A l’occasion d’un contrôle, rare en pratique, de la légalité d’un permis de construire par rapport aux prescriptions d’un SCOT, la Cour qui opère un contrôle de compatibilité entre les deux documents d’urbanisme, estime que les 20 % de logements sociaux prévus par le SCOT ne constituent qu’un objectif, ils ne lient pas l’administration qui accorde le permis de construire, qui n’est pas soumise en l’espèce à une obligation de résultat.
Précisions sur la comptabilité du permis de construire avec le SCOT
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Urbanisme et environnementTextes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
Jean-Paul Vallecchia
Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon
DOI : 10.35562/alyoda.5929
Par arrêté du 18 octobre 2007 le Maire de la Commune de Ferney Voltaire, dans le Département de l’Ain, a accordé à la SOCIETE INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX ET PARTICIPATIONS (SIIP) un permis de construire destiné à la réalisation – sur des parcelles cadastrées section AC n° 37, 85 et 87 – situées au lieudit « La fin » - d’un vaste ensemble immobilier constitué de 18 bâtiments (comportant chacun 12 à 13 logements) et une salle polyvalente, le tout développant une Surface Hors Œuvre Brute (SHOB) de 40.171 m2 et de 19.747 m2 de Surface Hors Œuvre Nette (SHON).
Huit habitants des Communes de Ferney Voltaire et de Prevessin ont – après un recours gracieux resté sans réponse - saisi le Tribunal Administratif de Lyon d’un recours pour excès de pouvoir contre cette autorisation d’urbanisme et en ont obtenu l’annulation par jugement du 22 juin 2010.
Cette annulation juridictionnelle s’est fondée sur le principe de compatibilité – instauré par l’article L122-1 du code de l’urbanisme – entre certaines opérations foncières et d’aménagement (notamment définies par l’article R122-5 du Code de l’Urbanisme) et les Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT) et les Schémas de Secteur, le SCOT du Pays de Gex – approuvé par délibération du 12 juillet 2007 – ayant imposé – pour toute opération d’habitat de plus de 5000 m2 de SHON – au moins 20% de logements sociaux, alors que l’opération projetée n’en comportait que 13, 7%.
La SOCIETE INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX ET PARTICIPATIONS (SIIP) soutient en appel devant votre Cour… que les dispositions de l’article L122-1 du code de l’urbanisme n’ont instauré qu’un principe de compatibilité et non de conformité, ce qui autoriserait une certaine souplesse à l’égard de la norme posée…
En matière d’habitat social, il conviendrait – selon la société requérante – de se référer aux dispositions de l’article R122-3 4°) du code de l’urbanisme qui assignent aux SCOT de fixer – dans leurs périmètres – des objectifs généraux visant à instaurer un équilibre.
Ainsi, les premiers juges auraient commis une erreur de droit dans leur appréciation.
Et si le SCOT du Pays de Gex a fixé des dispositions impératives en matière d’habitat social, ces dispositions – qui méconnaîtraient la vocation des SCOT – seraient illégales et donc inopposables.
La SOCIETE INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX ET PARTICIPATIONS (SIIP) demande en conséquence à votre Cour d’annuler le jugement qu’elle lui soumet à fin de confirmer la légalité du permis de construire qui lui avait été délivré.
Elle lui demande au moins, à titre subsidiaire, sur le fondement de l’article L600-5 du code de l’urbanisme, de ne prononcer que l’annulation partielle du permis de construire du 18 octobre 2007, la salle polyvalente prévue par le projet n’étant nullement concernée par le quota de logements sociaux.
Poussant encore plus loin son raisonnement dans cette direction de l’annulation partielle, la société requérante – au prix d’un raisonnement assez audacieux – partant du constat que deux bâtiments de 12 logements sociaux étaient déjà prévus et qu’un seul autre – de 12 logements également – serait nécessaire pour atteindre le quota requis – votre Cour pourrait n’invalider le permis de construire contesté que pour un seul bâtiment d’habitation sur dix-huit…
Il nous semble déjà possible de dire ici que cette dernière extrapolation sort largement du cadre de l’annulation partielle d’une opération d’urbanisme…
La société requérante avait, en première instance, développé cette hypothèse d’une annulation partielle du permis de construire par deux notes en délibéré, des 8 et 9 juin 2010, la seconde n’ayant pas été communiquée.
Cette question de l’annulation partielle – sur le fondement de l’article L.600-5 du Code de l’Urbanisme – paraît bien mettre en cause la régularité du jugement de première instance, qui n’a pas statué sur ce moyen opérant alors qu’il en était saisi par note en délibéré…
Il nous semble que vous statuerez sur ce litige par la voie de l’évocation
Les intimés – demandeurs de 1ère instance – soutiennent évidemment la nécessaire compatibilité du projet avec les dispositions du SCOT du Pays de Gex.
Selon eux, si le pouvoir d’appréciation des auteurs de PLU doit – en principe – être maintenu en matière de définition des besoins dans le domaine du logement social, les opérations d’aménagement comportant plus de 5000 m2 de SHON prises en compte par les SCOT peuvent comporter des dispositions impératives.
Quant à l’annulation partielle qui est sollicitée elle serait impossible, l’illégalité relevée ayant porté atteinte à l’économie générale de l’opération.
Au centre du débat contentieux qui vous est soumis se trouve donc le degré normatif que peut instaurer un Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT) et son incidence sur les documents locaux et les autorisations d’urbanisme.
C’est en matière de Schémas Directeurs que la jurisprudence administrative a pu livrer quelques éléments de réflexion, et accepter un certain degré de précision… sans toutefois passer de la notion de compatibilité à la notion de conformité.
Voyez sur ce point la décision rendue par les 10ème et 9ème Sous Sections Réunies de la Section du Contentieux du Conseil d’Etat le 10 janvier 2007 sous le CE n° 269239 FEDERATION DEPARTEMENTALE DE L’HOTELLERIE DE PLEIN AIR DE CHARENTE-MARITIME ... le degré de précision des Schémas Directeurs – et donc leur caractère normatif – est accepté… jusqu’au point où cette précision va entrer en concurrence avec celle des plans locaux d’urbanisme… Il s’agit d’un degré normatif tout à fait relatif.
Les conclusions prononcées par Mlle Vérot – Commissaire du Gouvernement – à l’occasion de l’examen de cette affaire sont plus éclairantes encore : en principe les schémas directeurs ne doivent pas être de super PLU mais rien n’interdit qu’ils fassent dans une certaine précision et, quoiqu’il en soit, la légalité des PLU à leur égard reste appréciée sous l’angle de la compatibilité.
Pour ce qui concerne le SCOT du Pays de Gex, la disposition en cause indique que « toute opération d’habitat significative à l’échelle de la Commune comportera au moins 20% de logements sociaux. Cette règle sera systématique pour les opérations d’habitat de plus de 5000 m2 de SHON. Le seuil de 5000 m2 de SHON a été retenu en référence à l’article R.122-5 du Code de l’Urbanisme. Les opérations dépassant ce seuil devront être compatibles directement avec le SCOT ».
Vous ne pourrez – nous semble-t-il – déduire de cette rédaction maladroite une obligation de conformité avec la norme de 20 % prescrite. La formulation est impérative… mais seul le terme compatible est utilisé.
Nous avons en réalité – au travers du SCOT du Pays de Gex – un objectif minimum de 20% de logements sociaux à atteindre pour toutes les opérations d’aménagement significatives et, notamment, pour celles dont la SHON dépasse 5000 m2. Pour ces opérations il y aurait en quelque sorte un contrôle de compatibilité renforcé mais non une obligation de conformité.
Alors le projet de la SOCIETE INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX ET PARTICIPATIONS (SIIP) est-il compatible avec le SCOT du Pays de Gex en matière d’habitat social ?
Le projet prévoit 13, 7% de logements sociaux pour un objectif de 20%. Il y satisfait donc aux 2/3…ce qui n’est pas négligeable. Mais eu égard à la formulation du texte du SCOT il y aurait lieu ici de rechercher – comme nous l’avons suggéré – une compatibilité renforcée avec l’objectif…
Ainsi, le 1/3 manquant pourrait apparaître trop important.
Dans cette optique, le projet de la SOCIETE INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX ET PARTICIPATIONS (SIIP) ne serait pas compatible avec les dispositions du SCOT du Pays de Gex en matière d’habitat social.
Le permis de construire délivré le 18 octobre 2007 par le Maire de Ferney Voltaire à la SIIP pourrait donc, nous semble-t-il, être regardé comme illégal sur ce fondement, comme l’avaient relevé les magistrats de la 1ère chambre du Tribunal administratif de Lyon.
Pour ce qui concerne les autres moyens soulevés… aucun ne paraît susceptible de vous conduire à une annulation totale du permis de construire en cause :
- la SOCIETE INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX ET PARTICIPATIONS étant propriétaires des terrains elle ne devait pas produire de titre l’habilitant à construire sur le fondement de l’article R.421-1-1 du Code de l’Urbanisme ;
- la notice paysagère, les documents graphiques qui lui sont associés et le plan d’intégration compensent l’insuffisance de la note de présentation prescrite par l’article R.315-5 a) du Code de l’Urbanisme ;
- le projet prévoyant une division en copropriété de cinq lots seul l’engagement prévu à l’article R.315-7 du Code de l’Urbanisme pour les équipements communs n’était exigible et cet engagement a été joint à la demande de permis de construire ;
- le projet ne comporte pas d’accès directe à la Route Départementale 35 pouvant mettre en cause la sécurité de la circulation et les deux accès existants paraissent sûrs et suffisants ;
- l’objectif d’évolution démographique du SCOT du Pays de Gex ne constitue qu’une projection dans le futur sans objectif normatif de quelque degré qu’il soit ;
- la critique – sur le fondement de l’article 1UA1 du POS – de la création d’un déséquilibre au sein de la zone 1NA n’est pas suffisamment concrète pour être appréciée ;
- le nombre de 16 places de stationnement dévolues à la salle polyvalente est conforme à l’article 1UA12 du POS, le sous-sol de cette salle – sans ouverture extérieure – ne devant pas être prise en compte dans le calcul de la SHON.
Votre Cour devra alors examiner la solution d’une annulation partielle de ce permis de construire, solution qui lui est soumise par la SOCIETE INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX ET PARTICIPATIONS (SIIP).
Contrairement à la voie de l’économie générale du projet sur laquelle voudrait vous entraîner la SIIP, la notion de divisibilité doit s’entendre ici en termes strictement urbanistiques, conforme à la jurisprudence : un permis de construire autorisant la construction de bâtiments physiquement distincts est – en ce sens – divisible (Conseil d’Etat n° 261171 du 18 février 2005 Epoux X.) .
Dans cette logique le permis de construire accordé le 18 octobre 2007 par le Maire de Ferney Voltaire permet effectivement de dissocier les bâtiments d’habitation de la salle polyvalente.
Seuls les bâtiments d’habitation étant incompatibles avec le SCOT du Pays de Gex, ce permis de construire peut donc n’être annulé que partiellement.
Par ces motifs nous concluons :
- à l’annulation du jugement n° 0802672 du 22 juin 2010 du Tribunal Administratif de Lyon ;
- à l’annulation partielle du permis de construire accordé le 18 octobre 2007 par le Maire de Ferney Voltaire, limitée aux seules dispositions autorisant la construction des bâtiments à usage d’habitation ;
- au rejet des autres conclusions de première instance ;
- au rejet des conclusions présentées par les parties sur le fondement de l’article L761-1 du Code de Justice Administrative.
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