Intérêt pour faire appel du ministre d’une amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts, déchargée par le tribunal administratif

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Décision de justice

CAA Lyon, 2ème chambre – N° 22LY02652 – Ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique c/SARL Garage de la falaise – 18 avril 2024 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 22LY02652

Numéro Légifrance : CETATEXT000049446780

Date de la décision : 18 avril 2024

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Impôt sur les sociétés, Article 1756 du code général des impôts, Article 1759 du code général des impôts, Redressement judiciaire, Remise de l’amende, Non révélation des bénéficiaires des distributions

Rubriques

Fiscalité

Résumé

Intérêt pour faire appel du ministre tendant au rétablissement de l’amende infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts déchargée par le tribunal administratif : absence dans le cas où l’amende a été remise en application du I de l'article 1756 du code après le jugement et avant l’introduction de l’appel.

Des dispositions combinées des articles 1756-I et 1759 du code général des impôts, il résulte que l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire entraîne la remise de l'amende pour non révélation des bénéficiaires des distributions, due à la date d'ouverture de la procédure judiciaire, c'est-à-dire lorsque cette procédure est ouverte postérieurement à la notification à la société de l'avis de mise en recouvrement de cette amende.

En application du I de l'article 1756 du code général des impôts, l’ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire entraîne la remise de l’amende prévue à l’article 1759 du code général des impôts en cas de non révélation des bénéficiaires des distributions lorsque cette amende est due à la date d'ouverture de la procédure judiciaire, c'est-à-dire lorsque cette procédure est ouverte postérieurement à la notification à la société de l'avis de mise en recouvrement de cette pénalité.

Les conclusions d’appel du ministre tendant au rétablissement de l’amende déchargée par le tribunal administratif, sont irrecevables lorsque l’amende a été remise après le jugement et avant l’introduction de la requête d’appel, une éventuelle annulation par la cour du jugement prononçant la décharge ne pouvant avoir pour effet que de rétablir de plein droit l’amende sans affecter le fait générateur de la remise constitué par le placement en redressement ou en liquidation judiciaire123.

19-02-04, Contributions et taxes, Règles de procédure contentieuses spéciales, Requête d’appel
54-08-01-01-01, Procédure, Voies de recours, Appel, Recevabilité, Intérêt pour faire appel

Notes

1 CE, 30 septembre 2019, n°415333, B selon lequel il résulte des dispositions combinées des articles 117, 1754, 1756 et 1759 du code général des impôts que l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire n'est susceptible d'entraîner la remise de la pénalité pour distributions occultes que dans l'hypothèse où cette pénalité est due à la date d'ouverture de la procédure judiciaire, c'est-à-dire lorsque cette procédure est ouverte postérieurement à la notification à la société de l'avis de mise en recouvrement de cette pénalité. Retour au texte

2 Comp. CAA Lyon, 2ème chambre, 14 octobre 2021 n°20LY00484, SARL Eurochem Pharmasolutions (rejet NAPC) selon lequel le juge constate un non-lieu à statuer sur les conclusions relatives aux intérêts de retard en cas d’ouverture d’une procédure judiciaire en cours d’instance même en l’absence de décision de dégrèvement des intérêts de retard par l’administration. Retour au texte

3 Rappr. CE, 2 mars 1994, n° 104837-104838, A, selon lequel en cas de décharge de droits et pénalités prononcée par un tribunal administratif, le rétablissement partiel par le juge d'appel a pour effet de maintenir le contribuable au rôle de l'impôt ; CE, 20 mars 2013, n° 348051, SA Parthéna selon l’appel a pour effet de rétablir de plein droit l’imposition sans que l'administration soit tenue de prendre un nouvel avis de mise en recouvrement. Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Sophie Lesieux

rapporteure publique à la cour administrative d’appel de Lyon

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  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.9664

La SARL Garage de la Falaise, qui exerce une activité de carrosserie, peinture et mécanique, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle le service, après avoir constaté l’absence de comptabilité, a procédé à la reconstitution de son bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos en 2015. Le résultat ainsi reconstitué a été regardé comme un revenu distribué imposable à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au nom du bénéficiaire. En application de l’article 117 du code général des impôts, la société a été invitée à indiquer l’identité du ou des bénéficiaires dans le délai de trente jours. Puis elle s’est vue infliger l’amende prévue à l’article 1759 du même code. Par un jugement du 19 mai 2022, dont le ministre relève appel dans cette mesure, le tribunal administratif de Grenoble a déchargé la SARL de cette amende et a mis à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.

Les premiers juges ont retenu, d’une part, que le fondement légal de la distribution, énoncé dans la proposition de rectification notifiée à la SARL - à savoir le c de l’article 111 du code général des impôts - était erroné et d’autre part, que la société avait répondu à la demande de désignation du ou des bénéficiaires dans le délai imparti.

S’agissant du premier motif, celui-ci était inopérant : le fondement légal de la distribution, qui intéresse le bénéficiaire de celle-ci et non la société distributrice, est étranger à l’amende prévue à l’article 1759 du code général des impôts, dont le fait générateur est l’absence de réponse à une demande, faite par l’administration sur le fondement de l’article 117 du même code, de désignation du ou des bénéficiaires des distributions, et ce, dans le délai imparti (CE, Plénière, 30 mars 1987, Ministre de l’économie, des finances et du budget c/ Société La Rabelaisienne, n°74410, B).

S’agissant du second motif, l’article 117 du code général des impôts se borne à autoriser l’administration fiscale à inviter une société, dont elle estime qu’elle a réalisé des distributions occultes, à révéler l’identité des bénéficiaires. L’absence de réponse entraîne l’application de l’amende prévue à l’article 1759 du même code, quand bien même la société contesterait l’existence même de distributions occultes. Au cas d’espèce, c’est précisément ce qu’a fait la SARL Garage de la Falaise dans son courrier du 5 septembre 2017 en réponse à la demande de désignation faite par l’administration le 8 août 2017. Ce faisant, elle s’est abstenue d’apporter à l’administration la moindre indication sur les bénéficiaires de l’excédent de distributions constaté au cours de la vérification de comptabilité.

L’appel du ministre apparaît donc fondé.

Mais en réponse à la communication de la requête, la SARL Garage de la Falaise vous a informés de ce qu’elle avait été placée sous le bénéfice d’une procédure de redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Grenoble en date du 27 juillet 2022.

Or, le I de l’article 1756 du code général des impôts prévoit la remise, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des frais de poursuites et des pénalités fiscales encourus, dont fait partie l’amende prévue à l’article 1759 du même code, lorsqu’ils sont « dus à la date du jugement d’ouverture ». Par une décision du 30 septembre 2019, le Conseil d’Etat a jugé que les frais de poursuites et les pénalités fiscales ne pouvaient être regardés comme « dus » qu’à la date de la notification à la société de l’avis de mise en recouvrement. Il en a déduit que l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire n’était susceptible d’entraîner la remise que lorsque cette procédure était ouverte postérieurement à la notification de l’avis de mise en recouvrement (CE, 30 septembre 2019, n°415333, B).

En l’espèce, la pénalité en cause a été mise en recouvrement par un avis du 15 février 2019. La procédure de redressement judiciaire a été ouverte par un jugement postérieur du 27 juillet 2022, entraînant par suite la remise de la pénalité.

Contrairement à ce que soutient le ministre, à supposer que vous décidiez de remettre à la charge de la SARL Garage de la Falaise la pénalité litigieuse, cela n’aurait aucune incidence sur la mise en œuvre du I de l’article 1756 du code général des impôts. Le fait générateur de la remise reste la notification de l’avis de mise en recouvrement et non la notification de votre arrêt, même s’il a valeur de titre exécutoire (CE, 2 mars 1994, n°104837, 104838, A / CE, 24 juin 2022, Société générale, n°443754, B). En effet, votre arrêt ne ferait que « rétablir » la pénalité initiale sans en créer une nouvelle qui serait postérieure à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

La remise prévue au I de l’article 1756 du code général des impôts était donc acquise à la SARL Garage de la Falaise à la date du jugement du tribunal de commerce de Grenoble prononçant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

Précisons que cette remise est automatique, puisqu’elle résulte de l’application de la loi. Il s’en déduit qu’elle n’est pas subordonnée à une demande du redevable ou du mandataire judiciaire. Elle n’est pas non plus soumise à une formalité particulière. En d’autres termes, il n’est pas attendu de l’administration fiscale qu’elle notifie au redevable un avis de dégrèvement. Au cas d’espèce, elle l’avait d’ailleurs déjà fait en exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble.

Vous avez déjà constaté à plusieurs reprises, sans exiger la production d’un avis de dégrèvement, un non-lieu à statuer sur les conclusions d’une société tendant à la décharge de pénalités lorsqu’en application du I de l’article 1756 du code général des impôts, elle bénéficiait d’une remise compte tenu d’un jugement d’un tribunal de commerce ouvrant une procédure de redressement judiciaire en cours d’instance d’appel devant vous (V. par exemple votre arrêt CAA de Lyon, 14 octobre 2021, Société Eurochem Pharmasolutions, n°20LY00484, C).

Au cas d’espèce, l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire a été prononcée par un jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 27 juillet 2022. La requête du ministre n’a été enregistrée que le 30 août 2022 alors que la remise de la pénalité prévue à l’article 1759 du code général des impôts était déjà acquise à la SARL Garage de la Falaise.

Par suite, nous vous proposons de juger que la requête du ministre était irrecevable et de la rejeter pour ce motif.

Tel est le sens de nos conclusions.

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