Il résulte de la combinaison des articles A424-17, R424-15 et R600-2 du Code de l’urbanisme que le délai de recours contentieux à l'encontre d'une non-opposition à une déclaration préalable, d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir, n'est opposable aux tiers qu'à la condition d'avoir été indiqué sur le panneau affichant le contenu de la décision sur le terrain d’assiette, pendant une période continue d’au moins deux mois au premier jour de laquelle il débute.
L’exercice par un tiers d’un recours administratif contre la décision, s’il révèle une connaissance de celle-ci, est sans incidence sur l’application de ces dispositions et ne peut par lui-même faire courir le délai de recours à l’égard de ce tiers.
1. La 1ère chambre de la Cour administrative d’appel de Lyon a, par un arrêt rendu en formation élargie, tiré les conséquences de la nouvelle rédaction des dispositions réglementaires du code de l’urbanisme relatives au contenu de l’affichage sur le terrain des autorisations d’urbanisme, en leur transposant en partie le régime d’opposabilité du délai de recours applicable aux actes individuels soumis à notification, ainsi que l’y invitaient les requérants.
2. On sait que, depuis l’entrée en vigueur du décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 et de son article 9, le délai de recours contre une décision soumise à notification, y compris celui de droit commun de deux mois, n’est opposable au destinataire de la décision qu'à la condition d'avoir été mentionné, ainsi que les voies de recours, dans la notification.
Cette disposition a été codifiée à l’article R104 de l’ancien code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, et désormais à l’article R421-5 du code de justice administrative.
3. Nonobstant ce texte, le Conseil d’Etat a jugé (C.E., 10 octobre 1990, Ministre délégué chargé des postes et télécommunications, n° 97692) que le délai de recours contentieux contre une décision de retrait d’autorisation, donc soumise à notification, avait couru au plus tard à compter de la date de la saisine du tribunal.
Cette décision est logique, dès lors que son objet est d’assurer la cristallisation du débat contentieux à l’égard de tous les requérants, y compris lorsque manque la preuve de la notification des délais et voies de recours envers un justiciable devant en bénéficier.
Elle ne s’oppose pas, en principe, à la garantie instituée par l’article 9 du décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983, qui est de permettre au destinataire d’une décision de la contester sans que lui soit opposée une tardiveté s’il n’a pas bénéficié de l’information sur les modalités de saisine du juge. Pour critiquable que soit la jurisprudence Intercopie, son abandon - peu vraisemblable - relève d’un autre raisonnement, et devrait se faire à l’égard de tous.
4. De façon plus curieuse, le Conseil d’Etat avait ensuite considéré (C.E., 2 mars 1994, Ville de Saint-Louis, n° 135066) que la connaissance acquise d’une décision manifestée par l’exercice du recours administratif préalable empêchait de se prévaloir de l'inopposabilité des délais de recours prévue par l'article R104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Cet arrêt allait contre la lettre et l’objet du texte et donnait à la « théorie de la connaissance acquise », qui n’est en matière de décisions soumises à notification qu’une présomption irréfragable d’accomplissement de cette formalité, une portée nouvelle. En outre, au point de vue contentieux, l’administration ayant manqué à ses obligations de mention des délais et voies de recours, saisie d’un recours gracieux lui donnant la possibilité de rectifier une décision illégale, pouvait se trouver dans une situation plus favorable que l’auteur de l’acte ayant correctement informé le destinataire.
Cette jurisprudence a suscité des résistances de cours administratives d’appel, notamment celle de Bordeaux (C.A.A. Bordeaux, 21 septembre 1995, Mme Q., n° 94BX00095), jugeant que la connaissance par son destinataire d’une décision, révélée par l’exercice d’un recours administratif, n’avait pu faire courir le délai de recours.
Cette dernière décision avait été frappée d’un pourvoi, occasion pour la section du contentieux de revenir sur la jurisprudence Ville de Saint-Louis en considérant que la Cour avait fait une exacte application de l'article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (C.E., Section, 13 mars 1998, n° 175199 ; voir aussi C.E., Section, 13 mars 1998, Mme M., n° 120079 et les conclusions communes de Jean-Denis Combrexelle, AJDA 1998 p. 613) .
5. Les deux décisions de Section du 13 mars 1998 ne pouvaient cependant pas être aisément étendues à la situation du tiers à une autorisation d’urbanisme manifestant la connaissance de celle-ci par un recours administratif.
D’une part, évidemment, l’article R104 précité (et désormais l’article R421-5 du code de justice administrative) ne vise pas son cas.
D’autre part, les articles R490-7 et R421-39 du Code de l’urbanisme organisaient certes une double publicité du permis de construire, nécessaire en principe pour faire courir le délai de recours, mais celle-ci n’incluait pas la mention des délais et voies de recours.
Seul l’article A421-7 a, un temps, imposé la mention, sur l’affichage, que le délai de recours avait été modifié, renvoyant à l’article R. 490-7 précité. Cet arrêté ajoutait au contenu de l’affichage, alors qu’à l’époque où il était pris l’article R421-39 n’habilitait le ministre qu’à en régler la forme : le Conseil d’Etat en a neutralisé les effets (Cf. p. ex. C.E., 9 avril 1993, n° 128924) . Et lorsque l’article R421-39 du code de l’urbanisme a été complété en permettant de régler le contenu par arrêté, ce dernier, qui n’imposait plus de référence au délai de recours sur le panneau d’affichage, n’a pas été modifié…
Ainsi, l’information obligatoire pour faire courir le délai était peu ou prou celle dont le recours administratif révélait la connaissance, c’est à dire l’essentiel de l’autorisation.
6. Mais, depuis le 1er octobre 2007, il résulte clairement des articles R600-2, R424-15 et A424-17 du code de l’urbanisme que le délai de recours contentieux à l'encontre d'une non-opposition à une déclaration préalable, d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir, n'est opposable aux tiers qu'à la condition d'avoir été indiqué sur le panneau affichant le contenu de la décision sur le terrain d’assiette, pendant une période continue d’au moins deux mois au premier jour de laquelle ce délai débute.
Cette réforme posait en termes nouveaux la question des effets de la connaissance de la décision, révélée par le recours administratif, sur l’opposabilité du délai de recours lorsque l’affichage des voies et délais de recours est absent ou non conforme.
7. L’application de la solution dégagée le 13 mars 1998 au cas des recours des tiers contre les autorisations d’urbanisme n’est toutefois pas une transposition si simple.
La contestation d’une décision individuelle par son destinataire ne met en cause que la relation entre lui et l’administration, laquelle a en outre failli à son obligation d’information sur la saisine du juge.
Refuser de donner à la connaissance acquise d’une autorisation d’urbanisme par un tiers un effet de forclusion à son égard préserve son droit au recours, et le principe de légalité, mais porte atteinte à la stabilité de la situation juridique du bénéficiaire de cet acte créateur de droit, objectif auquel le Conseil d’Etat est attentif (Cf. C.E., Section, 15 juillet 2004, n° 266479) .
8. Cependant, outre la lettre du texte, une certaine logique va dans le sens de la solution retenue le 19 mars 2013 par la Cour administrative d’appel, c’est à dire l’absence d’incidence de la connaissance acquise sur le déclenchement du délai de recours.
Depuis la réforme entrée en vigueur le 1er octobre 2007, c’est au bénéficiaire de l’autorisation seul qu’il incombe d’accomplir les formalités de nature à faire courir le délai de recours. Dès lors, il serait curieux de faire prévaloir la sécurité juridique de celui-ci, défaillant, sur le droit au recours du tiers, qu’il n’a pas mis à même de saisir correctement le juge.
La situation est ici très différente de celle que le Conseil d’Etat a voulu éviter en 2004, la fragilisation sans limite de temps de la situation d’un bénéficiaire en raison du non-respect, par l’administration saisie d’un recours gracieux, de l’article 19 de la loi n° 02000-321 du 12 avril 2000 (C.E., Section, 15 juillet 2004, n° 266479) .
Enfin, outre qu’il avait affirmé l’inopposabilité de l’obligation de notification du recours prévue à l’article R600-1 du code de l’urbanisme, à défaut de sa mention sur l’affichage réglementaire, le Conseil d’Etat, dans son avis du 19 novembre 2008 (C.E., 19 novembre 2008, Sté Sahelac, n° 317279), avait incidemment relevé que l’information sur les voies et délais de recours par l’affichage sur le terrain du permis de construire est indispensable pour permettre aux tiers de préserver leurs droits (Cf. aussi C.E., 1er juillet 2010, Centre Hospitalier de Menton - La Palmosa, n° 330702) .
9. La Cour a donc jugé que la connaissance de l’autorisation d’urbanisme révélée par le recours administratif est sans incidence sur l’application des articles R600-2, R424-15 et A424-17 du code de l’urbanisme, et ne peut faire courir le délai de recours qui reste inopposable en l’absence d’affichage conforme.
Cette solution, si elle est confirmée, a un effet d’exclusion de la connaissance acquise plus important que celui résultant des décisions de Section du 13 mars 1998 (C.E., Section, 13 mars 1998, n° 175199 ; C.E., Section, 13 mars 1998, Mme M., n° 120079) dans les litiges bilatéraux des décisions individuelles relevant de l’article R421-5 du code de justice administrative.
Dans ce dernier contentieux, la connaissance acquise, si elle ne peut à elle seule faire courir le délai de recours, permet encore de présumer la notification de la décision, suppléant la carence de l’administration à se constituer une preuve. Si la décision comporte la mention des délais et des voies de recours, ceux-ci pourront alors courir.
Rien de tel dans les litiges des autorisations d’urbanisme, la connaissance de la décision révélée par l’exercice du recours administratif ne renvoyant pas à la présomption de notification d’un acte comportant les délais et voies de recours.
10. Cela ne signifie pas pour autant la fin de tout effet de la connaissance acquise en contentieux des tiers contre l’autorisation d’urbanisme.
L’exercice du recours contentieux devrait continuer à faire courir le délai contentieux, ainsi que l’a jugé dès 2010 le Conseil d’Etat (C.E., 1er juillet 2010, Centre Hospitalier de Menton - La Palmosa, n° 330702), dans un arrêt qui ne réserve d’ailleurs pas explicitement l’effet de forclusion de la connaissance acquise à la saisine contentieuse.
Celle-ci fait ainsi courir un délai au-delà duquel il ne sera plus possible de se désister pour introduire, sans tardiveté, une nouvelle requête contre le même acte. Cette situation reste cependant, a priori, très marginale.
La connaissance acquise reste surtout utile, comme en matière de litiges relevant de l’article R421-5 du code de justice administrative, à la cristallisation du débat contentieux - laquelle sera d’ailleurs peut-être renforcée par le projet d’article R600-4 du code de l’urbanisme proposé par le Rapport Labetoulle.