Irrégularité d’un permis délivré en l’absence d’autorisation de raccordement à un réseau privé d’eau potable

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Décision de justice

CAA Lyon, 1ère chambre – N° 11LY00030 – Consorts X et autre – 13 mars 2012 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 11LY00030

Numéro Légifrance : CETATEXT000025527954

Date de la décision : 13 mars 2012

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Permis de construire, L.1321-7 du code de la santé publique, Alimentation en eau potable, Autorisation de raccordement

Rubriques

Urbanisme et environnement

Résumé

Il résulte des dispositions de l’article L1321-7 du code de la santé publique, que la distribution d’eau en vue de la consommation humaine par réseau public ou privé est soumise à autorisation administrative. En subordonnant l’occupation du sol à la nécessité de disposer d’un captage privé d’eau potable, les dispositions du règlement du plan local d’urbanisme d’une commune impliquent nécessairement s’agissant des raccordements à des réseaux privés collectifs que ceux-ci aient été régulièrement autorisés au titre des dispositions précitées du code de la santé publique.

Est par suite irrégulier le permis délivré alors que le pétitionnaire ne pouvait se prévaloir d’une possibilité de raccordement à un réseau privé d’eau potable régulièrement autorisé.

Conclusions du rapporteur public

Jean-Paul Vallecchia

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5939

Les consorts V. sont propriétaires, sur le territoire de la Commune de Notre-Dame de Bellecombe – en Savoie – au lieudit « Les Excoffonières », de plusieurs parcelles de terrain supportant maisons d’habitation et exploitations agricoles.

Cette situation leur donnait qualité pour agir contre le permis de construire délivré, le 14 décembre 2007, par le Maire de Notre Dame de Bellecombe à Mme P., pour la réalisation, sur ce même secteur du hameau des Excoffonières, d’une maison d’habitation de 223 m2 de Surface Hors Œuvre Nette (SHON).

Le permis de construire a été transféré le 26 mai 2008 à M.A.

Un nouveau transfert a été réalisé par arrêté du 9 décembre 2010 au profit de la Société Tétrasie, laquelle a produit, le 1er février 2012, au soutien des écrits de la Commune et de ses intérêts.

C’est devant le Tribunal Administratif de Grenoble que ce permis de construire a été contesté, après un recours gracieux du 11 janvier 2008 resté sans réponse.

Le recours en annulation des consorts V. était accompagné d’un recours à fin de suspension, par la voie du référé, recours rejeté par ordonnance du 29 juillet 2008.

Par jugement n° 0801264 du 29 octobre 2010 les magistrats de la 2ème chambre de ce Tribunal ont rejeté le recours en annulation qui leur était soumis, écartant les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles NB3, NB4, NB7 et NB12 du Règlement du Plan d’Occupation des Sols de la Commune ; ces dispositions traitant respectivement de la sécurité des accès, de l’alimentation en eau potable, des distances par rapport aux limites séparatives et de la réalisation de places pour le stationnement des véhicules.

C’est de ce jugement dont il est fait appel.

Devant votre Cour… le débat contentieux engagé par les consorts V., qui poursuivent toujours l’annulation du permis de construire en cause, s’est concentré autour de la question de la desserte en eau potable du projet pour lequel le permis de construire a été délivré.

Les requérants se réfèrent aux dispositions de l’article R111-8 du Code de l’Urbanisme alors applicables – prévoyant pour toute construction à usage d’habitation une alimentation dans des conditions conformes aux règlements en vigueur – et de l’article NB4 du Règlement du Plan d’Occupation des Sols (POS) prévoyant soit un raccordement au réseau public d’alimentation, soit, à défaut, une alimentation par captage privé sous réserve de l’établissement de la potabilité de l’eau et de l’existence d’un débit adapté à la destination du projet et à la lutte contre l’incendie.

La Commune de Notre Dame de Bellecombe étant couverte par un document d’urbanisme c’est sur le seul fondement de l’article NB4 du Règlement du POS que votre Cour analysera et tranchera ce litige.

La Commune de Notre Dame de Bellecombe oppose à la requête plusieurs fins de non-recevoir…l’une d’entre elles est aussi défendue par la Société Tétrasie…

Contrairement à ce que soutiennent la Commune et la Société Tétrasie le jugement de première instance contesté a bien été joint à la requête d’appel parmi les pièces transmises au greffe de votre Cour le 6 janvier 2011.

Parmi ces pièces figurent également les copies des lettres recommandées du 5 janvier 2011 avec accusés de réception (alors que la requête a été enregistrée le 6 janvier 2011) qui ont été adressées tant au Maire de Notre Dame de Bellecombe qu’au bénéficiaire du permis de construire transféré et qui répondent aux exigences de notification des recours contentieux prescrites par l’article R600-1 du Code de l’Urbanisme.

La Commune soutient aussi que le moyen relatif à l’absence d’autorisation de raccordement serait irrecevable car nouveau en appel et fondé sur une cause juridique qui n’était pas abordée en première instance… mais en réalité, comme nous allons le voir, cette question était nécessairement sous-jacente à l’analyse à laquelle a procédé le Tribunal Administratif de Grenoble concernant l’application de l’article NB4 du Règlement du POS de la Commune…

Dans cette affaire, il n’est pas contesté que le raccordement au réseau public d’alimentation en eau potable est impossible et que des captages privés existants sur les propriétés des requérants pourraient permettre l’alimentation en eau potable du projet en question.

Selon les requérants :

- le caractère privé de leurs captages empêcherait, purement et simplement, en l’absence de tout droit d’alimentation en eau, le raccordement…

- la potabilité de l’eau issue de ces captages en vue de la consommation humaine n’a pas été établie conformément aux exigences de l’article L1321-7 du Code de l’Urbanisme…

- le débit serait insuffisant pour assurer l’alimentation du projet et la sécurité des lieux en matière de lutte contre l’incendie…

Sur ce point particulier de l’alimentation en eau potable… les premiers juges ont considéré que cette alimentation serait assurée par un captage privé desservant l’ensemble du hameau des Excoffonières et qu’un rapport hydrogéologique du mois d’octobre 2007 concluait que les sources de ce hameau fournissent un débit, supérieur aux besoins, d’eau de bonne qualité physico-chimique… un rapport que les requérants critiquent bien sûr, en raison – selon eux – de son caractère sommaire, et de sa destination, celle d’une maison déjà existante au sein du hameau des Excoffonières et non du projet autorisé par le permis de construire du 14 décembre 2007

En premier lieu, il nous semble que votre Cour n’entrera pas dans le débat concernant le caractère strictement privé du captage du hameau des Excoffonières. C’est d’ailleurs ce qu’ont, à notre sens, implicitement fait les juges de première instance en répondant directement au moyen tiré de la méconnaissance de l’article NB4 du Règlement du POS.

Car en effet, s’agissant d’une question de droit privé, le Maire de Notre-Dame de Bellecombe ne pouvait interférer dans sa résolution, les autorisations d’urbanisme étant, comme nous le, savons, accordées sous réserve des droits des tiers, ces autorisations ayant pour seules contraintes la conformité des travaux projetés avec les règles d’urbanisme : voyez par exemple sur ce point Conseil d’Etat n° 067345 du 5 février 1988 ou bien encore Conseil d’Etat n° 324616 du 1er décembre 2010 SOCIETE FIZZY.

En deuxième lieu, le texte de l’article NB4 du Règlement du POS de la Commune – qui admet, à défaut d’alimentation par le réseau public, une alimentation par captage privé sous réserve de l’établissement de la potabilité de l’eau et de l’existence d’un débit adapté à la destination du projet et à la lutte contre l’incendie – ce texte pose d’abord la question de savoir si la notion de potabilité qu’il contient doit être nécessairement liée aux exigences posées par une autre législation, celle de la Santé Publique, les dispositions de l’article L1321-7 du Code de la Santé Publique précisant :

« I. - Sans préjudice des dispositions de l'article L214-1 du code de l'environnement, est soumise à autorisation de l'autorité administrative compétente l'utilisation de l'eau en vue de la consommation humaine, à l'exception de l'eau minérale naturelle, pour : (…) / 2° La distribution par un réseau public ou privé, à l'exception de la distribution à l'usage d'une famille mentionnée au 3° du II et de la distribution par des réseaux particuliers alimentés par un réseau de distribution public ; (…)  ».

Au cas d’espèce cette autorisation n’existait pas… la lettre du 30 novembre 2007 du Directeur Départemental des Affaires Sanitaires et Sociales de la Savoie faisait seulement savoir au Directeur Départemental de l’Equipement que la procédure d’autorisation d’exploitation de ce captage était « en cours de régularisation » … Mais fallait-il obtenir cette autorisation préalablement à la délivrance du permis de construire… ?

Le principe de l’indépendance des législations pourrait plaider en faveur d’une déconnexion du Règlement d’Urbanisme et du Code de la Santé Publique…d’autant plus que le Règlement du POS ne fait aucun lien explicite entre ces deux domaines… mais en ce cas que signifierait alors la notion de potabilité contenue dans l’article NB4 du Règlement du POS… ?

En réalité, la seule indication de la notion de potabilité implique une référence implicite au domaine de la Santé Publique et, par voie de conséquence, au dispositif législatif et réglementaire qui y est attaché, faute de quoi votre raisonnement s’engagerait, nous semble-t-il, sur des voies incertaines, laissant à cette notion de potabilité une forme de dimension domestique trop éloignée des réalités actuelles de Santé Publique.

Aussi, le moyen qui est développé, nous paraît, sous cet aspect du lien avec les dispositions du Code de la Santé Publique et de l’absence d’autorisation administrative préalable, nous paraît pouvoir être retenu, ce qui conduirait votre Cour à l’annulation du jugement du 29 octobre 2010 du Tribunal Administratif de Grenoble.

Ce moyen, ou plus exactement cette branche de moyen, nous paraît être le seul qui puisse conduire à l’annulation du jugement qui est contesté, car, la dernière critique qui est formulée par les requérants – toujours sur le fondement de l’article NB4 du Règlement du POS – concerne l’autre aspect de cet article du Règlement, c'est-à-dire l’existence d’un débit adapté à la destination du projet et à la lutte contre l’incendie… Or, à cet égard, si l’étude hydrogéologique du 25 octobre 2007, à laquelle se sont référés la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales de la Savoie (dans sa lettre du 30 novembre 2007 à la DDE) et aussi les premiers juges, si cette étude ne pouvait assurément – bien que faisant état d’une eau de bonne qualité physico-chimique – se substituer à l’autorisation administrative exigée par le Code de la Santé Publique, en revanche les éléments rapportés par cette étude au sujet du débit du captage (plus de 30 m3 d’eau par jour au moment de la visite et aucune difficulté d’alimentation du hameau même en période de grande sécheresse), cette étude permettaient de conclure à l’existence d’un débit adapté à la destination du projet et à la lutte contre l’incendie…

Par ces motifs nous concluons :

- à l’annulation du jugement n° 00801264 du 29 octobre 2010 rendu par les magistrats de la 2ème chambre du Tribunal Administratif de Grenoble ;

- à ce que soit mise à la charge de la Commune de Notre Dame de Bellecombe une somme de 150 euros qui sera versée à chacun des cinq requérants ;

- à ce que soit également mise à la charge de la Société Tétrasie une somme de 150 euros qui sera versée à chacun des cinq requérants.

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