Le délai de recours contre un avis de la commission départementale d’aménagement commercial, n'est pas un délai franc

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Décision de justice

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Mots-clés

Urbanisme commercial, Réglementation des activités économiques, Délai franc, Preuve, Courriel, L. 752-30 du code de commerce

Rubriques

Procédure, Urbanisme et environnement

Résumé

Le délai d’un mois ouvert, en application du deuxième alinéa de l'article L. 752-30 du code de commerce, pour introduire un recours contre un avis de la commission départementale d’aménagement commercial, n'est pas un délai franc1.

En cas de désaccord entre l’administration et un usager au sujet de la réception d’un échange électronique émanant de l’une ou de l’autre, et dans l’hypothèse où cet échange n’aurait pas emprunté une voie permettant de certifier les envois et réceptions de messages et documents, mais aurait pris la forme d’un simple courriel transitant entre l’adresse de contact par voie électronique de l’usager ou son conseil et l’adresse de contact mentionnée par l’administration, il y a lieu de considérer qu’un rapport de suivi de courriel émis par le serveur informatique hébergeant l’adresse de contact de l’envoyeur mentionnant la délivrance au serveur hébergeant l’adresse de contact du destinataire permet d’établir la réalité de l’envoi du courriel et de présumer sa réception par le destinataire. Il revient en effet au destinataire de s’assurer de la remise effective, par le serveur gérant sa boîte aux lettres électronique, des courriels qui lui sont adressés2.

En l’espèce, il y a absence de preuve de l’envoi.

La requérante fait valoir qu’elle a transmis son recours par courriel à la Commission nationale d’aménagement commercial, dans les délais requis, le 9 septembre 2021, à l’adresse prévue à cet effet. Pour établir la réalité de l’envoi, par son conseil, de ce courrier électronique et par suite celle du recours qu’elle a exercé, alors que la matérialité de ce courriel est contestée en défense par la SCI Héphaïstos, la requérante se borne à produire une copie de ce courrier électronique mentionnant en destinataire une adresse électronique sur le serveur hébergeant l’adresse de contact du destinataire et indiquant en objet « Recours CNAC contre avis CDAC 74 du 29 juillet 2021 », qui ne comporte aucune information quant à sa délivrance par le serveur informatique hébergeant l’adresse de contact du conseil de la requérante au serveur hébergeant l’adresse de contact de la Commission. Ainsi, l’ADCoTP ne justifie pas de la réalité de l’envoi à la Commission nationale d’aménagement commercial du recours exercé à l’encontre de l’avis rendu par la commission départementale d’aménagement commercial, le 21 juillet 2021 par voie électronique.

14-02-01-05, Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique, Réglementation des activités économiques, Activités soumises à réglementation, Aménagement commercial, Loi du 27 décembre 1973 modifiée
54-01-05, Procédure, Introduction de l'instance, Recours contre les décisions de la commission départementale d'équipement commercial, Délai franc, RAPO formé par voie électronique, Désaccord au sujet de la réception d'un échange électronique, Mode de preuve de la réalité de l'envoi du courriel

Notes

1 Cf, s’agissant du délai qui était alors de deux mois, CE, 11 février 2004, SARL centre de Jardinage Castelli Nice, n° 242849, p. 64. Retour au texte

2 Cf. CE, Avis, 18 octobre 2017, n° 412016, 412053, société Elaborados Metalicos Emesa SL et société Sea Chef Cruise Service GmbH, recueil Lebon, T., p. 592. Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Jean-Paul Vallecchia

rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.9179

Par arrêté du 13 janvier 2022 le maire de la commune de Scionzier, en Haute-Savoie, a délivré à la SCI Héphaistos, représentée par M. X., dont le siège est situé à Bourg en Bresse, dans l’Ain, un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, pour l’extension de l’ensemble commercial Val d’Arve, sur un terrain de près de 20.000 m² se trouvant au n°…en zone Ux du PLU communal, extension par la création de deux bâtiments composés de trois cellules commerciales d’une surface de vente de 1.009 m², portant ainsi la surface totale de vente de l’ensemble commercial à 16.432 m².

Ce projet avait donné lieu à un avis favorable, du 29 juillet 2021, par 7 voix pour et 1’abstention, de la commission départementale d’aménagement commercial (la CDAC) de la Haute-Savoie, avis contesté devant la commission nationale d’aménagement commercial (la CNAC) par l’Association pour la Défense du Commerce Traditionnel de Proximité et de Protection des Zones Agricoles Naturelles et Humides (l’ADCoTP).

La CNAC a, par décision du 25 novembre 2021, rendue à l’unanimité de ses six membres, considéré que le recours de l’ADCoTP était irrecevable en raison de la tardiveté de sa saisine, sur le fondement de l’article R.752-30 du code de commerce, qui fixe à un mois, à compter de la plus tardive des mesures de publicité de l’avis de la CDAC, ce délai de recours devant la CNAC, et l’ADCoTP n’ayant satisfait à cette obligation que par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 septembre 2021, alors que la publication la plus tardive de l’avis de la CDAC avait été réalisée dans le journal Le Dauphiné le 9 août 2021.

Nous pensons que vous devrez confirmer cette irrecevabilité.

En effet, pour l’association requérante, cette irrecevabilité ne pourrait être retenue car, la preuve de l’accomplissement, le 9 août 2021, des formalités de publicité de l’avis de la CDAC dans le quotidien Le Dauphiné ne serait pas rapportée, le recours préalable obligatoire contre l’avis de la CDAC ayant été réalisé par courriel du 9 septembre 2021, puis confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception le lendemain 10 septembre 2021, alors que le délai de recours d’un mois serait un délai franc ayant expiré le 10 septembre 2021 à 23h59. Ainsi, selon l’association requérante, tant la saisine par courriel du 9 septembre 2021 que celle du lendemain par lettre recommandée, seraient intervenues dans le délai prescrit par le code de commerce.

Les mesures de publicité prévues à l’article R. 752-19 du code de commerce ont été accomplies, dans le Recueil des Actes Administratifs spécial de la préfecture de la Haute-Savoie du 5 août 2021, dans l’hebdomadaire Eco Savoie Mont-Blanc n°31 couvrant la période allant du 6 au 12 août 2021 (seule la date du jour de la parution devant être prise en compte pour le décompte du délai de recours préalable obligatoire), et dans le quotidien Le Dauphiné du 9 août 2021. Ces publications sont justifiées. La publication la plus tardive est bien celle parue dans Le Dauphiné.

Le délai du recours préalable obligatoire devant la CNAC, qui est de deux mois pour le préfet, deux membres de la CDAC ou le pétitionnaire, et d’un mois pour un concurrent commercial, n’est pas, contrairement à ce que soutient l’ADCoTP qui se réfère au délai de recours contentieux devant la juridiction administrative, un délai franc : voyez effectivement sur ce point la décision du Conseil d’Etat n°242849 du 11 février 2004 SARL Centre de Jardinage Castelli Nice, citée par la société Héphaistos, qui traite de la question d’un recours préalable devant la CNAC contra un avis de la CDAC. Un délai franc expire à la date d’échéance du délai plus un jour, alors qu’un délai non franc, comme cela est le cas ici, expire simplement à la date d’échéance du délai. En conséquence, à l’égard de l’ADCoTP le délai du recours préalable ayant commencé à courir le 9 août 2021, il expirait le 9 septembre 2021 et non le lendemain 10 septembre 2021.

Ainsi, seul le courriel du 9 septembre 2021 adressé par la société Héphaistos à la CNAC pourrait être considéré comme ayant constitué un recours préalable non tardif, la lettre recommandée du 10 septembre 2021 ayant été transmise hors délai. Toutefois, si l’ADCoTP se réfère aux dispositions générales du code des relations entre le public et l’administration relatives à la saisine de l’administration par la voie électronique, il apparaît que, d’une part, la CNAC dispose d’un dispositif de communication par la voie dématérialisée qui lui est propre, la plateforme d’échange électronique dénommée SOFIE, et que, d’autre part, si l’ADCoTP a expédié son courriel à l’adresse « sec-cnac.dge@finances.gouv.fr », qui n’est pas celle du greffe de la CNAC (« greffe-cnac.dge@finances.gouv.fr ») communiquée à la SCI Héphaistos par la CNAC après la réception du recours enregistré le 10 septembre 2021, la société Héphaistos conteste l’envoi et la réception de ce courriel du 9 septembre 2021, ce à quoi vous devrez répondre, puisque l’ADCoTP n’a pas utilisé le dispositif sécurisé propre à la CNAC : voyez sur ce point l’avis du Conseil d’Etat n°s 412016 et 412053 du 18 octobre 2017 Société Elaborados Metalicos Emesa SL et Société Sea Chef Cruise Service GmbH. Or, force est de constater que l’ADCoTP ne justifie ni la réalité de l’envoi de ce courriel, ni la réalité de sa réception par la CNAC.

Vous devrez donc finalement considérer que le recours préalable du 9 septembre 2021 revendiqué par l’ADCoTP ne peut être pris en compte et que la CNAC a rejeté à bon droit son recours comme irrecevable. D’ailleurs, la circonstance que la CNAC mentionne dans son courrier à la SCI Héphaistos qu’elle a enregistré le recours de l’ADCoTP (le seul formé contre cet avis de la CDAC), le 10 septembre 2021, laisse penser qu’elle n’a pas réceptionné ce courriel du 9 septembre 2021.

Faute de recours préalable obligatoire, le recours devant vous de l’ADCoTP est également irrecevable et vous devrez le rejeter pour ce motif. Et vous pourrez mettre à sa charge une somme de 2.000 euros qui sera versée à la SCI Héphaistos et une somme identique qui sera versée à la commune de Scionzier, au titre des frais irrépétibles.

a commune de Scionzier plaide en faveur d’une amende pour recours abusif, qui est un pouvoir propre du juge. L’irrecevabilité que nous vous proposons de retenir, qui s’est jouée à un jour près, pouvait légitimement être discutée et ne nous paraît pas relever du champ de cette amende.

Le 30 septembre 2022 vous avez mis en demeure la CNAC de produire sa défense dans le délai d’un mois, ce qu’elle n’a pas fait, et ce qui implique qu’elle doit être regardée comme ayant acquiescé aux faits contenus dans les écrits de l’ADCoTP.

Tel est le sens de nos conclusions dans cette affaire.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Le régime des délais de recours devant la Commission nationale de l’aménagement commercial

Quentin Ricordel

Docteur en droit public

Enseignant contractuel à l’Université de Limoges

OMIJ – UR 14476

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DOI : 10.35562/alyoda.9092

Lorsque certains administrés souhaitent contester un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, ils doivent préalablement saisir la commission nationale de l’aménagement commercial d’un recours administratif dirigé contre l’avis de la commission départementale. La cour administrative d’appel de Lyon a rendu, le 1er décembre 2022, un arrêt dans lequel elle précise tant la nature du délai de recours ouvert que les modalités de saisine de la commission par voie électronique. Il apparaît, d’une part, que ce délai n’est pas franc – ce qui ne doit guère surprendre tant la solution est classique dans la jurisprudence administrative – et, d’autre part, que le requérant désireux de saisir la commission par un simple mail doit prendre la peine, en cas de contestation de la matérialité de son courriel, d’assortir sa requête d’un rapport d’envoi de son hébergeur.

Le régime des délais de recours n’est pas réputé pour son excessive simplicité. Les différents modes de computation, les possibilités variées de prorogation et la difficulté de s’assurer de la matérialité des évènements qui agissent sur son cours rendent délicat le calcul du délai imposé aux requérants désireux d’initier une action contentieuse. Cette complexité se traduit par l’abondante littérature consacrée à la question ainsi que par une jurisprudence inépuisable à laquelle la cour administrative d’appel de Lyon vient de contribuer par un arrêt du 1er décembre 2022, Association « Pour la défense du commerce traditionnel de proximité et de protection des zones agricoles naturelles et humides »1.

En l’espèce, la SCI Héphaïstos avait sollicité du maire de Scionzier la délivrance d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale afin d’étendre l’ensemble commercial qu’elle exploitait déjà. Elle pouvait s’appuyer sur un avis favorable de la commission départementale de l’aménagement commercial de la Haute-Savoie, rendu le 29 juillet 2021 et publié en dernier lieu le 9 août 2021. En réaction, l’association « Pour la défense du commerce traditionnel de proximité et de protection des zones agricoles naturelles et humides » avait formé un recours administratif devant la commission nationale de l’aménagement commercial par un mail et une lettre recommandée envoyés respectivement les 9 et 10 septembre 2021. À la suite du rejet de ce recours, considéré comme tardif par la commission, le maire de Scionzier avait délivré le permis demandé, par un arrêté du 22 février 2022.

L’association a attaqué cette décision devant la cour administrative d’appel de Lyon. Le contentieux de l’aménagement commercial constitue en effet l’un des domaines dans lesquels les cours administratives d’appel sont compétentes en premier et dernier ressort : le code de justice administrative leur offre ainsi de connaître « des litiges relatifs aux décisions prises par la commission nationale d'aménagement commercial en application de l'article L. 752-17 du code de commerce »2, ce qui inclut les décisions administratives qui leur sont connexes3, tandis que le code de l’urbanisme leur permet de statuer sur les « litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale »4. C’est ce dernier fondement qui justifiait de la compétence de la cour en l’espèce.

Avant d’apprécier le bien-fondé des conclusions de l’association, le juge administratif devait examiner une intéressante question de recevabilité tenant à l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire. C’est que la saisine de la commission nationale de l’aménagement commercial n’est pas une étape facultative pour le requérant désireux de contester un permis valant autorisation d’exploitation commerciale5. Les associations sont en effet bien au nombre des personnes, limitativement énumérées6, devant impérativement saisir la commission. Or, là où les recours administratifs facultatifs peuvent être librement exercés sans considération de délai – sous réserve que leur auteur n’entende pas proroger le délai de recours contentieux –, les recours préalables obligatoires sont enfermés dans des conditions nettement plus strictes7.

Le non-respect du délai entraînant l’irrecevabilité de la requête formée devant le juge administratif de la même manière que si le recours préalable obligatoire n’avait pas été exercé8, il s’agissait pour la cour de vérifier que la commission avait bien été saisie à temps. De ce point de vue, deux précisions sont nécessaires. D’une part, le point de départ du délai varie selon la qualité de son auteur. Pour les tiers autres que le préfet et les membres de la commission départementale, il s’agit de la dernière mesure de publicité9, soit en l’espèce sa publication dans Le Dauphiné Libéré du 9 août 2021. D’autre part, la jurisprudence assimile l’exercice d’un recours obligatoire à une demande au sens de la loi du 12 avril 2000. Cela signifie que, dans ce cadre – et contrairement aux recours juridictionnels10 et aux recours administratifs facultatifs11 – c’est la date d’envoi du recours et non celle de sa réception qui compte pour le calcul du délai12. Cette solution est d’ailleurs directement retenue par le code de commerce, qui dispose que « le respect du délai de recours est apprécié à la date d'envoi du recours »13.

Il appartenait donc à la cour de déterminer, d’une part, si le délai de recours devant la commission devait être regardé comme un délai franc, ce qui permettait d’admettre la recevabilité de la saisine de la commission par la lettre envoyée le 10 septembre et, dans le cas contraire, si le simple mail envoyé par l’association le 9 septembre pouvait suffire, à supposer qu’il existe, à valablement saisir l’autorité administrative.

Pour confirmer le caractère tardif de la saisine de la commission et rejeter la requête de l’association, la cour administrative d’appel de Lyon a rappelé que le délai courant devant la commission n’était pas un délai franc et exposé les conditions – notamment probatoires – dans lesquelles cette dernière pouvait être saisie par mail.

La confirmation claire du caractère non franc du délai de recours devant la CNAC

La distinction est classique : les délais de procédure sont francs, tandis que les autres ne le sont pas. Cela signifie que les délais ouverts devant les juridictions courent à partir du lendemain de leur point de naissance. Cette dichotomie, exposée dans tous les ouvrages consacrés à la question14, n’est pas toujours entièrement vérifiée. Elle soulève en outre une difficulté particulière à propos des recours préalables obligatoires, au regard de leur nature à la fois administrative et contentieuse.

La règle selon laquelle les délais contentieux sont francs est loin d’être immuable. Il faut se souvenir qu’elle trouve son origine dans un alignement de la procédure administrative contentieuse sur la procédure civile. L’article 1033 du code de procédure civile originel disposait en effet que « le jour de la signification ni celui de l'échéance ne sont jamais comptés pour le délai général fixé pour les ajournements, les citations, sommations et autres actes faits à personne ou domicile ». Sans jamais s’y référer explicitement, le Conseil d’État n’avait sans doute pas vu de raison de déroger à ce principe15. Cette autonomie formelle a pris un sens plus profond à la suite de l’adoption par le droit judiciaire de la règle du délai non-franc lors de la réforme de 197516, car le juge administratif a maintenu sa jurisprudence antérieure en consacrant à plusieurs reprises l’existence d’un délai franc17.

Bien qu’il soit la règle de droit commun, le délai franc n’est pas systématique devant le juge administratif. Les délais institués devant les juridictions spécialisées peuvent y échapper18, ainsi que les délais abrégés : les délais calculés en heures ne sont jamais francs19, tandis que ceux exprimés en jours ne le sont qu’occasionnellement. Par exemple, le délai de quinze jours pour contester une mesure de transfert d’un demandeur d’asile prononcée ailleurs qu’à la frontière n’est pas franc20, tandis que le délai de quinze jours pour contester une obligation de quitter le territoire français l’est21. Cela ne participe certainement pas à une bonne lisibilité du contentieux administratif.

C’est peu dire, donc, que la règle du délai franc ne s’applique qu’imparfaitement au contentieux administratif juridictionnel. L’on conçoit donc que son extension au recours administratif préalable obligatoire n’avait rien d’une évidence. C’est d’autant plus vrai qu’une telle solution aurait contrasté avec le reste de la jurisprudence, qui fait du délai franc une exception au sein de la procédure administrative.

Les délais administratifs sont non francs. C’est par exemple le cas des délais dans lesquels l’autorité administrative doit agir, par exemple pour s’opposer à une déclaration de travaux22. C’est aussi, bien sûr, le cas des délais impartis aux administrés pour accomplir une démarche, comme le dépôt d’un compte de campagne23 ou l’émission d’un avis sur un projet d’extension d’une convention collective24.

Il en va de même de certains délais qui, bien que s’inscrivant dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, ne sont pas assimilés par le juge à des délais de procédure. C’est notamment le cas du délai de recours contre une décision du bureau d’aide juridictionnelle25. C’est le cas, également, du délai pendant lequel l’administration peut se prévaloir de la responsabilité décennale d’un constructeur26.

Par principe, le Conseil d’État considère comme non francs les délais institués pour former un recours administratif, qu’il soit obligatoire ou non. Cette position est très clairement exprimée dans une décision Consorts Géral du 5 juin 1981, à propos du recours ouvert devant la commission départementale du remembrement contre les décisions rendues par la commission communale27. Alors que les requérants disposaient, comme en l’espèce, d’un délai d’un mois pour saisir l’autorité supérieure à partir de la publication de la décision litigieuse, le juge administratif a estimé que ce délai n’était pas franc. Cette ligne jurisprudentielle n’a pas été démentie par la suite28, tant et si bien qu’elle apparaît comme « une règle de droit commun »29 qui a logiquement été appliquée en matière d’aménagement commercial30.

Cela n’épuise cependant pas totalement la question de la nature du délai ouvert devant la commission nationale car le juge administratif a parfois pu considérer qu’un délai de recours administratif était franc. C’est le cas du délai de recours hiérarchique contre une décision d’un inspecteur du travail autorisant le licenciement d’un salarié protégé31. La situation n’est cependant pas transposable au contentieux de l’aménagement commercial, car il s’agissait de l’hypothèse, assez spécifique, d’un recours administratif facultatif enfermé dans un délai de deux mois. Or, il était assez net que ce délai avait été conçu pour s’accorder au délai de recours contentieux : il s’agissait simplement pour le pouvoir réglementaire de faire en sorte que l’épuisement de ce délai ne mette pas fin qu’à la faculté d’exercer un recours juridictionnel mais achève également l’entièreté de la procédure en fermant définitivement toute possibilité de contester la décision de l’inspecteur du travail. Rien de tel dans le recours devant la commission : non seulement le délai d’un mois ne correspond pas au délai de recours contentieux, mais surtout il n’entre pas en concurrence avec ce dernier puisqu’ils doivent impérativement être exercés successivement. Là où, dans le contentieux du licenciement des salariés protégés, le délai de recours administratif est également celui dans lequel peut être prorogé le délai de recours contentieux – ce qui exige qu’ils soient les mêmes – les deux délais sont entièrement décorrélés en matière d’aménagement commercial.

Par ailleurs, le délai pour former un recours préalable obligatoire n’échappe pas toujours au régime propre aux délais juridictionnels. Ainsi le Conseil d’État a-t-il étendu à ce type de recours sa jurisprudence M. Czabaj32. Dans l’absolu, il peut sembler curieux que le régime des délais des recours préalables obligatoires emprunte à la procédure juridictionnelle sans entrer en pleine concordance avec elle. Il faut toutefois se garder de surinterpréter la jurisprudence Ministre des Finances et des Comptes publics c/ M. Amar. D’abord, parce que celle-ci ne procède pas à un alignement parfait de la procédure administrative sur la procédure juridictionnelle, le délai raisonnable d’un an venant s’ajouter au délai ordinaire de recours et non s’y substituer. Ensuite, parce que l’extension du délai raisonnable au recours préalable obligatoire s’explique par l’incidence que peut avoir un délai illimité sur l’équilibre recherché en matière juridictionnelle par la décision M. Czabaj. Enfin, parce que cette solution témoigne assez mal de la tendance générale qui est plutôt au décloisonnement du recours préalable obligatoire avec la procédure contentieuse. Cette tendance est particulièrement manifeste dans la décision Garnier du 21 mars 200733, laquelle met un terme à la cristallisation des moyens dès la phase administrative du dossier et condamne l’idée selon laquelle le recours administratif obligatoire serait un préjugement du dossier juridictionnel. La solution de la cour administrative d’appel semble donc entièrement justifiée au regard de ces considérations.

Il n’apparaît pas inutile de rappeler qu’un délai expirant un samedi, un dimanche ou un jour férié est repoussé au jour ouvrable suivant34. Cette règle, transposable aux recours administratifs préalables obligatoires35, n’est pas affectée par le caractère non-franc du délai et devrait donc pleinement s’appliquer aux recours formés devant la commission nationale de l’aménagement commercial.

En l’espèce, la dernière mesure de publicité ayant été prise le 9 août 2021, le délai de recours commençait à courir immédiatement pour s’achever le jeudi 9 septembre 2021. La saisine de la commission par la lettre recommandée envoyée le 10 septembre 2021 était donc tardive. L’association soutenait pourtant l’avoir parallèlement saisie par mail dès le 9 septembre 2021. C’est sur la possibilité et, surtout, les modalités d’une telle saisine électronique que la cour devait ensuite statuer.

La précision nécessaire des modalités de saisine électronique de la CNAC

La saisine d’une administration par voie électronique s’est considérablement développée, à tel point qu’il semble difficile d’exiger des administrés qu’ils renoncent à ce mode de communication au profit du seul envoi postal. Pourtant, contrairement à la procédure administrative ordinaire, qui ne se veut pas formaliste, l’exercice d’un recours préalable obligatoire répond à certains impératifs qui rigidifient nettement les relations entre le public et l’administration.

En l’occurrence, le juge pouvait être arrêté par la rédaction du code de commerce, qui précise que « le recours est présenté au président de la Commission nationale d'aménagement commercial par tout moyen sécurisé »36. Or, il n’est pas tout à faire certain qu’un simple mail constitue un moyen sécurisé, contrairement à un envoi recommandé, électronique ou non. Il est vrai que le mail est considéré comme un moyen de communication suffisamment fiable pour pouvoir être employé dans les procédures de commande publique37. La cour administrative d’appel de Lyon a surmonté cette réserve en adoptant une position libérale qui, si elle doit être approuvée en ce qu’elle écarte un obstacle supplémentaire sur la voie déjà bien encombrée du requérant, renforce l’incertitude inhérente à la matérialité de l’envoi.

C’est d’ailleurs bien une telle question qui se posait en l’espèce. L’association soutenait en effet avoir saisi la commission par un mail expédié le 9 septembre 2021, soit dans le délai de recours. La défense contestait l’existence de cet envoi. Or, il est bien difficile pour le juge de se faire une idée exacte de ce qu’il s’est passé, car l’administration ne peut prouver qu’elle n’a pas reçu le mail et le requérant est, faute d’accusé de réception, placé dans l’impossibilité d’établir que son envoi a bien atteint son destinataire.

Dans ces circonstances, la cour a retenu une solution équilibrée en considérant qu’il appartenait au requérant de produire un rapport de suivi de courriel de son hébergeur indiquant que le message a bien été communiqué à l’hébergeur de la messagerie de l’administration. Cette solution repose sur l’idée, logique, que l’administration doit s’assurer auprès de son propre hébergeur que les messages qui lui sont transmis lui parviennent bien. L’arrêt de la cour s’inspire sur ce point de la jurisprudence du Conseil d’État en matière fiscale38 et fait œuvre constructive en l’étendant au régime du délai de recours.

En l’espèce, n’ayant produit qu’une copie de son mail, l’association n’établissait pas la réalité de son envoi et ne démontrait donc pas avoir valablement saisi la commission le 9 septembre 2021 par ce moyen-là. Peut-être, informée de ces exigences probatoires, aurait-elle pris la peine de produire le rapport d’envoi qui lui aurait permis, le cas échéant, de prouver l’existence de son message. À défaut, elle aura au moins la consolation de savoir que, dorénavant, les requérants seront mieux au fait des conditions d’exercice du recours devant la commission nationale de l’aménagement commercial.

Notes

1 CAA Lyon, 5e, 1er déc. 2022, Association « Pour la défense du commerce traditionnel de proximité et de protection des zones agricoles naturelles et humides (ADCoTP) », no 22LY01015. Retour au texte

2 Article R. 311-3 du code de justice administrative. Retour au texte

3 Par exemple : CE, 1re et 4e, 8 déc. 2021, Société Nobladis, no 438150, inédit. Retour au texte

4 Article L. 600-10 du code de l’urbanisme. Retour au texte

5 Article L. 752-17 du code de commerce ; pour le régime précédent où le recours devait être porté devant le ministre du Commerce : CE, 2e et 6e, 10 juin 1983, Delahaye et autre, no 13315, Lebon, p. 237 ; CE, 2e et 6e, 20 juill. 1988, Société GMB, no 70293, Lebon T., p. 944 ; obs. Jean-Bernard Auby, AJDA, 1989, p. 55. Retour au texte

6 CE, sect., 10 mars 2006, Société Leroy-Merlin, no 278220, Rec., p. 118 ; concl. Yves Struillou, Lebon, p. 120 ; note Bernard Poujade, B.J.C.L., 2006, p. 343 ; chron. Claire Landais, Frédéric Lenica, AJDA, 2006, p. 796 ; note Christine Carbonel, JCP E, 2006, no 24, p. 1081, no 1960 ; chron. Benoît Plessix, JCP G, 2006, no 25, p. 1233, no 150 ; note Hélène Gelas, D., 2006, p. 1237 ; chron. Christophe Guettier, RDP, 2007, p. 615. Retour au texte

7 CE, 1re et 6e, 4 nov. 2015, M. et Mme Boudina, no 384241, Lebon T., p. 791. Retour au texte

8 CE, sect., 25 juill. 1986, De Rothiacob, no 34278, Lebon, p. 215 ; concl. Philippe Martin, Droit fiscal, 1986, no 50, p. 1438. Retour au texte

9 Article R. 752-30 du code de commerce. Retour au texte

10 CE, 3e et 8e, 26 oct. 2001, Élections municipales de la commune de « Le Donjon », no 233290, Lebon T., p. 1084. Retour au texte

11 CE, 3e et 8e, 21 mars 2003, Préfet de police c/ Mme Xiaowei, no 240511, Lebon T., p. 905 ; concl. S. Austry, AJDA, 2003, p. 1345. Retour au texte

12 CE, 2e et 7e, 27 juill. 2005, Mme Houdelette, no 271916, Lebon, p. 355. Retour au texte

13 Article R. 752-30 du code de commerce. Retour au texte

14 Notamment : R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 13e éd., Montchrestien, 2008, p. 622, no 698-1o ; M. Guyomar, B. Seiller, Contentieux administratif, 4e éd., Dalloz, 2017, p. 319, no 694 ; O. Le Bot, Contentieux administratif, 9e éd., Bruylant, 2022, p. 236, no 432 ; R. Odent, Contentieux administratif, rééd., Dalloz, 2007, p. 849. Retour au texte

15 Parmi des exemples très nombreux : CE, 15 nov. 1950, Dame Birbin, n° 92119, Lebon T., p. 839 ; CE, 4 mai 1951, Barnoud, n° 7769, Lebon T., p. 798 ; CE, 8 juin 1951, Dame Bordenave, n° 818, Lebon T., p. 798 ; CE, sect., 4 juin 1954, Commune de Décines-Charpieu, n° 9041, Lebon, p. 336. Retour au texte

16 Décret n° 75-1123 du 5 décembre 1975 instituant un nouveau code de procédure civile ; article 642 du code de procédure civile. Retour au texte

17 CE, 1re et 4e, 14 nov. 1980, Ministre de la Santé et de la Sécurité sociale et Mme Divol, no 20858 ; note J. Barthélémy, AJDA, 1981, p. 487 ; très explicite : CE, 2e, 29 mai 1987, Commune de Goult, no 65605, Lebon T., p. 875. Retour au texte

18 CE, sect., 17 fév. 1978, Ministre de la Défense c/ dame veuve Castaing-Tailleur, no 08188, Lebon, p. 92. Retour au texte

19 Pour le délai de quarante-huit heures permettant de contester une OQTF : CE, 1re et 4e, 15 mars 1999, Pascal, no 200615, Lebon, p. 67 ; CE, 7e, 10 fév. 2006, Mme Oprea, no 273484, Lebon T., p. 901. Retour au texte

20 CE, 2e et 7e, avis, 1er juill. 2020, M. Lambert Saturday, no 438152, Lebon T., p. 607. Retour au texte

21 CE, 2e et 7e, avis, 30 juill. 2021, M. Hoseini, no 452878, Lebon T., p. 726. Retour au texte

22 CE, 3e et 8e, 17 sept. 2010, Commune de Saint-Baudille-de-la-Tour, no 316259, Lebon T., p. 608. Retour au texte

23 CE, 1re et 4e, 20 oct. 1993, Paré, no 146136, Lebon, p. 297. Retour au texte

24 CE, 1re et 4e, 6 nov. 2019, Fédération des entreprises de portage salarial, no 412051, Lebon T., p. 537. Retour au texte

25 CE, sect., avis, 28 juin 2013, M. Davodi, no 363460, Lebon, p. 185. Retour au texte

26 CE, 1re et 5e, 10 avr. 1970, Ville de Bordeaux c/ Carlu, no 77279, Lebon, p. 244 : le juge en déduit curieusement l’irrecevabilité des conclusions, alors que cette tardiveté devrait plutôt affecter leur bien-fondé. Retour au texte

27 CE, 1re et 4e, 5 juin 1981, Consorts Géral, no 09738, Lebon T., p. 864. Retour au texte

28 CE, 1re et 6e, 23 mars 2009, Caisse primaire d’assurance maladie Montpellier-Lodève, no 299534, Lebon T., p. 930. Retour au texte

29 R. Schwartz, « Délai non franc pour le recours administratif en matière d'équipement commercial », concl. sur CE, 4e et 5e, 11 fév. 2004, SARL Centre de jardinage Castelli Nice, AJDA, 2004, p. 1482. Retour au texte

30 CE, 4e et 5e, 11 fév. 2004, SARL Centre de jardinage Castelli Nice, no 242849, Lebon, p. 64 ; concl. R. Schwartz, AJDA, 2004, p. 1481. Retour au texte

31 CE, 4e et 5e, 19 sept. 2014, Société Ortec Méca, no 362568, Lebon T., p. 781 ; concl. G. Dumortier, Droit social, 2015, p. 25. Retour au texte

32 CE, Sect., 31 mars 2017, Ministre des Finances et des Comptes publics c/ M. Amar, no 389842, Lebon, p. 105 ; concl. B. Bohnert, Rec., p. 108 ; chron. A. Iljic, RJF, 2017, p. 747 ; note J.-L. Pierre, RDF, 2017, no 24, p. 64, no 351 ; note J.-P. Looten, Les nouvelles fiscales, 2017, no 1201, p 747. Retour au texte

33 CE, 2e et 7e, 21 mars 2007, Garnier, no 284586, Lebon, p. 128 ; note O. Guillaumont, DA, 2007, no 5, comm. no 78 ; note V. Renaudie, AJFP, 2007, p. 237. Retour au texte

34 Article 642 du code de procédure civile ; CE, 7e, 27 janv. 1950, Société X…, no 2578, Lebon, p. 60 ; CE, 28 juill. 1951, Baudequin, no 4368, Lebon T., p. 798. Retour au texte

35 CE, 8e, 17 juill. 2013, Société L’immobilière européenne des Mousquetaires, no 360779, inédit. Retour au texte

36 Article R. 752-31 du code de commerce. Retour au texte

37 CE, 2e et 7e, 3 oct. 2012, Département des Hauts-de-Seine, no 359921, Lebon T., p. 843 ; concl. B. Dacosta, BJCP, 2013, no 86, p. 9 ; note F. Linditch, JCP A, 2013, no 1, comm. no 2003 ; note J. Martin, AJDA, 2012, p. 2388. Retour au texte

38 CE, 3e et 8e, avis, 18 oct. 2017, Société Elaborados Metalicos Emesa SL et société Sea Chef Cruise Service GmbH, no 412016, Lebon T., p. 592 ; concl. B. Bohnert, Dr. fisc., 2018, comm. no 144 ; note C. Cassan, J. Rotkopf, Dr. fisc., 2018, comm. no 144. Retour au texte

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