Le contentieux des éoliennes terrestres a connu de multiples évolutions à la fin des années 2010 en devenant notamment une compétence des cours administratives d’appel en premier ressort. Après plusieurs années de consolidation progressive de la jurisprudence des cours et du Conseil d’État en la matière, une étude s’imposait pour déterminer l’existence ou non de grandes tendances dans le contrôle juridictionnel et le dénouement contentieux. À l’heure où la volonté gouvernementale est d’accélérer le développement des projets éoliens mais où l’impact de ces projets soulève des questions environnementales importantes, il est essentiel de s’interroger sur l’office du juge et l’étendue de son contrôle dans ce domaine.
L’étude d’impact
À titre liminaire, il ressort de ce travail que l’étude d’impact, qui constitue un document parmi les nombreux autres exigés pour demander l’autorisation d’implanter un parc éolien, est un élément central dans le contrôle juridictionnel. Tantôt visée en elle-même par la requête en annulation, tantôt utilisée au moyen d’une demande d’annulation d’un autre acte (autorisation ou refus d’implantation du parc), elle permet en effet d’apprécier avec précision les risques d’atteinte à la faune, aux sites et monuments ou encore aux paysages que le projet est susceptible d’occasionner. En toute hypothèse, le juge lyonnais mais aussi les autres cours administratives d’appel ont transposé la jurisprudence Danthony à ce document en considérant qu’il n’est irrégulier que si le vice ou l’insuffisance qui l’affecte ont nui à l’information complète du public quant au projet d’implantation, ou ont exercé une influence sur la décision de l’autorité environnementale.
Les atteintes à la faune
Les éoliennes, de par leur hauteur et le mouvement de leurs pales, peuvent constituer un risque pour la faune sauvage. Lorsqu’il est saisi du moyen tiré d’une atteinte à la faune, le juge lyonnais et les juges bordelais et douaisien ont adopté une méthode de contrôle assez similaire, bien que chaque cour ne suive pas le même ordre dans les différentes étapes de ce contrôle. Les juges évaluent ainsi le risque d’atteinte aux espèces. Ils vérifient s’il existait ou non une obligation de demander une dérogation espèces protégées dans le dossier d’autorisation, en prenant en compte l’état de conservation des espèces concernées, et la nature et l’ampleur des mesures dites « éviter, réduire ». Ces mesures peuvent permettre d’atténuer une atteinte effectivement identifiée, pour déterminer si celle-ci est suffisamment caractérisée. Ces dernières doivent être suffisamment détaillées pour que le juge puisse porter une appréciation éclairée des risques.
De la même façon, toutes les espèces ne font pas l’objet d’une protection similaire. Les atteintes contrôlées par les juges sont celles portées à des espèces protégées, en particulier les chauves-souris et les oiseaux qui sont largement surreprésentés dans les arrêts étudiés. Les espèces terrestres, si elles sont plus marginales dans la jurisprudence relative aux atteintes à la faune par les parcs éoliens, ne sont toutefois pas totalement absentes : les amphibiens, les insectes ou encore les reptiles sont parfois au cœur des enjeux relatifs aux implantations. En tout état de cause, pour caractériser le risque, les juges se fondent le plus souvent sur la proximité entre le lieu d’implantation des éoliennes, dit « zone d’implantation du projet », avec des lieux de vie ou de passage des espèces concernées. Ainsi, par exemple, le juge lyonnais tend à considérer comme haut un risque d’atteinte aux chiroptères lorsque le parc est projeté à moins de 4 km des lieux de vie de ces animaux.
Les atteintes aux sites et monuments
Le contrôle du juge lyonnais en matière d’atteintes aux sites et monuments est lui aussi similaire à celui des juges douaisien et bordelais. Il s’opère en deux temps, suivant une méthode introduite par le Conseil d’État dans son arrêt Association Engoulevent du 12 juillet 2012 : tout d’abord, l’évaluation de la qualité du site ou du monument ; ensuite, la caractérisation de l’impact de l’installation projetée. En suivant ce contrôle en deux temps, on observe que le juge lyonnais reconnaît très rarement des atteintes aux sites et monuments : sur 102 arrêts étudiés, seuls sept ont reconnu cette atteinte.
La première étape du contrôle consiste ainsi à établir la qualité initiale du site ou du monument. Les juges des cours administratives d’appel s’appuient, pour la déterminer, sur le volet paysager de l’étude d’impact mais aussi sur des photomontages, des avis, des atlas ou encore des schémas urbanistiques. L’inscription ou le classement de monuments sur la liste de l’UNESCO ou en vertu de la législation sur les monuments historiques sont également des facteurs de contrôle renforcé des atteintes. On note que pour le juge lyonnais, le site d’Alésia fait l’objet d’une évaluation toute particulière par son caractère historique et le nombre des lieux classés qu’il contient. De fait, sur les sept atteintes prononcées, quatre l’ont été pour des projets de parc éoliens en covisibilité avec Alésia. Les arrêts rendus par la CAA de Lyon sur les atteintes relatives à ce site sont, de manière générale, particulièrement longs et motivés. Il n’en ressort toutefois pas de règle uniforme sur la distance minimale entre le site et la zone d’implantation, le contrôle demeurant in concreto.
Le deuxième temps du contrôle mène les juges à déterminer si l’atteinte identifiée est « excessive » en raison de la taille des aérogénérateurs, de la configuration des lieux ou de la covisibilité avec ou depuis le site ou le monument concerné. Les cours administratives prennent ainsi en compte la distance d’éloignement du projet et sa visibilité, ainsi que la perturbation qu’il occasionne pour les visiteurs ou la quiétude du site. L’ouverture du site ou du monument concerné au public revêt donc une grande importance dans l’appréciation de l’atteinte par le juge. Enfin, tout comme pour la faune, l’existence de mesures « éviter, réduire, compenser » peut mener le juge à tolérer une atteinte effectivement identifiée. Mais en matière de sites et monuments, son seuil de tolérance est beaucoup plus bas, le seul constat d’une atteinte pouvant mener à une annulation.
Les atteintes aux paysages
Les cours administratives d’appel raisonnent en matière d’atteintes aux paysages de la même façon qu’elles procèdent en matière de sites et monuments, en se fondant sur le double contrôle de l’arrêt Association Engoulevent : d’abord, la qualité initiale du paysage est évaluée ; ensuite, l'impact du projet éolien sur ce paysage – en tenant compte des mesures « éviter, réduire, compenser » – est apprécié. Les juges évaluent la qualité du paysage en regardant son éventuel recensement (classement à l’UNESCO ou inscription dans une charte des parcs naturels régionaux, par exemple) et l’appréciant eux-mêmes in concreto. La topologie, la floristique, l’urbanisation ou l’attractivité touristique du lieu sont ainsi pris en considération. On identifie une hiérarchie entre paysages : ceux qui sont « emblématiques » ou « exceptionnels » sont les plus protégés, puis viennent ceux « présentant un intérêt particulier » et ceux qui sont « remarquables », ceux « non dépourvus de tout intérêt » et enfin, en dernier lieu, ceux sans qualification particulière ou non-remarquables. Le Conseil d’État a, dans un arrêt récent, ajouté à cette liste les paysages qui présentent un intérêt culturel, notamment lorsqu’ils sont prégnants au sein d’une œuvre littéraire ou artistique. En tout état de cause, cette caractérisation de la qualité du paysage est souvent peu motivée et ne permet donc pas de systématiser ce contrôle.
Quant à l’évaluation de l’atteinte dans le second temps du contrôle, les juges, adoptant une méthode similaire quelle que soit la cour administrative d’appel concernée, cherchent à déterminer si le projet éolien ne crée pas une rupture dans l’harmonie paysagère, son unité ou son identité caractéristique. Cette étape est résolument casuistique et fait appel à des facteurs tels que la hauteur des éoliennes, la covisibilité depuis ou avec un lieu d’intérêt, les rapports d’échelle ou encore les lignes structurantes du paysage. En toute hypothèse, le juge prononce des annulations lorsque le parc éolien crée une rupture importante avec le paysage initial ou entraîne des perturbations particulières et excessives pour le voisinage. De ce fait, l’atteinte doit être particulièrement grave pour mener à une annulation au contentieux – et ce d’autant plus que les critères d’atténuation du risque sont nombreux et appréciés de manière souple, comme la distance entre aérogénérateurs, le boisement de la zone, l’urbanisation antérieure et la proximité avec d’autres parcs éoliens qui tend à réduire la qualité du site initial.
Le dénouement contentieux
On observe, de manière générale, que le contentieux des éoliennes terrestres fait l’objet d’un nombre réduit de référés-suspension et que les arrêts des cours administratives d’appel font souvent l’objet d’un pourvoi en cassation. Les requérants sont plus souvent des sociétés qui font un recours en annulation des refus d’autorisation par l’autorité administrative. La cour administrative d’appel de Lyon annule au demeurant environ un quart des autorisations environnementales. Pour la juridiction lyonnaise, les départements qui constituent des foyers contentieux sont essentiellement la Côte d’Or (lieu d'implantation du site d’Alésia), la Loire et l’Yonne. Les atteintes aux paysages sont plus souvent retenues que les autres types d’atteintes.
Au niveau de toutes les cours administratives d’appel, le pouvoir de régularisation des juges demeure peu employé. Lorsqu’il l’est, le juge lyonnais octroie entre 3 et 10 mois de délai à l'autorité administrative pour régulariser l’acte vicié et précise souvent les mesures à prendre pour que cette régularisation soit effective. La CAA de Lyon, tout comme celles de Douai et de Bordeaux, n’hésitent également pas à user de leur pouvoir d’injonction pour ordonner à l’administration de reprendre l’injonction ou de délivrer une autorisation. En toute hypothèse, on constate que l’étendue du contrôle juridictionnel n’est pas tout à fait claire, certains arrêts mentionnant des erreurs manifestes d’appréciation et d’autres des simples erreurs d’appréciation. Le contrôle le plus souvent exercé reste toutefois un contrôle restreint, le juge se refusant à se substituer à l’administrateur pour déterminer si un projet de parc éolien peut ou ne peut pas être autorisé.