La loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris comporte un certain nombre de mesures spécifiques, parmi lesquelles la réduction de la durée des zones d’aménagement différé (ZAD) à six ans, renouvelable. Désormais, codifié à l’article L. 212-2 du code de l’urbanisme, le droit de préemption en ZAD est exercé pendant une période de six ans, renouvelable à compter de la date de publication de l’acte portant création de la ZAD, ou de l’acte portant son renouvellement. Quid alors du renouvellement d’une ZAD sur le même périmètre d’une ancienne ZAD devenue caduque ? Face au mutisme législatif, la cour administrative lyonnaise a affirmé la possibilité de créer une nouvelle ZAD sur le même périmètre d’une ancienne devenue caduque.
Le droit de préemption est « un droit d’option permettant la substitution du préempteur au contractant originaire avec un double effet acquisitif et extinctif ; c’est donc fondamentalement un droit de substitution de son titulaire à un cocontractant dans un contrat antérieurement formé » (C. Saint Alary-Houin, Le droit de préemption, L.G.D.J., 1979.). Néanmoins, en droit de l’urbanisme, sa portée dépasse largement le simple procédé de substitution dans la mesure où il est considéré comme une atteinte fondamentale au droit de vendre et d’acquérir. Outil de « la maîtrise foncière par la puissance publique », ce droit préférentiel, comme le rappelle le Conseil Constitutionnel, est un pouvoir « qui touche aux conditions d’exercice du droit de propriété ». (CC, 7 déc. 2000, Loi SRU, n° 2000- 436 DC). Un droit exceptionnel, « instrument de prédilection des collectivités publiques en matière d’urbanisme », (S. FIAT, Assouplissement du droit de préemption, EUROJURIS), sa mise en œuvre doit être rigoureusement encadrée par une loi, ainsi que son champ d’application.
De manière générale, le droit de préemption regroupe – pour l’aménagement – le droit de préemption urbain (DPU), le droit de préemption commercial et le droit de préemption exercé dans les zones d’aménagement différé. C’est ce dernier qui est envisagé dans le cas d’espèce.
Mise en place par la loi n° 62-848 du 26 juillet 1962 relative au droit de préemption dans les zones à urbaniser en priorité et dans les zones d'aménagement différé, a la juridiction d'expropriation et au mode de calcul des indemnités d'expropriation, afin de répondre à un objectif « anti spéculatif », et visant ainsi à favoriser une sorte d’appropriation publique du sol nécessaire à la réalisation d’un projet d’aménagement urbain, la zone d’aménagement différé est un outil ouvrant ainsi la possibilité aux pouvoirs publics d’instituer des zones de préemption afin de réaliser des activités ou de construire des réserves foncières. Dans ce sens, le Conseil d’État a affirmé expressément dans un arrêt rendu en 1969 que la préemption dans les ZAD était exercée « pour s’opposer à la spéculation foncière dans les zones où sont annoncées des opérations d’urbanisme (…) dont la réalisation est prévue mais différée dans le temps » (CE, Assemblée, 6 juin 1969, Dame L., n° 72402, au Lebon). À cet égard, ce droit est conditionné, aux termes de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, par l’obligation de « la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, à l’exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation des dites actions ou opérations d’aménagement ».
Contrairement au droit de préemption urbain (DPU), les collectivités territoriales ne disposaient pas d’une compétence de principe en ce qui concerne la création des ZAD. Ces dernières sont créées par décision motivée du préfet, sur proposition ou après avis de la commune concernée ou de l’établissement public de coopération intercommunale. L’acte portant création de la ZAD délimite son périmètre et désigne le titulaire du droit de préemption. Celui-ci peut déléguer son droit selon les dispositions de l’article L. 213-3 du code de l’urbanisme. Au regard des récentes évolutions de la législation en matière d’urbanisme, notamment la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », et la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite « loi ELAN », la création des ZAD ne relève plus désormais de la compétence exclusive de l’État, elle s’étend ainsi aux EPCI.
C’est précisément à propos de ce droit de préemption que l’arrêt de la 5ème chambre de la cour administrative d’appel de Lyon, rendu le 27 octobre 2022 est venu apporter quelques précisions. De manière inédite, la cour précise les modalités de l’applicabilité dans le temps de la préemption dans les ZAD. Plus exactement, elle s’est positionnée par rapport à la possibilité de la création d’une nouvelle ZAD sur le périmètre d’une ancienne devenue caduque, et par conséquent, l’ouverture d’une nouvelle durée d’exercice du droit de préemption. D’où réside l’importance de l’arrêt à commenter.
En l’espèce, Mme D. B. et Mme C. A. ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la délibération n° 88-2018 du 12 décembre 2018 par laquelle le conseil communautaire de la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine avait décidé de créer une zone d'aménagement différé sur leurs parcelles cadastrées aux sections AI et ZA de la commune de Ménétreux-le-Pitois, et a désigné la communauté de communes comme bénéficiaire du droit de préemption. Par un jugement rendu le 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la demande des requérants et a annulé la délibération du 12 décembre 2018, notamment son article premier, et a mis à la charge de la communauté de communes une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une requête enregistrée le 21 septembre 2020, la communauté de communes du Pays d’Alésia et de la Seine (COPAS) a demandé à la cour d’annuler ce jugement, de rejeter les demandes présentées par Mme D. B. et Mme C. A., et de mettre à leur charge la somme de 3000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de la justice administrative.
Après avoir écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 212-2 du code de l’urbanisme en précisant la possibilité de prolongation ou de création d’une nouvelle ZAD sur le même périmètre d’une ZAD frappée de caducité (I.), la cour va, dans un second temps, examiner les autres moyens soulevés en première instance, en statuant notamment sur l’incompétence de la COPAS pour adopter la délibération litigieuse (II.).
Création d’une nouvelle ZAD sur le périmètre d’une ancienne ZAD et extension du droit de préemption
Aux termes des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme, le droit de préemption institué dans les ZAD doit être exercé dans deux hypothèses : en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations ayant pour objet de mettre en œuvre un projet urbain, une politique de l’habitat ; ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement. De ce fait, la légalité de la décision instituant un tel droit, est subordonnée au respect d’un certain nombre d’exigences : la motivation et la durée.
Quant à la première exigence, selon l’article L. 210-1 précité du code de l’urbanisme, « toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel il est exercé ». De manière prétorienne, le juge administratif a jugé ainsi que la décision instaurant le droit de préemption devrait définir « de manière précise » le projet ou l’opération d’aménagement que la commune envisage sur le terrain préempté (CE, Section, 26 février 2003, n° 231558, au Recueil Lebon), et sa nature (CE, 7 mars 2008, commune de Meung-sur-Loire, n° 288371, au Recueil Lebon). De plus, en cas de préemption, le juge est aussi amené à apprécier « la réalité » qui justifie le projet. En effet, la cour administrative d’appel de Marseille a censuré une décision de préemption dont « la multiplicité des objets invoqués » ne caractérisait pas un projet réel à la date de la décision de préemption (CAA Marseille, 9 février 2022, n° 20MA01172, Recueil Lebon), assouplissant – avec modération – la condition de la « précision du projet » à travers celle de la « réalité du projet ». Cette réalité est établie soit sur le fondement des éléments prouvant son antériorité, soit à travers des précédents prouvant son insertion réelle dans une politique dont elle est l’une des manifestations, ce qui rend sa réalisation inévitable. Dans la même logique, en se fondant désormais sur le caractère réel du projet, le Conseil d’État a précisé ainsi dans une décision rendue le 15 juillet 2020 que « le projet invoqué par la collectivité à l’appui de sa décision de préemption, pour qu’il puisse être considéré comme réel, doit aussi être réaliste, c’est-à-dire qu’il doit bien pouvoir être exécuté sur la parcelle préemptée ». (CE, 15 juillet 2020, commune d’Échirolles, n° 432325, au Recueil Lebon). En ce qui concerne les ZAD à des fins de constituer de réserves foncières, la référence à « une délibération antérieure suffisamment précise » a été admise par le juge administratif (CAA Nantes, 9 octobre 1996, n°94NT00690 ). Il en résulte que cette attitude oscillante entre assouplissement et durcissement du recours au droit de préemption, traduit la volonté d’établir un équilibre entre la sécurisation des opérations d’aménagement menées par les collectivités publiques et le droit de propriété auquel elles portent atteinte. Ce dernier s’avère être parfois – ou très souvent – en porte-à-faux avec la temporalité de l’action et/ou le projet d’aménagement envisagé, et le caractère pragmatique qui sous-tend le droit de préemption de manière générale.
Quant à la seconde condition, et avant la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, le droit de préemption dans les ZAD pouvait être exercé pour une durée de 14 ans sans être ni prolongée, ni renouvelée. Afin de répondre à un souci de « rationalisation » de ce délai, jugé « long » et « excessif », s’inspirant ainsi de la jurisprudence strasbourgeoise Motais de Narbonne (CEDH, 2 juill. 2002, n° 48161/99), la loi n° 597-2010 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, a modifié la réglementation applicable aux ZAD. L'article L. 212-2 du code de l'urbanisme prévoit désormais que dans les zones d'aménagement différé, un droit de préemption « peut être exercé pendant une période de six ans renouvelable ». Bien qu’une mesure transitoire ait prévu une précision concernant la durée de validité des ZAD alors en cours (les zones d'aménagement différé créées avant l'entrée en vigueur de la présente loi prennent fin six ans après cette entrée en vigueur ou, si ce délai est plus court, au terme du délai de quatorze ans prévu à l'article L. 212-2 du même code dans sa rédaction antérieure à la présente loi), le principe de l'effet immédiat de cette nouvelle loi implique dès lors que toutes les ZAD, y compris celles créées avant l'entrée en vigueur de cette loi, sont renouvelables, pour une durée de six ans. Une telle avancée, a soulevé un certain nombre d’interrogations, notamment en ce qui concerne les limitations du droit de renouvellement. L’une de ces interrogations est de savoir si les nouvelles dispositions s’appliqueront sur les anciennes ZAD devenues caduques ou non ? Face au mutisme du législateur, le juge administratif n’a pas tardé pour apporter une clarification, pour le moins, innovatrice.
Reprenons les faits du cas de l’espèce, une première zone d’aménagement différé a été créée par un arrêté du 27 avril 2004. Le préfet de Côte-d'Or a désigné la commune de Ménétreux-le-Pitois comme bénéficiaire du droit de préemption associé, dont la durée était limitée, selon les anciennes dispositions alors en vigueur de l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme, à quatorze années non renouvelable. Cette ZAD est devenue caduque à la date du 6 juin 2016, en application des dispositions précitées du l'article 6 de la loi du 3 juin 2010, relative au Grand Paris. Après deux ans, le conseil communautaire de la communauté de communes du Pays d'Alésia et de la Seine (COPAS) a créé une zone d'aménagement différé sur le même périmètre de la ZAD caduque en désignant la communauté de communes comme bénéficiaire du droit de préemption. Rappelant dans un premier temps la législation applicable, notamment l'article L. 212-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2010 qui précise la durée des ZAD et les modalités de renouvellement du droit de préemption, la cour tranche par la suite et de manière inédite en faveur de la possibilité de la création d’une nouvelle ZAD sur le périmètre d’une ancienne devenue caduque, en affirmant que le législateur a désormais « entendu permettre le renouvellement de la durée des zones d'aménagement différé, toutefois réduite à six ans, ce qui entraîne la réévaluation plus fréquente de la valeur des biens soumis à l'exercice du droit de préemption. Il ne résulte en outre pas de ces dispositions, ni de celles du II de l'article 6 de la loi du 3 juin 2010, que le législateur aurait entendu faire obstacle à la création d'une nouvelle zone d'aménagement différé sur le périmètre d'une précédente zone devenue caduque par l'effet de la loi relative au Grand Paris, postérieurement à cette caducité, même si elle a pour effet d'ouvrir une nouvelle durée d'exercice du droit de préemption ». Cette affirmation vient combler de manière incontestable l’imprécision juridique des dispositions législatives en ce qui concerne le renouvellement des ZAD. Ce faisant, la cour a fait prévaloir ici une démarche conciliatrice entre la logique pragmatique qui sous-tend le droit de préemption et la protection du droit de propriété. D’une part, forte de son raisonnement, elle estime qu’un tel procédé s’insère dans la trame globale d’une législation que l’État estime « nécessaire » afin de règlementer l’usage du sol et des biens, fondé ainsi sur l’impératif de l’intérêt général. D’un autre côté, la réduction de la durée des ZAD à six ans permet une réactualisation du prix d’acquisition, et cela à la date de la publication de la délibération créant la ZAD, mais aussi à chaque renouvellement. Ceci étant, le délai semble « raisonnable » et ne peut pas faire subir aux propriétaires des charges injustifiées et ne porte pas d’atteinte excessive à leurs droits.
La compétence des établissements publics de coopération intercommunale en matière de création des ZAD
Depuis la loi « Chevènement » du 12 juillet 1999, l’incitation à favoriser le regroupement communal, traduite par ce qu’on appelle « l’intercommunalité de projet », a relégué la commune en une position subalterne en conférant, par le biais de la loi Grenelle II du 12 juillet 2010, l’initiative de l’élaboration du plan local d’urbanisme aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). La loi ALUR, du 24 mars 2014 vient concrétiser l’aboutissement de cette démarche. De ce fait, le titulaire du droit de préemption peut être : une collectivité publique (État, région, département, EPCI à fiscalité propre, commune) ; un établissement public y ayant vocation ; ou un concessionnaire d’une opération d’aménagement (art. L. 212-2 du code de l’urbanisme).
Conséquence logique de leur compétence en matière de PLU/DPU, les EPCI à fiscalité propre sont désormais compétents pour créer des ZAD. L’article 149 de la loi précitée, codifié à l’article L. 212 alinéa 3 du code de l’urbanisme a habilité les EPCI à fiscalité propre en matière de PLU et de droit de préemption. Cet article les autorise à créer, par délibération motivée, des zones d’aménagement différé et, par la même, d’exercer un droit de préemption : « des zones d’aménagement différé peuvent également être créées par délibération motivée de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant les compétences mentionnées au second alinéa de l’article L. 212-2, après avis des communes incluses dans le périmètre de la zone ». En effet, cette nouvelle compétence est subordonnée à deux conditions : une condition de forme, et une condition de procédure. Formellement, la délibération de l’EPCI est soumise à l’obligation de motivation. C’est-à-dire, « l’acte créateur doit par conséquent énoncer de manière circonstanciée les considérations de fait et de droit sur lesquelles il est fondé et, pour le moins, préciser le projet d’aménagement en vue duquel le recours à cette procédure a été décidé ». En ce qui concerne le droit de préemption à des fins de réserves foncières, la référence aux motivations indiquées dans l’acte créant la ZAD se substitue à l’obligation d’établir de manière circonstanciée la réalité du projet. Quant à la procédure, le projet de création de la ZAD est soumis obligatoirement à l’avis préalable des communes intéressées. En cas d’avis défavorable, la ZAD ne pourra être créée que par arrêté préfectoral. C’est sur ce point, qu’il revenait à la cour, dans un second temps, le soin de statuer sur le moyen de l’incompétence de la COPAS pour adopter la délibération litigieuse.
Notamment au visa de l’article 136 de la loi ALUR, la cour rappelle les conditions de transfert de la compétence en matière de PLUi. La loi ALUR a conforté cette compétence transférée de plein droit aux intercommunalités, cependant, le législateur a tempéré l’automaticité de ce transfert par la possibilité d’opposition. Si l’EPCI dispose de cette compétence, ou pas encore, au moins 25% des communes représentant au moins 20% de la population peuvent s’opposer à ce transfert de compétence. Si elles se prononcent en faveur du transfert, cette compétence est transférée à la communauté sauf si les communes membres s'y opposent dans les mêmes conditions susmentionnées dans les trois mois suivant le vote de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. En l’espèce, le sous-préfet de Montbard a inclus, par un arrêté du 15 mars 2017, aux compétences obligatoires de la COPAS, la compétence en matière de plan d’urbanisme local, et de document d’urbanisme en tenant lieu ou de carte communale. Sur ce fondement, la cour conclut au rejet du moyen tiré de l’incompétence de la COPAS en matière de création des ZAD. De plus, l’article précité, exige la matérialisation d’une minorité de blocage, seule condition faisant obstacle au transfert de compétences. En l’espèce, eu égard de l’absence d’une telle opposition, le transfert est devenu effectif. Afin de développer sa position, la cour est allée plus loin en affirmant que la COPAS n’est pas tenue d’apporter « une preuve négative » ou « une absence d’opposition ». Ce faisant, il incombe aux intimées d’apporter la preuve et/ou les éléments la démontrant. Une attitude qui vient réconforter la COPAS et qui s’insère dans la même logique adoptée par le législateur : promouvoir une règlementation efficace à l’échelle du territoire intercommunal, un échelon beaucoup plus pertinent que l’échelon local pour la planification urbaine et l’aménagement du territoire.