La SARL Garage de la Falaise, qui exerce une activité de carrosserie, peinture et mécanique, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle le service, après avoir constaté l’absence de comptabilité, a procédé à la reconstitution de son bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos en 2015. Le résultat ainsi reconstitué a été regardé comme un revenu distribué imposable à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au nom du bénéficiaire. En application de l’article 117 du code général des impôts, la société a été invitée à indiquer l’identité du ou des bénéficiaires dans le délai de trente jours. Puis elle s’est vue infliger l’amende prévue à l’article 1759 du même code. Par un jugement du 19 mai 2022, dont le ministre relève appel dans cette mesure, le tribunal administratif de Grenoble a déchargé la SARL de cette amende et a mis à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.
Les premiers juges ont retenu, d’une part, que le fondement légal de la distribution, énoncé dans la proposition de rectification notifiée à la SARL - à savoir le c de l’article 111 du code général des impôts - était erroné et d’autre part, que la société avait répondu à la demande de désignation du ou des bénéficiaires dans le délai imparti.
S’agissant du premier motif, celui-ci était inopérant : le fondement légal de la distribution, qui intéresse le bénéficiaire de celle-ci et non la société distributrice, est étranger à l’amende prévue à l’article 1759 du code général des impôts, dont le fait générateur est l’absence de réponse à une demande, faite par l’administration sur le fondement de l’article 117 du même code, de désignation du ou des bénéficiaires des distributions, et ce, dans le délai imparti (CE, Plénière, 30 mars 1987, Ministre de l’économie, des finances et du budget c/ Société La Rabelaisienne, n°74410, B).
S’agissant du second motif, l’article 117 du code général des impôts se borne à autoriser l’administration fiscale à inviter une société, dont elle estime qu’elle a réalisé des distributions occultes, à révéler l’identité des bénéficiaires. L’absence de réponse entraîne l’application de l’amende prévue à l’article 1759 du même code, quand bien même la société contesterait l’existence même de distributions occultes. Au cas d’espèce, c’est précisément ce qu’a fait la SARL Garage de la Falaise dans son courrier du 5 septembre 2017 en réponse à la demande de désignation faite par l’administration le 8 août 2017. Ce faisant, elle s’est abstenue d’apporter à l’administration la moindre indication sur les bénéficiaires de l’excédent de distributions constaté au cours de la vérification de comptabilité.
L’appel du ministre apparaît donc fondé.
Mais en réponse à la communication de la requête, la SARL Garage de la Falaise vous a informés de ce qu’elle avait été placée sous le bénéfice d’une procédure de redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Grenoble en date du 27 juillet 2022.
Or, le I de l’article 1756 du code général des impôts prévoit la remise, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, des frais de poursuites et des pénalités fiscales encourus, dont fait partie l’amende prévue à l’article 1759 du même code, lorsqu’ils sont « dus à la date du jugement d’ouverture ». Par une décision du 30 septembre 2019, le Conseil d’Etat a jugé que les frais de poursuites et les pénalités fiscales ne pouvaient être regardés comme « dus » qu’à la date de la notification à la société de l’avis de mise en recouvrement. Il en a déduit que l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire n’était susceptible d’entraîner la remise que lorsque cette procédure était ouverte postérieurement à la notification de l’avis de mise en recouvrement (CE, 30 septembre 2019, n°415333, B).
En l’espèce, la pénalité en cause a été mise en recouvrement par un avis du 15 février 2019. La procédure de redressement judiciaire a été ouverte par un jugement postérieur du 27 juillet 2022, entraînant par suite la remise de la pénalité.
Contrairement à ce que soutient le ministre, à supposer que vous décidiez de remettre à la charge de la SARL Garage de la Falaise la pénalité litigieuse, cela n’aurait aucune incidence sur la mise en œuvre du I de l’article 1756 du code général des impôts. Le fait générateur de la remise reste la notification de l’avis de mise en recouvrement et non la notification de votre arrêt, même s’il a valeur de titre exécutoire (CE, 2 mars 1994, n°104837, 104838, A / CE, 24 juin 2022, Société générale, n°443754, B). En effet, votre arrêt ne ferait que « rétablir » la pénalité initiale sans en créer une nouvelle qui serait postérieure à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
La remise prévue au I de l’article 1756 du code général des impôts était donc acquise à la SARL Garage de la Falaise à la date du jugement du tribunal de commerce de Grenoble prononçant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.
Précisons que cette remise est automatique, puisqu’elle résulte de l’application de la loi. Il s’en déduit qu’elle n’est pas subordonnée à une demande du redevable ou du mandataire judiciaire. Elle n’est pas non plus soumise à une formalité particulière. En d’autres termes, il n’est pas attendu de l’administration fiscale qu’elle notifie au redevable un avis de dégrèvement. Au cas d’espèce, elle l’avait d’ailleurs déjà fait en exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble.
Vous avez déjà constaté à plusieurs reprises, sans exiger la production d’un avis de dégrèvement, un non-lieu à statuer sur les conclusions d’une société tendant à la décharge de pénalités lorsqu’en application du I de l’article 1756 du code général des impôts, elle bénéficiait d’une remise compte tenu d’un jugement d’un tribunal de commerce ouvrant une procédure de redressement judiciaire en cours d’instance d’appel devant vous (V. par exemple votre arrêt CAA de Lyon, 14 octobre 2021, Société Eurochem Pharmasolutions, n°20LY00484, C).
Au cas d’espèce, l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire a été prononcée par un jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 27 juillet 2022. La requête du ministre n’a été enregistrée que le 30 août 2022 alors que la remise de la pénalité prévue à l’article 1759 du code général des impôts était déjà acquise à la SARL Garage de la Falaise.
Par suite, nous vous proposons de juger que la requête du ministre était irrecevable et de la rejeter pour ce motif.
Tel est le sens de nos conclusions.