Le préfet du département de l’Yonne a pris un arrêté, le 29 août 2022, pour fixer les cours moyens des vins servant pour le calcul du prix des fermages viticoles. M. A et trois autres propriétaires de parcelles plantées en vignes sur le territoire de différentes communes du département et louées à fermages à des viticulteurs, vous demandent l’annulation de cet arrêté.
Il vous faudra tout d’abord statuer sur l’intervention de M. B et 10 autres bailleurs viticole. M. B siégeait en qualité de représentant des bailleurs à ferme au sein de la commission consultative paritaire départementale des baux ruraux, lors de la séance du 12 juillet 2022 au cours de laquelle a été examinée la question de la fixation du prix des fermages viticoles. Il dispose bien d’un intérêt lui donnant qualité pour agir en intervention. Les autres requérants n’ont pas justifié de la qualité leur donnant intérêt à agir mais dès lors que l’intervention de M. B est recevable, elle l’est pour l’ensemble des intervenants : CE, 15 octobre 2014, n° 358876 , Union nationale du personnel en retraite de la gendarmerie et autres, B
La jurisprudence considère cependant que lorsqu’une affaire est en état d’être jugée, il n’est pas nécessaire de procéder à la communication de cette intervention aux parties, en dehors du cas où la solution du litige au principal dépendrait d’un moyen invoqué uniquement par l’intervenant : CE, Section, 25 juillet 2013, n° 350661, OFPRA, A. En l’espèce, l’intervention se réfère aux seuls moyens soulevés dans la requête et le mémoire en réplique et il n’y a donc pas lieu de communiquer cette intervention.
Sur le fond, le principe du fermage concerne les baux ruraux avec l’engagement du preneur à payer au propriétaire un prix appelé fermage en contrepartie de la jouissance du bien rural qui lui est concédé. Les parties disposent d’une liberté réduite pour fixer le montant du fermage puisqu’il appartient à l’autorité administrative de chaque département d’établir un barème de la valeur locative normale des biens loués. Un arrêté préfectoral prévoit les maxima et minima que le prix convenu doit obligatoirement respecter.
Il ressort des dispositions du code rural que le prix du bail doit comporter deux éléments. L’un pour les bâtiments d’habitation et l’autre pour les terres nues et les bâtiments d’exploitation. Le préfet du département demande à la commission consultative paritaire départementale des baux ruraux de lui adresser des propositions établies sur la base des dispositions du code rural. Il détermine également les denrées et les quantités maximales et minimales à retenir, représentant les valeurs locatives des cultures permanentes viticoles, arboricoles, oléicoles et agrumicole, en application des dispositions de l’article R. 411-2 du code rural.
Par dérogation à l’obligation de fixer fermages en monnaie, le loyer des terres nues portant sur les cultures précédemment citées et les bâtiments d’exploitation peuvent être évalués en une quantité déterminée de denrées. Un arrêté préfectoral du 29 septembre 1995 prévoit les quantités maximales et minimales de denrées qui représentent les valeurs locatives normales des terres, en fonction des différents types d’exploitation. Pour convertir ces quantités en somme d’argent, un cours de référence est indispensable.
L’article R. 411-5 du code rural prévoit que le montant en espèces du loyer est calculé selon le cours moyen, d’échéance à échéance, des denrées servant au calcul du prix du bail. Le cours moyen est arrêté par le préfet après avis de la commission consultative paritaire départementale et publié au recueil des actes administratifs du département. C’est cette fixation des cours moyens des denrées, et plus précisément des hectolitres de vin de l’Yonne qui fait l’objet du litige.
L’arrêté attaqué fixe pour chaque appellation cultivée dans l’Yonne, les cours moyens des vins par hectolitres utilisés pour le prix des fermages viticoles dont les échéances se situent entre le 1er janvier et le 31 décembre 2022. À la suite d’une concertation engagée dans le cadre d’un groupe de travail paritaire, le préfet a retenu une nouvelle méthode d’évaluation des cours moyens des vins après un avis partagé de la commission consultative paritaire des baux ruraux.
Pour établir ce cours moyen pour l’année 2022, il a calculé, pour chaque appellation, la moyenne des prix de vente « en moût, en vin et en valorisation » de la cave coopérative la Chablisienne, des années 2018 à 2020. Il a affecté à cette moyenne un coefficient correspondant au rapport entre la moyenne des rendements commercialisés au titre des mêmes années et du rendement prévu au cahier des charges de l’appellation pour l’année 2022. En outre, il a fixé un plancher à 0,5 pour ce coefficient et une amplitude de variation du cours d’une année à la suivante limitée à 20 %, à la hausse ou à la baisse.
Une jurisprudence classique considère que le préfet doit se borner, après avoir recueilli l’avis de la commission consultative, à homologuer les cours moyens réellement pratiqués sur les marchés de son département pendant la période considérée : CE, 15 juillet 1955, P., et CE, 6 juin 1958, sieurs H. et T.
La jurisprudence considère qu’il n’existe pas de précision dans la réglementation sur la méthode à adopter pour fixer le cours moyen des denrées et le préfet conserve une certaine liberté dans les éléments qu’il souhaite prendre en compte, ce qui justifie le contrôle restreint opéré par le juge en la matière : CE, 14 novembre 1952, C..
Pour déterminer le cours moyen d’un produit, le préfet peut utiliser tous les éléments d’appréciation en sa possession, notamment le prix moyen trimestriel déterminé par un centre interprofessionnel : CE, 29 mai 1970, n° 75219
Elle sanctionne l’erreur manifeste d’appréciation pour un écart de 50 % entre le prix de la dernière année et une moyenne établie sur cinq ans qui permet de tenir compte des événements conjoncturels et d’éviter des écarts trop brusques pour les exploitants agricoles : CAA Nantes, 29 mars 2019, n° 17NT01366, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
En l’espèce, le préfet était fondé à utiliser tous les éléments d’appréciation en sa possession. Il pouvait, à ce titre, notamment retenir une moyenne sur plusieurs années afin de limiter l’effet d’un accident climatique ou apporter un correctif tendant à prendre en considération les pertes moyennes en lies et en moûts. Toutefois, il a pris en considération, non seulement les prix constatés de chaque appellation, qui constituent les cours moyens mentionnés dans l’article du code rural, mais également le rapport entre le rendement moyen constaté et le rendement du cahier des charges de chaque appellation. Ce faisant, il a minoré les prix constatés d’une portion allant de 0 à 33 % selon l’appellation et potentiellement d’une proportion supérieure.
Les dispositions de l’article R. 411-5 du code rural parlent d’un cours moyen d’échéance à échéance. Un cours moyen désigne un prix. Si on pondère un prix par un ratio, on obtient un cours pondéré. Comme il a été dit, l’utilisation d’une moyenne de prix sur les trois dernières années pour limiter l’incidence d’un épisode climatique ou la neutralisation d’une partie du prix correspondant à des pertes, est possible. Aller au-delà, revient à fixer un prix à l’hectolitre et non pas à constater un cours.
La question de la baisse des rendements doit trouver sa place à une autre étape, celle de la fixation du prix du fermage lui-même et non pas du cours des denrées ou celle des minima et maxima. Il appartient aux contractants de fixer le montant du bail en fonction de la qualité de la parcelle donnée à bail. C’est ce que prévoit le premier alinéa de l’article L. 411-11 du code rural qui dispose que « le prix de chaque fermage est établi en fonction, notamment, de la durée du bail, compte tenu d’une éventuelle clause de reprise en cours de bail, de l’état et de l’importance des bâtiments d’habitation et d’exploitation, de la qualité des sols ainsi que de la structure parcellaire du bien loué et, le cas échéant, de l’obligation faite aux preneurs de mettre en œuvre des pratiques culturales respectueuses de l’environnement ».
En défense, le préfet fait valoir la récurrence des événements climatiques affectant les rendements viticoles et les faiblesses du système assuranciel susceptible de fragiliser économiquement les exploitations, la forte augmentation des prix de vente constatée, résultant eux-mêmes de la baisse des récoltes en volume et la charge que représentent les fermages pour les exploitants.
Il invoque, d’autre part, la prise en considération des moyennes des prix constatés sur plusieurs années, de nature à limiter l’incidence de ces circonstances, et la sensibilité au gel et à la grêle, parmi les critères de détermination de la quantité de denrées par hectare, prévu dans l’arrêté préfectoral du 29 septembre 1995 portant application du statut du fermage.
Mais il appartient au préfet de réexaminer aux plus tard tous les six ans les maxima et minima servant à la détermination des quantités de denrées constituant les loyers des terres nues portant sur les cultures viticoles, dans les conditions définies par le code rural.
Les requérants sont donc fondés à soutenir que le préfet a commis une erreur de droit en faisant intervenir le rapport entre les rendements constatés et les rendements maximaux prévus dans les cahiers des charges, pour déterminer les cours moyens des vins mentionnés à l’article R. 411-5 du code rural. Vous pourrez annuler cet arrêté sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête.
Par ces motifs, je conclus à l’annulation de l’arrêté attaqué, et à la condamnation de l’État à verser au requérant la somme globale de 1500 € au titre des frais de justice.