Le litige dont vous aurez à connaître aujourd’hui concerne des titres exécutoires émis par l’ONIAM à l’encontre du centre hospitalier Villeneuve-de-Berg aux fins de remboursement de frais d’une expertise ayant été diligentée par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) concernant la prise en charge médicale de Mme A. par cet hôpital et le décès de celle-ci le 13 octobre 2012 à la suite d’une hémorragie.
Ce litige tel que présenté, faisant suite à une proposition formulée par l’assureur de ce centre hospitalier d’indemnisation amiable des ayants droit, ne semble pas avoir été déjà analysé par une autre cour administrative d'appel et a fortiori par le Conseil d’Etat. Vous serez donc précurseur concernant une telle problématique de remboursement portant sur la possibilité ou non pour l’ONIAM de demander à un centre hospitalier et non pas à l’assureur de celui-ci le remboursement de tels frais d’expertise.
Rappelons le contexte de ce litige.
Les ayants droit de Mme A. ont saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) Rhône-Alpes d’une demande d’indemnisation amiable concernant le décès de celle-ci. La CRCI a diligenté une expertise médicale confiée à deux médecins à savoir le Dr B., cardiologue et le Dr R. spécialisé en pharmacologie et en médecine générale aux fins de connaître les modalités de prise en charge de Mme A. et l’existence d’éventuelles fautes. Les experts ont retenu différentes fautes dans la prise en charge successive de Mme A. par le Dr Y, le centre hospitalier de Villeneuve-de-Berg et le centre hospitalier d’X. ayant entraîné respectivement des taux de perte de chance de 10%, 20% et 30%. La CRCI a validé cette analyse des experts et a invité les assureurs du Dr Y., du centre hospitalier Villeneuve-de-Berg et du centre hospitalier d’X. à présenter des offres d’indemnisation aux ayants droits de Mme A..
Par lettre du 7 juin 2017, l’avocat représentant le centre hospitalier Villeneuve-de-Berg et l’assureur de ce dernier a indiqué à l’ONIAM avoir adressé une offre d’indemnisation aux ayants droit.
Parallèlement les frais de l’expertise diligentée par la CRCI ont été mis à la charge de l’ONIAM en application de l’article L. 1142-12 du code de la santé publique qui dispose que « (…) L'Office national d'indemnisation prend en charge le coût des missions d'expertise, sous réserve du remboursement prévu aux articles L. 1142-14 et L. 1142-15. ».
L’ONIAM en se prévalant des dispositions de l’article L. 1142-14 du CSP a adressé au centre hospitalier-de-Berg deux titres exécutoires émis respectivement sous le n°2504 le 30 novembre 2018 d’un montant de 2050,70 euros concernant les frais de l’expertise confiée par la CRCI aux Drs R. et B. et sous le n° 2677 du 10 décembre 2018 d’un montant de 1210,70 euros pour le recouvrement des frais d’expertise du Dr R..
Le centre hospitalier de Villeneuve-de-Berg a contesté ces deux titres exécutoires auprès du tribunal administratif de Montreuil lequel a renvoyé cette requête au tribunal administratif de Lyon.
Par jugement du 2 février 2021, le tribunal administratif de Lyon a retenu une erreur de droit tenant à la circonstance que l’ONIAM a recherché un remboursement auprès du centre hospitalier et non auprès de l’assureur du centre hospitalier, ceci en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1142-14 du CSP. Les premiers juges ont annulé ces titres exécutoires et ont déchargé le centre hospitalier de Villeneuve-de-Berg de l’obligation de payer résultant de ces titres.
L’ONIAM fait appel de ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 2 février 2021.
Vous noterez que l’ONIAM après introduction de cet appel, a annulé le titre exécutoire n°2677 concernant le Dr R. dès lors que celui-ci faisait doublon avec le titre exécutoire n°2504. Mais étant donné que ce point ne constitue pas le cœur de la problématique qui vous est soumise, nous ne ferons pas de développement particulier sur cet élément.
L’ONIAM en appel soutient que les premiers juges en retenant une erreur de droit dans l’application de l’article L. 1142-14 du code de la santé publique, ont eu une lecture contraire à l’objectif du législateur de ne pas laisser en cas de faute d’un établissement hospitalier de sommes à la charge de l’ONIAM.
Toutefois, cette argumentation ne nous semble pas convaincante dès lors que les articles L. 1142-14 et L. 1142-15 du code de la santé publique nous semblent clairs dans leur formulation.
Dans le cas où l’assureur a formulé l’offre d’indemnisation amiable, il a une obligation en application de l’article L. 1142-14 du code de santé publique de rembourser les frais d’expertise payés par l’ONIAM. Les articles L. 1142-12 et L. 1142-14 du code de la santé publique indiquent ainsi respectivement pour le premier que « (…) L'Office national d'indemnisation prend en charge le coût des missions d'expertise, sous réserve du remboursement prévu aux articles L. 1142-14 et L. 1142-15 » et pour le second que : (…) L'assureur qui fait une offre à la victime est tenu de rembourser à l'office les frais d'expertise que celui-ci a supportés. (…). Si l’article L. 1142-14 précité évoque seulement la formulation d’une offre à la victime, il nous semble que la logique de cet article vaut également quand l’offre d’indemnisation amiable n’est pas faite à la victime mais est adressée à ses ayants droit si la personne est décédée. Vous noterez que cet article L. 1142-14 évoque seulement l’assureur du centre hospitalier et ne prévoit pas une quelconque indemnisation par le centre hospitalier lui-même.
L’article L. 1142-15 dispose quant à lui « [qu’] en cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. (…) l'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. (…) ».
Ici, eu égard à ce que nous vous avons exposé, il apparait clairement que vous ne vous trouvez pas dans le champ de l’article L. 1142-15 du code de la santé publique dès lors qu’une offre d’indemnisation a bien été formulée par l’assureur du centre hospitalier de Villeneuve-de-Berg.
Que ce soit en première instance ou en appel, l’ONIAM ne fait mention d’aucune disposition législative ou règlementaire lui permettant dans la configuration décrite de demander un tel remboursement de frais d’expertise au centre hospitalier ayant commis une faute dans la prise en charge du patient.
Dès lors, nous vous invitons à confirmer l’analyse du tribunal administratif de Lyon selon laquelle l’ONIAM ne pouvait, sur le fondement des dispositions de l’article L. 1142-14 du code de la santé publique, mettre à la charge du centre hospitalier de Villeneuve-de-Berg les frais d’expertise qu’il a supportés.
Par suite, comme l’a jugé le tribunal administratif, une telle erreur de droit entraînait l’annulation des titres exécutoires en litige.
Nous concluons donc au rejet des conclusions de l’ONIAM à fin d’annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon.
Nous précisons que pour recouvrer de tels frais d’expertise, et vu les informations mentionnées dans la lettre du 7 juin 2017 reçue par l’ONIAM, il appartenait à cet établissement (ou à son avocat) de contacter soit l’avocat auteur de la lettre du 7 juin 2017 pour connaître le nom et les coordonnées de l’assureur du centre hospitalier de Villeneuve-de-Berg soit de contacter ce même centre hospitalier pour lui demander la transmission des mêmes informations. Il semblerait également utile et de bonne pratique que dans le cadre de l’expertise menée par la CRCI figure expressément le nom et les coordonnées des assureurs des différentes parties concernées de manière à éviter que se renouvelle une telle situation atypique laquelle n’est pas satisfaisante en matière de bonne gestion des deniers publics. Nous sommes cependant confiants dans l’appropriation par l’ONIAM de l’apport jurisprudentiel ainsi réalisé par notre cour sur la lecture de l’article L. 1142-14 du CSP et d’une attention plus grande qui sera désormais portée sur la connaissance du nom de l’assureur ayant proposé une offre d’indemnisation amiable.
Il vous restera à statuer sur les conclusions formulées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. L’ONIAM étant partie perdante, vous ne pourrez que rejeter ses conclusions contre le centre hospitalier de Villeneuve-de-Berg. En revanche, vous pourrez mettre à la charge de l’ONIAM une somme de 1500 euros à verser au titre de ce même article au centre hospitalier de Villeneuve-de-Berg.