Réparation des préjudices résultant de l’occupation illégale d’une dépendance du domaine public communal par l’Etat

Lire les conclusions de :

Lire les commentaires de :

Décision de justice

TA Clermont-Ferrand – N° 2000555 – commune d'Yssingeaux – 06 octobre 2022 – C

Requête jointe n° 2201000

Juridiction : TA Clermont-Ferrand

Numéro de la décision : 2000555

Date de la décision : 06 octobre 2022

Code de publication : C

Index

Mots-clés

Biens des collectivités territoriales, Domaine public communal, Occupation du domaine public, L. 1311-2 du CGCT

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

Dans le cadre de la réalisation d’une opération d’intérêt général liée aux besoins de la gendarmerie nationale au sens de l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales, la commune d’Yssingeaux (Haute-Loire) a conclu trois contrats. Le dernier de ces contrats, conclu le 4 janvier 2010, a pour objet de mettre à disposition de l’Etat des locaux à usage de gendarmerie construits sur deux parcelles appartenant à la commune et incorporées dans son domaine public.

Le tribunal administratif estime tout d’abord qu’un tel contrat comporte occupation du domaine public au sens de l’article L. 2331-1 du code général des collectivités territoriales et admet donc sa compétence pour connaître des deux actions en responsabilité engagées par la commune d’Yssingeaux et tendant à ce que la responsabilité de l’Etat soit engagée du fait du non versement de sommes d’argent en réparation de préjudices résultant de l’occupation illégale de son domaine public du fait de l’expiration du contrat autorisant cette occupation.

Le tribunal administratif estime ensuite, après avoir rappelé que nul ne peut occuper une dépendance du domaine public sans disposer d’un titre l’y habilitant et qu’une convention d’occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit, qu’au cas présent, le contrat conclu entre la commune d’Yssingeaux et l’Etat le 4 janvier 2010 a pris fin le 30 novembre 2018 et n’a pas été expressément renouvelé. Il en déduit donc que l’Etat occupe sans droit ni titre depuis le 1er décembre 2018 l’ensemble immobilier situé sur les deux parcelles appartenant à la commune et que cette occupation illégale constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Il condamne alors l’Etat à verser à la commune d’Yssingeaux une indemnité compensant les revenus que la commune aurait pu percevoir si l’Etat avait régulièrement occupé l’ensemble immobilier entre le 1er janvier 2019, date de départ sollicitée pour l’indemnisation, et la date du jugement.

135-01-03, Collectivités territoriales, Dispositions générales, Biens des collectivités territoriales.

Conclusions du rapporteur public

Nathalie Luyckx

rapporteure publique au tribunal administratif de Clermont-Ferrand

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/alyoda.8706

Dans le cadre des dispositions de la loi du 29 août 2002 dite LOPSI I, insérant à l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales la possibilité pour les communes d’assurer la construction de locaux pour la police et la gendarmerie notamment, par le biais de baux emphytéotiques administratifs (BEA), la commune d’Yssingeaux a conclu le 22 février 2008 avec la société Foncière Ferrus, à laquelle s’est plus tard substituée CDC Habitat, un bail emphytéotique administratif d’une durée de quarante ans, par lequel le cocontractant de la commune s’engageait, moyennant une redevance d’un euro, à construire sur un terrain lui appartenant une caserne de gendarmerie comprenant quarante-cinq logements, des locaux de service et des locaux techniques.

Il a été conclu parallèlement avec cette société, pour une même durée, une convention dite « de mise à disposition » des locaux à construire, au profit de la commune, qualifiée de preneur, en vue de leur mise à disposition secondaire au service de la gendarmerie nationale. Par cette convention, la commune s’engageait à verser à cette société un loyer, appelé « redevance », de 558 000 euros annuel.

Enfin, par une convention tripartite intitulée « bail de sous-location de la caserne d’Yssingeaux », signé le 4 janvier 2010, la Société Nationale Immobilière (SNI), substituée à la société Ferrus, et la commune, ont mis à disposition de l’Etat les locaux de gendarmerie pour une durée de neuf ans à compter du 1er décembre 2009, moyennant un loyer, à verser à la commune, de 558 000 euros, payable trimestriellement et révisable triennalement selon l’évolution de l’indice du coût de la construction publié par l’INSEE.

C’est le non-renouvellement de ce dernier contrat, qui prenait fin le 30 novembre 2018, en raison de l’échec des négociations entre la commune et l’Etat sur le prix du loyer, qui conduit la commune à venir devant vous aujourd’hui. Car dans l’attente du renouvellement du bail, l’Etat a cessé tout bonnement de verser ses loyers. Par plusieurs demandes indemnitaires adressées au ministre de l’intérieur et au ministre des comptes publics, la commune a réclamé à l’Etat le paiement de sa créance. En présence de décisions de rejet expresses et implicites, elle vous a saisi, par les deux requêtes appelées ce jour, de demandes de condamnation de l’Etat, à titre principal, pour occupation irrégulière du domaine public, et subsidiairement, sur le fondement contractuel, ainsi que sur le fondement d’un préjudice financier et moral.

En cours d’instance, et à la suite de décisions du juge des référés-provision, l’Etat a versé une partie des sommes demandées. Dans le dernier état de ses écritures, et en particulier dans sa deuxième requête introduite en régularisation de la première, la commune vous demande de condamner l’Etat à lui verser la somme totale de 1 543 859 euros (ou 2 606 661 euros en « brut », non compris les sommes déjà versées par l’Etat), assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, sous astreinte, pour la période allant du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2022.

En tout premier lieu, vous aurez à examiner l’exception d’incompétence de la juridiction administrative opposée par le ministère de l’économie.

Sur le premier fondement, le défendeur n’allègue même pas que les locaux n’appartiendraient pas au domaine public par l’effet de leur affectation au service public de la gendarmerie. Il ne se prévaut que de ce que le contrat n’est pas qualifié de « convention d’occupation du domaine public ».

Selon l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique … est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. »

Nous n’avons aucun doute au sujet de l’appartenance au domaine public résultant de l’affectation des biens en cause au service public de la gendarmerie, y compris en ce qui concerne les logements de la caserne, une telle affectation étant l’objet même du montage contractuel, et étant toujours effective (CE, 07 mai 2012, 342107, A).

Certes, le BEA a pour effet de transférer la propriété des biens construits par l’emphytéote à la personne publique seulement à l’issue du bail. Mais, ainsi que l’avait jugé le Conseil d’Etat dans sa décision CE, Association Eurolat Crédit Foncier de France, 06 mai 1985, 41589, A, le fait de confier à un personne privée par un tel bail la réalisation sur un terrain lui appartenant d’un bâtiment destiné à accueillir un service public, a pour effet d’attraire l’ensemble des immeubles dès cette décision dans le domaine public de la commune. Cette théorie du domaine public virtuel, mise à mal par l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) le 1er janvier 20071, se trouve en quelque sorte réactivée par les dispositions de l’article L. 1311-2 du CGCT concernant le BEA « police et gendarmerie ».

Celles-ci disposent en effet qu’« un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural, en vue … de l'affectation … liée aux besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales », et que : « Un tel bail peut être conclu même si le bien sur lequel il porte, en raison notamment de l'affectation du bien résultant soit du bail ou d'une convention non détachable de ce bail, soit des conditions de la gestion du bien ou du contrôle par la personne publique de cette gestion, constitue une dépendance du domaine public, sous réserve que cette dépendance demeure hors du champ d'application de la contravention de voirie. »

Enfin, si vous deviez juger que le litige a trait à l’exécution du contrat de bail passé entre la commune et l’Etat, un contrat passé entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif, sauf à ce que l’objet même du contrat soit de nature privée, ce qui n’apparaît pas en l’espèce (CE, UGAP, 03 novembre 2003, 238008, A). La circonstance que le bail fasse référence au code civil n’est pas à cet égard un motif d’exclusion du caractère administratif du contrat (celui-ci fait d’ailleurs aussi référence au code du domaine de l’Etat pour tous les litiges pouvant provenir de son exécution).

Enfin, comme nous l’avons dit, ce contrat porte nécessairement sur l’occupation du domaine public. Et bien évidemment, quelle que soit la qualification retenue par les parties, il est de jurisprudence constante que ce type de contrats, comme les contrats qui y sont accessoires, relèvent de la juridiction administrative (TC, EPIC Pays de Fontainebleau Tourisme, C4213, A).

Ainsi, quel que soit le fondement que l’on admette, le litige apparaît ressortir à votre compétence.

Au fond, la commune présente sa demande principalement sur le régime des autorisations sans titre du domaine public, et subsidiairement sur le fondement contractuel de la convention signée le 4 janvier 2010 avec l’Etat. En vérité, il convient d’abord d’examiner le fondement contractuel, qui primerait sur le reste, le cas échéant.

Il est constant que ce contrat de bail n’a pas été renouvelé expressément depuis l’expiration de la durée initiale de 9 ans prévue au contrat. La clause relative au renouvellement stipulait, de manière il est vrai assez obscure, que : « A l’issue de la présente sous-location, et sauf intention contraire de l’une des parties, notifiée à l’autre partie, au moins six mois à l’avance, la poursuite de la location sera constatée par des baux successifs de même durée, dans la limite de la durée de la convention. Le nouveau loyer sera alors estimé par le service de France Domaine en fonction de la valeur locative réelle des locaux (…) ».

Vous savez que, en vertu de l’effet relatif des contrats, ceux-ci doivent s’interpréter conformément à la volonté des parties. Or sur ce point, les parties s’accordent à interpréter cette clause comme ne permettant pas le renouvellement tacite de l’engagement, mais qu’il s’agit bien d’une clause obligeant les parties à renégocier le loyer au moyen d’un nouveau contrat à l’issue de la période contractuelle initiale de 9 ans.

L’autre raison faisant obstacle à l’existence d’un renouvellement tacite, qui serait objectivé par le fait que la commune a laissé la gendarmerie occuper les locaux malgré l’expiration du contrat, est relative aux règles d’utilisation du domaine public. Il résulte tant de la jurisprudence en la matière que des règles énoncées désormais à l’article L. 2122-1 du CG3P, que « l'existence de relations contractuelles autorisant l'occupation privative (du domaine public) ne peut se déduire de sa seule occupation effective, même si celle-ci a été tolérée par l'autorité gestionnaire et a donné lieu au versement de redevances domaniales. Une convention d'occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit. » (CE, société immobilière du port de Boulogne (SIPB), 19 juin 2015, 369558, A). Nous sommes d’ailleurs confortée dans notre analyse par la référence faite à cet arrêt par Mme la Rapporteure publique sous l’arrêt CE, société nationale immobilière, 07 décembre 2015, 375643, dans une affaire concernant le même type de montage fondé sur un BEA à destination des services de gendarmerie de Montbazon.

Le fondement contractuel de la créance paraît dès lors devoir être écarté, dès lors qu’il est constant que le contrat était devenu caduc depuis le 1er décembre 2018.

Dans ces conditions, le fondement de l’indemnité pour occupation sans titre du domaine public peut être utilement invoqué par la commune.

Sur ce fondement, « Une commune est fondée à réclamer à l'occupant sans titre de son domaine public, au titre de la période d'occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu'elle aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période. A cette fin, elle est fondée à demander le montant des redevances qui auraient été appliquées si l'occupant avait été placé dans une situation régulière, soit a) par référence à un tarif existant, lequel doit tenir compte des avantages de toute nature procurés par l'occupation du domaine public, soit b), à défaut de tarif applicable, par référence au revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu'aurait pu produire l'occupation régulière de la partie concernée du domaine public communal. ». (CE, commune de Moulins, 16 mai 2011, 317675, A)

De prime abord, il peut sembler inapproprié, voire choquant, de considérer que la gendarmerie serait un occupant irrégulier dans les bâtiments construits précisément pour ses besoins – ce qui est contesté par l’Etat. Toutefois, l’indemnité pour occupation irrégulière du domaine public doit être comprise, et a fortiori dans ce contexte, non comme une sanction, mais seulement comme une indemnité de droit pour la personne publique propriétaire, destinée à compenser l’abandon de valeur découlant de toute occupation de fait.

Sur son montant, les parties s’opposent sur le critère à prendre en compte pour déterminer cette valeur. Lors de la phase de renégociation de la convention, l’Etat se prévalait d’un avis du service des domaines du 20 décembre 2018 évaluant la valeur locative de l’ensemble immobilier à 390 000 euros (après l’avoir évalué à l’origine à 510 000 euros, avec une « marge de négociation de 10 à 15 % »). La commune, qui paye un loyer (hors révision) de 558 000 euros à la CDC Habitat, entendait maintenir cet étiage, pour s’assurer d’une opération blanche, où il est vrai elle ne devait être que l’intermédiaire entre la société bailleresse et l’Etat. La commune vous produit également une « contre-expertise » réalisée par le cabinet Cushman et Wakefield estimant à 600 000 euros la valeur locative du bien.

Cette indemnité doit-elle être forcément fixée par référence à une valeur de marché ?

La notion de prix de marché peut dans certains cas paraître inadaptée compte tenu de la spécificité des locaux affectés aux services publics, et a fortiori des besoins de la gendarmerie nationale. Or, si cette valeur de marché a pu être utilisée dans une jurisprudence ancienne, CE, 11 octobre 2004, 254236, B, affirme au contraire que ce critère n’est plus impératif, et qu’il appartient au juge de vérifier seulement si le montant de la redevance n’est « pas excessif, compte tenu de l'avantage que le redevable est susceptible de tirer de l'occupation de la dépendance ». L’arrêt Commune de Moulins (prec.) précise que le tarif peut être fixé soit par référence à un tarif existant de même nature, soit, à défaut de tarif applicable, par référence au revenu, tenant compte des mêmes avantages, qu'aurait pu produire l'occupation régulière. Le rapporteur public y indiquait que « Ce n’est qu’à titre subsidiaire et indicatif que le juge peut rechercher si ce montant est ou non supérieur à la valeur locative d’une propriété privée comparable à cette dépendance », tout en reconnaissant que l’opération est souvent malaisée compte tenu de la nature des biens.

En l’espèce, nous pensons que c’est bien par référence au loyer applicable antérieurement à la rupture des relations contractuelles que vous pouvez, en l’espèce, déterminer le montant des indemnités d’occupation dues par l’Etat. Non pas en faisant application directe du contrat lui-même bien sûr, puisqu’il est caduc. Mais par référence au revenu dont la commune a été effectivement privée pendant la période en cause – et sur lequel d’ailleurs l’Etat avait donné son accord initialement... Sur l’application d’un loyer antérieurement contractuellement défini, voyez par exemple CAA Marseille 12MA00573, 6 mai 2014 ou 17MA04707 ou CAA Nancy, 19NC03226, 30 mars 2022 .

Il ne s’agit pas non plus pour autant, contrairement à ce que soutient l’Etat, de rendre opposable le BEA et la convention de mise à disposition conclus entre la commune et la société immobilière. Mais si ces diverses conventions ne lui sont effectivement pas opposables, elles forment bien un tout indissociable dans le cadre de l’opération de construction de la caserne de gendarmerie d’Yssingeaux. Cela n’exclut pas non plus la possibilité de renégociation contractuelle du loyer pour l’avenir.

L’Etat ne peut non plus utilement se prévaloir des clauses du contrat relatives au renouvellement, dès lors que celui-ci est caduc. Il ne soutient pas non plus, en tout cas pas expressément, que le montant de l’indemnité d’occupation réclamé par la commune serait excessif. Il ne ressort en tous les cas pas des pièces qui sont versées au débat, dont le seul avis des Domaines ne peut constituer la référence absolue, qu’un tel prix serait excessif par rapport à la valeur de marché.

Nous vous proposons donc de faire droit à la demande de la commune en ce qui concerne la fixation d’une indemnité d’occupation du domaine public sur la période en cause, fixée selon le dernier montant du loyer revalorisé en fonction de l’indice de l’INSEE.

(…)

Il n’y a pas lieu d’ajouter à cette somme les montants de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, dont le remboursement relève d’un fondement purement contractuel, celui-ci étant d’ailleurs aussi prévu dans la convention de mise à disposition signé entre la commune et la société bailleresse et mis à la charge de la commune. (…)

Enfin, la commune demande également l’indemnisation de préjudices financier et moral.

Vous observerez cependant qu’elle n’explicite pas sur quel fondement elle entend engager la responsabilité de l’Etat à cet égard. Le préjudice financier invoqué semble lié à l’absence de versement des loyers par l’Etat, et ne se distingue donc pas du préjudice devant être réparé sur le fondement d’une créance d’occupation du domaine public. La commune invoque seulement l’incidence du recours à une ligne de crédit, évaluée sur la base d’une simple « simulation ». Le caractère certain de ce chef de préjudice n’est donc pas établi.

S’agissant du préjudice moral, pour lequel la commune réclame un montant de 100 000 euros, elle n’en justifie pas non plus l’existence, invoquant à la fois une « perte de chance de réaliser des investissements en 2020 et 2021 », ce qui reste bien flou. Cette demande sera également rejetée.

Par ces motifs, nous concluons à la condamnation de l’Etat à verser à la commune d’Yssingeaux, pour la période allant du 1er décembre 2019 au jour du jugement, une somme calculée selon un loyer annuel de 632 872 euros, sous déduction des sommes provisionnelles déjà versées au jour du jugement, cette somme augmentée des intérêts moratoires et de leur capitalisation et à ce qu’une somme de 1500 euros soit mise à la charge de l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu’au rejet du surplus.

Notes

1 C. Maugüe et G. Bachelier, Genèse et présentation du code général de la propriété des personnes publiques, AJDA 2006 p.1073. Retour au texte

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

L’État, occupant sans-titre

Christophe Roux

Professeur de droit public, Directeur de l’EDPL, Université Jean Moulin Lyon 3

Autres ressources du même auteur

  • UNIVDROIT
  • IDREF
  • ISNI
  • BNF

DOI : 10.35562/alyoda.8855

Le statut de l’occupant sans-titre du domaine public est invariable, que le contrevenant soit une personne morale de droit public ou une personne privée : en conséquence, l’État se doit, sans préjudice du déploiement éventuel de la police répressive, d’acquitter les redevances qu’un occupant régulier aurait dû régler au titre de sa période d’utilisation irrégulière.

L’État serait-il (occasionnellement) squatteur du domaine public local et (accessoirement) mauvais payeur ? Au regard du caractère – à notre connaissance – inédit du présent jugement, on aura quelque mal à valider l’idée mais les exceptions qui confirment la règle possèdent toujours une saveur (juridique) particulière, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand venant ici étendre à l’État – fautif – les règles traditionnelles applicables aux occupants sans titre et, entre autres, celles relatives à l’indemnité exigible compensant les loyers non-perçus lors de la période d’occupation irrégulière. De ce point de vue, la décision méritera donc une attention soutenue. D’une part, car le droit positif n’est pas avare « d’accommodements domaniaux » dans le cadre des relations patrimoniales « publiques-publiques », comme en témoigne notamment les conditions de circulation des biens entre patrimoines publics (régime des biens sans maître ; décentralisation patrimoniale ; cessions de biens faisant partie du domaine public ; aménagement au principe d’incessibilité à vil prix…). D’autre part car, parmi les personnes publiques, l’État jouit incontestablement de règles spécifiques et – schématiquement – plutôt favorables si on veut bien les comparer à d’autres, l’ensemble témoignant du maintien de sa propriété « éminente » (X. Bioy, La propriété éminente de l’Etat, RFDA, 2006, p. 963). Ainsi de la captation préférentielle ou exclusive de certains biens (domaine public maritime naturel, domaine public hertzien…) ; du monopole sur l’expropriation (Ch.-S. Marchiani, Le monopole de l’Etat sur l’expropriation : LGDJ, 2008) ; des poursuites en matière de répression quasi-pénale du domaine public (v. Ph. Yolka, Le couteau de Lichtenberg : remarques sur la protection pénale du domaine public : AJDA 2009, p. 2341 – S. Niquège, Propriété publique et droit pénal, in AFDA, La propriété publique, Dalloz, 2020, p. 251) ; des droits réels accordés par principe dans le cadre de l’utilisation privative (CGPPP, art. L. 2122-6) ; de la mise à disposition et des occupations domaniales gratuites (CGPPP, art. L. 2125-1) ; ou, encore, de la mobilisation du foncier local et des formes contractuelles complexes pour les besoins de son action…

C’est précisément aux confins de ces éléments que se love le contentieux dont avait à connaître le tribunal auvergnat, celui-ci venant par là-même tempérer le particularisme « étatique » des règles domaniales en promouvant une approche tout à la fois unitaire, homogène… et, à notre sens, salutaire et cohérente. En l’espèce, un bail emphytéotique administratif (CGCT, art. L. 1311-2 ; CGPPP, art. L. 2341-1) avait été conclu en 2008 (pour une durée de 40 ans) entre la commune d’Yssingeaux et une société foncière en vue de la construction d’une caserne de gendarmerie comprenant également des logements et locaux techniques (sur l’instrument, v. J.-B. Auby, Le bail emphytéotique sur le domaine public : CJEG, 1990, p. 67 ; G. Eckert, Bail emphytéotique administratif : JCl. Contrats et Marchés Publics, fasc. 610, 2017 ; Ch. Lavialle, L’article 13 de la loi du 5 janvier 1988 et l'évolution du droit de la domanialité publique : CJEG, 1988, p. 163 ; S. Plunian, La réception du bail emphytéotique administratif par le droit des contrats administratifs, in Contrats Publics. Mél. Michel Guibal, t. I : PU Montpellier, 2006, p. 719 ; J.-J. Bienvenu, L’esprit et les formes sur le bail emphytéotique : in Mélanges L. Richer, LGDJ, 2013, p. 493). L’opération prenait alors cadre dans une de ramifications les plus connus du BEA, le « BEA-sécurité », dont l’instrumentalisation fut prolongée à plusieurs reprises. L’on sait que la formule contractuelle, depuis l’adoption de l’article 101 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, est en nette perte de vitesse, celle-ci ne pouvant (plus) avoir pour objet « l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique », faute de risquer la requalification en contrats de la commande publique (v. G. Clamour, Le sort des contrats domaniaux, in Les ordonnances marchés et concessions : RFDA 2016, p. 270 ; F. Llorens et P. Soller-Couteaux, Conventions domaniales : quel avenir pour les AOT et les BEA après l'ordonnance du 23 juillet 2015 ? : CMP 2016, repère 1). En bref, c’est dire que, depuis lors, un BEA doit prendre corps dans une opération d’intérêt général… mais en vue de satisfaire le seul titulaire du bail, ce qui complique nettement l’équation ; vraisemblablement, l’hypothèse ici commentée ne serait donc plus envisageable.

La parenthèse refermée, le BEA devait être assorti parallèlement d’une convention de mise à disposition (contre 558 000 € annuels) des ouvrages au profit de la municipalité laquelle, dans un second temps, en consentait la jouissance à l’État par convention (improprement dénommée « bail de sous-location de la caserne d’Yssingeaux »). Convention signée pour une durée de 9 ans et arrivant à échéance fin 2018, par laquelle l’État s’engageait à lui verser la même somme, la collectivité faisant, par là-même, une opération « blanche ». Cependant, à l’achèvement de cette convention, les négociations (sur le montant – à la hausse – du loyer) pour entériner son renouvellement allaient échouer, l’État décidant toutefois de se maintenir dans les locaux… sans acquitter la totalité des redevances afférentes. Pour parvenir au résultat déjà exposé (et parfaitement en phase avec les conclusions de la rapporteure publique), le tribunal clermontois devait donc braver trois difficultés à l’intensité toutefois diverse : en premier lieu, justifier de sa compétence, l’État invoquant – la mauvaise foi allant de pair… – la nature privée du titre d’occupation consenti (I) ; en deuxième lieu, le non-renouvellement de celui-ci acquis, caractériser l’utilisation sans titre du domaine public (II) ; en troisième lieu, en tirer les conséquences sur le plan indemnitaire, l’État devant, comme les autres, s’acquitter d’une indemnité venant compenser le montant des redevances qu’un occupant régulier aurait dû verser (III)

La compétence juridictionnelle déduite de la nature du titre

C’est par un raisonnement progressif et « à étages » que le tribunal est parvenu à écarter le premier moyen, tiré de l’incompétence de la juridiction administrative, au regard de la prétendue nature privée du titre d’occupation domaniale, support formel du litige en cause. Bien logiquement : le sous-contrat (sur le sujet, P. Blanquet, Le sous-contrat, Dalloz, NBT, 2022 – M.-G. Alhidja, Le sous- contrat en droit public : RFDA 2018, p. 915) prenait corps dans un bail emphytéotique administratif, les litiges afférents à ces derniers relevant expressis verbis de la compétence du juge administratif, ceci du reste, alors qu’ils seraient conclus sur le domaine privé (CGPPP, art. L. 2331-1, 5°). Certes, comme le relève la rapporteure publique, cette compétence se déduit d’une application parfois méconnue de la domanialité publique « virtuelle » ou « par anticipation » (v. en dernier lieu, F. Melleray, La domanialité publique virtuelle, RFDA, 2020, p. 921) : de fait, les biens édifiés par l’emphytéote ressortent – à l’instar de ceux construits par l’occupant privatif disposant d’un titre « sec » (CE, 27 avril 1997, n° 147602, Min. Budget c/ société Sagifa : Dr. adm. 1997, comm. 316, note Ch. Lavialle ; Dr. fisc. 1997, comm. 928, concl. J. Arrighi de Casanova ; RDI 1997, p. 418, chron. J.-B. Auby et Ch. Maugüé ; RFDA 1997, p. 935, note É. Fatôme et Ph. Terneyre ; GDDAB, Dalloz, 4e éd., 2022, n° 70, note C. Chamard-Heim) – de sa propriété (ou plus exactement de ses « prérogatives de propriétaires »), celle-ci n’étant pleinement transférée à la personne publique qu’à l’issue du bail (raison pour laquelle les liaisons entre BEA et maîtrise d’ouvrage public ont pu poser difficulté : CE, Section, 25 février 1994, Sofap-Marignan Immobilier, n° 144641 : RFDA, 1994, p. 510, concl. J. Arrighi de Casanova ; JCP N, 1994, II, p. 168, note Daval et Roussel ; D. 1994, p. 536, note M. Lombard ; CJEG 1994, p. 569, note É. Fatôme et Ph. Terneyre ; AJDA 1994, p. 550, note H. Périnet-Marquet). Il reste que ces derniers, un peu comme les « biens de retour » au sein des concessions, sont au gré d’une jurisprudence constante attraits ab initio au domaine public des collectivités, au moins lorsqu’ils sont affectés à l’exercice d’une mission de service public (comme il en va d’une caserne de gendarmerie : v. par analogie, CE, 7 mai 2012, SCP Mercadier et Krantz, n° 342107 : AJDA 2013, p. 1172, obs. N. Foulquier ; JCP A 2012, act. 327, obs. L. Erstein ; JCP A 2013, 2125, chron. C. Chamard-Heim ; RLCT juin 2012, p. 36, obs. E. Glaser).

Ce premier point acquis, il restait à entériner la nature administrative du sous-contrat tripartite liant l’emphytéote, la commune et l’État. On sait leur nature juridique fluctuante dès lors que, par une interprétation autrefois (sous l’empire de la loi du 28 Pluviôse an VIII) et encore aujourd’hui (sous l’empire de l’article L. 2331-1 CGPPP) discutable, voire contra legem, il est jugé que seuls les sous-titres domaniaux dont le « primo-occupant » est gestionnaire d’un service public revêtent un caractère administratif (TC, 14 mai 2012, n° 3836 ; RFDA, 2012, p. 692, note L. Janicot ; RDI 2012, p. 629 note N. Foulquier ; BJCP 2012, p. 382, concl. L. Olléon. Sur le sujet, B. Plessix, Les sous-concessions domaniales : territoire d’un contentieux, Mélanges L. Richer, Lextenso, 2013, p. 247 ; M. Ubaud-Bergeron, Les sous-concessions domaniales, in G. Clamour [dir.], Contrats et propriété publics, LexisNexis, Colloques & débats, 2011, p. 111 ; Ph. Yolka, Les sous-concessions domaniales. Cartographie d’un contentieux, JCP A 2007, n° 2017). Ici, une difficulté s’ajoutait, les parties ayant, par la dénomination conventionnelle choisie, laissé entendre la nature privée du titre domanial, en évoquant la présence d’un « bail de sous-location ». Certes, le juge administratif n’est nullement lié par la qualification retenue par les parties, le tribunal pouvant parfaitement s’en évader. Il reste (quoique nous approuvions la décision) à relever que ce dernier a peut-être coupé court à la difficulté, en s’abstenant d’entrer dans les lignes de fuite de la jurisprudence relative aux titres de sous-occupation domaniale, sauf à considérer que celle-ci, à raison de la présomption d’administrativité des contrats entre personne publiques (TC, 21 mars 1983, n° 2256, UAP : Leb. 537 ; AJDA, 1983, p. 356, concl. D. Labetoulle – sur la question v. S. Caudal (dir.), Trente ans après la jurisprudence UAP : dossier AJDA 2013, p. 834 et s.) doit être mise de côté dans de telles circonstances. Revenant à la – bonne – épure de l’article L. 2331-1 CGPPP et constatant que le titre portait quoi qu’il en soit utilisation du domaine public, il vient donc retenir sa nature administrative et, partant, sa compétence pour connaître du litige afférent.

La caractérisation de l’occupation sans-titre

La difficulté était sans doute moindre sur le second volet, le tribunal devant, pour arriver à ses fins, caractériser l’occupation sans-titre de l’État suite à l’échec des négociations autorisant la délivrance d’une nouvelle convention. Là encore, certaines équivoques pouvaient germer du titre lui-même lequel, dans une lecture constructive, pouvait laisser entendre le renouvellement « automatique » du titre (ou, du moins, le maintien légal de l’occupant), quand bien même les négociations à échéance n’aboutiraient point.

Le tribunal vient ici en rejeter la survenance. D’une part en énonçant que nul ne peut, sans titre, occuper le domaine public (CGPPP, art. L. 2122-1). D’autre part en rappelant que l’utilisation privative d’un bien du domaine public ne saurait résulter de la tolérance de l’Administration et revêtir un caractère tacite (CE, 21 mars 2003, SIPPEREC, n°189191 ; AJDA 2003, p. 1935, note Subra de Bieusses ; Ann. Voirie 2003, n° 73, p. 55, note Duval ; BJCL 2003, n° 6, p. 414, concl. S. Austry ; Collectivités-Intercommunalité 2003, comm. 145, note L. Erstein ; JCP A 2003, p. 666, obs. J. Moreau ; RFDA 2003, p. 903, note Soulié, CMP 2003, comm. 128, note G. Eckert ; GDDAB, op. cit., n° 54, note C. Chamard-Heim – sur la question, F. Grabias, La tolérance administrative, Dalloz, 2018). Le caractère nécessairement écrit de ce dernier s’y oppose (CE, Section, 19 juin 2015, n° 369558, SCI du Port de Boulogne, Leb. 207 : JCP A, 2015, n° 2243, note Ph. S. Hansen ; CMP, 2015, comm. 220, note G. Eckert ; AJDA, 2015, p. 1413, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe) ; quant à la circonstance que des redevances soient le cas échéant versées, elle est jugée indifférente, quand bien même, relevons-le, il aurait été sans doute possible – de manière facultative – d’accorder une gratuité d’usage à l’État dans ce cadre (CGPPP, art. L. 2125-1, 3° : « Par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement : (…) lorsque l'occupation ou l'utilisation contribue directement à assurer l'exercice des missions des services de l'Etat chargés de la paix, de la sécurité et de l'ordre).

Ce faisant, c’est logiquement que les juges du fond viennent retenir que le principe de précarité – autant que « l'affectation normale du domaine public » et les « impératifs de protection et de bonne gestion de ce domaine » – s’opposent à toute forme de renouvellement automatique (que la formulation de « bail » pouvait certes laisser entendre) : le maintien dans les lieux ne s’y assimile pas (CE, 17 décembre 1975, société Letourneur Frères, n° 91873 : RDP, 1976, p. 1083), nul n’y ayant « droit » par ailleurs (CE, 14 oct. 1991, n° 95857 : Leb. T. p. 927). Le fait qu’il résulte de l’instruction qu’aucune des parties n’avait – comme l’appelaient les stipulations contractuelles – manifesté (dans les six derniers mois avant échéance) son souhait de faire cesser les relations conventionnelles est jugé, là encore, sans incidence. C’est dire, en somme, mais le droit positif n’était pas serti de doutes, que les stipulations des parties (fussent-elles toutes des personnes publiques) ne peuvent, en tout état de cause, faire échec à l’application du régime domanial, d’ordre public.

Les conséquences indemnitaires de l’occupation irrégulière

Sans préjudice du déploiement de la police répressive du domaine public (en ce sens, CE, 13 février 2015, n° 366036, VNF ; AJDA 2015, p. 1701, note N. Foulquier ; CMP, 2015, comm. 99, note M. Ubaud-Bergeron ; Dr. adm., 2015, comm. 42, note G. Eveillard ; JCP A 2015, act. 182, obs. E. Langelier) – contraventions de grande voirie –, il est constant que « le gestionnaire d'une dépendance du domaine public est fondé à réclamer à un occupant sans titre, à raison de la période d'occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu'il aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période » (CE, 16 mai 2011, n° 317675, commune Moulins : RJEP, 2011, comm. 56, concl. C. Legras ; JCP A, 2011, p. 224, note Ph. Yolka ; AJDA, 2011, p. 995, note R. Grand ; Dr. adm., 2011, comm. 68, note F. Melleray ; AJCT, 2011, p. 527, note D. Dutrieux ; JCP A, 2012, n° 2170, chron. C. Chamard-Heim). Connu autrefois pour le seul domaine public de l’État, ce principe a fort heureusement (on le mesure ici) été transposé au domaine des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. L’on précisera que la sujétion possède un caractère « indemnitaire » et ne s’assimile nullement à une sanction (CE, 15 févr. 2015, n° 366036, VNF, préc.), comme il en va du reste – ce qui est contestable – ailleurs, c’est-à-dire même lorsque la redevance fait l’objet d’une majoration (CAA Paris, 22 avr. 2020, n° 17PA03926 : CMP, 2020, comm. 209, note P. Soler-Couteaux ; JCP A, 2020, n° 2221, note Ch. Roux). La qualification autorise alors habilement à écarter tout à la fois le contrôle de proportionnalité du juge, son pouvoir de modulation, autant que l’emprise d’un certain nombre de principes (droits de la défense, principe d’individualité de la peine, principe du contradictoire. Sur ce point v. CE, 10 juin 2020, n° 433276, 429414 et 427155 : Dr. voir., 2020, n° 215, concl. C. Barrois de Sarrigny ; CMP, 2020, comm. 269, note P. Soler-Couteaux).

C’est donc ce principe indemnitaire que le tribunal administratif vient étendre à l’État sans-titre et, vraisemblablement, à l’ensemble des relations « publiques-publiques ». D’aucuns y verront une vision « propriétariste » renforcée au bénéfice des collectivités territoriales, laissant entendre que s’il existe un unique et éminent domaine public, il coexiste en revanche plusieurs caisses enregistreuses publiques, celles des collectivités ne se confondant pas avec celle de l’État. D’autres, plus prosaïques, relèveront que c’est la moindre des choses, surtout dans le cadre d’une opération contractuelle où le foncier local avait été mobilisé pour les besoins de l’État. Juridiquement, en tout état de cause, rien ne s’opposait à une telle solution, laquelle vient simplement tirer toutes les potentialités du droit de propriété reconnu aux collectivités. Elle agit, au fond, dans la continuité de solutions antérieures rendues dans le cadre de la police de la conservation, le juge administratif ayant déjà admis que des contraventions de grande voirie soient infligées à des personnes morales de droit public pour le compte desquelles l’infraction aurait été commise (CE, 22 janvier 2014, n° 352202, FNAUT JCP A 2014, n° 2251, note J.-F. Giacuzzo). Elle agit encore, plus largement, dans le respect du récent principe d’interdiction des locations publiques à vil prix (CE, 28 septembre 2021, n° 431625, CCAS de Pauillac : Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 354, note P. Soler-Couteaux ; RDI 2021, p. 662, note N. Foulquier ; JCP A 2021, 2349, note C. Chamard-Heim ; Dr. adm. 2021, act. 157, obs. A. Courrèges ; Dr. adm. 2022, comm. 5, note G. Eveillard ; AJDA 2021, p. 2579, chron. E. Glaser ; Dr. voir. 2022, n° 224, p. 16, note Ch. Roux ; AJCT 2022, p. 54, obs. J.-D. Dreyfus) lequel, fondé sur la protection des deniers publics et la prohibition des libéralités, ne semble donc souffrir d’aucun tempérament de principe en faveur des personnes publiques locataires (comme il en va du reste, dans le contentieux des cessions entre personnes publiques où la qualité « publique » du cessionnaire est jugée indifférente : CE, 15 mai 2012, n° 351416, commune de Herliès ; RLCT, 2012, n° 2263, note Ph. Yolka).

Restait au tribunal à déterminer le montant de cette indemnisation laquelle, selon la jurisprudence, doit être calculée soit au regard d’un tarif déjà existant applicable au bien concerné, soit de la même manière qu’une redevance légalement établie, sa fixation devant alors tenir compte de tous les avantages procurés par l’occupation (CE, 1er juillet 2019, n° 421403, Ville de Paris c/ SAS Café Georges V ; Dr. voir., 2019, n° 209, p. 158, concl. R. Victor ; JCP A, 2019, n° 2289, note Ph. Hansen ; CMP, 2019, comm. 323, obs. P. Soler-Couteaux), conformément aux principes du CGPPP (article L. 2125-3). Mobilisant les stipulations du contrat de sous-location, le tribunal vient se ranger à la première alternative. Ce dernier prévoyait en effet un montant annuel de 558 000 euros annuel susceptible d’être réévalué par le biais d’une révision triennale (tenant compte de la valeur réactualisée établie par la Direction immobilière de l’État mais également des indices de la construction publiés par l’INSEE), laquelle, en dernier lieu, avait fait porter le loyer à 632 000 € annuel. C’est dire, en guise de paradoxe conclusif, que les stipulations d’un contrat… éteint (justifiant le déploiement du régime protecteur de l’occupation sans titre), continuent malgré tout de servir d’étalon pour déterminer la valeur de l’indemnisation…

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0