Obligation d’information du patient : l’appréciation in concreto des risques fréquents ou graves

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Décision de justice

CAA Lyon, 6ème chambre – N° 10LY02209 – 03 novembre 2011 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 10LY02209

Numéro Légifrance : CETATEXT000024802211

Date de la décision : 03 novembre 2011

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Obligation d’information, L.1111-2 du code de la santé publique, Risques fréquents ou graves

Rubriques

Santé publique

Résumé

La notion de risques fréquents ou graves normalement prévisibles au sens de l’article L1111-2 du code de la santé publique s’apprécie de manière concrète au vu des informations dont dispose le praticien au moment où il propose l’intervention au patient. En l’espèce, le praticien devait réaliser une opération qui n’expose généralement pas le patient au risque qui s’est réalisé. Il était toutefois tenu de mentionner ce risque car il savait que, compte tenu d’une malformation préalablement détectée, il serait obligé d’intervenir dans une zone où toute intervention expose le patient audit risque.

Conclusions du rapporteur public

François Pourny

Rapporteur public à la cour administrative d'appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.5917

Le requérant, M. T... a ressenti de violentes douleurs abdominales en septembre 2002. Les examens médicaux auxquels il s’est soumis ont permis de diagnostiquer une malformation rénale caractérisée par une jonction des deux reins, malformation dite des « reins en fer à cheval », associée à une anomalie de la jonction pyélo-urétérale gauche, c’est à dire une anomalie du passage entre le bassinet et l’uretère, faisant obstacle à l’écoulement de l’urine sécrétée par le rein gauche vers la vessie.

M. T... a été hospitalisé au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne pour subir une cure de cette jonction pyélo-urétérale gauche, au cours d’une intervention chirurgicale réalisée le 29 novembre 2002, par voie coelioscopique transpéritonéale, par le docteur ….

Selon l’expert désigné par la SHAM, « au cours de cette intervention, l’uretère gauche a été disséquée, le bassinet a été réséqué et une anastomose entre le bassinet et l’uretère a été réalisée », ce qui signifie, selon nous, que la communication entre le bassinet et l’uretère a été rétablie en enlevant la partie du bassinet qui faisait obstacle au drainage de l’urine. Si cette opération a été satisfaisante du point de vue urologique, elle a entraîné une anéjaculation, ou plus vraisemblablement une éjaculation rétrograde, l’éjaculat passant dans la vessie, à raison de laquelle M. T... a recherché la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne devant le Tribunal administratif de Lyon.

En se prévalant d’une faute dans l’accomplissement du geste chirurgical, d’un défaut d’information et des dispositions du II de l’article L1142-1 du code de la santé publique, M. T... a demandé au Tribunal administratif la condamnation du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne à lui verser 20 000 euros au titre de son incapacité permanente partielle, évaluée à 10 % par l’expert, 100 000 euros en réparation de son préjudice d’agrément et 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le Tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande par le jugement n° 00804040 du 8 juillet 2010 dont M. T... interjette appel par une requête qui a été communiquée à la caisse primaire d’assurance maladie de Saint-Etienne, au centre hospitalier universitaire de Saint Etienne et à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, puisque l’article L1142-21 du code de la santé publique dispose que l’Office est appelé en la cause et devient défendeur lorsque les dommages sont indemnisables au titre du II de l’article L1142-1 du même code.

La régularité du jugement attaqué n’est pas contestée et il nous semble que le fait que l’ONIAM n’ait pas été appelé en la cause en première instance est sans incidence sur cette régularité, puisque les premiers juges n’ont pas estimé qu’il appartenait à l’ONIAM d’indemniser les préjudices invoqués par M. T....

Sur le fond du litige, M. T... soutient incidemment, dans un paragraphe consacré à la responsabilité sans faute du centre hospitalier universitaire, que le chirurgien a commis une faute en sectionnant des nerfs qu’il n’aurait pas dû sectionner. Il résulte effectivement de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise versé au dossier, que les troubles dont souffre le requérant sont liés à la section involontaire de filets nerveux, mais nous n’avons aucun élément permettant de qualifier cette section involontaire de fautive, lesdits filets nerveux, dont la position n’est pas clairement déterminée, étant à peine visibles. Il nous semble donc que cette section résulte plus d’un aléa thérapeutique que d’une faute du chirurgien.

M. T... se prévaut de manière beaucoup plus détaillée d’une faute du chirurgien qui ne l’a pas informé des risques liés à l’opération. Il appartient au centre hospitalier universitaire d’apporter la preuve que le patient a été correctement informé des risques que présentent les soins qui lui étaient proposés et cette preuve n’est pas apportée. Encore faut-il noter que l’obligation d’information découlant de l’article L1111-2 du code de la santé publique ne porte que sur les « risques fréquents ou graves normalement prévisibles ».

Les premiers juges ont considéré que la lésion des filets nerveux à l’origine des troubles dont souffre M. T... présentait un caractère exceptionnel et ne constituait pas un risque normalement prévisible au sens des dispositions précitées. Il est vrai qu’il est exceptionnel qu’une cure chirurgicale coelioscopique d’une anomalie de la jonction pyélo-urétérale entraîne des troubles de l’éjaculation, mais il nous semble qu’il convient de relativiser cette affirmation au vu du rapport d’expertise qui expose que la position particulière de l’uretère chez un patient présentant des reins en fer à cheval oblige le chirurgien à intervenir dans une zone que l’expert qualifie d’« anatomiquement risquée ». En d’autres termes, dans 99 % des cas, c’est à dire lorsque le patient ne présente pas des reins en fer à cheval, il n’y a pas de risques prévisibles de troubles de l’éjaculation, mais, lorsque le patient présente des reins en fer à cheval, il est connu que l’intervention se fera dans une zone anatomiquement risquée et que les interventions dans cette zone entraînent fréquemment des troubles de l’éjaculation. Le devoir d’information du patient nous paraissant devoir reposer sur une analyse personnalisée de son dossier médical, nous noterons qu’en l’espèce l’existence de reins en fer à cheval avait été diagnostiquée par une échographie, le 13 septembre 2002, bien avant l’intervention du 29 novembre 2002. Il nous semble donc que le chirurgien aurait dû informer M. T... que, compte-tenu de son anatomie, l’opération qu’il lui proposait allait entraîner une intervention dans une zone anatomique où les interventions chirurgicales entraînent fréquemment des troubles de l’éjaculation, puisqu’il a été observé que dans le traitement d’autres pathologies les interventions chirurgicales dans cette zone entraînaient souvent de tels troubles. Ces troubles normalement prévisibles entraînent une incapacité permanente partielle évaluée à 10 %, l’expert ayant relevé que le requérant « dit avoir des relations sexuelles comme il veut, quand il veut » et ce taux d’incapacité permanente partielle nous paraît suffisant pour que les troubles soient qualifiés de graves au sens des dispositions de l’article L1111-2 du code de la santé publique. En conséquence, vous pourrez retenir l’une et l’autre des deux conditions alternatives imposant au chirurgien un devoir d’information, à savoir l’existence d’un risque fréquent, même s’il est rare qu’une cure de la jonction pyélo-urétérale s’effectue à ce niveau, et un risque grave normalement prévisible.

Le problème est alors d’apprécier si ce défaut d’information a fait perdre à M. T... une chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé. En l’espèce, il résulte de l’instruction que la pathologie qu’il présentait entraînait d’importantes douleurs et que l’absence de traitement exposait en outre le patient à des risques d’infection et à la destruction progressive de son rein. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le patient avait d’autre alternative que de subir l’intervention qui lui était proposée. Dès lors, il nous semble que la faute du centre hospitalier n’a pas fait perdre à M. T..., qui n’avait pas d’autre choix, une chance d’échapper au préjudice qu’il invoque.

Enfin, l’incapacité permanente partielle retenue par l’expert ayant été évaluée à 10 % et n’ayant pas entraîné d’incapacité temporaire de travail, nous vous proposons de considérer, comme l’ont fait les premiers juges, que M. T... n’est pas fondé à demander à être indemnisé au titre de la solidarité nationale des conséquences dommageables de l’acte chirurgical qu’il a subi au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne puisque son incapacité permanente partielle est inférieure au seuil de 24 % fixé à l’article D. 1142-1 du code de la santé publique et qu’elle n’a pas entraîné d’arrêt de travail. Nous vous proposons donc de rejeter les conclusions qu’il présente à ce titre, sans mettre l’ONIAM hors de cause comme il le demande, puisque l’ONIAM a bien qualité de défendeur à l’instance lorsque la responsabilité d’un établissement de santé est recherchée sur le fondement du II de l’article L1142-1 du code de la santé publique.

Il nous semble donc que le requérant n’est pas fondé à se plaindre du rejet de sa demande par le jugement attaqué.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête et au rejet du surplus des conclusions de l’ONIAM.

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