Seul l’administrateur judiciaire a qualité pour solliciter l’autorisation de licenciement économique d’un salarié protégé

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Décision de justice

CAA Lyon, 6ème chambre – N° 10LY01004 – Société Castiel Frères Import – 22 décembre 2011 – C+

Requête jointe : N°10LY01002

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 10LY01004

Numéro Légifrance : CETATEXT000025115478

Date de la décision : 22 décembre 2011

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Licenciement, Salarié protégé, Autorisation de licenciement économique, Administrateur judiciaire

Rubriques

Droits sociaux et travail

Résumé

Il résulte des dispositions combinées de l’article L425-1 du code du travail et L613-17 du code du commerce que seul l’administrateur judiciaire a qualité pour solliciter auprès de l’inspecteur du travail compétent l’autorisation de licenciement économique d’un salarié protégé. En l’espèce, la Cour considère que le président-directeur général de la société n’avait pas qualité pour demander l’autorisation de licenciement pour motif économique de M. H. Ainsi, le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité était tenu de refuser l’autorisation de licenciement sollicitée.

Conclusions du rapporteur public

François Pourny

Rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5928

Par un jugement du 13 mars 2007, le tribunal de commerce de Lyon a constaté l’état de cessation des paiements et prononcé l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société C., spécialisée dans l’importation et la vente de produits décoratifs et festifs. Ce jugement a désigné un juge-commissaire, et nommé un administrateur, avec pour mission d’assister le débiteur dans tous les actes concernant la gestion, ainsi qu’un mandataire judiciaire et un commissaire-priseur judiciaire. Il a également fixé l’expiration de la période d’observation au 13 septembre 2007.

Suite à ce jugement du 13  mars 2007, l’administrateur judiciaire a demandé au juge commissaire l’autorisation de supprimer 21 emplois pour motif économique, conformément aux dispositions de l’article L631-17 du code de commerce, selon lesquelles : « Lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d’observation, l’administrateur peut être autorisé par le juge-commissaire à procéder à ces licenciements. (…) ». La suppression de 21 postes a ainsi été autorisée par une ordonnance du juge commissaire en date du 19 avril 2007.

L’employeur a alors recherché, comme il en a l’obligation, à reclasser les salariés concernés, dont M. François H., délégué du personnel titulaire, et M. Richard F., délégué du personnel suppléant. Ces deux salariés ont l’un et l’autre refusé les offres de reclassement qui leur ont été proposées. Leur employeur a en conséquence engagé une procédure de licenciement pour motif économique à leur encontre. Par deux lettres en date du 28 mai 2007, reçues le 31 mai suivant, le Président de la société C. a demandé à l’inspectrice du travail de la 14ème section du Rhône l’autorisation de les licencier. L’inspectrice du travail a accordé ces autorisations par deux décisions du 18 juin 2007. Ces deux décisions ont été annulées, sur recours hiérarchiques des salariés concernés, par deux décisions du 10 décembre 2007 du ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.

Pour annuler les décisions de l’inspectrice du travail et refuser les autorisations de licenciement sollicitées, le ministre s’est fondé sur le fait que ces autorisations avaient été demandées par le président directeur général de la société C..., sans que l’accord formel de l’administrateur judiciaire sur cette démarche ne soit établi au moment de la présentation de la demande, et, au surplus, sur le fait que ledit administrateur judiciaire, qui n’avait pas donné mandat au président directeur général de la société pour le représenter, n’avait pas été convoqué et entendu au cours de l’enquête contradictoire.

La société C. a contesté ces deux décisions devant le Tribunal administratif de Lyon, qui a rejeté ses demandes par les jugements nos 0801077 et 0801078 du 23 février 2010, en considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 631-17 du code de commerce que seul l’administrateur judiciaire a qualité pour procéder à des licenciements pour motif économique pendant la période d’observation et, par suite, que seul l’administrateur judiciaire a qualité pour présenter une demande d’autorisation de licenciement à l’inspecteur du travail.

La société C. interjette appel de ces deux jugements par deux requêtes, enregistrées le 19 avril 2010 sous les numéros 10LY01002 et 10LY01004, étant précisé que le premier jugement et la première requête concernent M. H.. et que le second jugement et la seconde requête concernent M. F.

En ce qui concerne la régularité des jugements attaqués, la société C. soutient que les conclusions reconventionnelles de MM. H. et F. étaient irrecevables. Toutefois les intéressés n’ont pas présenté au Tribunal administratif de Lyon des conclusions reconventionnelles tendant à l’annulation des décisions de l’inspectrice du travail qui autorisaient leurs licenciements pour motif économique, ils ont conclu au rejet des demandes de la société C., en soutenant que les décisions du ministre étaient fondées parce que les décisions de l’inspectrice étaient illégales. Les premiers juges, qui n’ont pas viser de conclusions reconventionnelles de MM. H. et F., n’avaient donc pas à se prononcer sur de telles conclusions, et ils n’ont pas entaché leurs jugements d’irrégularité en n’en examinant pas la recevabilité.

En ce qui concerne la légalité des décisions ministérielles contestées, la société C. soutient que son président avait qualité pour présenter les demandes d’autorisation de licenciement à l’inspectrice du travail et que l’administrateur judiciaire n’avait pas à être convoqué et entendu au cours de l’enquête contradictoire menée par l’inspectrice.

Sur le premier point, elle soutient que s’il résulte de l’article L631-17 du code de commerce que l’administrateur judiciaire est seul habilité à procéder aux licenciements autorisés par le juge commissaire pendant la période d’observation, il n’en résulte pas qu’il serait seul habilité à présenter une demande d’autorisation de licenciement à l’administration, l’autorisation de licenciement devant être présentée par l’employeur lui-même ou par une personne ayant qualité pour agir en son nom, en faisant valoir qu’en l’espèce l’administrateur judiciaire avait reçu une mission d’assistance au débiteur qui conservait l’administration de son entreprise et qu’il avait en outre donné son accord verbal à la présentation d’une demande d’autorisation de licenciement.

Il est effectivement bien connu que la demande d'autorisation de licenciement d’un salarié protégé ne peut être présentée que par l’employeur du salarié ou par une personne qui a qualité pour représenter cet employeur (CE 28 décembre 1992 n° 99536 ; CE 12 février 1993 n° 89-733 et n° 90-074, Comité d'établissement Snecma Evry-Corbeil et Ministre des affaires sociales et de l’emploi RJS 4/93 n° 412). Il a en conséquence été jugé par la Cour administrative d’appel de Nantes, par un arrêt n° 02NT01261 du 23 décembre 2004, SARL Ligne de Mire, qu’un administrateur judiciaire ayant reçu d’un tribunal de commerce une mission d’assistance ne retirant pas au dirigeant de la société sa qualité de représentant de celle-ci n’avait pas qualité pour solliciter seul l’autorisation de licencier pour faute le représentant des salariés désigné en application de la loi du 25 janvier 1985 alors en vigueur.

Mais en l’espèce, la procédure de licenciement mise en œuvre s’inscrit dans le cadre particulier prévu par les dispositions de l’article L631-17 du code de commerce dont les dispositions prévoient que c’est l’administrateur qui peut être autorisé par le juge commissaire à procéder à des licenciements. Il nous paraît en résulter que c’est l’administrateur, et non l’employeur, qui doit conduire toute la procédure de licenciement. La Cour de cassation a ainsi jugé par un arrêt du 11 juin 2008 n° 07-40.352, commenté à la Gazette du Palais du 22 janvier 2009 n° 22 p. 48, que la circonstance que le licenciement économique ait été notifié par le débiteur et non par l’administrateur ne le prive pas de cause réelle et sérieuse mais le rend simplement irrégulier, ce qui confirme que seul l’administrateur peut conduire la procédure de licenciement, même s’il n’a qu’une mission d’assistance. Ce point n’est d’ailleurs pas contesté par la société C., qui conteste seulement que l’employeur soit privé de la possibilité de solliciter l’autorisation administrative préalable nécessaire au licenciement. Il convient donc de rappeler que la qualité pour solliciter une autorisation de licenciement est liée à la compétence pour prononcer le licenciement. Nous vous invitons donc à considérer, comme l’ont fait les premiers juges, par le jugement attaqué, ainsi que le tribunal administratif de Versailles par un jugement n° 99-2310 du 25 octobre 1999, que seul l’administrateur judiciaire avait qualité pour solliciter l’autorisation de licencier M. H. et M. F.

Enfin, si l’administrateur judiciaire atteste avoir donné son accord verbal au président de la société pour la transmission à l’inspectrice du travail des demandes d’autorisation de licenciement, un tel accord ne saurait suffire à régulariser les demandes d’autorisation transmises par la société.

Sur le second point, la compétence de l’administrateur judiciaire pour présenter la demande d’autorisation de licenciement nous paraît impliquer sa convocation afin qu’il soit entendu lors de l’enquête contradictoire. La requérante n’est donc pas fondée à soutenir que le second motif retenu par le ministre pour annuler les décisions de l’inspectrice du travail était inopérant.

Il nous semble donc que l’inspectrice du travail et le ministre étaient tenus de rejeter les demandes d’autorisations irrégulièrement présentées par le président de la société requérante et que, par suite, la requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par les jugements attaqués, le Tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes tendant à l’annulation des décisions ministérielles qu’elle conteste.

Si vous nous suivez, vous ne pourrez que rejeter les conclusions présentées pour la requérante au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative et, dans les circonstances de l’espèce, il nous semble que vous pourrez mettre à sa charge une somme de 750 euros chacun au profit de MM. H. et F. au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative.

Par ces motifs, nous concluons, au rejet de ces deux requêtes et à la mise à la charge de la société C. d’une somme de 750 euros chacun au profit de MM. H. et F.

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