De façon relativement inédite, le tribunal administratif de Grenoble avait, dans une première instance, homologué une transaction issue d’une procédure de médiation puis, dans une seconde instance, prononcé trois ordonnances de non-lieu pour les demandes initiales réglées à l’amiable. Toutefois, en raison de l’inexécution des engagements de l’une des parties, la cour administrative d’appel de Lyon annule les ordonnances de non-lieu et accepte que les requérants poursuivent leurs demandes initiales malgré l’homologation de la transaction.
Le syndicat de traitement des déchets Ardèche-Drôme (SYTRAD), en charge d'une installation de stockage de déchets non dangereux (ISDND) a conclu un bail emphytéotique administratif (BEA) avec les communes d'Epinouze, de Manthes, de Moras-en-Valloire et de Saint-Sorlin-en-Valloire le 15 décembre 2008. L’objet du bail était de mettre à disposition de l'exploitant les terrains nécessaires au stockage des déchets, dont elles sont propriétaires, moyennant le paiement d'une redevance par celui-ci. Sa durée était de 30 ans. Ce contrat comportait divers engagements des parties et notamment de la part de la commune de Saint-Sorlin-en-Valloire, un engagement de modifier son plan local d’urbanisme pour le rendre compatible avec le projet d’extension de l’installation. La commune n’ayant finalement pas respecté son obligation, le SYTRAD a résilié le bail et in fine cessé de régler ses redevances et d’exploiter l’installation. La commune de Moras-en-Valloire, qui ne percevait alors plus la redevance prévue, a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande en réparation du préjudice subi du fait de la méconnaissance des obligations contractuelles de la commune de Saint-Sorlin-en-Valloire. Elle a été suivie par les deux autres communes. Le SYTRAD a aussi contesté devant le juge administratif deux titres exécutoires émis par la commune de Saint-Sorlin-en-Valloire postérieurement à la résiliation du contrat et a parallèlement engagé sa responsabilité.
Saisi de l’ensemble de ces demandes, le tribunal administratif de Grenoble a proposé la mise en place d’une médiation1. Cette dernière a connu une issue positive puisqu’un accord a été conclu, sous la forme d’une transaction, entre l’ensemble des parties au BEA initial le 30 août 2019. Le SYTRAD a alors demandé l’homologation de l’accord au tribunal qui, par un jugement du 4 juin 2020, l’a accordée2.
Originalité, le tribunal a procédé à cette homologation dans une instance autonome (nous reviendrons sur ce point qui, à notre sens, est essentiel) au lieu de prononcer immédiatement le non-lieu… En effet, ce n’est que plus d’un an et trois mois après, que par trois ordonnances en date du 27 septembre 2021, le président de la troisième chambre du tribunal a constaté qu’il n’y avait plus lieu à statuer sur l’ensemble des requêtes initialement introduites. Il faut toutefois noter qu’il a prononcé ces ordonnances après avoir demandé aux parties si elles souhaitaient maintenir leurs conclusions (ce à quoi elles ont répondu positivement)3.
Ce sont ces ordonnances - et non le jugement d’homologation - que le SYTRAD et la commune de Moras-en-Valloire ont porté devant le juge d’appel. Ce dernier a décidé de rendre un unique arrêt puisque les trois requêtes initiales présentaient des questions semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune. Les appelants demandaient notamment à la cour d’annuler les ordonnances et de statuer sur leurs demandes initiales.
La question qui se posait ici était plutôt simple : est-ce qu’une transaction homologuée en cours d’instance rend sans objet la requête initiale ? Mais, la mécanique juridictionnelle mise en œuvre par le tribunal administratif - en séparant l’homologation du prononcé du non-lieu - a brouillé la solution.
En principe, il appartient au juge, après avoir fait droit à la demande d’homologation de la transaction, de constater un non-lieu à statuer sur la requête ou de donner acte du désistement des parties si un tel désistement était conditionné par l’homologation4.
Or, en l’espèce, la cour fait fi de l’homologation et annule les trois ordonnances de non-lieu, rendues postérieurement à l’homologation, et renvoie les parties devant le tribunal administratif de Grenoble pour que ce dernier statue sur leurs demandes initiales.
C’est cet aspect de l’affaire qui permet à la cour d’affiner la solution. En effet, il ressort de l’arrêt que les parties n’avaient pas formulé de désistement au cours des diverses instances. De plus, les termes de la transaction étaient non équivoques. Le SYTRAD et la commune de Moras-en-Valloire avaient conditionné leur désistement au respect de certaines conditions par la commune de Saint-Sorlin-en-Valloire. Cette dernière n’ayant pas respecté ses engagements la cour ne prend évidemment pas acte d’un désistement et s’inscrit dans la jurisprudence établie sur ce point. En effet, il faut rappeler que le Conseil d’État a jugé que les parties à la transaction doivent manifester expressément leur volonté de se désister5. Plus encore, dans une affaire similaire en date du 25 novembre 2008, il avait pu être jugé qu’il ne pouvait pas être donné acte d’un désistement puisque l’une des parties à la transaction avait « subordonné son désistement à l'exécution financière de la transaction » qui n’était pas intervenue au jour de la demande d’homologation6. Jusque-là rien de nouveau.
Néanmoins, en l’espèce, la cour refuse de confirmer le non-lieu prononcé par le juge de première instance. Il y a une scission évidente avec l’état jurisprudentiel antérieur. Néanmoins, à notre sens, cette scission n’est pas tellement due à la décision de la cour, mais plutôt à l’absence de prononcé d’un non-lieu à statuer en première instance au jour de l’homologation de la transaction. En effet, la conclusion d’une transaction éteint le différend entre les parties. De ce fait, le juge doit - s’il n’y a pas eu de demande de désistement - prononcer un non-lieu. Cela que la transaction soit présentée en dehors de toute demande d’homologation7 ou dans ce cadre8 y compris lorsque l’accord n’a pas été encore exécuté, et alors que l’une des parties avait subordonné son désistement à l’exécution financière de la transaction9.
Il faut en effet revenir à l’essence même de la transaction. L’article 2052 du code civil dispose très clairement (et l’arrêt rappelle que les parties ont fait référence à cette disposition dans leur accord) que « la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet ». Pour reprendre les propos du commissaire du Gouvernement Philippe Bissara, la transaction « met radicalement fin au litige »10.
Si les parties n’exécutent pas la transaction alors plusieurs voies s’ouvrent à elles. Elles peuvent rechercher la responsabilité contractuelle de la commune pour inexécution de la transaction11, ou alors déclencher les procédures d’exécution forcée de droit administratif qui sont ouvertes suite à l’homologation de la transaction12. D’ailleurs, dans cette affaire, il aurait été judicieux de mettre en œuvre les articles L. 911-1 ou -2 du CJA afin d’enjoindre à la commune de Saint-Sorlin-en-Valloire de respecter ses engagements (à savoir la mise en comptabilité du PLU et l’obtention d’une autorisation préfectorale) permettant in fine la réouverture de la déchèterie ; la poursuite de l’intérêt général aurait commandé une telle solution. Mais telle n’a pas été l’option choisie par le SYTRAD et la commune de Moras-en-Valloire qui ont préféré contester les ordonnances de non-lieu afin de rouvrir le différend indemnitaire initial.
Toute la difficulté naît ici, nous le martelons, de la déconnexion opérée par le tribunal administratif de Grenoble entre le jugement homologation et les ordonnances de non-lieu à statuer alors que la jurisprudence est pourtant claire : l’homologation accordée à une transaction en cours d’instance entraîne, en l’absence de désistement, le prononcé d’un non-lieu, y compris en cas de non réalisation de l’une des conditions de la transaction13. À notre sens, le juge de l’homologation qui ne tire pas cette conséquence automatique commet une erreur de droit. Cela étant, la cour n’a pas eu à se prononcer sur ce point puisqu’elle n’a pas été saisie du jugement d’homologation (comme le rapporteur public l’a très clairement rappelé) mais des ordonnances de non-lieu. En somme, la cour ne s’inscrit pas directement en opposition avec l’état jurisprudentiel sur les conséquences de l’homologation.
Néanmoins, elle n’aurait pas dû revenir autant sur les conditions du désistement et du non-lieu au regard de la procédure d’homologation comme elle le fait dans ses considérants 7 et 8. Elle aurait gagné en clarté à s’appuyer sur le fait majeur - rappelé par le rapporteur public - que les requérants avaient indiqué au juge, postérieurement à l’homologation, maintenir leurs prétentions en raison de l’inexécution de la transaction. En effet, s’appuyant sur la jurisprudence judiciaire14, la cour administrative d’appel de Toulouse a jugé en juillet dernier qu’une transaction est opposable « par l'une des parties, sous réserve toutefois que celle-ci en respecte les stipulations et se livre à son exécution »15. Au total, désistement ou non, le SYTRAD et la commune de Moras-en-Valloire pouvaient poursuivre leurs demandes initiales en raison de l’inexécution de ses engagements par la commune de Saint-Sorlin-en-Valloire.