La communication à un tiers d’informations recueillies à l’occasion d’opérations de contrôle fiscal, en violation du secret professionnel auquel sont soumis les agents de l'administration fiscale dans l’exercice de leurs fonctions en vertu de l'article L. 103 du livre des procédures fiscales, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Les dispositions de l'article L. 54 du livre des procédures fiscales, selon lesquelles la procédure d’imposition des revenus propres de chacun des époux doit être suivie avec son titulaire et produit directement des effets pour la détermination du revenu global du foyer auquel il appartient, ne fait pas obstacle à ce que l'administration, pourvu qu’elle se conforme à l’obligation de notifier la proposition de rectification au titulaire des revenus propres, reprenne, dans la proposition de rectification portant rattachement des revenus propres au foyer fiscal, des éléments issus du contrôle de l’activité professionnelle du titulaire des revenus propres. Les dispositions de l’article 11 du code de procédure pénale, qui posent le principe du secret de l’instruction, ne créent, au cas où l’administration fiscale exerce son droit de communication et prend ainsi connaissance d’informations recueillies dans le cadre d’une procédure d’instruction, aucune obligation dans le chef des agents de l’administration fiscale, lesquels ne concourent pas à la procédure pénale.
Propos préliminaires :
« La fraude fiscale est condamnable. Le contrôle destiné à la combattre est légitime. Mais dans un État de droit, pour atteindre un but légitime, fût-il d’intérêt général tous les moyens ne sont pas bons ». (HATOUX (B.), La preuve illicite est irrecevable ou Le vol est un péché capital, RJF 4/2012, p. 304).
Selon une affirmation du Conseil constitutionnel : « l’exercice des libertés et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale, ni en entraver la légitime répression ». (CC, du 29 décembre 1983, 83-164 sur les perquisitions fiscales- Loi de finances 1984). La lutte contre la fraude fiscale est érigée en objectif à valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 1999 (CC, du 29 décembre 1999, n° 99-424 Loi de finances 2000 ). À ce titre, au-delà des moyens de droit commun, et afin de promouvoir une efficacité renforcée de l’action du contrôle fiscal, le législateur avait doté les services fiscaux des moyens « exorbitants » d’investigation leur permettant d’assurer un ciblage pertinent des potentiels fraudeurs. Il est cependant incontestable qu’une telle démarche comporte des aspects restreignant les droits et les libertés des contribuables qui doivent être protégés contre les pratiques parfois dilatoires et abusives des administrations publiques. De l’autre côté, l’administration se trouve très souvent au croisement de deux exigences fondamentales : « d’une part, la lutte contre la fraude fiscale condition de la justice fiscale et d’autre part, le respect de la vie privée condition de la sauvegarde des libertés individuelles ». (GEFFROY (J.B), Grands problèmes fiscaux contemporains, PUF, 1993, p. 540.). L’articulation de ces deux sphères de protection est très souvent à l’origine d’un contentieux relativement abondant.
Le contrôle fiscal est « une action régulatrice destinée à corriger les éventuelles erreurs ou omissions ». (DRIE (J.-C), Procédures de contrôle fiscal. La voie de l’équilibre. L’Harmattan, 2005, p. 44.). La loi a distingué deux types de vérification : la vérification de comptabilité qui offre la possibilité d’examiner des éléments et des documents relatifs à la vie professionnelle du contribuable, et l’examen contradictoire de l’ensemble de la situation fiscale personnelle (ESPF) destinée à analyser des éléments relatifs à la vie privée du contribuable en cas d’incohérence entre les revenus professionnels déclarés et la réalité du train de vie (DRIE (J.-C), op.cit.,p. 90). Très critiqué par la doctrine, l’ESPF est considéré comme « une forme de contrôle fiscal particulièrement redoutable des contribuables en raison des techniques de caractère inquisitorial souvent mises en œuvre », ou même comme « étant une atteinte à la vie privée des contribuables ». (LAMBERT (T.), Contrôle fiscal, droit et pratique, PUF, 1998, p. 305.). Afin de mener à bien cette mission, les agents de l’administration ne peuvent se voir opposer le principe d’un secret, qu’il soit professionnel ou résultant d’une instruction en cours. Cette possibilité avait été mise en place par le législateur, puis elle avait été confirmée par la haute juridiction administrative, laquelle a admis, sur le fondement des travaux préparatoires de la loi instaurant le droit de communication, la transmission à l’administration fiscale des éléments provenant d’une enquête pénale. Dans une décision récente, du 16 juillet 2021, le Conseil d’État a estimé qu’ « il résulte des dispositions des articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, dans leur rédaction applicable au présent litige, eu égard à leur objet et lues à la lumière des travaux parlementaires de la loi du 4 avril 1926 dont elles sont issues, que l’autorité judiciaire peut régulièrement transmettre à l’administration fiscale, spontanément ou sur demande adressée au ministère public, tous éléments révélés par une instance civile ou pénale ou recueillis dans le cadre d’une procédure judiciaire et que si le législateur n’a mentionné, parmi ces procédures, que les informations criminelles ou correctionnelles, il ne saurait être regardé, compte tenu de l’évolution des règles de procédure pénale depuis l’adoption de ces dispositions, comme ayant entendu permettre l’exclusion du champs du droit de communication de l’administration fiscale les éléments recueillis dans le cadre d’une enquête préliminaire ». (CE, 16 juillet 2021, n° 448500, au recueil Lebon). Sur ce point, il convient de noter que le ministère public, faisant partie de l’autorité judiciaire, dispose de la possibilité d’utiliser le droit de communication « spontané » prévu par l’article L. 101 du LPF, et ce sans devoir attendre une demande de la part de l’administration (CE, 10 décembre 1999, n° 181977, au recueil Lebon). C’est à partir de là, que l’enchevêtrement des deux domaines fiscal et pénal témoigne de la complexité du contentieux résultant de cette dualité. C’est ce qui ressort du présent arrêt.
Les faits examinés par la cour administrative d’appel de Lyon paraissent relativement simples. En l’espèce, Mme B. a fait l’objet, à partir de novembre 2016, d’un examen contradictoire de situation fiscale portant sur les années 2013 à 2015 après que l’administration fiscale a été informée, le 29 avril 2016, par le tribunal de grande instance de Chambéry, sur le fondement de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales, de l’ouverture à son encontre d’une procédure pour abus de faiblesse sur personne vulnérable. Le vérificateur a considéré, au vu des pièces de la procédure pénale auxquelles il a eu accès, le 22 juin 2016 et le 18 mai 2017, que Mme B…avait exercé de manière habituelle une activité d’escort-girl au cours de la période vérifiée. Faisant application du délai spécial de reprise prévu à l’article L.188 C du LPF, (ancien article L.170 : il s’agit du délai spécial de reprise dont dispose l’administration lorsque des omissions ou des insuffisances d’imposition sur le revenu sont constatées par une instance devant les tribunaux), le service a également procédé à un contrôle sur pièces des déclarations souscrites par M. et Mme B…au titre des années de 2007 à 2012. Celui-ci consiste « en un contrôle critique et exhaustif des déclarations souscrites et l’examen de la situation fiscale des contribuables », contrairement au contrôle formel qui « consiste à rectifier les erreurs matérielles pour éviter les aberrations et le blocage de la procédure d’imposition » (LAMBERT (T.), Ibid.). Dans ce cadre, il nous semble pertinent de rappeler que « ce droit de regard administratif ne confère aucun pouvoir particulier à l’agent qui en a la charge, si ce n’est celui d’examiner les déclarations déposées, même si en termes de résultat, cette forme de contrôle est loin d’être négligeable ». (DRIE (J.-C), Ibid.,). À l’issue de ces contrôles, l’administration fiscale a notifié à Mme B… une proposition de rectification portant évaluation d’office de ses bénéfices non commerciaux (BNC) au titre des années litigieuses. Par voie de conséquence, une deuxième proposition de rectification a été adressée à M. et Mme B…portant rattachement des revenus non commerciaux de Mme B…au revenu global du foyer fiscal portant sur les mêmes années. Par cette deuxième proposition de rectification, M. B a été informé de l’activité non déclarée d’« escort-girl » de son épouse. Estimant avoir subi un préjudice moral du fait des circonstances de la découverte de cette activité, M. B a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l’État à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation des conséquences dommageables des fautes commises par l’administration fiscale lors de la procédure de rectification dont il a fait l’objet. Devant le juge de première instance, il a fait valoir que la responsabilité de l’État était engagée dès lors que la divulgation d’informations concernant son épouse à travers la proposition de rectification qui lui a été adressée constituait une violation du secret fiscal en méconnaissance de l’article L. 103 du LPF, ainsi que du secret de l’instruction en méconnaissance de l’article 11 du code de procédure pénale, dès lors qu’il est un tiers à la procédure d’imposition. Il a également soutenu que la procédure de rectification des revenus catégoriels méconnait les dispositions de l’article L. 54 du LPF et la doctrine administrative CF-IOR-10-30 n° 450 du 27 février 2014. En ce qui concerne le préjudice qu’il allègue avoir subi, il invoque tout simplement « des troubles dans les conditions d’existence qu’il a subis lui ouvrant droit à réparation à hauteur de 100 000 euros ». Le tribunal administratif de Grenoble ayant rejeté sa demande, M.B a porté le litige devant la cour administrative d’appel de Lyon. Il réitère ses arguments de première instance. La cour conclut au rejet de sa requête.
Bien que le juge pénal conserve sa compétence en ce qui concerne le délit de fraude fiscale (Article 1741 Code général des impôts ), et que le contentieux fiscal soit partagé entre le juge judiciaire et le juge administratif, ce dernier conserve une partie très importante de ce contentieux étant donné que la matière fiscale « est au cœur de l’action unilatérale de l’État et constitue l’une des voies privilégiées de l’exercice des prérogatives de la puissance publique ». (Le juge administratif et l’impôt, Les dossiers thématiques du Conseil d’État, 23 janvier 2019, p.4.). Pour autant, ce qui est en cause dans le présent arrêt est le respect des garanties et des exigences procédurales propres à l’établissement de l’impôt, en l’espèce l’impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne l’information du contribuable sur les éléments ayant servi à fonder les rectifications et dont il n’avait pas eu connaissance. Ceux-ci ont été révélés par une instance.
L’arrêt rendu par la cour s’avère si important et riche d’enseignements à plusieurs titres : bien qu’il nous fournisse une illustration de l’ampleur du droit de communication, il met l’accent sur l’interdépendance qui caractérise les deux domaines fiscal et pénal et les conséquences qui en découlent. Il précise les périmètres d’application des garanties procédurales relatives au respect du secret professionnel et du secret de l’instruction (I.). Par suite, il discerne très pertinemment les conditions de l’engagement de la responsabilité de l’État et clarifie les conditions d’application de l’article L. 54 du livre des procédures fiscales (II.)
Sur le respect du secret professionnel et du secret de l’instruction : le rapprochement inévitable des procédures fiscale et pénale
Le secret de l’instruction et de l’enquête figure au nombre des secrets protégés par la loi (CE, 5 mai 2008, société Baudin Chateauneuf, n° 309518, au Recueil Lebon, CE, 1er mars 2004, ministre c/SCM Imagerie médicale du Nivolet, nos 247733 et 251338, au Recueil Lebon). L’article 11 du CPP prévoit que « sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète/ Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues à l’article 434-7-2 du code pénal (…) ». Ces dispositions méritent quelques précisions. Tout d’abord, il est indiqué que sont tenues au secret de l’enquête et de l’instruction à l’égard des tiers « les personnes qui concourent » à ces procédures. À titre d’exemple : le juge d’instruction, les experts, les magistrats du parquet ou d’une manière plus générale toute personne participant au contrôle judiciaire. En conséquence, le secret de l’instruction n’est opposable qu’aux personnes qui concourent à l’enquête et sous réserve des dispositions contraires. Ensuite, l’article 11 du CPP prévoit quelques exceptions : c’est le cas lorsque la loi en dispose autrement, à l’instar de l’obligation de transmission par l’autorité judiciaire à l’administration fiscale « de toute information qu’elle recueille, à l’occasion de toute procédure judiciaire, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale » prévue à l’article L. 101 du LPF. Enfin, le secret de l’instruction ne fait pas obstacle à ce que le juge joigne au dossier les éléments issus d’une procédure pénale produits de façon spontanée par l’une des parties. (CE, 26 octobre 1973, Élections municipales de Villeneuve-sur-Lot, n° 83550, au recueil Lebon). Au regard de ces précisions, deux conséquences en découlent : les dispositions de l’article 11 CPP ne lient pas le juge de l’impôt qui se trouve au croisement de deux obligations : requérir des administrations fiscales tous documents nécessaires lui permettant de bien juger (notons que le contentieux fiscal est un contentieux de pleine juridiction dans lequel le juge dispose des pouvoirs les plus étendus en allant jusqu’à moduler les impositions …); et respecter le caractère contradictoire du procès l’obligeant à communiquer à chacune des parties toutes les pièces produites au cours de l’instance (CE, 25 octobre 2004, société Francefert, n°251930, au Recueil Lebon). En outre, l’article 11 du CPP, ne s’applique pas directement à l’administration fiscale qui, à supposer même qu’elle ait établi un impôt ou une taxe en s’appuyant sur des pièces issues d’une procédure pénale, n’est pas une personne « concourant » à cette procédure au sens dudit article.
En l’espèce, la proposition de rectification a été établie par les agents de l’administration fiscale, elle n’a pas été établie par les agents ayant adressé et transmis le procès-verbal de l’infraction commise par l’épouse. Par conséquent, il est incontestable que l’auteur de la décision d’imposition n’était pas au nombre des personnes qui concourent à la procédure pénale au sens de l’article 11 du CPP. Typique à cet égard est la position de la cour administrative d’appel de Lyon. Elle estime que les dispositions dudit article ne créent, au cas où l’administration fiscale exerce son droit de communication et prend ainsi connaissance d’informations recueillies dans le cadre d’une procédure d’instruction, aucune obligation dans le chef des agents de l’administration fiscale, lesquels ne concourent pas à la procédure pénale. Dès lors, elle affirme que le principe du secret de l’instruction n’a pas été méconnu du fait de la transmission des informations à l’époux.
L’article 11 du CPP n’étant pas applicable au cas de l’espèce, cela n’empêche pas que l’administration fiscale demeure tenue au secret professionnel. Aux termes de l’article L.103 du livre des procédures fiscales : « l’obligation du secret professionnel, telle qu’elle est définie aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, s’applique à toutes les personnes appelées à l’occasion de leurs fonctions ou attributions à intervenir dans l’assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux de l’impôt, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts/ Le secret s’étend à toutes les informations recueillies à l’occasion de ces opérations. Pour les informations recueillies à l’occasions d’un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, l’obligation de secret professionnel nécessaire au respect de la vie privée s’impose au vérificateur à l’égard de toute personne autre que celle ayant, par leurs fonctions, à connaître du dossier ». Bien que l’article 226-13 du Code pénal prévoie des sanctions en cas de violation du secret professionnel, l’article 226-14 du même code apporte une exception : « l’article 226-13 n’est pas applicable dans le cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret », et ce dans des situations que ces dispositions énumèrent. Dans ce sillage, la jurisprudence avait déjà apporté quelques précisions qui pourraient s’appliquer au cas d’espèce en estimant que « les dispositions législatives protégeant le secret professionnel, telles que l’article L. 103 du LPF, ou la vie privée peuvent faire obstacle à la communication par l’administration à un contribuable de renseignements concernant un tiers (…) sauf si le contribuable est débiteur solidaire de l’impôt dû par ce tiers, sans le consentement de celui-ci ou de toute personne habilitée à cet effet ». ( CE, Avis du 21 décembre 2006 n° 293749 au Recueil Lebon). En l’espèce, M. et Mme B…étaient mariés au cours des années 2007 à 2015, par conséquent, pour l’imposition des revenus de ces années, ils étaient soumis à une imposition commune conformément aux déclarations qu’ils ont souscrites. Les compléments d’impôts sur le revenu auxquels ils ont été assujettis à raison de l’activité occulte de Mme B…ont été établis au nom des époux. Dans ces conditions, la cour a jugé que l’administration fiscale n’a pas méconnu l’obligation du secret professionnel en reproduisant, dans la proposition de rectification adressée au consorts B…portant rattachement au foyer fiscal du revenu non commercial de Mme B…les extraits de la proposition de rectification adressée à cette dernière, et relative à l’imposition de ses revenus propres comportant des informations recueillies à l’occasions des opérations du contrôle de son activité professionnelle.
La position de la cour administrative d’appel de Lyon, rejoignant ainsi celle du tribunal administratif de Grenoble paraît décevante pour le contribuable. Par ailleurs, elle ne pouvait que lui donner une réponse tranchée et bien déterminante. Dans ce sens, plusieurs éléments méritent d’être mis en lumière afin de comprendre son raisonnement. En premier lieu, le secret professionnel en matière fiscale, né depuis la création de l’impôt sur le revenu en 1914 signifie d’une manière générale que « les informations transmises à l’administration fiscale doivent rester secrètes ». (URY (D.), « La discrétion fiscale, une obligation déontologique majeure dans le contexte de la mise en place du prélèvement à la source », Gestion & Finances Publiques, vol. 1, no. 1, 2017, p.83.). Revenons sur l’élément matériel de la violation : celui-ci consiste en la révélation des informations à caractère secret ce qui implique « un acte positif qui fait passer matériellement l’information du dépositaire à un destinataire non autorisé à accéder à cette information » (VERDIER (P.), « Secret professionnel et partage des informations », Journal du droit des jeunes, 2007/9 n° 269, pp. 8-21.). Sur ce point, nous rappelons que le secret professionnel n'est pas opposable au contribuable lui-même. Par ailleurs, la jurisprudence a réservé la possibilité de l’opposer au contribuable dans des cas précis : par exemple lorsque les informations mises à la disposition de l’administration fiscale concernent un tiers (CE, avis. 21 décembre 2006, n° 293749, Lebon). En deuxième lieu, mis à part le cas précédemment évoqué, le juge de l’impôt estime que le secret professionnel n’est pas opposable au contribuable, mais aussi au débiteur solidaire de l’impôt, sans le consentement de celui-ci ou de toute personne habilitée à cet effet, et cela pour une raison évidente : les pièces couvertes par le secret professionnel sont nécessaires à l’établissement de l’impôt, de même, elles sont nécessaires à sa défense à condition que ce soit dans la limite de la solidarité prononcée à son encontre. (CE, 3 juillet 1985, n° 52011, au Lebon). Autrement dit, cela permet à l’intéressé de contester utilement la régularité et le bien fondé des impositions au paiement desquelles il est solidairement tenu. C’est d’ailleurs ici que, dans certains cas, la violation d’un droit ou d’une liberté se transforme en une garantie procédurale en faveur de son titulaire. Enfin, en contrepartie de l’application littérale de l’article L. 103 du LPF, l’on se trouve souvent face à un autre écueil procédural : l’article L. 76 B du LPF. Selon cet article, l’administration est tenue d’informer le contribuable de la « teneur et de l’origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’est fondée pour établir l’imposition faisant l’objet de la proposition ». En outre de l’obligation de communication des pièces ayant servi de base afin d’établir les impositions, l’administration est tenue de respecter un certain formalisme. Aux termes de l’article L.47 du LPF : « un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle au regard de l’impôt sur le revenu, une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l’envoi ou la remise d’un avis de vérification (…) ». Le législateur a mis à la charge de l’administration une obligation d’information et une obligation de preuve à son encontre. À ce titre, « l’égalité des époux au regard de la loi est effective et chacun d’eux à qualité pour suivre les procédures relatives à l’impôt dû à raison de l’ensemble des revenus du foyer ». (Article L. 54 A du LPF).
La mise en jeu de la responsabilité de l’État : une voie possible mais sous conditions
Selon le président TROTTIER : « le juge fait bénéficier d’un régime privilégié de responsabilité les services fiscaux non à raison des modalités de leur action mais à raison de la mission qui leur incombe : assurer la perception des recettes de l’État ». (TROTTIER (T.), « La responsabilité de la puissance publique en matière fiscale », Droit fiscal, 1994, n°27, p. 1088.). Si on peut voir dans une telle affirmation le poids d’une tradition, qui puise ses fondements dans la théorie classique de l’irresponsabilité de la puissance publique, on peut aussi y trouver la manifestation d’une sorte d’acceptation – même si elle est en faveur des services fiscaux- de la responsabilisation de la puissance publique. Le raffinement du nouveau système tendant à la responsabilisation nous replace encore face à un dilemme : d’une part, préserver les intérêts de la puissance publique, notamment les deniers de l’État ; et d’autre part, réparer les dommages des victimes d’une faute causée par l’administration. À l’adage « le Roi ne peut mal faire » s’est substitué un nouveau principe : « Que l’administration fasse, mais qu’elle indemnise ». (HAURIOU (M.), Précis de droit administratif et de droit public, 12e ed., 2002, p.505.).
Sans revenir sur les règles de blocs de compétences juridictionnelles en matière fiscale, le juge administratif est compétent dans les cas des impositions dont la légalité ne peut être examinée que devant lui (par exemple l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, la taxe sur la valeur ajoutée…cf. Article L. 199 du LPF). Sur le fond, toute faute des services fiscaux est susceptible d’engager la responsabilité de l’État devant le juge administratif. (BOI-CTX-RDI-30 du 4/12/2019). Il faut peut-être chercher là des nuances. La décision du Conseil d’État du 21 mars 2011 a précisé qu’: « une faute commise par l’administration lors de l’exécution d’opérations se rattachant aux procédures d’établissement et de recouvrement d’impôt est de nature à engager la responsabilité de l’État à l’égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ». (CE, section, 21 mars 2011, n°306225, au Recueil Lebon). Il résulte de la lecture de ce considérant, que la commission d’une faute n’ouvre pas ipso facto le droit à une indemnisation. L’action en responsabilité implique nécessairement la réunion d’un certain nombre de conditions : tout d’abord, l’existence d’une faute commise par l’administration ; ensuite, le préjudice dont le contribuable demande l’indemnisation doit être certain, par conséquent, son évaluation doit être possible et réaliste. Afin d’y parvenir, il est indispensable d’identifier un préjudice matériel (lié aux biens), un préjudice moral ou un préjudice de santé (lié à la personne). Nous rappelons ici que l’indemnisation du préjudice possible et éventuel est exclue (CAA, Bordeaux, 28 juin 1994, n°93BX00796, au Recueil Lebon). Enfin, il devra exister un lien de causalité entre l’erreur fautive de l’administration et le préjudice causé. Ainsi, une décision illégale pour un motif d’illégalité externe n’engage pas la responsabilité de l’administration si la décision était justifiée au fond (CE, 19 juin 1981, Mme C., n° 20619 A.).
Le mouvement jurisprudentiel en la matière a connu une évolution constante, centrée essentiellement sur l’exigence de la faute. La jurisprudence était oscillante entre l’admission de la faute d’une exceptionnelle gravité (qualifiée par la suite de faute lourde) (CE, 21 décembre 1962, Husson-Chiffre, nos 36207 et 51158.), et le basculement vers l’admission de la faute simple. L’affaire Bourgeois du 27 juillet 1990 (cf. Concl. RJF 8-9/90 de N. Chahid-Nourai p. 548.) a marqué un revirement jurisprudentiel considérable conduisant ainsi à tempérer l’exigence d’une faute lourde en admettant que les contribuables puissent engager la responsabilité de l’État sur le fondement d’une faute simple, visant ainsi « à normaliser le régime de responsabilité des administrations fiscales » (cf. Concl. Legras (C.), section du Contentieux, 21 mars 2011, n° 306225). Cela est envisageable lorsque l’administration commet des erreurs dans les opérations d’établissement et de recouvrement de l’impôt qui ne comportent pas de difficultés particulières (CE, section 29 décembre 1997, n°151472, commune d’Arcueil, au Recueil Lebon). En ce qui concerne les contribuables, l’application du régime de la faute simple s’applique aux simples opérations qui n’ont pas du lien direct avec l’appréciation de la situation de celui-ci (CE, 31 octobre, 1990, n° 71073, au Recueil Lebon. CE, 13 mai 1991, n°67488 au Recueil Lebon. CE, sect. 19 nov., 1999, ministre délégué au Budget c/SARL Occases, n°184318 au Recueil Lebon). Pour conclure, le champ d’application de la responsabilité de l’État du fait de l’action des services fiscaux concerne deux types d’activités : les activités fiscales, notamment les opérations relatives à l’assiette de l’impôt, les opérations du contrôle et les rappels qui peuvent en résulter et les opérations du recouvrement de l’impôt. Il s’agit soit des erreurs purement matérielles (envoi de documents fiscaux concernant un contribuable à un tiers), soit des erreurs dans l’application de la législation fiscale. S’agissant des activités extra-fiscales, cela concerne tous les actes en relation avec l’activité fiscale, mais qui ne se rattachent ni au fond de l’impôt, ni à son recouvrement, et qui donnent lieu à réparation sur la base de la faute simple dans les conditions de droit commun. (BOI-CTX-RDI-30 du 4/12/2019.).
En ce qui concerne le préjudice, la victime doit démontrer l’existence d’un dommage qui est de nature à donner lieu à des réparations. En ce sens, le préjudice « conditionne au fond l’engagement de la responsabilité de l’auteur du fait dommageable et déterminera la mesure de qui sera réparé ». (PLESSIX (B.), Droit administratif général, LexisNexis, Paris, 4e éd., 2022, p. 1721.). Par ailleurs, les fautes commises par l’administration fiscale ne causent pas automatiquement un préjudice. Le contribuable ne peut pas s’en prévaloir comme un instrument tactique afin d’être indemnisé. Pour cela, le législateur a mis en place quelques mécanismes permettant de contrarier ces comportements, comme par exemple le sursis du paiement ou le sursis d’exécution de droit commun. C’est dans ce même ordre d’idées qu’il faut appréhender aussi l’article L. 207 du LPF qui prévoit que le contribuable dont la réclamation contentieuse est admise en totalité ou en partie ne peut prétendre à l’allocation de dommages et intérêts ou à des indemnités quelconques à l’exception des intérêts moratoires prévus par l’article L. 208 du LPF (il n’a pas droit non plus à la capitalisation des intérêts). De surcroît, l’existence d’un préjudice ne saurait résulter du seul paiement de l’impôt : « un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l’impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l’administration et, le cas échéant, des troubles dans les conditions d’existence dont le contribuable justifie ». ( CE, 21 mars 2011, n°306225, au Recueil Lebon). Il ressort de ce qui précède que, pour engager la responsabilité de l’État, le contribuable se trouve dans l’obligation de prouver l’existence d’un préjudice supplémentaire par rapport à l’imposition à laquelle il est assujetti. Ces préjudices sont nombreux et divers : « prise de sûretés réelles injustifiées et d’aliénations forcées de biens immobiliers ou mobiliers, liquidation judiciaire d’une entreprise, perte d’un fonds de commerce et indemnités versées au personnel, perte de revenus ou de droits, baisse de chiffre d’affaires avec la perte d’un client. Les frais liés aux procédures de recouvrement injustifiées ou la perte de valeur d’un bien saisi et vendu aux enchères sont l’accessoire d’un préjudice principal. L’atteinte à la réputation ou à l’honneur, la santé dégradée et d’une manière générale, les troubles dans les conditions d’existence constituent également des préjudices ».BOI-CTX-RDI-30 du 4/12/2019. ( CE, 11 juil. 1984, nos 45929 et 46285, société industrielle de Saint-Ouen au Recueil Lebon. CE, 3 août 2011, nos 307164, 307325 et 307432, ministre du Budget, de Comptes publics et de la Fonction publique c/société Dirland et consorts W., au Recueil Lebon. CE, 3 août 2011, Sté Euro Communication Équipement, n° 323237 au Recueil Lebon). Il en est de même en ce qui concerne les erreurs cumulées comme de simples maladresses ou inattentions (CE, 27 juillet 1997, SA des Établissements Bernstein, Droit fiscal, 1980, p.1416, Comm. Concl. Rivière). Pour cela, la victime doit fournir à l’appui de sa demande les pièces justificatives établissant la réalité du préjudice qu’elle estime avoir subi et d’en chiffrer le quantum de manière objective.
En définitive, pour donner lieu à réparation, le préjudice doit être imputable à l’administration, c’est à dire, « résulter de son fait ». (CE, 26 juillet, 1992, n°75558 au Recueil Lebon). Le contribuable doit démontrer que le préjudice est la conséquence directe de l’action fautive des services fiscaux. Le juge administratif avait déjà exclu expressément l’existence d’un lien de causalité direct en cas d’irrégularité de procédure, d’erreur de base légale ou d’appréciation incomplète ou imparfaite des faits (CE, 21 mars 2011, n° 306225. CAA, Paris, 30 avr. 2015, n° 13PA03066. CAA, Nantes, 29 octobre 2015, n° 14NT01696).
En l’espèce, le requérant soutient que l’administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en portant à sa connaissance, par l’intermédiaire de la proposition de rectification adressée au foyer fiscal, des informations relatives à l’activité occulte d’escort-girl de son épouse, couverte par le secret professionnel et le secret de l’instruction. Il résulte des dispositions de l’article L. 54 du LPF que les déclarations, les réponses, les actes de procédure faits par l'un des conjoints ou notifiés à l'un d'eux sont opposables de plein droit à l'autre, et que les personnes mariées soumises à une imposition commune sur les revenus perçus par chacune d’entre elles, en application du 1° de l’article 6 du code général des impôts, ne peuvent être regardées comme des tiers l’une envers l’autre pour les actes de la procédure d’établissement d’impositions établies au nom des époux. Il s’ensuit que l’administration n’a méconnu aucun principe, ni n’a commis aucune erreur dans l’application de la loi fiscale. De surplus, la cour a estimé que le préjudice n’était démontré ni dans son principe, ni dans son montant. De même, le lien de causalité entre les fautes alléguées et le préjudice invoqué n’est pas établi. En effet, la démonstration relative à la réparation du préjudice paraît fragile. Confrontés à l’approche empruntée par le juge administratif, qui s’avère protectrice de l’administration fiscale et pragmatique, les moyens soulevés par l’appelant ont été écartés. Dès lors, les conditions permettant d’engager la responsabilité de l’État n’étant pas établies, il s’avérait impossible pour le contribuable d’obtenir une quelconque indemnisation. Exemplaire sur le plan des principes, la cour administrative d’appel lyonnaise a conclu au rejet de la requête. Ce sont des éléments pertinents de l’encadrement de l’action en responsabilité par le juge administratif qui ont été mis en lumière par le présent arrêt et qui constituent des bornes à ne pas dépasser dans l’application des règles qui régissent ce type de contentieux.