et la consultation de l’autorité environnementale comme le prévoit l’article L.121-12 du même Code ;
- si les membres de la communauté universitaire ont, contrairement à ce que soutient M. C., été associés à la concertation organisée par la délibération du 19 juin 2008 prescrivant la révision du PLU, notamment au travers de deux réunions des personnes publiques associées, quoiqu’il en soit, les modalités de la concertation, telles qu’elles doivent être définies sur le fondement de l’article L.300-2 du Code de l’Urbanisme, n’impliquait pas que des modalités spécifiques visent cette communauté ;
- sur le point qui motive véritablement la requête de M. C., celui du classement de ses parcelles de terrain en zone UIa, réservée aux constructions à usage commercial, industriel ou d’entrepôt, bureaux, services et logements, où les constructions à usage d’habitation sont autorisées que « si elles sont strictement nécessaires au logement des personnes dont la présence permanente est nécessaire pour assurer la direction, la surveillance où la sécurité des constructions et installations à condition de ne pas dépasser 100 m² de SHON par unité foncière et d’être intégrées dans le volume général », sur ce point, s’il est vrai que la propriété de M. C. est entourée de terrain classés en zone d’habitat à dominante individuelle (en zone UMi) ou de terrains ayant vocation à être urbanisés (en zone AU), au moment de l’établissement du zonage du PLU l’activité d’entrepreneur de travaux publics de M. C. n’avait pas cessée et, aujourd’hui encore, le requérant précise que certains locaux sont des locaux d’entreprise et non des locaux réservés à l’habitation ; le classement retenu n’apparaît donc pas manifestement erroné ;
- l’autre point concernant spécialement la propriété de M. C. recouvre l’emplacement réservé n° 02 grevant une partie de la parcelle 806, celle longeant la rocade, pour y aménager le futur accès à la zone AUa du terrain dit des Alloves, effectivement mal desservi, cet accès n’ayant pas les mêmes objectifs que l’élargissement de l’Avenue de la Galochère (qui correspond à l’emplacement réservé n° 08) et que la traversée pour piétons de la zone AUa (qui correspond à l’emplacement réservé n° 10), cet accès n’apparaissant pas non plus incompatible avec les prescriptions environnementales de l’orientation d’aménagement n° 5 : l’erreur manifeste d’appréciation n’est pas davantage établie à cet égard ;
- enfin et en dernier lieu c’est le détournement de pouvoir qui est invoqué : s’il est vrai que la Commune, qui convoitait dans le passé la parcelle 806 et avait entrepris une procédure de préemption à laquelle elle a finalement dû renoncer, s’il est vrai que la Commune pourrait nourrir quelques rancœurs à l’endroit de M. C., pour autant le règlement qui a été adopté n’apparaissant pas incohérent en termes d’urbanisme, ce détournement de pouvoir pourra être écarté.
La SAS Distribution Casino France et l’Immobilière Groupe Casino développent aussi d’assez nombreux moyens, l’un d’entre eux pourrait conduire la Cour à une annulation partielle de la délibération attaquée, un autre sera certainement l’objet de discussions :
- nous retrouvons dans cette affaire, sous une forme un peu différente, l’invocation des dispositions du CGCT relatives à l’information préalable des élus municipaux : la note de synthèse, comme nous l’avons déjà dit, correspondait aux exigences de l’article L.2121-12 du CGCT (voyez sur ce point CE n° 342327 du 11 novembre 2012 Commune de Mandelieu La Napoule) et pour l’application de l’article L.2121-13 du même Code, la communication de l’ensemble des pièces de la procédure ne peut constituer qu’une réponse à une demande (CE n° 215314 du 11 janvier 2002 ) ;
- la création, après l’enquête publique, pour lever une réserve du commissaire enquêteur sur la mise en place d’une voie cyclable et piétonne entre Saint-Martin d’Hères et Gières – notamment sa gare – le long de la voie ferrée, d’un emplacement réservé n° 022, découle de l’enquête publique et ne remet pas en cause l’économie générale du Plan ;
- l’établissement des objectifs du PLU au regard des dispositions de l’article L.300-2 du Code de l’Urbanisme et de la jurisprudence Commune de Saint-Lunaire (CE n° 327149 du 10 février 2010), pose, à la lecture de la délibération du 19 juin 2008 qui fixé ces objectifs, une question plus délicate : car en effet, si cette délibération, dit, sur ces objectifs, beaucoup de choses, elle le dit dans un langage très peu concret, au travers de formules stéréotypées qui peuvent prêter à sourire, telles que la « densification qualitative », la « dynamisation de la mixité urbaine » ou encore « la recherche de la continuité urbaine entre tous les quartiers de la ville », ce qui peut laisser penser que le Maire et les élus municipaux, qui sont pourtant des hommes et des femmes de terrain, ne se sont pas véritablement appropriés la présentation de ces objectifs… néanmoins, il nous semblerait pour notre part excessif de s’arrêter à cette regrettable constatation pour en déduire purement et simplement qu’aucun objectif n’a été défini, d’autant plus que ce qui est exigé au minimum ce sont les grandes lignes de ces objectifs… alors certes la Commune de Saint-Martin-d’Hères énonce des grandes lignes très classiques (la densification et l’économie d’espace – l’approche environnementale et les enjeux climatiques – la vie sociale et la diversité culturelle – la dynamique d’agglomération), des grandes lignes qui peuvent effectivement être désormais partagées par de nombreuses villes de cette taille, mais pour autant peut-on, pour cette seule raison, disqualifier ces grandes lignes… ? et par ailleurs la Commune insère aussi des orientations un peu plus précises, telles que la réponse aux objectifs du Programme Local de l’Habitat (PHL), une réflexion sur les grands territoires à enjeux tels que les zones économiques des Glairons et de Champ Roman, la section centrale de l’Avenue Gabriel Péri en lien avec le domaine universitaire, ou des sites à projets comme le couvent des Minimes et le secteur Chopin / Paul Bert, aussi la question de l’insertion urbaine de la voie ferrée et de la rocade… bref ! il nous semble que ce serait aller au-delà de la jurisprudence Commune de Saint-Lunaire, qui a, comme nous le savons aboutit à l’invalidation de nombreux PLU, et aussi de la jurisprudence de la Cour qui en a fait application, que de considérer que l’on ne peut reconnaître aucun objectif, au moins dans ses grandes lignes, dans la délibération du 19 juin 2008 de la Commune de Saint-Martin d’Hères : voyez par exemple les arrêts de la Cour 13LY00764 et 13LY00933 ou encore l’arrêt 12LY02372 du 5 mars 2013 Commune de Saint-Jean de Soudain ou encore l’arrêt 10LY01605 du 11 octobre 2011 ; il nous semble qu’une censure sur ce point de la délibération du 19 juin 2008 du conseil municipal de Sain-Martin d’Hères constituerait un durcissement inopportun de la jurisprudence Commune de Saint-Lunaire avec une conséquence immédiate trop sévère sur la Commune de Saint-Martin d’Hères ;
- sur l’autre aspect de la délibération relatif aux modalités de la concertation l’article L.300-2 du Code de l’Urbanisme n’impose aucunement de détailler les modalités selon lesquelles cette concertation sera mise en œuvre ;
- et sur le bilan de la concertation, dressé par la délibération du 16 décembre 2010, elle correspond également aux prévisions de l’article L.300-2 du Code de l’Urbanisme ;
- pour ce qui est de l’analyse et des prescriptions visant la protection du patrimoine au regard de ce permettent les dispositions de l’article L.123-15 du Code de l’Urbanisme et du contenu du Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD), la Commune conserve à cet égard une forme de souplesse, rien ne lui étant imposé et elle au demeurant procédé, au travers des documents graphiques, à une numérotation et à un référencement des éléments classés du patrimoine bâti, le rapport de présentation ayant en outre été complété sur ce point à la suite d’observations préfectorales ;
- autre point sensible du débat contentieux qui vous est soumis après la définition des objectifs lors de la prescription du PLU, celui de la compatibilité du Plan Local d’Urbanisme (PLU) avec le schéma directeur de l’agglomération grenobloise, ces deux documents devant présenter une cohérence sous peine de risquer une censure (CE n° 110165 du 21 septembre 1992 Association de défense de Juan les Pins) : cette cohérence se pose d’abord par rapport à la création d’un quartier à dominante commerciale et de services sur le site de Neyrpic alors que le schéma directeur s’inscrit dans une quasi-stagnation de la population de l’agglomération grenobloise, induisant, globalement, un maintien à niveau des grandes surfaces commerciales, sauf en certains lieux très déterminés, hors contexte urbain fort, le commerce de proximité devenant, dans ce contexte, une priorité ; or, Saint-Martin d’Hères appartient pleinement à ce contexte urbain fort dans lequel l’offre commerciale devra seulement, dans les espaces qui lui sont déjà affectés, être conforté ; voilà pourquoi, à l’égard du projet de la nouvelle zone commerciale de 24.000 m² de Neyrpic, avec en outre 8000 m² consacrés à la restauration et aux loisirs, un renforcement de l’offre commerciale qui ne sera pas, contrairement à ce qu’ont relevé les premiers juges, compensé par la diminution toute relative des emprises commerciales sur des secteurs plus réduits, voilà pourquoi les avis des chambres de commerce et d’industrie et de métiers des 7 et 21 mars 2011 et l’avis du Préfet du 17 mars se sont montrés réservés ; il y a là effectivement une contradiction qui doit être assimilée à une incompatibilité et qui devrait entraîner une censure partielle du PLU ; la circonstance que la légalité de la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) du 15 octobre 2010 du projet d’aménagement de la ZAC de Neyrpic ait été confirmée par jugement du 23 avril 2013 du TA de Grenoble reste sans incidence sur le litige, distinct, qui nous occupe, et les difficultés de circulation qui sont également évoquées dans le perspective de ce projet n’apparaissant pas non plus pertinentes au regard de la desserte urbaine du secteur ;
- sur le classement en zone URUp d’une partie de la parcelle 415, qui n’appartient pas à l’Immobilière Groupe Casino, il n’apparaît pas manifestement erroné étant en cohérence avec le classement des terrains situés au Sud de l’Avenue Gabriel Péri et se trouvant en dehors du secteur Neyrpic – clinique Belledone qui bénéficie d’un classement URUn ; certes le Groupe Casino y voit un développement potentiel mais les auteurs du PLU, en cohérence avec les orientations du schéma directeur, n’envisagent pas cette extension ;
- enfin le classement de la colline du Mûrier en zone naturelle plutôt qu’en zone agricole n’apparaît pas non plus manifestement erronée, un tel classement ne condamnant nullement les activités agricoles existantes et consacrant l’intention des auteurs du PLU de consacrer également, selon le parti d’aménagement qu’ils définissent souverainement, cette zone à la détente et aux loisirs dans le respect de l’écologie et de la biodiversité.
Pour le contentieux porté par l’indivision Mérindol nous allons retrouver des moyens qui étaient déjà développés dans les deux précédents dossiers :
- celui tiré de la méconnaissance de l’article L.2121-12 du CGCT est présenté sous l’angle de la réception tardive de la convocation, par un conseiller municipal, à la réunion d’approbation du PLU mais le délai règlementaire de cinq jours francs prévu par ces dispositions s’apprécie à partir de la date d’envoi des convocations, soit ici le 14 octobre 2011 pour une réunion prévue le 20 octobre suivant ;
- la protection du patrimoine est critiquée sous le même angle que dans le dossier précédent et doit, à notre sens, donner lieu à la même réponse ;
- en faisant un petit effort d’interprétation, car le moyen n’est pas aussi clairement soulevé que dans le dossier précédent, nous retrouvons aussi la question de la création de la zone commerciale de Neyrpic et de sa compatibilité avec le schéma directeur de l’agglomération grenobloise (cette compatibilité est ici évoquée de manière indirecte au travers des avis des chambres de commerce et d’industrie et de métiers) : pour les raisons que nous avons précédemment exposées une censure partielle du PLU nous paraît devoir s’imposer ;
- enfin nous retrouvons aussi, en partie, et sous une forme un peu différente la question du classement de la colline du Mûrier en zone N, puisque l’indivision Mérindol conteste le classement, pour partie en zone N et pour partie en zone UHc du hameau du Bernard et des parcelles AP 244, 247 et 273 qui lui appartiennent : mais la colline du Mûrier est identifiée tant dans le PADD que dans le rapport de présentation du PLU comme un espace de forte valeur écologique et de préservation de la biodiversité devant être ouvert à la population urbaine comme un espace pédagogique et de découverte, seuls les hameaux anciens pouvant être confortés dans leur urbanisation au travers d’une zone UHc, ni le classement en zone N, ni le classement en zone UH n’empêchant la poursuite, voire même le développement, des activités agricoles existantes ; la circonstance que certaines parcelles, vierges de toutes construction se situent en limite de zone UH et se rattachent à une zone naturelle n’a rien de choquant, s’agissant d’un choix de limite d’urbanisation répondant à un parti d’aménagement.
Par ces motifs nous concluons :
- dans le dossier 13 LY 3224, au rejet, dans toutes ses conclusions, de la requête d’appel de M.C. et au rejet, dans les circonstances de cette affaire, des conclusions présentées par la Commune de Saint-Martin d’Hères au titre des frais irrépétibles ;
- dans les dossiers 13 LY 3241 et 13 LY 3242, à l’annulation partielle du jugement du TA de Grenoble du 10 octobre 2013 et de la délibération du 20 octobre 2011 approuvant le PLU en ce qu’elle instaure une zone, notamment à usage commercial, sur le secteur de Neyrpic et, à ce que dans chacun de ces deux dossiers, soit mise à la charge de la Commune de Saint-Martin d’Hères, une somme de 1500 euros, qui sera versée, d’une part à la SAS Distribution Casino France et à l’Immobilière Groupe Casino, d’autre part à l’indivision Mérindol, au titre des frais irrépétibles.