Une commune propriétaire de ses réseaux d’électricité ne peut s’opposer au déploiement des compteurs communicants

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Décision de justice

CAA Lyon, 4ème chambre – N° 20LY01977 – 23 juin 2022 – C+

Juridiction : CAA Lyon

Numéro de la décision : 20LY01977

Numéro Légifrance : CETATEXT000045972614

Date de la décision : 23 juin 2022

Code de publication : C+

Index

Mots-clés

Biens des collectivités territoriales, Compteur électrique, Compteur linky, Distribution d’électricité, Réseaux publics de distribution d’électricité, Propriété des ouvrages et réseaux publics, L. 111-52 du code de l'énergie, Directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 sur l’électricité, L. 322-8 du code de l'énergie, L. 322-4 du code de l'énergie, L. 341-4 du code de l'énergie, L. 2224-31 du CGCT, D. 342‑1 du code de l’énergie

Rubriques

Institutions et collectivités publiques

Résumé

Dans cette affaire, la commune est toujours compétente en matière d'organisation de la distribution d'électricité, et reste propriétaire des ouvrages de ses réseaux. Le remplacement des compteurs d'électricité existants installés sur le territoire de la commune, par des dispositifs de comptage communicants Linky, n'implique pas l'aliénation des compteurs existants et leur dépose ne nécessite, par suite, aucun déclassement préalable.

Il résulte de la combinaison du deuxième alinéa du IV de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales (CGCT) et du premier alinéa de l'article L. 322-4 du code de l'énergie que la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d'électricité est attachée à la qualité d'autorité organisatrice de ces réseaux.1

Il résulte des articles L. 111-52, L. 322-8 et L. 341-4 du code de l'énergie que le législateur a prévu que les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité mettent en œuvre des dispositifs permettant aux fournisseurs de proposer à leurs clients des prix différents selon les périodes de l'année ou de la journée et incitant les consommateurs à limiter leur consommation pendant les périodes de forte consommation. La loi a imposé à cette fin aux gestionnaires de réseaux publics de mettre à la disposition des consommateurs leurs données de comptage, des systèmes d'alerte de consommation et des éléments de comparaison sur les consommations.2

L’obligation de déploiement des dispositifs de comptage communicants qui incombe aux gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité s’impose à l’autorité organisatrice de ces réseaux.

Lorsqu'une commune a conservé sa compétence en matière d'organisation de la distribution d'électricité et demeure en conséquence propriétaire des ouvrages des réseaux en cause, y compris des installations de comptage visées à l'article D. 342-1 du code de l'énergie, l’atteinte portée au droit de propriété ne l’autorise pas à s’opposer au déploiement des dispositifs de comptage communicants.

135-02-03-03-07, Collectivités territoriales, Commune, Attributions, Services communaux, Gaz et électricité

Notes

1 cf CE, 28 juin 2019, commune de Bovel, n°425975, B Retour au texte

2 cf CE, 11 juillet 2019, commune de Cast, n°426060, B Retour au texte

Conclusions du rapporteur public

Bertrand Savouré

rapporteur public à la cour administrative d’appel de Lyon

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DOI : 10.35562/alyoda.8761

L’installation par Enedis des compteurs Linky a suscité et suscite toujours une forte hostilité qui a conduit plusieurs centaines de communes à prendre des mesures en vue d’empêcher leur déploiement.

Celui-ci s’inscrit dans un édifice normatif composé à la fois de règles de droit de l’Union européenne et de droit national.

Au niveau européen, la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 sur l’électricité a prévu que « les États membres veillent à la mise en place de systèmes intelligents de mesure qui favorisent la participation active des consommateurs au marché de la fourniture d’électricité ». Lorsque l’Etat choisit de déployer ces systèmes, au vu d’une évaluation favorable des coûts et bénéfices, il doit s’assurer qu’au moins 80 % des clients seront équipés de systèmes intelligents de mesure d’ici à 2020.

Dans ce cadre, la France a fait le choix d’un déploiement généralisé des compteurs communicants.

L’obligation de mise en œuvre des compteurs incombe aux gestionnaires des réseaux de distribution, à savoir Enedis, filiale du groupe EDF, et les entreprises locales de distribution.

L’article R. 341-8 définit un calendrier de déploiement, en prévoyant notamment la mise en conformité d’ici le 31 décembre 2020 d’au moins 80 % des dispositifs de comptage, les 100 % devant être atteints d’ici 2024.

L’hostilité au déploiement des compteurs Linky se situe essentiellement sur trois terrains :

  • celui de la sécurité sanitaire, en raison des ondes électromagnétiques émises par les compteurs ;

  • celui de la protection des données personnelles et de la vie privée, compte tenu des données détaillées communiquées par les compteurs sur les consommations individuelles ;

  • celui du bon fonctionnement des installations électriques, les compteurs Linky étant accusés de provoquer des disjonctions intempestives, voire des incendies.

La commune de Saint-Vincent-de-Mercuze, s’inscrivant dans ce mouvement, a décidé par une délibération du 23 août 2018 de refuser l’élimination des compteurs existants dont elle s’estime propriétaire et de suspendre le déploiement des compteurs « linky » sur son territoire tant que la régularité de leur installation et des traitements de données à caractère personnel qu’ils opèrent n’aura pas été vérifiée par la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et les résultats communiqués à la commune et qu’il ne sera pas justifié l’absence de risque sanitaire ou sécuritaire.

Puis par un arrêté du 3 septembre 2018, le maire a suspendu l’implantation des compteurs « Linky » sur le territoire de sa commune en application de son pouvoir de police générale.

Le préfet de l’Isère a déféré ces décisions devant le tribunal administratif de Grenoble qui les a annulées par un jugement du 18 juin 2020, dont la commune de Saint-Vincent-de-Mercuze interjette appel.

Le tribunal administratif a estimé en substance que les compétences attribuées aux autorités nationales pour garantir l’approvisionnement en électricité faisaient obstacle à ce qu’une réglementation portant sur l’installation des compteurs linky par une commune soit adoptée et qu’il n’était pas établi qu’elle causerait une atteinte à la tranquillité publique devant être réprimée dans le cadre du pouvoir de police générale.

Vous écarterez d’abord comme non fondé le moyen tiré de l’insuffisance de motivation du jugement.

Au fond, la commune conteste la longue citation de textes faite par le tribunal en soutenant en substance qu’il n’en résulte aucun principe de limitation du droit de propriété des autorités organisatrices du service de distribution de l’électricité.

Celle-ci fait en effet valoir qu’elle est propriétaire des anciens compteurs en application de l’article L. 322-4 du code de l’énergie et que l’installation des compteurs linky, qui entraîne une dépose de ces anciens compteurs, constitue une atteinte à son droit de propriété.

Il est vrai que la configuration de l’espèce est inédite si on se réfère à la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat a déjà eu à juger que la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité est attachée à la qualité d’autorité organisatrice de ces réseaux. En conséquence, lorsqu’une commune transfère sa compétence en matière d’organisation de la distribution d’électricité à un établissement public de coopération, celui-ci devient autorité organisatrice sur le territoire de la commune et propriétaire des ouvrages des réseaux en cause, y compris des installations de comptage visées à l’article D. 342‑1 du code de l’énergie. Par suite, en cas de transfert de la compétence à un EPCI, la commune perd la propriété de ces équipements (CE 28 juin 2019, commune de Bovel, n° 425975).

Mais cet arrêt n’est pas applicable dans notre espèce puisque la commune n’a pas transféré sa compétence en la matière et est donc demeurée propriétaire des compteurs.

Un arrêt encore plus récent, rendu en matière de téléphonie mobile, nous paraît toutefois fournir un vade-mecum utilisable pour apprécier si cette atteinte au droit de propriété est illégale.

Dans un arrêt du 8 avril 2021, société Bouygues Telecom et société française du radiotéléphone, n° 442120 B, le Conseil d’Etat a en effet jugé qu’eu égard à leurs effets, les dispositions qui obligent les opérateurs souhaitant offrir des services relevant de la technologie 5G, en cas de refus d'autorisation, à procéder au remplacement de tout ou partie de leurs équipements déjà installés au titre des réseaux 2G à 4G, en raison des contraintes techniques liées à l'absence d'interopérabilité des appareils, doivent être regardées comme réglementant l’usage de biens, équipements et droits d’exploitation appartenant aux opérateurs, tant pour l’exploitation de la 5G que pour celle des technologies antérieures, au sens du deuxième alinéa de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La haute juridiction a précisé que cet article ne fait pas obstacle à l’édiction, par l’autorité compétente, d’une réglementation de l’usage des biens, dans un but d’intérêt général, ayant pour effet d’affecter les conditions d’exercice du droit de propriété. Il appartient au juge compétent, pour apprécier la conformité d’une telle réglementation à cet article, d’une part, de tenir compte de l’ensemble de ses effets, d’autre part, et en fonction des circonstances de l’espèce, d’apprécier s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l’exercice du droit de propriété et les exigences d’intérêt général qui sont à l’origine de cette décision.

Dans notre espèce, il nous semble possible de vous inscrire dans la continuité de cet arrêt pour apprécier l’atteinte au droit de propriété invoquée par la commune.

Cette atteinte au droit de propriété est bien réelle dans notre espèce mais il nous semble qu’elle doit être tempérée.

D’abord, le remplacement des compteurs d'électricité existants installés sur le territoire communal par des dispositifs de comptage communicants n'implique pas, en soi, l'aliénation des compteurs existants. A ce titre, vous pourrez donc facilement écarter l’argument suivant lequel leur dépose aurait impliqué un déclassement préalable.

Ensuite, c’est par l’effet de la loi que la commune s’est trouvée propriétaire des compteurs puisqu’ils appartenaient auparavant à EDF. L’inconvénient à être privé quelques années plus tard, par l’effet indirect de la loi, d’un attribut de leur propriété paraît donc modéré.

Enfin, l’atteinte portée à l’usage de la propriété de ces compteurs ne cause aucun inconvénient bien clair à la collectivité locale puisque ce n’est pas elle qui les exploite et que cela ne lui causera aucun préjudice financier. L’argument de la propriété de ces compteurs paraît en réalité opportuniste dans le cadre du présent contentieux et il nous semble que ce sont bien des larmes de crocodile qui sont versées sur ces anciens compteurs.

Si on se réfère aux trois caractères essentiels du droit de propriété que sont le droit de disposer de la chose, celui d’en user et celui d’en percevoir les fruits, on constate qu’il n’y a pas d’atteinte au premier d’entre eux et que la commune n’a jamais réellement bénéficié du deuxième et du troisième.

Ce caractère plus que relatif de l’atteinte au droit de propriété est à mettre en parallèle avec le fait que cette dépose est rendue nécessaire pour la mise en place, résultant d’une directive européenne, de systèmes intelligents de mesure qui favorisent la participation active des consommateurs au marché de la fourniture d’électricité, de sorte qu’elle présente bien un motif d’intérêt général.

En définitive, la perte de propriété des anciens compteurs ne nous paraît pas un argument suffisant pour s’opposer au déploiement des nouveaux compteurs Linky.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a exclu la possibilité d’invoquer les risques pour la sécurité et la salubrité publique dans un arrêt CE, 11 juillet 2019, commune de Cast, n° 426060, B.

La haute juridiction a constaté qu’il appartenait au Premier ministre de fixer par décret les modalités de mise à disposition des données devant être recueillies par les compteurs électriques communicants, lesquels permettent de disposer et de transmettre les données nécessaires. Le ministre chargé de l'industrie a été chargé, avec la Commission de régulation de l'énergie, de déterminer les fonctionnalités et spécifications de ces compteurs. Ces compteurs sont, par ailleurs, soumis aux dispositions de l'article R. 323-28 du code de l'énergie. Ils sont également soumis au décret n° 2015-1084 du 27 août 2015, qui transpose en droit interne les objectifs de la directive 2014/30/UE du 26 février 2014.

Il en a déduit qu’il appartenait ainsi aux autorités de l'Etat de veiller, pour l'ensemble du territoire national, non seulement au fonctionnement optimal du dispositif de comptage au vu notamment des exigences d'interopérabilité mais aussi à la protection de la santé publique par la limitation de l'exposition du public aux champs électromagnétiques, en mettant en œuvre des capacités d'expertise et des garanties techniques indisponibles au plan local et que dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait adopter sur le territoire de la commune des décisions portant sur l'installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises.

Il résulte de cet arrêt que le conseil municipal n’était pas fondé à refuser le déploiement des compteurs linky, alors d’ailleurs que cette délibération paraît se fonder sur le pouvoir de police générale qui appartient au principe au maire.

En ce qui concerne la seconde décision attaquée et qui a été, elle, prise directement par le maire, ce dernier n’était pas fondé pour les mêmes motifs à employer ce pouvoir de police générale pour s’opposer au déploiement des compteurs linky.

Vous pourrez donc confirmer le jugement du tribunal administratif.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

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