La commission d’action sociale de la caisse d’allocations familiales de Saône-et-Loire a délibéré le 30 juin 2020 pour accorder, à l’unanimité, à la commune de Bourbon-Lancy une aide financière d’un montant de 430 000 euros, dans le cadre du financement du projet de « transplantation et aménagement du centre social », sous condition de retrait des signes religieux ostentatoires. Un commentaire assortissant cette délibération mentionne « notamment ceux visibles de l’extérieur du bâtiment (croix et statue) ».
Par une délibération du 30 mars 2023, le conseil municipal de cette commune a décidé de « céder à titre gratuit à la paroisse Saint Jean l’évangéliste, la statue de Saint-Louis et la croix qui auront été soigneusement démontés de l’ancienne école libre dans le cadre des travaux de reconversion du site en centre d’animation sociale et culturelle » et d’assurer « l’installation des éléments sur le site de la maison paroissiale ». L’association La France en partage vous demande d’annuler la décision de la caisse d’allocations familiales de soumettre l’octroi d’un financement au dépôt de la statue de Saint-Louis qui orne le bâtiment. Eu égard au contenu et à la portée de sa requête, elle doit être regardée comme demandant l’annulation de la délibération du 30 juin 2020 en tant que celle-ci subordonne l’aide financière au retrait de la statue présente sur la façade.
En ce qui concerne la compétence de la juridiction administrative, la jurisprudence considère que les litiges relatifs à l’action sociale des caisses appartiennent au contentieux de la sécurité sociale et ce n’est que par exception qu’il en va autrement pour les subventions accordées aux établissements, qui peuvent se rattacher à l’exercice de prérogatives de puissance publique ou l’exécution du service public : CE, 27 novembre 2013, Syndicat national CFDT des mineurs et assimilés, n° 353703.
La décision par laquelle la caisse d’allocations familiales, organisme de droit privé chargé d’une mission de service public administratif, se prononce sur une demande de subvention d’équipement au titre de l’action sociale, met en jeu des prérogatives de puissance publique, de sorte que le contentieux relatif au versement de cette subvention, qui ne relève pas du contentieux de la sécurité sociale, ressortit aux juridictions administratives : TC, 21 juin 2010, Association 1, 2, 3 soleil, n° C3732.
En l’espèce, la caisse s’est prononcée sur une demande de subvention d’investissement en vue de financer la création et l’équipement du centre social de la commune qui a pour objet l’exécution du service public et met en jeu des prérogatives de puissance publique. Elle agit dans le cadre de l’action familiale et sociale en faveur des familles, des enfants et des jeunes, confiés par l’article L. 263-1 du code de la sécurité sociale et de l’arrêté du 3 octobre 2001, financés par des prélèvements obligatoires. Dès lors, vous pourrez admettre la compétence de la juridiction administrative et écarter l’exception d’incompétence soulevée en défense par la commune.
Vous pourrez également écarter la fin de non-recevoir tirée de ce que la décision attaquée serait matériellement inexistante ou constituerait une mesure préparatoire, dans la mesure où la délibération contestée octroie une subvention en mettant une condition à la charge de la commune bénéficiaire. Elle comporte bien des droits et des obligations. D’autre part, il n’apparaît pas que la délibération attaquée, qui constitue une décision individuelle, aurait été publiée ou notifiée à l’association requérante qui revêt la qualité de tiers ou qu’elle en aurait eu connaissance avant l’introduction de sa requête. Aucun délai de recours ne pouvant lui être opposé, vous pourrez écarter la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté.
En ce qui concerne l’intérêt pour agir de l’association, la commune soutient qu’elle ne dispose pas d’un intérêt pour agir puisque son objet social ne coïncide pas avec l’objet de la délibération et que son ressort géographique est national alors que la décision a un champ d’application strictement local.
La jurisprudence considère cependant que si le fait qu’une décision administrative ait un champ d’application territorial fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève des questions qui par leur nature et leur objet excèdent les seules circonstances locales, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques. Il en va ainsi pour la Ligue des droits de l’Homme quand elle agit contre un arrêté municipal édictant une mesure de police de nature à affecter de façon spécifique des personnes de nationalité étrangère présentes sur son territoire et présentant une portée excédant son seul objet local, dans la mesure où elle répond à une situation susceptible d’être créée dans d’autres communes : CE, 4 novembre 2015, Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen c/commune de la Madeleine n° 375178.
Pour le refus du maire de la commune de Biarritz d’abroger deux délibérations de 1861 et 1986 ayant dénommé un quartier et une rue « la négresse », en raison de ses implications notamment dans le domaine de la lutte contre le racisme, la décision en litige revêt une portée excédant son seul objet local et l’association justifie d’un intérêt pour agir : CAA Bordeaux, 6 février 2025, Association mémoires et partages n° 24BX00144.
En l’espèce, vous pourrez considérer que l’association requérante, qui s’est donné pour objet social « de promouvoir et de défendre, sur l’ensemble du territoire français, les valeurs de la République, l’héritage culturel français et le patrimoine de la France » dispose d’un intérêt pour agir lui donnant qualité à contester la délibération attaquée.
Sur les conclusions à fin d’annulation, vous pourriez tout d’abord accueillir l’erreur de fait. En effet, la commune, qui est pourtant en défense, soutient elle-même que la statue est totalement dépourvue de tout signe religieux. L’association requérante ne dit pas autre chose. Vous observerez cependant que la statue du roi tient dans sa main droite un coussin revêtu d’une couronne d’épines qui fait nécessairement référence à celle du Christ. Néanmoins, elle n’est pas tenue à l’aide d’un tissu ou d’un linceul mais déposée sur un coussin, à la manière d’une couronne royale lors d’un sacre, et non dans un linge comme pour une vénération de la relique. Nous sommes loin des représentations du XVIIIe siècle quand la couronne royale était posée à terre, tandis que celle d’épines était tenue à main nue dans une conception d’humilité de la fonction royale. Mais il existe une certaine ambiguïté.
Cependant, l’installation de statues de saints ayant une dimension historique sur le domaine public, à condition que la dimension religieuse ne prenne pas le pas sur la dimension historique, ne paraissait pas contraire à l’esprit de la laïcité dans le discours qu’a prononcé Aristide Briand à l’Assemblée nationale lors de la séance du 27 juin 1905. Il déclarait à cette occasion que les mots « emblème, signe religieux » désignent des objets qui ont un caractère nettement symbolique, qui ont été érigés moins pour rappeler des actions d’éclat accompli par les personnages qu’ils représentent, que dans un but de manifestation religieuse. « On peut honorer un grand homme, même s’il est devenu saint, sans glorifier spécialement la partie de son existence qui l’a désigné à la béatification de l’église ». Pour un exemple d’une statue ayant une double signification, voyez la célèbre affaire de la statue de Jean-Paul II à Ploërmel : CE, 25 octobre 2017, Fédération morbihannaise de la libre pensée, n° 396990.
Mais il paraît plus efficient de recourir à l’erreur de droit. Dans un avis du 28 juillet 2017 X. c/ministre de l’intérieur, n° 408920, le conseil d’État rappelle que l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précise que : « il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ».
Ces dispositions définissent ainsi une interdiction ayant pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes. (…) En outre, en prévoyant que l’interdiction édictée ne s’appliquerait que pour l’avenir, le législateur a préservé les signes et emblème religieux existant à la date de l’entrée en vigueur de la loi ainsi que la possibilité d’en assurer l’entretien, la restauration ou le remplacement. (…)
Comme il a été dit, la délibération contestée subordonne l’octroi d’une subvention au retrait de la statue de Louis IX présente dans une niche, en hauteur, sur la façade du bâtiment. La statue représente Louis IX couronné, portant un manteau revêtu de fleurs de lys et pourtant dans sa main droite, sur le coussin, la couronne d’épines, à la manière d’une couronne royale lors d’un sacre. Le bâtiment, acquis par la commune en 2017 était anciennement dénommé « cercle Saint-Louis » et a été renommé « espace Joséphine Baker ». Il a été réaménagé afin d’accueillir tout à la fois le centre communal d’action sociale de la commune, un espace « infos jeune » et un centre social proposant un accompagnement en matière d’accès aux droits et diverses prestations sociales et socioculturelles plus spécifiquement destinées aux seniors et aux familles.
Il n’est pas contesté que le bâtiment a été construit au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, ni qu’il a été orné de ladite statue dès sa construction, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905. Il en résulte que ni le principe de laïcité, ni les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 qui ne prévoyait une interdiction que pour l’avenir, n’ont entendu interdire les signes et emblème religieux existant à la date de l’entrée en vigueur de la loi. Ils ne faisaient pas obstacle à ce que la statue demeure sur un bâtiment abritant un service public communal.
La condition mise par la caisse d’allocations familiales à la subvention a été édictée dans le but de respecter la « charte de la laïcité de la branche famille avec ses partenaires » qui fait elle-même référence à l’article premier de la constitution du 4 octobre 1958 et à la loi du 9 décembre 1905. La caisse d’allocations familiales ne se prévaut d’aucune autre disposition sur laquelle elle se serait fondée pour édicter la condition d’octroi en litige. En fondant sur l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 la condition tenant au retrait de la statue, elle a commis une erreur de droit alors, au surplus, qu’aucune partie ne soutient que la statue litigieuse revêtirait un caractère religieux. Vous pourrez donc annuler cette délibération sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête.
Et par ces motifs, je conclus à l’annulation de la délibération du 30 juin 2020 en tant qu’elle subordonne l’aide financière octroyée au retrait de la statue présente sur la façade du bâtiment abritant le centre social, et au rejet du surplus des conclusions de la requête.