Par acte d’engagement notifié le 14 août 2003, le groupement d’entreprises composé de la société L. et de la société P. s’est vu attribuer le lot n° 03 relatif aux enduits d’un marché ayant pour objet la construction par les Hospices civils de Lyon d'un bâtiment de néphrologie, urologie et hémodialyse dans le centre hospitalier de Lyon Sud. Le groupement a sous-traité l’exécution de son lot à la société B. et il est apparu, en cours de chantier, que les métrés des surfaces à enduire prévus dans la décomposition du prix global et forfaitaire avaient été largement sous-estimés dans le dossier de consultation des entreprises par la société S. bâtiment, aux droits de laquelle est venue par la suite la société T.. Afin de ne pas léser son sous-traitant et pour permettre surtout la continuité des travaux en évitant d’éventuelles pénalités de retard, les deux sociétés titulaires du marché ont payé les sommes correspondantes à la société B. pour un montant estimé de 68 502, 36 euros, convaincus sans doute de ce que les travaux supplémentaires exécutés par le sous-traitant leur seraient nécessairement indemnisés, alors même que le maître d’ouvrage avait refusé de payer, au motif de l’intangibilité du prix forfaitaire.
Par un jugement du 8 novembre 2007, le Tribunal administratif de Lyon a donné partiellement gain de cause au groupement : partiellement seulement, car les premiers juges ont laissé à leur charge deux tiers du dommage en considérant que les sociétés requérantes avaient commis une faute de nature à atténuer la responsabilité de la société T. en ne vérifiant pas l’exactitude des données figurant au dossier de consultation avant de formuler leur offre.
Votre Cour a eu à connaître une première fois de l’appel des sociétés L. et P. : par un arrêt du 18 février 2010, la requête d’appel a été rejetée. Se fondant sur les dispositions de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, l’arrêt considère que seul le maître d’ouvrage est susceptible de payer les travaux supplémentaires, au paiement direct desquels peut prétendre le sous-traitant agréé lorsque ces travaux sont indispensables. Le préjudice dont les sociétés L. et P. demandent réparation a été considéré comme dépourvu de lien de causalité avec la faute du maître d’œuvre.
Par une décision du 23 mai 2011 rendue sous le n° 338780, le Conseil d’Etat a censuré ce raisonnement pour erreur de droit : vous savez désormais que les dispositions de la loi de 1975 ne font pas obstacle à ce que le paiement du sous-traitant soit directement effectué par le titulaire du marché, éteignant ainsi à due concurrence la créance du sous-traitant sur le maître d’ouvrage. L’affaire a été renvoyée devant votre Cour pour qu’il y soit à nouveau statué.
Dans ses conclusions sous cette décision du 23 mai 2011, le Rapporteur Public, Nicolas Boulouis, précise que « le principe de la responsabilité de la société T. n’est pas discuté ni discutable », faute d’appel de sa part. Dans leurs derniers écrits, les sociétés L. et P. affirment quant à elles que le Conseil d’Etat a admis l’existence d’un lien direct entre leur préjudice et la faute du maître d’œuvre.
Ce qui ne peut plus être discuté, c’est l’existence – admis par les premiers juges – de la faute commise par la société T., par la remise au maître de l’ouvrage de documents comportant des métrés erronés, de même que la réalité du surcoût en résultant. Reste en discussion devant vous l’existence d’une faute commise par les sociétés requérantes, ainsi que, le cas échéant, les conséquences d’une telle faute, c'est-à-dire la part du préjudice devant être laissée à leur charge.
Les premiers juges ont considéré que l’article 2 du cahier des clauses administratives particulières précisait, en l’espèce, que les quantités indiquées dans le document de consultation n’avaient qu’une valeur indicative et qu’en outre, il appartient dans tous les cas à l’entrepreneur qui soumissionne à un marché de travaux de vérifier l’exactitude des éléments qui lui sont fournis avant de formuler son offre et d’exécuter les travaux. Constatant que les sociétés L. et P. n’avaient pas procédé à ces vérifications préalables, les premiers juges ont laissé à leur charge les deux tiers du surcoût qu’elles ont supporté.
Les appelantes font tout d’abord valoir que le CCAP n’a d’effet qu’à l’égard des parties au contrat et ne peut leur être opposé dans le cadre d’un recours quasi-délictuel dirigé contre le maître d’œuvre. Il est vrai que si le sous-traitant des sociétés L. et P. avait agi par lui-même, cette stipulation n’aurait pu lui être opposée (CE 3 mars 2010 n° 304604 « Société Presspali SPA ») . Dans ses conclusions sous la décision du 23 mai 2011 concernant la présente affaire, le Rapporteur Public, Nicolas Boulouis indique que « l’action du titulaire pourrait ici être regardée comme une action après subrogation dans les droits du sous-traitant et non comme une action en son nom propre ».
Elles font également valoir qu’il ne peut leur être reproché aucune faute alors que le bureau d’études n’a lui-même rien décelé et que leur sous-traitant n’a lui-même jamais eu accès au dossier de consultation, l’erreur n’étant ensuite apparue qu’en phase d’exécution des travaux.
La société T., admettant en appel le principe de sa responsabilité, n’a jamais soutenu à titre subsidiaire, lorsqu’elle le contestait en première instance en soutenant qu’aucune faute de sa part n’était démontrée, que sa responsabilité devait être atténuée du fait d’une faute des entreprises. Elle n’a pas davantage contesté l’affirmation selon laquelle elle n’avait jamais elle-même décelé l’erreur dans les métrés, cette erreur pourtant importante lui ayant totalement échappé, aussi bien à l’occasion de l’analyse des offres que lors des mises au point nécessaires à la passation des contrats.
Dans ces conditions, vous devrez selon nous admettre l’entière responsabilité de la société T., en écartant toute faute exonératoire des sociétés L. et P..
Le montant du préjudice n’est pas contesté en appel.
Par ces motifs, nous concluons :
- à la condamnation de la société T. à payer aux sociétés L. et P. une somme de 68 502, 36 euros avec intérêt à compter du 23 avril 2004 et capitalisation annuelle des intérêts à compter du 25 avril 2005 ;
- à la réformation du jugement du Tribunal administratif de Lyon du 8 novembre 2007 en ce qu’il a de contraire