I) PRESENTATION DU LITIGE
La SA GERARD PERRIER INDUSTRIE, qui exerce à Belley (Ain) une activité d'administration d'entreprise, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour la période courant du 1erjanvier 2002 au 31 décembre 2004. A l'issue de ce contrôle, le vérificateur a estimé que la société avait déduit de ses résultats fiscaux des sommes versées à la société GC PARTICIPATIONS, sans avoir démontré qu'elles correspondaient, pour la totalité, à des prestations effectivement exécutées ou qu'elles aient été engagées dans l'intérêt de l'entreprise. Une fraction de ces sommes a donc été réintégrée dans les bases imposables de la SA GERARD PERRIER INDUSTRIE à hauteur de 29 043 € pour l'exercice 2002, 41 400 € pour l'exercice 2003, et 76 490 € pour l'exercice 2004.
Ces rehaussements ont été portés à la connaissance de la SA GERARD PERRIER INDUSTRIE par une proposition de rectification le 21 décembre 2005. Suite aux observations formulées par la société, l'intéressée a été informée que les rehaussements étaient maintenus dans leur principe et dans leur montant le 17 mars 2006. Les impositions supplémentaires résultant du contrôle ont été mises en recouvrement le 9 octobre 2007.
La SA. GERARD PERRIER INDUSTRIE conteste le jugement du tribunal administratif de Lyon en ce qu'il a confirmé le bien fondé des rehaussements opérés à son égard. Elle a développé par ailleurs en appel plusieurs moyens tirés de l’irrégularité de la procédure d'imposition.
Le moyen de fond tiré de l’absence d’acte anormal de gestion nous semblant devoir être accueilli, nous n’examinerons pas les moyens de procédure.
II) SUR L’ACTE ANORMAL DE GESTION
a. Sur les faits invoqués par l’administration
La société GERARD PERRIER INDUSTRIE a conclu le 28 juillet 2000 une convention d'assistance administrative, comptable et financière avec la société GC PARTICIPATIONS, société nouvellement créée, qui devait selon les termes du contrat, acquérir 2, 5 % de son capital.
Le fondateur et gérant de cette nouvelle société, M. C., était, jusqu'à cette date, salarié de la société GERARD PERRIER INDUSTRIE. Il exerçait la fonction de Directeur Général et en était mandataire.
Les missions confiées à la SARL GC PARTICIPATIONS étaient identiques aux fonctions accomplies par M. C. en tant que salarié.
En rémunération de la prestation d'assistance la convention prévoyait:
- le versement d'une somme fixe annuelle d'un montant de 1 184 000 F (180 500 €) ;
- le paiement d'un intéressement aux résultats des sociétés du groupe GERARD PERRIER INDUSTRIE.
Lors de la conclusion de la convention, les parties ont fixé le montant de la rémunération et des avantages annexes dont a bénéficié M. C. de manière à ce que « l'externalisation » des services de ce dernier n'entraîne pas d'augmentation de coût pour la société GERARD PERRIER INDUSTRIE. Ainsi, les honoraires fixes annuels négociés correspondaient au total de la rémunération brute annuelle de M. C. pour son contrat de salarié et son mandat, majorée des cotisations patronales.
Deux avenants ont été successivement signés avec pour objet d’augmenter la rémunération annuelle fixe de la SARL pour la porter, par avenant du 1er avril 2002, à 258 000 euros, puis, par avenant du 1er avril 2004, à 309 600 euros.
L’administration estime que, dès lors que la SARL réalise les mêmes fonctions que celles accomplies auparavant par M. C. lorsqu’il était salarié, les deux augmentations réalisées en 2002 et 2004 et représentant une hausse de, respectivement, 43 % et 71 % de la part fixe par rapport à la rémunération initiale, sont excessives.
Le ministre soutient que « L'intérêt pour la société GERARD PERRIER INDUSTRIE de cette forte augmentation des honoraires ainsi versés n'a pas été démontré. ».
Cette phrase traduit une certaine méconnaissance de la question de la charge de la preuve en matière d’acte anormal de gestion.
b. Sur la charge de la preuve
Un mot d’abord sur la charge de la preuve concernant l’acte anormal de gestion. L’arrêt de plénière Renfort service (CE, plén., 27 juill. 1984, n° 34588, SA Renfort Service : Dr. Fisc. 1985, n° 11, comm. 596, concl. P.-F. Racine ; RJF 10/84, n° 1123, conclusion Racine, p.562 ; GAJF, 5e éd., p. 854) a initié une jurisprudence qui laisse au contribuable le soin de justifier du principe et du montant des écritures de charge. Mais en ce qui concerne la portée de la preuve exigée du contribuable en matière de charge, il convient de préciser que l’obligation de justifier de l’exactitude des écritures comptables, si elle inclut la preuve de l’existence de contrepartie (CE, sect., 20 juin 2003, n° 232832, Sté Éts Lebreton – Comptoir général de peinture :JurisData n° 2003-080371 ; Rec. CE 2003, p. 273 ; Dr. Fisc. 2004, n° 5, comm. 200, concl. P. Collin ; Procédures 2003, comm. 230, note J.-L. Pierre ; RJF 2003, n° 1140, concl. P. Collin, p. 754 ; BGFE 2003, n° 3, obs. N. Chahid-Nouraï, p. 24 ; Rev. adm. 2004, obs. O. Fouquet, p. 272), n’implique pas que le contribuable doive justifier de ce que les charges ont été exposées dans l’intérêt de l’entreprise. C’est à l’administration qu’il incombe de prouver qu’un acte de gestion est étranger à l’intérêt de l’entreprise, même lorsque cet acte de gestion se traduit en comptabilité par une écriture de charge, à moins toutefois que la charge de la preuve ne soit inversée en raison de la procédure d’imposition.
Au cas d’espèce, la société requérante ayant contesté les impositions qui lui ont été notifiées dans le cadre de la procédure contradictoire et sa comptabilité n’ayant pas été remise en cause par le vérificateur, il appartient à l’administration de vous apporter la preuve qu’une partie de la rémunération de la SARL GC PARTICIPATIONS était étrangère à l’intérêt de la société GERARD PERRIER INDUSTRIE.
c. Sur l’administration de la preuve
Le tribunal administratif de Lyon a jugé que c’est à bon droit que l’administration avait estimé que, « dès lors que la SARL réalise les mêmes fonctions que celles accomplies auparavant par M. C. lorsqu’il était salarié, les deux augmentations réalisées en 2002 et 2004 et représentant une hausse de, respectivement, 43 % et 71 % de la part fixe par rapport à la rémunération initiale, étaient excessives. »
Le jugement fait écho à une jurisprudence du CE selon laquelle Doit être regardée comme excessive par rapport au service rendu la rémunération perçue par le président-directeur général d'une société de blanchisserie industrielle dès lors que son montant a connu une forte et soudaine croissance au titre des exercices concernés, alors qu'au cours de la même période, la société enregistrait une augmentation de son chiffre d'affaires très inférieure à celle constatée lors des exercices précédents et un résultat faible. (CE 22 mai 2002 n° 221541, 8e et 3e s.-s., Société Blanchisserie industrielle du Marais : RJF 8-9/02 n° 905)
En l’espèce, le tribunal administratif de Lyon n’a pas été convaincu par les explications de la société selon lesquelles ces augmentations étaient justifiées, d’une part, par l’augmentation du chiffre d’affaires de la société requérante passé de 47, 2 millions d’euros en 2000 à 55, 8 millions d’euros en 2004, et, d’autre part, par la prise en charge par la SARL des activités en matière d’assistance stratégique auparavant exercées par M. P., démissionnaire de la société anonyme depuis le 1er août 2003. Cette seconde justification était d’autant moins convaincante qu’elle manquait en fait.
En appel, la société ajoute à son argumentation de première instance le fait que la rémunération ne correspondait qu’à 0, 5 % de son chiffre d’affaires, pourcentage nettement moindre que ce que la jurisprudence considère comme une rémunération excessive pour des entreprises similaires.
Elle invoque à l’appui de cet argument différents arrêts du CE et de la Cour administrative d'appel de Nancy relatifs à la rémunération des dirigeants. Par exemple, elle se prévaut du fait que le CE a jugé qu'en l'absence de toute indication sur la nature et l'importance des services rendus par le contribuable au sein de l'entreprise, l'administration ne pouvait pas être regardée comme apportant la preuve du caractère excessif des salaires perçus par son dirigeant dont le montant représentait plus de 6 % du chiffre d'affaires. (CE, 20 juin 1984, n° 36960, M. Gouttmann : Dr. Fisc.1985, n° 7, comm. 321 : RJF 8-9/84 n° 980.)
La jurisprudence applicable aux dirigeants n’est pas tout à fait transposable. Elle est en effet fondée sur l’idée que le dirigeant ou l’associé est à la fois juge et partie dès lors que, contrairement à un salarié lambda, il joue un rôle dans la détermination de sa rémunération. La jurisprudence prend du reste en compte le degré de contrôle du dirigeant sur sa rémunération. Le CE a par exemple jugé que les rémunérations d’un PDG, lesquelles comportaient une part fixe et une part variable variant entre un quart et un tiers du bénéfice brut avaient un caractère normal dès lors qu'il ne contrôlait pas la société (2 actions sur cent), qu'il assumait la direction effective de l'entreprise, laquelle a, sous son impulsion, connu un développement important, et que les entreprises retenues par l'administration comme termes de comparaison ne présentaient pas d'analogie complète (CE 8 juillet 1988 n° 67832, 7e et 9e s.-s. : RJF 10/88 n° 1099)
En l’espèce, le ministre ne se prévaut d’aucun lien capitalistique entre les deux sociétés. Si le contrat du 28 juillet 2000 prévoyait que la SARL GC Participations devait acquérir 2, 5 % du capital de la société GERARD PERRIER INDUSTRIE, on ne sait pas ce qu’il est advenu de cette clause.
En se prévalant de la modicité de sa rémunération malgré les augmentations, la société soutient implicitement mais nécessairement que la rémunération prévue par le contrat initial du 28 juillet 2000 était anormalement basse. Symétriquement, en se bornant à se prévaloir d’augmentations anormales, le ministre invoque tout aussi implicitement mais nécessairement le fait que la rémunération initialement prévue était normale. L’idée du ministre est que la rémunération initiale était bien normale dès lors que l’externalisation de M. C. résultait à l’origine d’un jeu à somme nulle pour la société. Finalement, l’externalisation a coûté plus cher à la société que le salariat initial.
Mais ce faisant, le ministre compare des choux avec des carottes. Car ce que critique le ministre ce n’est pas le contrat initial du 28 juillet 2000 mais les avenants des 1er avril 2002 et 2004. Or, à ces dates-là, la société avait déjà fait le choix d’externaliser, il faut donc comparer la rémunération prévue par les avenants non, comme le fait le ministre, avec le coût d’un salarié mais avec celui d’une entreprise qui offrirait les mêmes services que la SARL. Ainsi que le montre l’arrêt précité de 1988 du CE, seule une comparaison avec le prix du marché pourrait permettre de conclure à une rémunération excessive. L’administration ne peut, comme elle le fait, imposer à la société de recourir de nouveau au salariat. Une entreprise est par exemple libre de choisir entre constituer son propre service juridique ou recourir à des avocats. Si elle prend cette dernière option, la rémunération consentie à un avocat doit être comparée aux tarifs pratiqués par d’autres avocats et non au coût d’un service juridique.
D’autre part, il ne saurait y avoir acte anormal de gestion si les augmentations anormales ont permis d’aligner la rémunération de la SARL au niveau du marché. Dans ce cas, c’est en signant le premier contrat que la SARL GC PARTICIPATIONS a commis un acte anormal de gestion. Mais c’était sans doute son intérêt bien compris d’appâter la SA PERRIER comme ont pu le faire certaines sociétés afin que des communes externalisent leur gestion de l’eau. Du reste, toutes choses étant égales par ailleurs, si on admet que la SARL a employé M. C. dans les mêmes conditions dont il bénéficiait auparavant en tant que salarié de la société PERRIER, la SARL a dû renoncer à tout bénéfice en signant son contrat en 2000 et il était logique qu’une fois le cheval dans Troie, elle retrouve la vocation première de toute société privée : gagner de l’argent.
On trouve dans la jurisprudence quelques exemples d’augmentations anormales n’ayant pas débouché sur un acte anormal de gestion au motif, notamment, qu’il s’agissait d’un rattrapage. Le CE a par exemple jugé qu’Après avoir conclu un bail avec la SCI propriétaire des murs, une société anonyme exploitant un hôtel, détenue en quasi-totalité par les associés de la SCI, accepte moins d'un an après, une augmentation de loyer de 50 % avec effet au jour de la conclusion du bail. En acceptant une telle augmentation de loyer, la société n'a pas commis d'acte anormal de gestion dès lors que même si elle n'était pas tenue d'y consentir, elle avait intérêt à éviter la défaillance de son bailleur dont la santé financière était menacée par les charges de remboursement d'emprunt excédant les produits tirés de la location des locaux. En outre, l'augmentation n'a fait que porter le loyer à un niveau correspondant au prix du marché locatif de la ville d'implantation de l'hôtel. (CE 3 novembre 2004, n° 234525, 10e et 9e s.-s., R. : Juris-Data n° 02004-080605 ;Dr. Fisc. 2005, n° 08, comm. 226 ; RJF 1/05 n° 28)
Faute d’apporter des éléments de comparaison avec le marché, l’administration n’apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère excessif de la rémunération. Elle succombe d’autant plus qu’on constate que le choix initial d’externaliser n’était pas si absurde que cela puisqu’il a coïncidé avec une augmentation sensible du chiffre d’affaire de la société requérante.
Par ces motifs, nous concluons à la décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur les sociétés, à la contribution additionnelle à cet impôt et à la contribution sociale auxquelles la SA Gérard Perrier industrie a été assujettie au titre des exercices clos en 2002, 2003 et 2004 et à l’annulation de l’article 2 du jugement du tribunal administratif de Lyon.