Il existe une délégation permanente de pouvoirs du ministre chargé de l’éducation à l’égard des recteurs d’académie pour prononcer, à l’égard des personnels enseignants, les décisions relatives à la radiation des cadres prononcée consécutivement à une démission acceptée. Cette délégation de pouvoir implique nécessairement que leur soit donnée délégation de signature aux fins d’accepter la démission d’un personnel enseignant.
Quand une délégation de pouvoirs implique nécessairement une délégation de signature
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Résumé
Conclusions du rapporteur public
Cathy Schmerber
Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.5938
M. V., professeur certifié d’éducation musicale depuis 1988 a été affecté dans l’académie de Grenoble en 2009. Après une période de disponibilité pour convenances personnelles, du 3 janvier 2010 au 31 août 2010, il est affecté sur la zone de remplacement de Montélimar : malgré le bénéfice d’un temps partiel, cette affectation lui pose des difficultés dont il fait part à l’administration dès la mi-septembre, avant de présenter sa démission, le 22 septembre 2010, puis de la confirmer le 27 octobre 2010. La radiation des cadres pour démission est prononcée par arrêté du recteur de l’académie de Grenoble du 10 novembre 2010, avec effet au 1er septembre 2010. Le Ministre de l’éducation nationale relève appel du jugement du 23 juin 2011, par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté.
Cette affaire ne comporte selon nous aucune autre difficulté que celle tenant à l’examen du motif d’annulation retenu par les premiers juges et contesté par l’administration en appel. En effet, les autres moyens de première instance nous paraissent tous devoir être écartés, en particulier celui du vice de consentement affectant l’offre de démission de l’agent.
L’arrêté litigieux du 10 novembre 2010 comporte plusieurs articles ; aux termes du 1er « est acceptée, sur sa demande, la démission de M. V., professeur certifié d’éducation musicale », puis aux termes du 2ème « l’intéressé est radié du corps des professeurs certifiés à compter du 1er septembre 2010 ». Les premiers juges ont prononcé l’annulation de cet acte, en considérant qu’il émane d’une autorité incompétente en tant qu’il accepte la démission, ce qui prive par voie de conséquence de fondement légal la mesure de radiation des cadres prise consécutivement à cette acceptation.
Ils ont ainsi refusé d’accueillir l’argumentation en défense du recteur de l’académie de Grenoble, se prévalant des termes de l’arrêté ministériel du 9 août 2004, portant délégation de pouvoirs du ministre chargé de l'éducation aux recteurs d'académie en matière de gestion des personnels enseignants, d'éducation, d'information et d'orientation de l'enseignement du second degré, et plus particulièrement de son article 1er, sur lequel nous reviendrons.
Rappelons que l’article 58 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985, relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions : « La démission ne peut résulter que d'une demande écrite de l'intéressé marquant sa volonté expresse de quitter son administration ou son service. Elle n'a d'effet qu'autant qu'elle est acceptée par l'autorité investie du pouvoir de nomination et prend effet à la date fixée par cette autorité. ».
Il est ainsi expressément prévu par le texte applicable que la décision d’acceptation ou de refus de la démission présentée par un fonctionnaire relève de la compétence de l’autorité compétence en matière de nomination (il ne ressortait pas autre chose de la jurisprudence antérieure : CE 9 décembre 1974 n° 89583 « B.») .
En l’espèce, l’autorité investie du pouvoir de nomination est – et ce n’est pas discuté - le ministre de l’éducation, en vertu de l’article 24 du décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 relatif au statut particulier des professeurs certifiés.
Le recteur ne pouvait donc légalement accepter ou refuser la démission de M. V. qu’à la condition de bénéficier d’une délégation du ministre pour ce faire : la question qui vous est posée est alors celle de la portée des dispositions de l’article 1er de l’arrêté ministériel du 9 août 2004 et, plus largement, celle de l’articulation entre l’acception d’une démission et la radiation des cadres du fonctionnaire démissionnaire.
Aux termes de l’article 1er de l’arrêté ministériel du 9 août 2004, délégation permanente de pouvoirs est donnée aux recteurs d’académie pour prendre les décisions relatives « 22. A la radiation des cadres prononcée dans l'une des circonstances suivantes : a) Consécutivement à une démission acceptée ; b) Par anticipation, conformément au titre V du livre Ier du code des pensions civiles et militaires de retraite ; c) En vue de l'admission à la retraite, tant à la demande des fonctionnaires que d'office en raison de leur âge ; d) Consécutivement à un abandon de poste ».
Le raisonnement adopté par les premiers juges suppose, et ils l’ont d’ailleurs expressément mentionné dans le jugement attaqué, de distinguer deux décisions dans la procédure de cessation de fonctions ou de sortie de service : d’une part et d’abord une décision d’acceptation de la démission de l’agent ; d’autre part et ensuite, une décision de radiation des cadres.
Si l’arrêté du 10 novembre 2010 répond à cette logique, distinguant, nous l’avons dit, les deux décisions dans ses deux premiers articles, nous pensons toutefois qu’il s’agit là de faire preuve d’un formalisme excessif, qui n’est imposé par aucun texte.
Dans un arrêt de Section, rendu le 27 avril 2011 sous le n° 335370 « J. », le Conseil d’Etat a notamment jugé que si l'administration ne s'est pas prononcée dans le délai de 4 mois qui lui est imparti – s’agissant de la fonction publique d’Etat -, elle se trouve dessaisie de l'offre de démission, sans que puisse naître, à l'intérieur de ce délai, une décision implicite de rejet, seule une décision implicite de refus de statuer sur l’offre de démission étant susceptible d’intervenir. Le Conseil d’Etat érige ainsi le respect du délai en garantie pour le fonctionnaire.
S’il juge également que l’expiration du terme ne vaut ni acceptation ni rejet de la démission, ni l’arrêt, ni les conclusions du Rapporteur public, Edouard Geffray, ne répondront à la question qui vous est posée : nous pensons que peut seulement en être déduit qu’un acte valant décision expresse de l’autorité compétente est requis – et pour le moins largement souhaitable – dans l’hypothèse où l’administration compte refuser l’offre de démission du fonctionnaire.
Dans l’hypothèse d’une acceptation de cette offre, elle ne peut naître implicitement du silence de l’administration, une telle possibilité – au demeurant rare – ne pouvant être ouverte en l’absence de mention expresse, en vertu de la loi du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l’acceptation de l’offre de démission puisse prendre des formes diverses, une mention dans les visas de l’arrêté de radiation des cadres « à la démission de l’intéressé » pouvant valablement constituer une telle acceptation de la démission (CAA Marseille 26 mars 1998 n° 96MA01688 « S. ») .
Aucune disposition légale ou réglementaire ne fait par ailleurs obstacle à ce que l’acceptation de l’offre de démission et la radiation des cadres fasse l’objet d’une seule et même décision (CAA Paris 6 mars 2007 n° 04PA03924 « D. ») . Seule importe la circonstance que l’acceptation de la démission soit portée à la connaissance de l’agent (CAA Marseille précité). A cet égard, il convient selon nous de relativiser la portée des termes de l’arrêté du 9 août 2004, lorsqu’est visée la radiation des cadres consécutivement à une démission acceptée. Si la logique chronologique paraît évidente, elle n’induit pas nécessairement l’édiction de deux décisions distinctes.
L’article 58 du décret du 16 septembre 1985 précise les modalités de mise en œuvre de l’article 24 de la loi du 13 juillet 1983, qui prévoit que : "La cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte : [...] 2° de la démission régulièrement acceptée". Les termes de la loi viennent renforcer l’idée, que nous défendons devant vous, selon laquelle l’acceptation de la démission n’est qu’un des motifs pouvant fonder la radiation des cadres d’un fonctionnaire, de sorte que la délégation décidée au profit des recteurs d’académie pour les décisions relatives à la radiation des cadres prononcée consécutivement à une démission acceptée, ne peut être regardée – selon nous – que comme portant nécessairement sur l’acceptation de la démission elle-même. Nul besoin, nous l’avons dit, de véritable décision d’acceptation, comme il n’y a pas, en vertu des textes, de décision d’abandon de poste – autre motif de radiation des cadres, visé également par la délégation aux recteurs d’académie. La situation d’abandon de poste est constatée, selon une procédure particulièrement encadrée par la jurisprudence, et la décision de radiation des cadres en constitue l’aboutissement.
Vous noterez d’ailleurs à l’occasion de cette comparaison que, dans la procédure d’abandon de poste, lorsque cet abandon est constaté par la mise en œuvre de la procédure que vous connaissez (mise en demeure de l’agent de rejoindre son poste …), l’autorité compétente n’est pas tenue de procéder à la radiation des cadres de l’agent mais peut toujours abandonner la procédure engagée.
En revanche, l’acceptation d’une offre de démission place l’administration en situation de compétence liée pour prononcer la radiation des cadres : cela plaide selon nous pour le caractère indissociable des deux « étapes » de la procédure et devrait vous conduire à considérer que la délégation consentie par le ministre aux recteurs d’académie doit être regardée comme portant aussi bien sur la décision de radiation des cadres elle-même que sur l’acceptation de l’offre de démission, qui en constitue le motif et non une décision distincte.
Si vous nous suivez, vous annulerez le jugement du Tribunal administratif. Nous l’avons dit précédemment : aucun autre moyen de première instance ne nous paraît pourvoir conduire à une annulation de l’arrêté du 10 novembre 2010
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 23 juin 2011 et au rejet de la demande de M. V.
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